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algérienne en métropole (1945-1963)

I. L’apparition de l’immigration familiale en métropole

L’arrivée de familles issues de l’immigration coloniale est vécue à l’époque comme un phénomène aux enjeux sociaux et politiques potentiellement importants. Ainsi, si les débuts de l’immigration familiale algérienne sont relativement méconnus aujourd'hui, ils ont fait l’objet d’un certain nombre de discussions de la part des pouvoirs publics et de travaux de sciences sociales dans les années 1950 et 1960. Ces documents permettent de se faire une idée générale des motivations et des causes de l’immigration des familles algériennes à partir de la fin des années 1940, mais aussi de la façon dont cette immigration est perçue. Il est également intéressant de se pencher sur la façon dont l’immigration familiale a été perçue par les chercheurs post-coloniaux, comme Abdelmayek Sayad.

30 Pour les politiques et l’administration, la principale question est de déterminer dans quelle mesure l’immigration familiale peut avoir un impact positif ou négatif sur la population française, mais aussi sur le sort de l’Algérie coloniale (1). Ethnologues et démographes se sont rapidement penchés sur cette migration familiale, perçue comme un nouvel âge de l’immigration algérienne (2). Ces travaux, ainsi que ceux menés dans les années 1970, font apparaître plusieurs facteurs de l’émigration familiale, qui mettent en valeur l’existence de projets migratoires de la part de certaines familles (3).

1- Les politiques et les experts de l’immigration face à l’immigration familiale algérienne

(1919-1955)

Alors que l’immigration algérienne était relativement bien vue avant la Première Guerre mondiale, en raison notamment de sa faiblesse et de son exotisme, elle devient rapidement un « problème » aux yeux des pouvoirs publics et d’une partie de l’opinion française5. Mais dans le même temps, les autorités sont particulièrement inquiètes du problème de « dépopulation ». Dans ce contexte, quelle fut la politique menée à l’égard de l’immigration familiale algérienne ?

a- Une immigration malvenue (1919-1947)

Après le premier moment d’afflux en masse des Algériens, lié au besoin de soldats et d’ouvriers pendant la Première Guerre mondiale, ceux-ci furent renvoyés en Algérie en 1919. Mais l’émigration se développa de plus en plus parmi ceux qui avaient déjà fait le voyage ou ceux convaincus par les récits des précédents. De telle sorte qu’en 1924, sous la pression du lobby colonial, des restrictions sont mises en place : il est exigé des candidats à l’émigration un certificat de travail visé par le ministère du Travail, un certificat médical et une carte d’identité avec photographie, tous documents qui nécessitent à la fois l’accès à l’information, des moyens et de nombreux déplacements vers les lieux de délivrance des documents en question. Les circulaires en question sont annulées en 1926 par le Conseil d’Etat, puis rétablies en 1928, avec des garanties supplémentaires6. Le mouvement migratoire reprend

5 Geneviève MASSARD-GUILBAUD, « L’immigration algérienne en France, une immigration qui fait problème ? Réflexions sur la responsabilité de l’Etat. », in Le bon grain et l’ivraie. La sélection des migrants en Occident,

1880-1939, Paris, Aux lieux d’être, 2006, pp. 127‑154.

6 Alain GILLETTE et Abdelmalek SAYAD, L’immigration algérienne en France, Paris, ditions Entente, 1984,

p. 53 ; Geneviève MASSARD-GUILBAUD, « L’immigration algérienne en France, une immigration qui fait problème ? Réflexions sur la responsabilité de l’Etat. », op. cit., pp. 150‑155.

31 finalement en 1930. Pendant toute cette période cependant, et jusqu’en 1936, l’émigration des femmes algériennes est interdite car celles-ci sont considérées comme trop prolifiques, ou trop exotiques, mais dans tous les cas elles ne sauraient faire de bonnes Françaises7. Cette interdiction explique sans doute en partie la faiblesse de l’émigration féminine à l’époque, généralement expliquée par des arguments culturels uniquement8. C’est le gouvernement du Front populaire qui met finalement un terme à cette interdiction méconnue que Geneviève Massard-Guilbaud a mise au jour.

Dans les années qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’immigration est une question mineure qui n’apparaît pas comme un enjeu politique. Dès lors, la politique d’immigration reste confinée à un cercle d’experts, souvent en poste depuis l’entre-deux-guerres, et proches des milieux gouvernementaux9. Mais malgré la tentative de ces experts, comme Georges Mauco et Louis Chevalier, de mettre en place une politique d’immigration sélective basée sur la nationalité en 1945, le Conseil d’Etat réfute tout principe de distinction ou de hiérarchie entre étrangers10. Pourtant par la suite, ceux-ci exercent une forte influence sur la politique menée au sein du ministère de la Santé et de la Population, dont dépend leur institution de rattachement, l’INED. Si l’immigration algérienne n’est pas concernée par ces débats, puisque les Algériens sont, à partir de l’ordonnance du 7 mars 1944, des citoyens Français, cela n’empêche pas les experts en question de tenter de faire prévaloir leur point de vue sur la question. Les premières publications de l’INED insistent sur la nécessité de contrôler les migrations en provenance d’Algérie. Les experts du Haut comité de la Population comme Mauco cherchent à peser sur la politique du ministère de la Population dans un sens défavorable aux Algériens. De fait, le sous-directeur du Peuplement émet le désir en 1946 que : « L’immigration algérienne, et d’une façon générale l’immigration nord-africaine, soit considérée, en raison des réserves formulées par son département, comme une

7 Geneviève MASSARD-GUILBAUD, « L’immigration algérienne en France, une immigration qui fait problème ? Réflexions sur la responsabilité de l’Etat. », op. cit., pp. 141, 145.

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À cette date, on estimait ainsi le nombre des familles émigrées à 15 pour la commune mixte (CM) de Fort-National, 10 pour celle des Bibans, 11 pour celle du Guergour et 9 pour celle de Nedroma, alors que plusieurs dizaines de milliers d’hommes proviennent des mêmes zones. Cf. Jean-Jacques RAGER, L’Émigration en France des musulmans d’Algérie : Principaux aspects démographiques, économiques et sociaux, Alger, Service

d’information du Cabinet du Gouverneur général, 1956, p. 37‑38. De l’autre côté de la Méditerranée, Geneviève Massard-Guilbaud ne recense qu’une vingtaine de familles à Lyon en 1936. Cf. Geneviève M ASSARD-GUILBAUD, Des Algériens à Lyon, op. cit., p. 449.

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Alexis SPIRE, Étrangers à la carte : L’administration de l’immigration en France, Paris, Grasset, 2005, p. 19 ;

Sylvain LAURENS, Une politisation feutrée : les hauts fonctionnaires et l’immigration en France, 1962-1981,

Paris, Belin, 2009, pp. 35‑36. 10

32 simple nécessité économique et non comme une entreprise de peuplement »11. Les arguments racistes ou ethniques étant discrédités à la Libération, l’incompatibilité entre l’Islam et la civilisation européenne et les maladies dont seraient porteurs les Algériens sont mises en avant pour justifier cette position12. Initialement, le ministère de l’Intérieur s’oppose à ce point de vue et fait valoir les enjeux de l’intégration de l’Algérie au plan politique.

b- Faire de nécessité vertu : les experts face à l’immigration libre après 1947

Le principal tournant, du point de vue de la politique d’immigration des Algériens, a lieu en 1947. En vertu de la loi du 20 septembre 1947 portant statut organique de l’Algérie, il n’est désormais plus besoin d’autorisation de voyage pour circuler entre l’Algérie et la métropole, ce qui favorise considérablement le mouvement d’émigration masculine, mais aussi féminine13. Parallèlement, dans les années 1950, on assiste à un renouvellement des experts de l’immigration, mais aussi à l’évolution de leur position, dans un contexte où il importe de renforcer l’intégration de l’Algérie à l’empire français. La guerre d’Algérie modifie en effet l’appréhension de l’immigration familiale, qui apparaît désormais comme un moyen d’accélérer l’assimilation des Algériens à la métropole. De telle sorte qu’en 1955, le Rapport du Haut comité de la Population considère « qu’il y aurait lieu d’encourager l’immigration des familles [« musulmanes »] », en raison des inconvénients « d’ordre moral et sanitaire »14 d’une immigration uniquement masculine ; et recommande ainsi « des expériences d’installation à la ville et à la campagne des ménages algériens avec enfants »15

. En pratique, aucune forme d’encouragement – tel par exemple que le remboursement des frais de voyage des familles qui existe pour les étrangers – n’est cependant mise en place à l’égard de l’immigration familiale algérienne.

11 CAC 19860271, art. 2, « conférence sur le problème de l’emploi de la main d’œuvre algérienne », citée par Vincent VIET, La France immigrée : construction d’une politique, 1914-1997, Paris, Fayard, 1998, p. 159. 12 Alexis SPIRE, Étrangers à la carte, op. cit., p.116.

13 La loi no 47-1853 du 20 septembre 1947, portant statut organique de l'Algérie, transforme les Algériens de sujets en citoyens français. L’article 2 stipule que « L'égalité effective est proclamée entre tous les citoyens français. Tous les ressortissants de nationalité française des départements d'Algérie jouissent, sans distinction d'origine, de race, de langue, ni de religion, des droits attachés à la qualité de citoyen français et sont soumis aux mêmes obligations ». Cf. Emmanuel BLANCHARD, « Encadrer des « citoyens diminués » », op. cit., pp.76‑77. Une lettre de l’administrateur de la CM de Maghnia en Oranie en date de 1952 témoigne cependant de ce que des mesures sont prises pour limiter l’émigration des Algériens vers la métropole, en dépit du droit. Cf. document n° 6 en annexe.

14 HAUT COMITE CONSULTATIF DE LA POPULATION ET DE LA FAMILLE, La Population française (Rapport), Paris, La Documentation française, 1955, p. 292.

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33 Globalement, les arrivées de familles algériennes du début des années 1950 sont largement ignorées des pouvoirs publics, focalisés sur la question des travailleurs « isolés ». En 1959, la plupart des hauts-fonctionnaires considèrent encore que l’immigration algérienne est temporaire, tandis que les Cahiers nord-africains constatent déjà son « enracinement familial » en métropole16. Pendant l’essentiel des années 1950, l’immigration familiale est en effet avant tout appréhendée par les chercheurs en sciences sociales et les associations d’aide aux migrants algériens.

2- Les sciences sociales coloniales face à un nouveau phénomène (années 1950-années 1970)

L’arrivée d’Algériens en nombre conséquent entraîne la rédaction d’un certain nombre d’études de part et d’autre de la Méditerranée. Il s’agit d’une part des recherches de savants orientalistes au service de l’administration coloniale concernant l’émigration et d’autre part de travaux dirigés par l’Institut national des études démographiques (INED) s’appuyant sur des études de terrains en métropole. Les familles y occupent une place mineure, mais suscitent cependant un certain nombre d’interrogations, concernant leur motif et leur origine. Dans la perspective anthropologique et coloniale de l’époque, un des enjeux porte notamment sur la distinction entre kabyles/arabes dans l’émigration familiale.

a- Le regard porté sur l’émigration/immigration familiale dans les travaux sur la migration

algérienne

Deux ethnologues implantés sur le terrain colonial se sont particulièrement préoccupés de l’émigration des familles : Robert Montagne et Jean-Jacques Rager17

. Le premier, directeur de plusieurs institutions administratives et scientifiques dans l’espace colonial français, est chargé en 1952 d’une étude de grande ampleur sur l’émigration algérienne vers la métropole par le ministère de l’Intérieur18

. Pour la mener à bien, Robert Montagne bénéficie de moyens exceptionnels :

16 Cahiers nord-africains, « Les Algériens parmi nous, dix ans des Cahiers nord-africains », n° 68-70, décembre 1958, chapitre 5 « L’enracinement familial ». Ce numéro est avant tout une compilation des articles parus dans les numéros précédents.

17On peut aussi citer l’étude de Pierre DEMONDION, L’émigration kabyle vers la métropole : Fort-National,

Expérience témoin, Paris, Bureau universitaire de statistique et de documentation scolaire et professionnelle,

1951, 63 p. Plus précoce, elle aborde peu la question de l’immigration familiale, et avant tout du point de vue des femmes abandonnées en Algérie.

18Ministère de l’Intérieur, Étude sociologique de la migration des musulmans d’Algérie en métropole, 1954-1960. Robert Montagne fut le fondateur et directeur du Centre des hautes études d’administration musulmane

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« Les autorités locales des régions d’émigration avaient été invitées par le gouverneur général à dresser un inventaire aussi complet que possible de leurs administrés émigrés en métropole, en mentionnant leur âge, leur situation de famille, leur emploi et leur adresse en France »19.

Avant sa mort, Robert Montagne ne peut cependant rédiger qu’un « Rapport provisoire sur l’émigration des Français musulmans d’Algérie en France », cahier liminaire à l’Étude sociologique de la migration des musulmans d’Algérie en métropole, publié en 195420

. Dans ce rapport, il s’attache à décrire et interroger l’émigration des familles, mais ce qui frappe est sa difficulté à analyser le phénomène qui débute alors :

« Reste à apprécier l'ampleur croissante de ce phénomène nouveau qu’est l'émigration familiale [...]. C'est sur la situation en France de cette émigration des familles qu'une grande inconnue subsiste. Les informations sont difficiles et lentes à recueillir, l'étude des groupements difficile à manier. [...] ».21

Jean-Jacques Rager, fonctionnaire au Gouvernement général, titulaire d’une thèse de droit publiée en 195022, dresse quelques années plus tard, en 1956, le même constat de forte croissance de l’émigration familiale algérienne, et souligne que ses effets peuvent avoir un impact fort sur le devenir de la migration algérienne :

« D’une façon générale, on peut dire que l’émigration familiale inconnue avant 1948 progresse tous les ans. Elle ne paraît pas se manifester avec la même intensité dans toutes les régions. Seules des études monographiques réalisées dans les communes où sont enregistrés les départs de familles pourront donner des indications précises sur les causes et contrecoups de cette émigration qui, si elle devient définitive, peut progressivement changer les caractères généraux de l’émigration algérienne »23.

Ainsi, tous deux perçoivent le phénomène mais sans y porter de véritable jugement, malgré une certaine inquiétude à l’égard de mouvements susceptibles de bouleverser les équilibres locaux.

Au même moment, l’intérêt de l’Institut national des études démographiques (INED) se porte sur les arrivées des familles algériennes en métropole. Créé en 1945, l’institut dépend

(CHEAM). Il fut aussi sociologue et anthropologue du monde musulman et obtint une chaire au Collège de France en 1948. C’est à ce double titre qu’on lui commande l’Étude sociologique…R. Montagne a été longtemps marginalisé dans le monde universitaire en tant qu’acteur de la colonisation, mais Ernest Gellner a contribué à sa réhabilitation scientifique. Cf. Lucette Valensi, article « Robert Montagne », in François Pouillon, Dictionnaire

des orientalistes de langue française, Paris, Karthala, 2008 ; François Pouillon et Daniel Rivet, La sociologie musulmane de Robert Montagne, Maisonneuve et Larose, 2000.

19

Robert MONTAGNE, Etude sociologique de la migration des travailleurs musulmans d’Algérie en métropole.,

Paris, Ministère de l’Intérieur, SAMAS, 1954, p. 1.

20 Par la suite, les membres de la section « documentation et étude » du Service des affaires musulmanes et de l’action sociale (SAMAS), probablement les anciens étudiants de Montagne au CHEAM, se chargèrent de publier les résultats en dix cahiers jusqu’en 1960. Ce document est sans équivalent, dans la mesure où il se penche à la fois sur les lieux de départ des migrants en Algérie et leurs lieux d’installation en métropole. Selon George Rösch, les deux collaborateurs en question sont M. J. Flye Saint-Marie et M. P. Demoyen. Cf. Cahiers

nord-africains, n°56-57, février-mars 1957, p. 43.

21

Robert Montagne, Étude sociologique de la migration des travailleurs musulmans d’Algérie en métropole,

pp. 18-19.

22 Jean-Jacques RAGER, Les musulmans algériens en France et dans les pays islamiques, Paris, Les Belles Lettres, 1950, 362 p.

35 du ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP)24. L’approche populationniste de son ministère de tutelle influence les premières publications de l’INED qui prônent la nécessité de « contrôler les migrations en provenance d’Algérie et [d’]encourager les étrangers "ethniquement désirables" à s’installer en France »25

. Le premier numéro de la collection « Travaux et documents », paru en 1947, porte d’ailleurs un titre révélateur : « Le Problème démographique nord-africain », sous la plume de Louis Chevalier, adepte d’une approche biologisante des migrants et notoirement hostile à l’immigration algérienne26

. Par la suite cependant, on note une évolution dans la politique éditoriale de l’INED, qui diverge peu à peu de la ligne du MSPP. En 1954, Jean Stoetzel, directeur de la section de psychologie sociale, et son adjoint Alain Girard publient dans la même collection un numéro intitulé « Algériens, Italiens et Polonais »27. Un chapitre est consacré aux « familles algériennes musulmanes dans l’agglomération parisienne »28

. En 1955 encore, Alain Girard publie avec Joseph Leriche, le directeur des Études sociales nord-africaines (ESNA)29, une « étude démographique et sociale » intitulée « les Algériens en France ». Cet usage de la catégorie nationale pour désigner les « indigènes » algériens est alors assez rare dans les documents officiels pour être relevé30. Il remet d’ailleurs partiellement en cause l’idée que la collaboration entre INED et ESNA débouche sur l’importation de catégories et de problématiques coloniales dans les études sur l’immigration31

. Surtout, cette collaboration conduit à une approche moins défavorable de la part de l’INED vis-à-vis de l’immigration algérienne : « Il s’agit d’éclairer, rien de plus : éclairer les pouvoirs publics, éclairer l’opinion, dissiper les préjugés tenaces sur une question trop facilement sentimentale, mais non dicter

24 Paul-André ROSENTAL, L’intelligence démographique : sciences et politiques des populations en France

(1930-1960), Paris, Odile Jacob, 2003, 367 p. Selon Paul-André Rosental, l’INED « incarne le point de vue et le savoir-faire du MSPP », p. 162.

25 Alexis SPIRE, Étrangers à la carte, op. cit., p.113.

26 Emmanuel BLANCHARD, « Encadrer des « citoyens diminués » », op. cit., pp. 357‑360. 27

Alain GIRARD et Jean STOETZEL, Français et immigrés, Paris, PUF-INED, coll. « Travaux et documents », n˚ 20, 1954, 293 p.

28 Ibid., pp. 95‑141. 29

Les Études sociales nord-africaines produisent des publications destinées aux fonctionnaires et associations au contact des migrants algériens. Il s’agit de leur fournir des éléments de connaissance sur leur milieu d’origine, mais aussi sur les services existants en métropole pour les secourir. Les deux principales publications de cet organisme sont les Cahiers nord-africains et les Documents nord-africains. Cf. Amelia H. LYONS, « Invisible Immigrants : Algerian families and the French Welfare State », op. cit., pp.104‑106. L’étude est également publiée dans les cahiers de l’ESNA.

30 Alain GIRARD et Jean STOETZEL, Français et immigrés 2., op. cit. Il arrive cependant que des glissements se produisent, dans les documents officiels. Ainsi, les Statistiques du Travail et de la Sécurité sociale, publication mensuelle du MTSS, comportent traditionnellement une rubrique « mouvement de la main d’œuvre nord-africaine ». À partir de novembre 1959, il est question du « mouvement de la main d’œuvre algérienne ». 31 Lionel KESZTENBAUM et Angéline ESCAFRE-DUBLET, « Mesurer l’intégration des immigrés. Genèse et histoire des enquêtes Girard-Stoetzel, 1945-1953 », Genèses, 2011, vol. 84, no 3, pp. 93‑112.

36 des solutions »32. Ces deux numéros des Travaux et documents de l’INED, publiés en 1954 et 1955, témoignent de l’intérêt croissant pour la présence des familles algériennes en métropole. Malgré de nombreuses limites méthodologiques33, ils apportent de précieuses informations sur les conditions de vie des familles algériennes en métropole. A ces différents titres, ils représentent une source importante pour appréhender l’immigration familiale avant la guerre d’indépendance et établir la genèse des représentations qui les suivront pendant longtemps.

Les Cahiers Nord-africains viennent compléter cette source34. On ne saurait les considérer comme étant l’œuvre de chercheurs en sciences sociales à proprement parler. En effet, ils sont publiés à partir de 1950 par le Père Ghys, membre de la congrégation des Pères blancs, missionnaires en Afrique depuis le XIXe siècle. Néanmoins, leur collaboration fréquente avec l’INED, ainsi que leurs recours réguliers à des contributions d’universitaires en font, à certains égards, une revue de qualité, malgré de nombreux problèmes de méthodologie à l’occasion des enquêtes de terrain. Il est remarquable que pendant les cinq premières années de parution, tous les numéros portent sur les migrants masculins. Un premier numéro est spécifiquement consacré aux familles fin 195535. Par la suite, les Cahiers nord-africains abordent régulièrement l’immigration familiale36

. De manière générale, la revue combine des discours à caractère anthropologique sur « la famille musulmane » et son évolution, et des enquêtes locales sur les conditions de vie de groupes de familles, enquêtes que leurs auteurs qualifient de « plongées dans le réel »37. Au début des années 1950, ces spécialistes des