• Aucun résultat trouvé

LE CONTEXTE SOCIOPOLITIQUE DE LA PREMIÈRE DÉCENNIE RÉPUBLICAINE : DÉFINIR LA PÉRIODE

SOURCES ET FACTEURS DU CITOYEN RÉPUBLICAIN

En effet, le « Turc républicain », à savoir l’idéal kémaliste, se compose d’une série de caractéristiques issues de deux sources principales. D’une part l’Occident, qui regagne par certains aspects l’admiration des cadres officiels seulement quelques années, voire quelques mois après le discours xénophobe et anticolonialiste qu’ils tiennent dans la période des guerres —et qui se manifestera encore à plusieurs reprises au cours des années à venir. D’autre part, la culture turcique, la conscience

d’appartenance au peuple turc, en vertu desquelles le gouvernement tourne ses yeux vers la période préislamique et les populations censées conserver intacte la tradition turque : les paysans anatoliens principalement, mais aussi les peuples turciques de l’Asie centrale. Les deux sources convergent dans la forme de régime qu’Anthony Smith appelle « nationalisme occidentalisant » [westernizing nationalism].29 Elle donne parfois lieu à une attitude, pour ainsi dire, bipolaire et fort contradictoire, basée à la fois sur l’imitation des étrangers et sur l’exaltation de la tradition locale.

Or, européennes ou turciques, ces références ne représentent souvent que le moyen pour atteindre un objectif plus important : remplacer la dimension islamique des Turcs. Dans quel but ? Le même qui a mis tous les réformistes dès le début de l’occidentalisation sur le pied de guerre contre la religion : lutter contre la menace et la concurrence qu’elle et ses représentants sur terre constituent à l’encontre du régime, de son pouvoir, de ses aspirations de pouvoir absolu, de ses projets. C’est ainsi qu’aux deux sources principales d’identité s’ajoute un facteur fondamental, une sorte de critère contre-ottoman. Il ne s’agit certes pas d’une source d’inspiration —plutôt d’antipathie— mais il conditionne largement le projet de transformation sociale kémaliste notamment par son rôle de modèle à éviter.

L’Europe occidentale offre de nombreux aspects au citoyen nouveau républicain dont sans doute les plus voyants et les plus symboliques. À vrai dire, la volonté d’épouser l’Europe, à l’origine de maintes réformes, ne constitue au fond que la poursuite des initiatives ottomanes mises en œuvre depuis la moitié du XIXe siècle. Après la guerre d’Indépendance, les futurs kémalistes semblent retomber dans la fascination pour l’Occident. Ce revirement s’explique par l’appréciation, certes, de certains traits du caractère européen, notamment ceux qui conviennent au projet kémaliste, comme la laïcité, mais également par le besoin de se rendre légitimes sur la scène internationale et par l’intérêt de rallier la communauté de pays la plus puissante du moment. À ces raisons il faut absolument ajouter le milieu d’où proviennent ces individus. Ils font partie d’une élite citadine, parfois formée dans des écoles privées, parfois à l’étranger, en tout cas en contact direct avec des référents occidentaux. En ce sens, c’est le prototype culturel européen cosmopolite et sophistiqué qui correspond le mieux à leur profil et à leur mode de vie. Les membres du gouvernement privilégient donc la source occidentale

29 A.D. Smith, National Identity, op. cit., p. 104.

pour certains aspects du renouveau, tel que l’esthétique ou les divertissements, mais explique surtout que dans la vrai relation du régime vis-à-vis de la ville et du village, la première prévaut souvent sur le second, malgré la vocation populaire du régime et sa rhétorique en direction des paysans.

Le rapprochement identitaire avec l’Europe ou la civilisation contemporaine, comme elle est souvent évoquée entre autres dans les discours de Mustafa Kemal, s’opère sur un plan physique et sur un autre, psychologique. Pour ce qui est du premier, le citoyen nouveau républicain aspire à se confondre d’un point de vue esthétique avec ses homologues français, anglais ou allemands. Il abandonne les vêtements et les couvre-chefs propres à la période précédente et adopte la mode occidentale, dont le célèbre chapeau, des vêtements comme la redingote en expansion, ou la culture de la coiffure féminine encouragée depuis les publications de presse illustrée. En réalité, la portée de cette démarche dépasse le niveau purement matériel pour toucher la symbolique que renferme l’habillement dans la période ottomane où il représente un signe d’appartenance religieuse dans un pays divisé par des communautés confessionnelles. Par conséquent, l’adoption des modes européennes non seulement représente l’assimilation esthétique de l’Occident, mais contribue surtout à rompre avec un système social établi sur la religiosité des individus, à dissocier l’habillement de la religion. Il en va de même pour la nouvelle mode des coiffures des femmes qui, à l’époque ottomane, sont traditionnellement encouragées à couvrir leurs cheveux.

Par plan psychologique, nous entendons notamment les référents culturels du citoyen nouveau républicain, allant des goûts artistiques jusqu’à la culture gastronomique, en passant par l’attitude qu’il adopte lors des événements d’ordre social. Il s’intéresse ainsi aux formes d’art et de divertissement appréciées en Europe, avec une prédilection particulière pour la musique occidentale. Moyennant quoi, il refuse les musiques traditionnelles turques qu’il associe à une culture arriérée et sans doute peu raffinée —les politiques kémalistes pour la promotion de la musique occidentale au détriment des musiques traditionnelles constituant ainsi l’un des plus clairs exemples de la confusion de valeurs d’un régime à la fois nationaliste et occidentalisant. Le citoyen idéal s’intéresse aussi aux langues étrangères, non pas à l’arabe ou au persan, mais aux langues européennes qu’il considère comme les « clés de

la pensée occidentale ».30 La considération de ces langues, que l’on trouve dans les Maisons du peuple, est une preuve de son ralliement à la sphère culturelle européenne :31 « Cela fait bizarre de dire “langues étrangères” alors qu’il faudrait plutôt dire “langues des cultures amies, de nos frères de civilisation” ».32

En outre, l’amour des sciences qui naît avec les premiers intellectuels des Tanzimat, atteint son apogée chez le citoyen républicain, fort intéressé par le développement technologique et doté par l’influence personnelle de Mustafa Kemal d’un regard positiviste du monde. Ce positivisme, à vrai dire, entre dans la pensée turque au XIXe siècle aussi, grâce à des intellectuels, dont Beşir Fuad notamment. Ensuite, il devient en quelque sorte la doctrine politique du mouvement des Jeunes-Turcs lorsqu’Ahmet Rıza en est nommé directeur : l’Ottoman participait depuis quelques années aux milieux positivistes parisiens où il côtoyait entre autres Pierre Laffitte, disciple d’Auguste Comte. Il est consolidé plus tard dans le domaine de la sociologie grâce à Ziya Gökalp, très attaché à la philosophie de Durkheim : l’auteur de Türkçülüğün Esasları, sur lesquels la République kémaliste repose d’un point de vue idéologique, « met la sociologie positiviste au service du nationalisme turc puis du nouvel État national ».33 Quant à Mustafa Kemal, qui reçoit toutes ces influences, il trouve notamment dans le positivisme une dimension économique. Le leader le voit comme le concurrent de l’hégémonie de l’islam, qui empêche au final la mobilité des éléments de l’engrenage économique du pays et entrave par conséquent son développement économique. Épouser le positivisme constitue donc, pour lui, le moyen d’atteindre le

30 « Acemce ve arapça yerine yeni medeniyetin, garplilik fikrinin anahtarları olan diğer yabancı dilleri […] Türk çocuklarına tez elden öğretmek lâzım geliyordu ». Cumhuriyet Halk Partisi, 1935 Halkevleri [Annuaire des Maisons du peuple], Ankara, Cumhuriyet Halk Partisi, 1935, p. 96.

31 Les Halkevleri ou Maisons du peuple sont des centres établis par le régime en 1932 dans toute la géographie turque dans le but d’éduquer la population qui par leurs nombreuses activités, servent à la diffusion des principes du kémalisme dont ils constituent un répertoire évident. Nous les aborderons plus tard en détail au sujet des outils que le régime déploie pour la construction du citoyen nouveau.

32 « [...] diğer yabancı dilleri —yabancı tabiri burada acayip geliyor. Daha doğrusu kültür arkadaşı, medeniyet akrabası dilleri— türk çocuklarına tez elden öğretmek lazım geliyordu. » Cumhuriyet Halk Partisi, 1935 Halkevleri [Annuaire des Maisons du peuple], op. cit., p. 96.

33 Enes Kabakci, « Entre l’universel et le national : les usages du positivisme dans l’Empire ottoman (1895-1923) » dans Güneş Işıksel et Emmanuel Szurek (éds.), Turcs et Français : une histoire culturelle,

niveau de développement de la civilisation contemporaine, le principal facteur de l’abîme entre l’Orient et l’Occident.34

L’importance des sciences et du savoir scientifique est louée à maintes reprises par le leader qui, en guise d’exemple, affirme à Samsun en 1924 : « Ce sont le savoir et les sciences le guide le plus certain dans le monde aussi bien pour la civilisation que pour la vie, pour la réussite ou pour toute autre chose ».35 Ainsi, particulièrement admiratif de l’Occident sur le plan scientifique, le citoyen nouveau accepte son infériorité mais s’efforce de rattraper au plus vite le niveau de ses homologues européens. La course du régime pour le développement aéronautique illustre bien cet engagement : déjà en février 1924 un premier vol expérimental décolle d’Istanbul en direction d’Ankara, un an plus tard la Türkiye Tayyare Cemiyeti ou Association de pilotes de Turquie est fondée et, en octobre 1926, l’usine d’avions de Kayseri est inaugurée.

Un dernier aspect qui montre l’attachement culturel du Turc républicain à l’Europe renvoie aux manières, au protocole, au savoir-vivre qu’il adopte notamment dans les contextes de socialisation. En Italie et en Espagne, les fascismes portent à leurs époques une attention particulière sur cette question qui débouche parfois sur la proclamation de réformes spécifiques : « En Italie, la réforme du “style” fut considérée comme l’un des chantiers décisifs dont sortirait l’homme nouveau. Sous la houlette du secrétaire du Parti fasciste, Achille Starace, une série de normes furent adoptées pour transformer les usages et comportements des Italiens, touchant des domaines comme la politesse, la correspondance ou les pratiques linguistiques. Suivant une conception analogue, le style fut conçu par la phalange espagnole “comme une façon d’être, comme une morale nationale reposant sur une esthétique” ».36 En Turquie les nouvelles manières importées de l’Europe sont encouragées par différents moyens qui vont du propre exemple de Mustafa Kemal jusqu’aux activités des Maisons du peuple, en

34 E. Kabakci, « Entre l’universel et le national : les usages du positivisme dans l’Empire ottoman (1895-1923) », art cit. ; Taner Timur, « Atatürk ve Pozitivizm [Atatürk et le positivisme] » dans İletişim Yayınları (éd.), Cumhuriyet Dönemi Türkiye Ansiklopedisi [Encyclopédie turque de la période républicaine], Istanbul, İletişim, 1983, vol. 1/10, p. 94‑96. ; Doğan Özlem, « Türkiye’de Pozitivizm ve Siyaset [Le positivisme et la politique en Turquie] » dans Murat Belge (éd.), Modernleşme ve Batıcılık, 5e éd., Istanbul, İletişim, 2002, p. 452‑464.

35 « Dünyada her şey için, medeniyet için, hayat için, muvaffakiyet için en hakikî mürşit ilimdir, fendir. » Mustafa Kemal Atatürk, « Samsun Öğretmenleriyle Konuşma (22/9/1924) [Rencontre avec les professeurs de Samsun] » dans Atatürk’ün Söylev ve Demeçleri [Discours et allocutions d’Atatürk], 4e éd., Ankara, Türk Tarih Kurumu, 1989, p. 202/II.

passant par les nombreux manuels de savoir-vivre d’inspiration occidentale parus notamment dans les années 1930. Nous aborderons ces derniers en détail plus tard, au sujet des canaux de transmission utilisés pour diffuser les principes du citoyen nouveau. La seconde source d’inspiration du modèle social républicain, le second élément d’identification, est la culture turque originelle, débarrassée des traits de la culture ottomane assimilés au cours des siècles. Son importance est double. D’une part, la turcité se pose en effet comme un facteur de cohésion, comme un sentiment de solidarité intragroupe à la place du critère confessionnel qui n’est plus en vigueur suite à l’effondrement du système de millet. Il s’agit en fait du rôle qu’elle revendique depuis l’apparition du sentiment national turc. D’autre part, la turcité apporte à la nation une base mythologique, source d’un passé glorieux motif de fierté nationale. Cette dimension historique et culturelle lui permet de renforcer les liens de solidarité en faisant appel à la grandeur de la nation, d’expliquer le reniement de la période précédente, qui aurait terni cette grandeur, et de justifier la lutte pour la perpétuation d’une tradition ancestrale. Cette haute considération de l’identité turque contraste avec le mépris dont elle a fait l’objet pendant des siècles.

Dans cela, la Turquie n’est pas différente des autres nations qui revendiquent leur ancienneté. La nostalgie d’une époque brillante est en fait un élément commun aux ambitions de renouvellement social de nombre de régimes autoritaires de cette période-là en particulier : le siècle d’or pour l’Espagne de Franco, la période des Grandes Découvertes pour le Portugal de Salazar, Rome et l’Empire romain pour l’Italie de Mussolini et le Saint-Empire romain germanique pour l’Allemagne de Hitler. Elle apparaît aussi dans les mouvements qui participent à la débandade nationale dans les Balkans lors de l’effondrement de l’Empire ottoman : la Grèce moderne remémore la Grèce antique et la Macédoine évoque les exploits d’Alexandre le Grand, alors que la Serbe célèbre l’Empire de Dušan (1331-1355). Particulièrement visible dans les nationalismes balkaniques, la mise en valeur des ancêtres permet de faire remonter ses origines à un passé lointain —plus il est lointain, mieux c’est—, et de légitimer, par là-même, sa revendication territoriale. En ce sens, le Turc kémaliste s’apparente non seulement aux Turcs immédiatement préislamiques mais encore aux Hittites et aux Sumériens, ce qui en fait l’un des premiers peuples de l’histoire de l’humanité et, plus important, l’habitant légitime de l’Anatolie.

Dans ce sens, la réprobation du passé envisagée dans le projet kémaliste n’est pas totale : elle ne concerne que la période ottomane qu’il faudrait tamiser pour libérer la voie qui connecte un certain passé glorieux et le présente, pour permettre à la société actuelle de se nourrir des mythes du premier. Cela nous ramène au critère contre-ottoman qui influence tellement, à notre avis, la construction du citoyen nouveau kémaliste. Nous désignons par cette notion la proscription de certains aspects culturels ou identitaires en raison de leur lien au prédécesseur islamique-ottoman traditionnel. C’est sur ce critère que le régime accuse l’Empire des maux que le peuple aurait récemment subis, ainsi que d’avoir frelaté l’ancienne civilisation turque. Un exemple d’action appuyée sur cette attitude est l’ambitieux programme d’épuration de la langue menée à la fin des années 1920 qui ne s’attaque qu’aux éléments empruntés aux langues arabe et persane mais pas aux termes adoptés du français pendant le XIXe siècle.

Concernant la civilisation préislamique, il faut ajouter que le rapprochement avec la culture européenne est parfois présenté, non pas comme une démarche pour épouser la civilisation, mais plutôt pour y retourner —ce qui sous-entend qu’elle aurait donc été neutralisée par l’influence ottomane. Par exemple, les initiatives kémalistes pour l’amélioration de la condition des femmes s’appuient souvent sur l’argument que l’égalité des sexes était déjà une réalité à l’époque préislamique : « émanciper la femme, c’est donc renouer avec une ancienne tradition turque ».37 Encore plus intéressante est la parenté que les nationalistes établissent entre les cultures européenne et turque sous prétexte d’une certaine notion de civilisation universelle. Elle permet aux architectes de la nouvelle identité de revendiquer une certaine européanité que la culture islamique-ottomane aurait arrachée aux Turcs. C’est cette mentalité qui explique des interventions telles que la référence ci-dessus aux langues étrangères comme des « langues des cultures amies, de nos frères de civilisation ».

Un autre aspect partagé par de nombreux régimes autoritaires est l’attention qu’ils portent à la condition physique des citoyens, débouchant sur la glorification du corps et sur des politiques officielles pour la promotion du sport. Marie-Anne Matard-Bonucci arrive même à qualifier la valorisation du sportif, de l’athlète, comme un trait unanime dans les régimes autoritaires européens de la période d’entre-deux-guerres.38

37 F. Georgeon, Aux origines du nationalisme turc, op. cit., p. 64.

En tout cas, elle se révèle valable pour l’exemple de la Turquie, qui introduit l’activité physique dans la vie quotidienne des Turcs. Le nouveau citoyen aime le sport, en pratique régulièrement et manifeste une conscience du besoin d’améliorer sa condition physique d’autant plus que le citoyen ottoman est souvent associé au sédentarisme.

Cet intérêt pour le corps répond, en particulier en Turquie, à plusieurs raisons à cheval entre l’occidentalisation, le nationalisme et la condamnation de l’univers ottoman. Le sport permet, avant tout, de prendre conscience de sa dimension corporelle, qui s’oppose à la dimension spirituelle, domaine, en gros, réservé à la religion ; sa promotion s’apparente donc au désir de supprimer la perception religieuse du monde ancrée dans la société et pour laquelle le corps est un sujet tabou. En fait, la pratique du sport est rare dans la culture citadine ottomane et dans la culture musulmane —pas forcément dans la culture populaire turque qui possède ses propres disciplines sportives. En revanche, elle constitue une valeur importante transmise depuis des siècles dans la culture gréco-romaine et, par conséquent, occidentale —les premiers clubs sportifs ottomans sont ainsi un produit de l’occidentalisation. Son encouragement sous la République répond, donc, en grande mesure, à la rupture avec le prédécesseur islamique-ottoman ainsi qu’au rapprochement avec une culture occidentale qui célèbre de plus en plus le corps, où l’activité physique est largement appréciée. Par ailleurs, il est un outil pour améliorer la « race turque » :39 le gouvernement n’applique pas, volontairement, ses politiques d’éducation physique dans la région de l’Est, afin d’éviter le développement « de corps sveltes et musclés » parmi les Kurdes.40 Il est envisagé en même temps comme un moyen indispensable pour épurer le passé récent, pour se débarrasser des défauts que la culture ottomane aurait enracinés dans la société turque, de la dégradation corporelle occasionnée par les guerres, en bref : pour renaître. En outre, toujours en rapport aux étrangers, les possibilités de la compétition ouvrent aux Turcs la porte d’un domaine où ils peuvent non seulement rejoindre la communauté internationale, mais se mesurer également à d’autres pays et ainsi montrer l’évolution de la République en matière de supériorité physique. Cela représente une voie supplémentaire pour le pays de se rendre légitime.

39 Nous mettons dorénavant cette expression entre guillemets. Elle ne réponde certes pas à la terminologie ni aux normes de correction politique actuelles mais c’est sous cette forme-là, avec l’équivalent du mot « race » [ırk], qu’elle apparaît dans le discours nationaliste auquel nous faisons référence.

Mustafa Kemal ne manque donc pas de financer la participation de la Turquie aux Jeux olympiques de Paris en 1924, malgré sa situation économique délicate après les guerres. Pour le journaliste sportif Cem Atabeyoğlu, « il était évident qu’après sa récente victoire contre les puissances européennes dans la lutte pour l’Indépendance, la participation de la Turquie au plus grand événement sportif du monde serait largement profitable non seulement du point de vue sportif mais politique aussi. La Turquie devait montrer sa présence sur le plan sportif aussi ».41 Mustafa Kemal est bien conscient du rôle stratégique que joue la dimension internationale du sport.

De même, le domaine du sport permet de reconnecter la nation avec son ancienne tradition de société physiquement active, nomade, guerrière et conquérante de peuples ; de nourrir dans la sphère domestique un mythe capable de renforcer l’adhésion des citoyens à la cause nationale. En revanche, face au monde, le régime