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Les sources des bidonvilles : entre encadrement social, militantisme et témoignages

l’immigration algérienne en métropole (1955-1965)

I. Les sources des bidonvilles : entre encadrement social, militantisme et témoignages

Les sources sur les bidonvilles de Nanterre abondent : travaux universitaires menés à l’époque, documentaires, archives administratives et archives privées. Les producteurs de ces archives sont des militants associatifs ou politiques intervenus à titre personnel dans cette histoire, et qui apportent un regard extérieur. On dispose aussi, à travers des témoignages écrits et oraux, de récits internes sur les bidonvilles. Nous présenterons dans un premier temps ces différentes sources, qui permettent notamment de se familiariser avec les intervenants extérieurs et montrent que les habitants des bidonvilles ne vivent pas totalement à l’écart du reste de la société française. Dans le courant des années 1960, plusieurs étudiants se sont intéressés aux bidonvilles de Nanterre, avec des motivations diverses bien qu’essentiellement critiques (1). Malgré la position ambiguë des associations auxiliaires de l’Etat, leurs archives sont particulièrement riches (2). Celles de Monique Hervo permettent une véritable plongée dans le quotidien des bidonvilles, plongée toutefois limitée à ce que cette militante veut bien donner à voir (3). Le recours aux entretiens éclaire un certain nombre de points laissés dans l’ombre par les archives d’époque (4). Enfin, presse, romans et films renseignent sur les représentations, mais permettent aussi de dépasser la vision militante et euphémisée des rapports sociaux au sein des bidonvilles (5).

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1- Les aspirants géographes et architectes des années 1960-1970

Plusieurs travaux universitaires ont porté sur les bidonvilles de Nanterre entre 1954 et 1973. En dehors de Robert Fosset, dont les recherches sur les « Nord-africains à Nanterre » sont menées sous la direction de Pierre Georges dès 19548, la plupart de ces travaux datent du « moment » 1968. Bernard Bret, étudiant en géographie de l’École normale qui s’intéresse au phénomène des bidonvilles d’un point de vue sociologique et urbain9

, croise sur son terrain Isabelle Herpin et Serge Santelli, tous deux étudiants en architecture10. Ahmed El Gharbaoui termine de son côté une thèse de géographie sur la question du prolétariat maghrébin en 1969 qui se penche également sur les bidonvilles11. Si ces travaux sont significatifs de leur place dans l’imaginaire des étudiants avant même mai 1968, ils ne sont pas motivés par les mêmes engagements politiques. Tandis que Bernard Bret est avant tout poussé par une curiosité scientifique après être tombé par hasard sur les bidonvilles en allant s’inscrire à la faculté de Nanterre, ouverte en 1964, le travail d’Isabelle Santelli et Serge Herpin s’inscrit très clairement dans un discours politique gauchiste et anti-impérialiste.

Tous travaillent à partir des mêmes sources administratives : les recensements des familles effectués par la préfecture de la Seine en 1965 et 1967. Ceci explique que ces étudiants aient repris les catégories utilisées par les anciens CTAM devenus fonctionnaires du SLPM12. Au début de son mémoire, Bernard Bret remercie d’ailleurs Marc Roberrini, chargé de mission à la préfecture de la Seine, fonctionnaire du SLPM, pour lui avoir « exposé les préoccupations de l’administration » et M. Labarthe, chef du Second secteur du SAT, qui outre les entretiens qu’il lui a accordés, lui a ouvert « une partie très utile de sa documentation »13. La coopération de l’administration avec les étudiants s’explique sans doute en partie par l’expérience coloniale des administrateurs concernés. Les bidonvilles algérois, tunisois et casablancais ayant fait l’objet de nombreuses recherches à l’époque coloniale, on peut faire l’hypothèse que ces études apparaissent comme la continuité des

8 Robert FOSSET, Les aspects démographiques, économiques et sociaux de la colonie Nord-africaine de Nanterre

en 1954, D.E.S. sous la direction de Pierre George, Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Paris. 9 Bernard BRET, « Contribution à l’étude de l’habitat provisoire dans la banlieue parisienne », op. cit.

10 Isabelle HERPIN et Serge SANTELLI, Bidonville à Nanterre : étude architecturale..., Paris, Ministère des

affaires culturelles, Institut de l’environnement, coll. « Cahiers d’architecture », 1973, 150 p.

11 Ahmed EL GHARBAOUI, Le Prolétariat maghrebin immigré dans la banlieue nord-ouest de Paris : Etude

géographique et cartographique, Thèse de 3e cycle sous la direction de Marc Joly, Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Paris, 1969, 271 p.

12 Françoise BARROS (DE), « Des « Français musulmans d’Algérie » aux « immigrés ». L’importation des classifications coloniales dans les politiques du logement en France (1950-1970) », Actes de la recherche en

sciences sociales, 2005, vol. 159, no 4, p. 34. Il est intéressant de constater que si la sociologie est au cœur des méthodes utilisées pour appréhender la population des bidonvilles, aucun sociologue de formation ne s’est penché directement sur la population des bidonvilles de Nanterre à l’époque.

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158 premiers travaux menés14. Le travail de loin le plus abouti est celui de Bernard Bret, qui, à partir de ces recensements et d’observations de terrain, fait émerger les hiérarchies sociales entre les habitants des différents bidonvilles de Nanterre, permettant ainsi de sortir de l’indifférenciation sociale et des caricatures (travailleurs instables, chômeurs, etc.) qui prévalent dans la plupart des sources administratives de l’époque. Les recherches d’Isabelle Santelli et Serge Herpin ont néanmoins un véritable intérêt concernant l’organisation architecturale des bidonvilles et des baraques elles-mêmes.

2- Les associations auxiliaires : des rapports ambigus avec l’administration

La documentation fournie par les « associations auxiliaires de l’Etat » à l’administration française constitue un tout autre type de source. Comme on l’a vu au chapitre 2, ces associations participent largement de la construction politique du problème du logement des familles algériennes. Pour bénéficier de subventions, ces associations doivent fournir au ministère de l’Intérieur, puis au Fonds d’Action sociale (FAS) à partir de 1958, des rapports d’activités annuels. Ceux-ci comportent un certain nombre de renseignements sur l’évolution de la situation sociale des bidonvilles d’une part et sur leurs propres activités d’autre part. À Nanterre, une nébuleuse d’associations intervient dans les bidonvilles. L’Amicale nord-africaine de Nanterre (ANAN) s’est implantée la première, dès 1949. À partir de 1958, lorsque les bidonvilles de Nanterre focalisent l’attention des pouvoirs publics, l’ANAN développe une politique de collaboration avec d’autres associations, tels que le Groupe d’études et d’action pour les Nord-africains de la région parisienne (GEANARP), le Service civil international (SCI) et le Service social familial nord-africain (SSFNA). Si ces associations ne sont pas officiellement étiquetées comme chrétiennes, une partie non négligeable de leurs membres fait partie de la mouvance des chrétiens de gauche.

Le cas du GEANARP illustre particulièrement bien les liens ambigus entre administration et associations. Cette association – qui n’a pas de vocation religieuse – s’inscrit plutôt dans une posture d’engagement citoyen15. Il s’agit au départ d’un groupe issu de la

14 On peut citer entre autres, parmi une longue liste de travaux : Robert DESCLOITRES, Jean-Claude REVERDY et Claudine DESCLOITRES, L’Algérie des bidonvilles : le Tiers onde dans la cité, Paris, Mouton & Co., 1961,

129 p ; Paul SEBAG, « Le bidonville de Borgel », Les Cahiers de Tunisie, Me-4ème trimestre 1958, no 23-24, pp. 267‑310 ; Jacques BERQUE, « Médinas, villeneuves et bidonvilles », Les Cahiers de Tunisie, 2e trimestre 1958, no 21-22, pp. 5‑43 ; Jean PELLETIER, « Un aspect de l’habitat à Alger : les bidonvilles », Revue de

Géographie de Lyon, 1955, XXX, no 3, pp. 279‑290.

15 Après avoir longtemps fonctionné comme section de l’ANAN, le groupe s’autonomise et se déclare en préfecture sous le nom de GEANARP en avril 1960. Le président déclaré est vice-président de la Fédération des

159 Maison des Jeunes et de la Culture de Courbevoie cherchant à « réfléchir à de grands problèmes contemporains et s'engager dans l'action ». Dans cet esprit, à la suite d’une conférence sur l'immigration nord-africaine par Jean Bellanger, le directeur de l’ANAN, une équipe a commencé à s'intéresser aux bidonvilles de Nanterre16. Claude Huet, 25 ans environ, en est le pivot. Issu d’un milieu ouvrier et objecteur de conscience, il a précédemment travaillé avec l’abbé Pierre. Marie-France Desbruyères, née dans une famille catholique de gauche asniéroise, inscrite en BTS secrétariat, sera quant à elle trésorière de l’association à sa majorité. L’équipe s'étoffe par la suite avec la participation du groupe d'activités sociales de Sciences-Po, associé par l’intermédiaire de Jean-Paul Imhoff et dont les membres « venaient avec leurs souliers vernis et leurs gants blancs… »17

. Un « patronage » est organisé le dimanche aux Pâquerettes pour les enfants à partir de mars 1957. En mai 1958, 200 enfants du bidonville y participent, avec une quinzaine d’encadrants, en majorité des élèves de Sciences-Po. En 1958 est organisée une colonie pour 60 enfants et un « centre socio-culturel » est crée, dans une baraque d’une vingtaine de mètres carrés18

. Pour obtenir une subvention, ce groupe informel se constitue en association et propose aux pouvoirs publics de s’occuper du recensement du bidonville qui doit précéder les opérations de résorption :

« Et l’idée c’était d’avoir une action sociale genre "aider les gens dans leurs papiers, etc.", s’occuper des gosses, des loisirs, l’alphabétisation et en même temps, être capable de fournir aux gens qui nous donnaient une petite subvention en fin d’année. [...] dire il y a tant de familles de tant d’enfants, tant de familles de tant d’enfants et avec des plans et des numéros »19.

La proposition est acceptée par les autorités et en décembre, le préfet de la Seine écrit au ministre de l'Intérieur qu’en vue des opérations de résorption des bidonvilles, il souhaite que le recensement et la préparation des relogements soient effectués par une équipe sociale déjà liée aux habitants du bidonville.

« Or il existe actuellement une équipe de jeunes qui, d'une façon absolument désintéressée et bénévole, ont pris contact avec les familles musulmanes des bidonvilles de Nanterre. Ces jeunes gens ont réussi à organiser et faire fonctionner au cours de l'été une colonie de vacances pour une centaine d'enfants musulmans originaires de ce bidonville. Parmi ces jeunes, deux d'entre eux accepteraient de consacrer toute leur activité à l'équipe sociale si une rétribution leur était assurée. Il s'agit de M. Claude Huet âgé de 26 ans et Mlle Riffault, âgée de 27 ans, sur

syndicats chrétiens des cheminots de France et des territoires d'Outre-mer, le trésorier a figuré sur une liste de candidats MRP aux élections municipales d'Asnières selon la fiche établie par les renseignements généraux sur l’association. La dimension chrétienne n’est donc pas totalement absente de cette association.

16 AN, F1a 5120. Enquêtes Nanterre-Argenteuil, Eléments d’étude sociologique sur le bidonville du Petit-Nanterre, désormais « Étude sociologique sur le bidonville du Petit-Nanterre ».

17 Entretien avec Marie-France Desbruyères, mené avec Victor Collet, 9 décembre 2011, Paris. Le secrétariat est assuré par J.-P. Imhoff. Courbevoisien, élève à Sciences-Po et étudiant à la faculté de droit de l'université de Paris, il est l’auteur de l’article « Le "bidonville" du Petit-Nanterre », paru dans les Cahiers Nord-africains d’avril-mai 1962, n°89, pp. 7-58.

18 Ibid. et « Étude sociologique sur le bidonville du Petit-Nanterre » 19

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lesquels les meilleurs renseignements ont été recueillis. Depuis plus d'un an, ils se dévouent constamment et efficacement auprès des populations des bidonvilles à Nanterre et paraissent particulièrement compétents »20.

Une fois obtenu l’accord du ministre de l’Intérieur, la préfecture délègue à l’association le recensement et la préparation des relogements pour faciliter les opérations. Il s’agit ainsi pour l’administration de se décharger d’une tâche complexe dans le contexte où les familles de « FMA » sont particulièrement méfiantes à l’égard des pouvoirs publics français. Le groupe assume son rôle de collecte de renseignements à des fins de relogement : « il était convenu qu’en vue d’un relogement des familles nord-africaines qui se trouvaient sur le bidonville, nous devions fournir les renseignements indispensables à la réalisation de ce projet de relogement, renseignements d’ordre sociologique, professionnel, etc. »21

. Il est cependant probable que la préfecture de la Seine et le SAMAS aient été davantage intéressés par la production des statistiques que par leurs analyses socio-éducatives concernant le relogement des familles22. Le GEANARP leur facilite la tâche en menant une véritable enquête sociologique, rendue en février 1960, et adressée à la préfecture de la Seine et au ministre de l’Intérieur. Ce document, probablement rédigé en partie par J.P. Imhoff, constitue une source particulièrement riche pour la connaissance des bidonvilles du Petit-Nanterre : les dates d’arrivée des familles, les emplois des chefs de famille, les divers commerces installés dans les bidonvilles y sont précisément décrits.

Mais l’ambigüité de leur rôle, dans un contexte où action sociale et renseignement sont étroitement mêlés, ne semble cependant pas effleurer les jeunes gens, qui s’étonnent dans l’introduction du rapport de la méfiance des Algériens à leur égard. Il semble qu’à partir d’avril 1959, le FLN intervienne pour dissuader la population algérienne de fréquenter la permanence du groupe23. Le journal municipal les accuse d’ailleurs de rassembler des informations sous couvert d’action sociale24

.

20 AN, F1a 5120. GENEARP, Recensement des bidonvilles dans l'ancien département de la Seine, Lettre du préfet de la Seine au ministre de l'Intérieur, SAMAS, le 13 décembre 1958.

21 Ibid. 22

« Des membres du groupe accompagnent à deux reprises au bidonville des CTAM (18 février et 16 avril 1959). Mais ceux-ci ne veulent pas voir la réalité du problème, ils ne s'intéressent qu'à certaines statistiques susceptibles d'émailler leurs rapports et que le groupe possède. Ainsi, l'administration, non seulement n'est pas informée, mais encore ne semble nullement désireuse de l'être », in Relations du GEANARP avec les services

publics et semi-publics, s.d., IHTP, fonds Monique Hervo, carton « Bidonvilles de Nanterre I ».

23 Brahim Benaïcha rend un hommage ému à l’action de ces jeunes gens vis-à-vis des enfants dans son témoignage, tout en soulignant la méfiance dont ils faisaient l’objet de la part de leurs parents. Brahim BENAÏCHA, Vivre au paradis : d’une oasis à un bidonville, Paris, Desclée de Brouwer, 1999, p. 50.

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AN, F1a 5120, « léments d’étude sociologique sur le bidonville du Petit-Nanterre ». Il semble que le conflit entre la mairie et le GEANARP se soit noué autour de 28 familles des Pâquerettes que la mairie refusait de reloger dans son nouvel ensemble municipal et sur lesquelles le GEANARP a attiré l’attention de la presse et du ministre des Travaux Publics et de la Construction. Cf. IHTP, fonds Monique Hervo, carton « Bidonvilles de Nanterre I », Relations du GEANARP avec les services publics et semi-publics, s.d.,et l’article de France-Soir,

161 Les autres acteurs de la résorption font également preuve d’hostilité à leur égard, pour des raisons opposées. Le capitaine Montaner, chef du SAT de Nanterre, estime que :

« Les intéressés, forts de leur autorisation de la préfecture de la Seine, réuniraient dans leur roulotte des Algériens illettrés et, sous le couvert de leur donner quelques notions grammaticales, se livreraient à une propagande anti-nationale et nuiraient ainsi à l'action entreprise par le SAT »25.

La position du Service d’assistance technique est d’autant plus surprenante que dans un courrier au FAS et à la Sonacotral, le SAMAS appuie l’enquête du GEANARP et plaide pour que ses travaux se poursuivent :

« Depuis plus d'un an, le SAMAS, par l'intermédiaire d'une équipe sociale, a entrepris une enquête exhaustive, qui se poursuit sur les familles habitants les îlots insalubres de Nanterre ; vous avez été, du reste, destinataire d'un exemplaire des premiers travaux portant déjà sur 3 secteurs [...] A mon avis, les travaux de M. Huet doivent être poursuivis plutôt que de faire intervenir un autre organisme. Rien ne s'oppose d'ailleurs à ce que l'étude en cours soit éventuellement orientée dans un sens différent ou complémentaire »26.

Ce conflit révèle les concurrences autour de la résorption et de la surveillance de la population des bidonvilles. Le rapport final de l’association, qui déplore l’impossibilité de poursuivre son action, le souligne :

« Nous n'étions pas à même de présenter l'opération comme liée à une perspective de relogement, ce qui aurait pu la justifier ; dans la mesure où nous étions mal informés des perspectives de relogement, il nous était difficile d'en faire état devant la population du bidonville pour lever ses réticences. Enfin, il nous a semblé qu'à la fin de 1959, beaucoup de gens recensaient le bidonville, ce qui rendait encore plus difficile notre travail en la matière (municipalité-SAT-FMA) »27.

Dès cette époque, les bidonvilles apparaissent comme un enjeu central pour les différents niveaux de l’administration, qui ont tous des intérêts différents à cerner leur population, qu’il s’agisse d’en contrôler de la croissance pour la mairie ou de mettre en œuvre une surveillance politique pour le SAT.

Les archives de Monique Hervo, produites dans un tout autre objectif, documentent quant à elles le bidonville de La Folie.

3- Monique Hervo : une militante et une entrepreneuse de mémoire

Au sein de la nébuleuse associative, l’action de Monique Hervo est originale dans la mesure où elle ne vise pas à éduquer les familles, mais bien à leur fournir un toit. Si elle a consacré l’ensemble de sa carrière militante, qui se confond globalement avec sa carrière

« A Nanterre : 28 familles Nord-africaines sont expulsées d'un bidonville, appel aux bonnes volontés », le 13 décembre 1958.

25AN, F1a 5109. Fiches des RG, dépôt des statuts de l’association.

26 AN, F1a 5120. Bidonvilles de l'ancien département de la Seine- Opérations de résorption des bidonvilles de Nanterre 1959-1969, lettre du ministère de l’Intérieur au directeur du FAS et au président de la Sonacotral, 20 avril 1960.

27 Ibid.

162 professionnelle, à la défense du droit au logement des étrangers, la période passée au bidonville de La Folie à Nanterre pendant la guerre d’Algérie en est sans doute le fait le plus marquant, ou en tout cas le plus reconnu. Elle est aujourd'hui une « personne ressource » pour les chercheurs qui travaillent sur la guerre d'Algérie en métropole28.

a- Portrait de Monique Hervo

Monique Hervo est née en 1930 à Paris dans une famille de petits commerçants avec laquelle elle a précocement pris ses distances. Elle étudie aux Beaux-arts de Paris, mais donne en parallèle des cours de français aux « FMA » au sein de l’Aide morale au Nord-africains (AMANA), un engagement qui s’inscrit dans le cadre de sa pratique religieuse catholique. Puis en 1958, elle entre au SCI, avec l’intention de s’engager plus fermement aux côtés de la population algérienne. À partir de février 1960, les volontaires du SCI aident chaque week-end des familles à construire ou consolider leur maison, sur le modèle des « Castors »29. Monique Hervo devient la chef de l’équipe du SCI, qui la rémunère. L’équipe participe à l’édification des baraques, fournit une assistance aux démarches administratives, ou encore du soutien scolaire. Monique Hervo présente aujourd'hui cette démarche initiale comme une forme d’engagement en faveur de l’indépendance. Il est probable que sa présence quotidienne au bidonville l’ait amenée à côtoyer les militants FLN de La Folie et à être particulièrement sensibilisée à cette question de l’indépendance. Elle rompt d’ailleurs avec le SCI en 1959, à la suite du refus de l’association de s’engager officiellement sur ce point. Dès lors, Monique Hervo reste avec une partie de son équipe, mais elle n’est plus rémunérée30

. Pendant la période de la guerre, elle rend divers services au mouvement indépendantiste et prend part à la manifestation du 17 octobre 1961. Elle a relaté cette expérience dans Chroniques du

bidonville, Nanterre en guerre d’Algérie, publié en 200131

. Mais son action se prolonge bien

28J’ai rencontré Monique Hervo lors des recherches pour ma maîtrise portant sur les bidonvilles de Nanterre pendant la guerre d'Algérie. Elle venait de publier Chroniques du bidonville. Nanterre en guerre d'Algérie. J’ai mené plusieurs entretiens avec elle concernant la période 1959-1962. Par la suite, nos relations se sont consolidées et Monique Hervo m’a proposé de travailler sur les archives qu’elle avait rassemblées à partir de son expérience nanterrienne. Ces archives sur les bidonvilles et les cités de transit de Nanterre constituent le point de