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3 – L’entourage des dames

Au Moyen Âge, plusieurs formes d’identification existent et cohabitent pour désigner les hommes et les femmes. Outre la dénomination, la désignation par la parenté ou la titulature, nous pensons que les dames peuvent se définir par rapport à leur entourage. En effet, évoluant au sein de la société médiévale, leur position et leur identité sociales y sont déterminées par rapport aux autres638. Cette étude de l’entourage des dames, dont les membres sont parfois désignés nommément, tente de faire l’éclairage sur les femmes de Morée qui appartiennent à une cour et en possèdent une, sur la composition des cercles de favoris et leurs fonctions.

Appartenir à l’Hôtel de la reine : dames et demoiselles

L’Hôtel royal ou princier regroupe les domestiques et officiers au service du souverain, mais il désigne aussi plus largement l’ensemble des membres de la cour, les familiers sans

636 Dans un acte du 4 mai 1279, la fille de Marguerite de La Roche et d’Henri de Vaudémont qui séjourne à la cour angevine au côté d’Isabelle de Villehardouin est nommée la « damoisele de Valdémont ». BOÜARD, DURRIEU, Documents, t. I, p. 156-157 n 148.

637 GRISAY, LAVIS, DUBOIS-STASSE, Dénominations, p. 166.

638 Pour Aron Gourevitch, le milieu socio-historique dans lequel évolue la personne la définit et la construit ; « l'homme n'est capable de prendre conscience de son individualité que dans le cadre de la société ». GOUREVITCH Aron J., La naissance de l'individu dans l'Europe médiévale (traduit du russe), Paris, 1997, p. 24.

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fonction particulière639. En ce sens, suite aux traités de Viterbe de 1267 par lesquels le roi Charles Ier d’Anjou obtient la suzeraineté sur la principauté de Morée ainsi que par le jeu des alliances féodo-vassaliques et matrimoniales, quelques dames de Morée appartiennent à l’entourage de la reine de Naples. C’est le cas d’Isabelle de Villehardouin qui, en 1271, âgée d’environ douze ans, est envoyée à Naples pour y épouser Philippe d’Anjou640. La jeune fille est placée auprès de la reine Marguerite de Bourgogne, comtesse de Tonnerre641, jusqu’à la consommation du mariage642. De 1276 à 1282, son nom figure alors dans dix mandements royaux de « robes et autres choses necessaire a la raine et a autres personnes de l’Ostel »643. Avec elle et aux côtés de la reine, d’autres noms féminins apparaissent, tels celui « de la damoisele de Valdemont », dont la mère Marguerite de La Roche était fille du duc d’Athènes, Guy Ier de La Roche644. On note également la présence de « la damoisele de Biauvoir » dont le surnom rappelle le nom de la forteresse de Beauvoir implantée dans la péninsule moréote mais qui, selon Alain de Boüard, serait la fille de Simon de Beauvoir, vice-amiral en Pouille. Enfin, un document passé à Rome le 21 mai 1278 mentionne une certaine « dame Jehanne de la Morée » parmi les dames de l’Hôtel de la reine, que nous n’avons pu identifier645. Ces dames appartiennent à l’Hôtel de la reine ; elles entourent la souveraine, l’accompagnent, constituent sa suite, mais ne possèdent pas d’offices. En d’autres termes elles constituent sa cour646.

Posséder son propre Hôtel : une particularité princière ?

Posséder un Hôtel, au sens de lieu de résidence princière autant qu’au sens de cour, n’est toutefois pas un privilège royal. La noblesse de Morée possède également ses demeures seigneuriales, ses officiers, ses conseillers et ses suites647. Notre analyse porte ici sur l’entourage

639 GONZALEZ, Prince, p. 45-51.

640 Malgré la mort de son époux en 1277, Isabelle demeure à la cour angevine jusqu’en 1289, soit pendant près de dix-neuf ans.

641 Il est possible que la reine ait joué le rôle, habituellement réservé à la mère (dont Isabelle a été séparée), de principale éducatrice. Elle aurait transmis à Isabelle, jeune adolescente, les normes de comportement nécessaires à la construction de sa féminité et indispensables pour assurer sa fonction de reproduction. LETT, Adolescente, § 28-29. LETT, Hommes et femmes, p. 44.

642 BON, Morée, t. 1, p. 137. Selon Jean-Alexandre Buchon, le mariage ne fut pas consommé ; BUCHON, Recherches et matériaux, p. 177, n. 1.

643 BOÜARD, DURRIEU, Documents, t. 1, p. 91 n° 54. Voir GUÉRIN, Textiles et parures.

644 La demoiselle de Vaudémont est une fille de Marguerite de La Roche et du comte Henri de Vaudémont ; elle est probablement présente à la cour de Naples en raison du séjour de sa mère en Italie de 1278 à 1288 et des liens étroits qui unissaient le défunt comte de Vaudémont, son père, au roi Charles Ier d’Anjou. POULL, Maison de Lorraine, p. 330-333.

645 BOÜARD, DURRIEU, Documents, t. I, p. 91-92 n° 54, p. 156-157 n° 148 et n. 2.

646 Bernard Guenée définit la cour comme « l’ensemble des personnes qui entourent un prince ». GUENÉE Bernard, « Cour », dans Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, LE GOFF Jacques, SCHMITT Jean-Claude (éd.), Paris, 1999, p. 246.

647 Sur les officiers attachés au pouvoir princier, voir BON, Morée, t. I, p. 86-87. Les fonctions politiques de cet entourage administratif sont développées au chapitre VII de la thèse relatif au gouvernement de la Morée par les princesses.

au sens large, ce que Bernard Demotz définit comme « un va et vient incessant de vassaux, de clercs, d’officiers, d’émissaires de provenances variées [… et d’]invités occasionnels »648. Sur le plan matériel, les résidences princières ou seigneuriales, identifiables dans les textes par les noms : chastel649, « Ostel »650 ou maison651, abritent les dames et les seigneurs de la principauté de Morée auprès desquels évolue leur entourage. La version française de la Chronique de Morée mentionne ainsi l’Hôtel de Marguerite de Nully (« son hostel »), dans lequel elle retourne après une longue procédure juridique avec le prince Guillaume de Villehardouin par laquelle elle réclamait l’héritage de son oncle mort sans héritier et obtint finalement un tiers de la baronnie de Passavant652. L’entourage, en tant que groupe de personnes sans désignation particulière, est le plus souvent qualifié de : « barnage »653, de « compaignie » ou de « compaignie de gent »654, parfois de « gent »655 et de familia656. Le terme de « court » est employé dans la Chronique de Morée, mais il semble prendre avant tout un sens juridique657. S’il est probable que cet entourage soit avant tout masculin658, quelques mentions rapportent toutefois la présence de dames de compagnie. Ainsi, lorsqu’Agnès de Courtenay, la fille de l’empereur latin,

648 L’historien distingue la cour (constituée d’une multitude de personnes) de ceux qu’il qualifie de « membres habituels [de l’Hôtel] désignés par leur titre précis » (c’est-à-dire le personnel des services domestiques). DEMOTZ Bernard, « Choix et représentations. L’entourage des comtes de Savoie du XIe au XVe siècle », dans À l’ombre du pouvoir. Les entourages princiers au Moyen Âge, MARCHANDISSE Alain, KUPPER Jean-Louis (éd.), Paris, 2003 p. 268.

649 Il existe de nombreuses occurrences de « chastel » dans la version française de la Chronique de Morée ; l’une d’entre elles désigne le lieu de résidence favori de la princesse Isabelle de Villehardouin : « si parti la princesse de la Morée et vint demorer en la chastellanie de Calamate, ou chastel de l’Ille, ou elle demouroit plus voulentiers que en nul autre lieu » ; Livre de la conqueste, § 828.

650 Plusieurs mentions d’Hôtels se rencontrent dans les textes ; on note un hospicium à Kalamata et un autre à Voulkano ainsi que des demeures avec cour (cum curti) c’est-à-dire des cours seigneuriales (qui appartiennent probablement à Nicolas Acciaiuoli). Voir LONGNON, TOPPING, Documents, p. 274. La version grecque de la Chronique de Morée emploie également le mot ὁσπίτι(ον), τό – du latin hospitium – pour désigner la maison, le foyer ;

Τὸ χρονικὸν τοῦ Μορέως, v. 1706, 2976 (τὰ ὁσπίτια). Enfin la version française de la Chronique de Morée désigne à plusieurs reprises l’Hôtel princier (« et quant li princes fu repairiés à son hostel », « a son hostel a Clarence », « en son hostel ») ; Livre de la conqueste, § 524, 858.

651 Les Assises de Romanie désignent la demeure princière par l’expression : « la caxa de Miser lo Principo », c’est-à-dire la maison du prince ; Assises de Romanie, § 181.

652 « Et la dame, qui sage et cognissans estoit, comme celle qui ne cuidoit avoir noiant de la baronnie, quant elle oÿ le prince parler, si en fu moult lie ; et mercia moult le prince doucement ; et prist le previliege et s’en ala en son hostel » ; Livre de la conqueste, § 530.

653 Le « barnage » désigne les vassaux, la suite d’un prince. Ibid., § 791 ; GODEFROY, Dictionnaire, vol. 1, p. 587.

654 Livre de la conqueste, § 155, 157, 159, 178.

655 Le terme « gent » peut aussi désigner le peuple ; Ibid., § 817, 849.

656 I Registri della cancelleria, t. VII, p. 24 n° 80.

657 À titre d’exemples : Livre de la conqueste, § 509-510. D’un point de vue étymologique, le mot « cour » au sens de tribunal provient du fait que, dans la société médiévale, « la législation et la juridiction [sont] exercées par la cour princière » ; JACOBY, Féodalité, p. 66.

658 Élizabeth Gonzalez indique qu’au XVe siècle « peu de place [est ]accordé aux femmes dans les Hôtels princiers de l’époque, tant masculins que féminins » ; GONZALEZ, Prince, p. 146-147.

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rencontre son futur époux, Geoffroy II de Villehardouin, elle est « bien acompaignie de dames et de chevaliers »659.

L’entourage d’Isabelle de Villehardouin

Du fait de son rang aristocratique, Isabelle de Villehardouin est entourée dès son enfance de diverses personnes. Vers 1270, à l’occasion des préparatifs de son voyage vers Naples, la jeune fille est présentée avec son entourage (eius comitivam) ou en compagnie de sa famille (familia sua ou eiusque familie) par plusieurs documents royaux ainsi que par la Chronique de Morée660. L’un des actes détaille la composition de son entourage ; le roi mande en effet de fournir à la fille du prince de Morée ainsi qu’à ses demoiselles (domicellis suis) parmi lesquelles : Joanne de Planzenouart, Alicte Constantie et Catarine, à un écuyer (uni armigero), à un jeune (uni puero) ainsi qu’au fils de la nourrice de la princesse (filio nutricis eiusdem principisse), de même qu’aux autres retardataires accompagnant Isabelle, de la nourriture et toutes autres choses nécessaires661. Ces gens, venus de Morée, accompagnent donc la princesse jusqu’à Naples. Il est possible que parmi eux, quelques-uns soient restés auprès d’elle pendant plusieurs années puis aient été rejoints par de nouveaux familiers. Quelques années plus tard, un document daté du 13 juin 1276 révèle que la princesse possède à Naples son propre Hôtel (hospitium) dont l’intendant est un chevalier nommé Stéphane de la Forest : Stephano de Foresta mil., Magistro Hospitii ill. mulieris dom. Isabelle, Domine Moree, karissime cognate nostre662. Dès la seconde moitié du XIIIe siècle, les hôtels « secondaires », comme celui d’Isabelle de Villehardouin, se multiplient à Naples car les enfants royaux (consanguins ou affins) sont de plus en plus souvent dotés de palais et d’hôtels propres, chacun possédant ses serviteurs et sa cour663. Comme dans d’autres cours européennes, ces hôtels indépendants dépendent alors financièrement de l’Hôtel royal –

659 Livre de la conqueste, § 177. La version grecque de la Chronique de Morée indique que la jeune femme est accompagnée d’« une suite brillante » (µετὰ τιµῆς µεγάλης) ; celle-ci est composée pour le manuscrit H de chevaliers et de dames (καβαλλαροὶ κι ἀρχόντισσες) tandis qu’il s’agit de chevaliers et de seigneurs pour le manuscrit P (καβαλλαρέοι καὶ ἄρχοντες) ; Τὸ χρονικὸν τοῦ Μορέως, v. 2478-2479, trad. BOUCHET, Chronique, p. 116.

660 Si les textes divergent sur la prise en charge de ces préparatifs (par le roi ou par le prince de Morée), tous s’accordent à dire que la princesse est accompagnée de son entourage. I Registri della cancelleria, t. VII, p. 15-16 n° 31, p. 24 n° 80, p. 15 n° 30. La version grecque de la Chronique de Morée emploie l’expression µετὰ τὴν φαµελίαν του, que René Bouchet traduit par « et de sa suite ». Τὸ χρονικὸν τοῦ Μορέως, v. 6422, trad. BOUCHET, Chronique, p. 219.

661 I Registri della cancelleria, t. VII, p. 25 n° 84.

662 Ibid., t. XIV, p. 38 n° 189.

663 Ainsi, à partir du début du XIVe siècle, entre 1302 et 1307, Charles II veille à ce que trois de ses fils disposent d’un hospicium près de son château. Son héritier Robert réside quant à lui au Castel de l’Ovo et au Castel Capuano avant d’investir le Castel Nuovo à la mort de son père ; HEULLANT-DONAT Isabelle, « La cour des Angevins de Naples sous la première maison d’Anjou (1268-1382), dans La cour du prince. Cour de France, cours d’Europe XIIe

celui-ci leur verse une rente en argent nécessaire aux achats pour eux et leur entourage664 –, mais ils conservent une autonomie administrative en l’absence du roi665. Nous ne savons toutefois pas si cet Hôtel est commun aux deux époux (Isabelle de Villehardouin et Philippe d’Anjou) ou s’il s’agit uniquement de celui de la dame de Morée666. Par ailleurs, il est probable que la cour de la jeune femme ait été itinérante, car la présence de cette dernière dans plusieurs résidences de la région de Naples est attestée dans les sources : au château de Capuano en avril 1275 et au château de Montfort en juin 1276667. À partir de 1289, après son remariage avec Florent de Hainaut, Isabelle de Villehardouin est de retour dans la principauté de Morée. Quoique les indications sur son entourage soient moins précises, la Chronique de Morée montre de nouveau la princesse accompagnée de sa cour ; lorsqu’elle part à la rencontre de Roger de Lluria « a la tour de Calopotamy », la princesse, montée « sur son palefroy », est « bien acompaignie », entourée de « tout son barnage »668. Cette suite, réunie autour d’elle, l’accompagne dans les différentes demeures de Morée où elle séjourne : hôtels ou palais, dans la péninsule grecque comme en Occident669. La princesse de Morée, à Naples comme en Morée, semble donc toujours accompagnée de sa suite.

L’entourage de Marguerite de Villehardouin et Jeanne de Châtillon

La princesse Isabelle de Villehardouin n’est toutefois pas la seule dame de Morée à être entourée d’une cour. Sa sœur, Marguerite de Villehardouin, plus connue sous le nom de Marguerite de Matagrifon ou d’Akova, ainsi que sa fille Isabelle possèdent, elles aussi, leurs propres familiers. Le chroniqueur Ramon Muntaner rapporte que, lorsque Marguerite de Matagrifon part à Messine avec sa fille dans le but de la marier avec Ferrand de Majorque, les deux femmes sont « accompagnées de dix jeunes filles et d’autant de dames, de vingt

664 LACHAUD Frédérique, « Les livrées de textiles et de fourrures à la fin du Moyen Âge : l'exemple de la cour du roi Édouard Ier Plantagenet (1272-1307) », dans Le vêtement. Histoire, archéologie et symbolique vestimentaires au Moyen Âge, Paris, 1989, p. 170.

665 HEULLANT-DONAT Isabelle, « La cour des Angevins de Naples sous la première maison d’Anjou (1268-1382), dans La cour du prince. Cour de France, cours d’Europe XIIe-XVe siècle, GAUDE-FERRAGU Murielle, LAURIOUX Bruno, PAVIOT Jacques (dir.), Paris, 2011, p. 525.

666 Selon Antoine Bon, à la suite de leur mariage, les jeunes époux s’installent au château de l’Œuf, à Naples. Nous n’en avons toutefois trouvé aucune mention dans les sources. Les documents angevins qui mentionnent l’Hôtel d’Isabelle sont datés de 1276, c’est-à-dire avant la mort de Philippe, mais ce dernier n’y figure pas. Il est donc possible que, à l’image de l’Hôtel de la reine, la princesse ait possédé son propre Hôtel, indépendamment de celui de son époux. Car, pour Alain Venturini, à partir du 20 juillet 1282, la reine et sa familia ne figurent plus dans le fragment du registre-journal de l’Hôtel de Charles II. Voir BON, Morée, t. I, p. 138 ; VENTURINI Alain, « Sur le fragment de registre-journal de l’Hôtel de Charles II (7 juillet-31 août 1289) conservé à Marseille », dans Marseille et ses rois de Naples. La diagonale angevine 1265-1382, BONNOT Isabelle (dir.), Aix-en-Provence, 1988, p. 84.

667 I Registri della cancelleria, t. XIII, p. 128 n° 369, t. XIV, p. 29 n° 153.

668 Livre de la conqueste, § 791.

669 Par un acte du 27 septembre 1296, on sait qu’Isabelle de Villehardouin se trouve à Brindisi avec sa suite ; PERRAT, LONGNON, Actes, p. 162 n° 189.

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chevaliers et de vingt fils de chevaliers, et de beaucoup d’autres personnes de sa suite »670. Notons que, au vu des chiffres donnés, cette suite est majoritairement composée d’hommes ; la part masculine y est deux fois plus importante que la part féminine671. Une fois le mariage célébré entre Isabelle et Ferrand de Majorque, Ramon Muntaner rapporte que « le seigneur infant emmena sa femme à Catane, avec sa belle-mère et tous ceux qui l’avaient accompagnée, et il donna à sa femme des dames catalanes, des demoiselles catalanes, et des femmes et des filles de chevaliers ». Puis après quatre mois à Catane, Marguerite de Matagrifon « belle-mère du seigneur infant, s’en retourna avec sa suite en Morée, joyeuse et satisfaite »672. Cet extrait indique que l’entourage féminin de l’épouse est constitué par son mari et non par ses propres soins. Il revient à l’homme d’entourer sa femme d’une suite de dames et demoiselles issues de la noblesse pour la mettre en valeur, et par conséquent pour révéler le prestige de son mariage. À l’image des cours itinérantes d’Isabelle et Marguerite de Villehardouin, le duc d’Athènes Gautier V de Brienne et son épouse Jeanne de Châtillon possèdent également une suite qui les accompagne dans leurs déplacements. En témoigne le testament du duc, passé le 10 mars 1311, qui mentionne que sa compagne et lui sont accompagnés d’une maisnie composée d’hommes ou de femmes pour les servir673.

Mettre en valeur les dames

Posséder une cour, une suite ou un Hôtel est avant tout un signe de pouvoir. Les domestiques participent à l’organisation et à l’intendance de la maison, tandis que les nobles feudataires, officiers et conseillers, aident le souverain à décider et à gouverner674. Enfin, la cour au sens large, composée d’une multitude de personnes, constitue la suite d’un personnage important et participe à le mettre en valeur. Ainsi, les souverains s’appuient sur cet entourage « pour régner et accroître leur autorité, imposer leurs décisions et obtenir l’adhésion des sujets »675. L’entourage de la princesse de Morée, à Naples comme dans le Péloponnèse, souligne son rang et sa position hiérarchique au sein de la noblesse. Durant ses années passées dans le royaume angevin, Isabelle de Villehardouin possède son propre Hôtel et appartient à la

670 RAMON MUNTANER, Chronique, p. 507, chap. CCLXIII.

671 On compte vingt femmes (dix filles et dix dames) pour quarante hommes au total (vingt chevaliers et vingt jeunes).

672 RAMON MUNTANER, Chronique, p. 509, chap. CCLXIII.

673 Le duc d’Athènes indique qu’à sa mort les gens de sa cour qui le souhaitent pourront être remboursés de leurs dépenses pour retourner dans leur pays ; « que toute nostre mainie qui avec nous ou avec la duchesse vindrent, ou qui depuis il sont venu, soit hons, soit famme, pour nous servir, qui raient lour despens soffisaument pour raler en lour paiis, ci qui aller hi voudront » ; ARBOIS DE JUBAINVILLE, Voyage paléographique, p. 332-333.

674 Pour Philippe Depreux, « la constitution même d’un Hôtel et le privilège de disposer de la panoplie des grands officiers importent dans la définition du statut princier » ; DEPREUX, Entourages princiers, p. 177.

675 BEAUCHAMP Alexandra, « Introduction », dans Les entourages princiers à la fin du Moyen Âge. Une approche quantitative, BEAUCHAMP Alexandra (éd.), Madrid, 2013, p. 1.

cour de la reine, ce qui ne manque pas d’accroître sa renommée. Ses conditions et avantages révèlent non seulement la proximité d’Isabelle avec le pouvoir royal, mais également son appartenance à la très haute aristocratie au sein de la hiérarchie nobiliaire.

Mais l’entourage n’est pas uniquement un privilège royal ou princier. D’autres dames de Morée possèdent une cour, à l’image de Marguerite de Matagrifon, de Jeanne de Châtillon ou de Marguerite de Nully. Seigneurs et dames accueillent à la cour, dans la limite de leurs moyens, un grand nombre de gens pour assurer la gestion de l’Hôtel, être entourés et s’attacher les fidélités. Posséder sa propre cour est non seulement un signe de sa position hiérarchique au sein de la noblesse, mais également le moyen d’exprimer sa puissance et sa richesse. De ce fait, plus la cour d’une dame est importante, plus elle impressionne ; c’est pourquoi les chroniqueurs usent parfois de superlatifs pour la qualifier676. L’entourage féminin, tout autant que la filiation ou le titre, est par conséquent un élément de la désignation féminine qui permet de déterminer le rang des dames au sein de la noblesse moréote. En outre, il participe à les mettre en valeur et contribue à la construction de leur renom. Si les dames de Morée se définissent par rapport à leur entourage, elles se caractérisent également par leur apparat vestimentaire.