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L’objectif des pouvoirs publics : empêcher les « regroupements » (1954-1962) Parallèlement à la formulation du problème du logement algérien par les associations

algérienne en métropole (1945-1963)

Carte 2-2: Répartition des Algériens par îlot parisien au RGP 1954 22

II. L’objectif des pouvoirs publics : empêcher les « regroupements » (1954-1962) Parallèlement à la formulation du problème du logement algérien par les associations

spécialisées, dont l’objectif proclamé est l’intégration des « FMA » à la société française97

, le ministère de l’Intérieur et la PP s’inquiètent de la montée du nationalisme en métropole, qui se diffuse dans les meublés et bidonvilles. Cette double préoccupation est à l’origine de la création de la Société nationale de construction pour les travailleurs algériens (Sonacotral) et du Fonds d’action social (FAS). Ces institutions sont à l’origine du financement, de la construction et de la gestion de nombreux foyers pour les travailleurs « isolés »98.

La politique de logement des familles algériennes a récemment été abordée par plusieurs chercheurs qui ont montré que les enjeux principaux sont alors la résorption de l’habitat insalubre et de la dispersion des familles algériennes dans le parc de logement social99. Dès l’arrivée des premières familles en métropole, les associations chargées de leur accueil mènent une intense réflexion sur leur condition de logement, sans grandes possibilités d’action. Des structures aux moyens importants se mettent en place dans le cadre de la lutte contre le nationalisme, à partir de 1958. Amelia Lyons considère que l’amélioration du logement des Algériens est devenue une priorité à peu près au même moment que pour le reste de la population et que « le logement des familles représente l’engagement le plus tangible pour l’intégration des Algériens que la société française ait jamais fait »100

. Ceux-ci sont en effet alors des Français, qu’on cherche à convaincre de vouloir le rester, et qui en tant que tels bénéficient d’une forte politique d’intégration nationale.

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« Nous ne saurions, pour terminer, trop insister sur l’excellence du logement familial pour favoriser l’épanouissement des personnes dans le cadre naturel qu’offre la vie familiale normale et, de surcroît, l’intégration du Nord-africain et des siens à la communauté métropolitaine », Cahiers nord-africains n° 35-36, décembre 1953-janvier 1954, « Le logement des nord-africains », p. 47.

98 Choukri HMED, « Loger les étrangers « isolés » en France », op. cit. ; Marc BERNARDOT, « Une politique du logement », op. cit.

99Amelia Lyons s’est intéressé à l’encadrement des familles algériennes par les services sociaux, en particulier dans les bidonvilles, Cf. Amelia H. LYONS, « Invisible Immigrants : Algerian families and the French Welfare State », op. cit. Marie-Claude Blanc-Chaléard s’est penchée sur la politique de résorption des bidonvilles en région parisienne, où résidait une importante proportion de familles algériennes. Cf. Marie-Claude BLANC-CHALEARD, « Des bidonvilles à la ville », op. cit.

100 Amelia H. LYONS, « Invisible Immigrants : Algerian families and the French Welfare State », op. cit., pp. 227‑228.

114 L’affirmation d’un principe de refus des regroupements de familles algériennes au sein d’espaces ou de logement spécifiques (1) s’accompagne de l’encouragement à l’accès au logement social, notamment par des constructions spécifiques (2). En pratique, un certain nombre de familles bénéficient des mesures mises en place, malgré l’attitude des organismes de logement social qui témoigne de résistances fortes à cette politique d’intégration (3).

1- L’émergence du discours sur les dangers des « regroupements »

Nous voyons émerger dès les premières arrivées de familles algériennes en métropole ce qui est appelé à devenir une des préoccupations principales des pouvoirs publics : la crainte des « regroupements ». En 1950 déjà, un article des Cahiers nord-africains prévient qu’il « semble impensable […] de prévoir la création, voulue ou spontanée, de "guettos [sic] familiaux". Il est grand temps d’y songer car des guettos de célibataires sont d’ores et déjà en place dans la plupart de nos grandes agglomérations ouvrières »101. En 1954, Joseph Leriche exprime dans un article sur le « logement familial » paru dans les Cahiers Nord-africains, « le rejet catégorique de toute ségrégation », et le refus du « regroupement systématique de "logements familiaux nord-africains" en cités spéciales »102. L’idée d’un danger lié aux concentrations de familles algériennes est réaffirmée l’année suivante : « Des îlots impénétrables, des isolats se constitueraient, avec leurs inconvénients sociaux et biologiques bien connus »103. Cet avis est partagé, ou diffusé vers les pouvoirs publics. En 1956, l’IGAME du Rhône écrit au ministre de l’Intérieur, que concernant la « construction de groupes de logement pour familles musulmanes, on est, en général, hostile à cette formule qui risque de conduire à une ségrégation et à favoriser le maintien du mode de vie musulmane, peu propice à faciliter une adaptation souhaitable »104. Enfin, selon un représentant du ministère de la Construction et du Logement :

« Le principe d’une "spécialisation" des constructions destinées aux Nord-africains demande à être nettement délimité. Toute généralisation hâtive en ce domaine conduirait pratiquement à une ébauche de ségrégation

raciale, avec des "immeubles arabes", voire des "quartiers arabes". Il serait, au contraire, nettement souhaitable

101 Cahiers Nord-Africains, « Problèmes familiaux », n° 7-8, août-septembre 1950, p. 36.

102 Cahiers nord-africains, « Le logement des nord-africains », n°35-36, décembre 1953-janvier 1954, p. 30. 103 Alain GIRARD et Joseph LERICHE, Les Algériens en France, op. cit., p. 164.

104AN, F1a 4813, Réunions du comité d’action pour les Algériens en métropole n°II = 1956, document de la préfecture du Rhône, adressé au Ministre de l’Intérieur, le 26 septembre 1956. Objet : problème du logement des familles Musulmanes. C’est nous qui soulignons. Il est intéressant de constater l’usage fait des mots « ghettos » et « ségrégation ». L’usage du terme ghetto notamment est particulièrement précoce pour désigner une concentration de population d’immigrants ; mais dans un autre sens, cela renvoie à un usage métaphorique très diversifié du mot dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Cf. Catherine RHEIN, « Ghetto », in Christian TOPALOV, Laurent COUDROY DE LILLE et Jean-Charles DEPAULE (dirs.), L’aventure des mots de la

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de généraliser les expériences en cours dans le département de la Loire, où des familles musulmanes se sont vues réserver un certain nombre de logements, mais dispersés dans des immeubles normaux, c'est-à-dire concurremment avec des familles métropolitaines. Les premiers résultats s’avèrent très satisfaisants et démontrent une réelle possibilité d’adaptation chez les familles musulmanes ainsi relogées »105.

Ces prises de positions apparaissent comme une réponse à la tentation latente de loger les familles algériennes à l’écart du reste de la population.

Ce débat n’est cependant pas une nouveauté. Il a d’abord concerné le logement des ouvriers. A la fin du XIXe siècle les couches dirigeantes considèrent que « la réalisation d’ensembles de logements ouvriers favoriserait la concentration de rassemblements ouvriers propices à la propagation des doctrines pernicieuses au sein d’une population vicieuse par nature ». Pour Villermé lui-même « il ne faudrait pas rassembler des multitudes [d’ouvriers] dans des sortes de grandes casernes, où les mauvais exercent constamment une fâcheuse influence sur les bons »106. D’autres arguments sont également avancés :

« Lorsqu’on vise le logement de couches ouvrières déjà intégrées […] il peut être souhaitable de prévoir un habitat susceptible de répondre aux besoins de celle-ci, mais aussi d’autres couches sociales. Un tel mélange ne peut avoir que des effets heureux, car favorisant le processus d’intégration et de "civilisation" des familles ouvrières au contact quotidien d’un autre milieu »107.

Dans l’entre-deux-guerres, ce sont les concentrations d’étrangers qui suscitent la méfiance108

. Le brassage des populations est appliqué aux étrangers : « On doit faire obstacle à la constitution d’îlots de colonisation qui, par la suite, seraient susceptibles de devenir des foyers d’irrédentisme »109. Comme l’explique a posteriori l’historien Ralph Schor, « pour atteindre cet objectif, il [faut] "panacher", " disséminer", "concasser, diviser pour régner". L’accumulation d’un pourcentage excessif d’étrangers [paraît alors] aussi dangereux dans une région ou une ville que dans une entreprise »110. La façon d’aborder le logement des familles algériennes au milieu des années 1950 n’est donc guère éloignée de celle dont on conçoit

105 AN, F1a 5043, Conseil supérieur pour l’étude des questions sociales concernant en métropole les ressortissants de l’Afrique du Nord et de l’Outre Mer 1956-1957, Procès-verbal de la réunion interministérielle du 5 avril 1956. C’est nous qui soulignons.

106 Jean-Paul FLAMAND, Loger le peuple : essai sur l’histoire du logement social en France, Paris, La

Découverte, 1989, pp. 60‑61. 107

Ibid., p. 130.

108Cf. ce qu’écrit Ralph Schor à propos des enclaves étrangères de la fin du XIXe siècle : « Dans leurs petites "enclaves" nationales, les immigrés pratiquaient une active solidarité, conservaient leur langue ou leur dialecte, leurs habitudes culinaires, vestimentaires, festives [...]. Le maintien de cette culture freinait l’insertion dans la société française et entretenait aussi la méfiance de certains autochtones, inquiets de voir naître des îlots étrangers voyants, jugés parfois trop autonomes », in Ralph SCHOR, Histoire de l’immigration en France de la

fin du XIXe siècle à nos jours, Paris, Armand Colin, 1996, p. 24. Ce phénomène structurel de rassemblement des

populations originaires d’un même pays ou d’une même région a conduit à la création de nombreuses « Petites Italies » ou « Petites Espagnes » tout au long du XXe siècle, souvent considérées avec méfiance par les autorités et les populations locales.

109 AN, F7 13 518, Service de la main d’œuvre agricole, 22 février 1922.

110 Ralph SCHOR, L’opinion française et les étrangers en France : 1919-1939, Paris, Publications de la

116 celui des ouvriers au début du XXe siècle ou des étrangers dans l’entre-deux-guerres111

, mais le rejet dont font l’objet les Algériens, en tant que musulmans, Arabes, ou colonisés favorisent sans aucun doute la consolidation des préjugés. Cette crainte des regroupements se traduit notamment par la préoccupation apportée à la répartition des Algériens dans le parc social.

La dispersion des familles algériennes s’impose dès le début des années 1950 comme un principe à suivre, alors même que les familles algériennes sont encore très peu nombreuses en métropole. Ce principe va s’appliquer en particulier à la question du logement social.

2- Les premiers efforts en faveur de l’accès des familles au logement social

Pour remédier au mal-logement des Algériens, le principal mode d’intervention des pouvoirs publics consiste à favoriser leur accès au logement social. Les Algériens sont des citoyens français, ils ont donc en théorie pleinement accès aux HLM, à la différence des étrangers pour lesquels la situation est moins claire112. Les associations spécialisées ont cherché à soutenir leur intégration dans le parc classique, avec des résultats mitigés. À partir de 1958, des mesures spécifiques sont ainsi prises, qui visent à construire des logements sociaux destinés spécialement aux familles algériennes.

a- Favoriser la dispersion des familles algériennes dans le parc social

Sous la Quatrième République, les premières initiatives pour aider les familles algériennes à se loger fonctionnent au sein de programmes de logements sociaux généralistes113. Mais dans les faits, la plupart des familles ont des difficultés à obtenir des logements subventionnés en raison à la fois de discriminations de la part des gestionnaires de logement et de la difficulté pour les candidats algériens à s’y retrouver dans le fonctionnement complexe de l’administration. Pour lutter contre ces discriminations, plusieurs organisations privées développent des programmes permettant de réduire ces obstacles, avec une certaine efficacité, à en juger par l’évolution des rapports du SSFNA. Dans celui de 1954, le

111 « Les logiques publiques de logement de la main d’œuvre FMA dans les années 1950 ne sauraient différer radicalement de celles qui ont prévalu à l’égard des travailleurs nationaux au moment des premières politiques de logement social», Cf. Choukri HMED, « Loger les étrangers « isolés » en France », op. cit., p. 77.

112 Marie-Claude Blanc-Chaléard a examiné l’attitude des offices HLM vis-à-vis des étrangers à partir des années 1950. Le moment de la forte pénurie des années 1950-1960 laisse une grande marge de manœuvre aux sociétés HLM, qui entretiennent l’idée qu’il n’est pas légalement possible aux familles étrangères d’accéder aux HLM. Cf. Marie-Claude BLANC-CHALEARD, « Des bidonvilles à la ville », op. cit., pp. 118‑120.

113 « Quand la Quatrième République lança un plan national étendu pour régler la crise du logement, les familles algériennes furent éligibles pour les mêmes programmes et financements », in Amelia H. LYONS, « Invisible Immigrants : Algerian families and the French Welfare State », op. cit., p. 140.

117 rapporteur écrit : « Nous avons, hélas, connaissance de sociétés d'HLM, de CIL, etc., éliminant systématiquement les dossiers de familles musulmanes cependant implantées depuis un temps suffisant et ayant fait leur effort d'adaptation »114. Quatre ans plus tard, « des efforts plus nombreux et louables sont enregistrés pour loger ou reloger les familles algériennes musulmanes ; dans le Nord et dans l'Est (Moselle, Belfort, Montbéliard), le PACT, les CIL, les HLM, les CAF construisent et relogent les familles mal-logées presque sans discrimination. Des liaisons sont établies avec nos services et nous avons la satisfaction de pouvoir faire accepter des familles qui le méritent »115. Les résultats sont cependant mitigés : seul un petit nombre de familles bénéficie de logements sociaux dans les faits116. La préfecture de la Seine attribue ainsi 61 appartements à des familles algériennes considérées comme particulièrement « méritantes » à Paris, Bagnolet et Ivry-sur-Seine en 1955, mais le programme ne continue pas117. Les petites structures dominent, comme celle mise en place par l’Accueil familial nord-africain sur l’Ile Fleurie à Carrières-sur-Seine. Il s’agit de baraquements en bois loués à partir de 1956 à des familles pour 2 ou 3 ans maximum, 2 000 frs par pièce et par mois. Tous les ans, deux à quatre familles logées dans ces baraquements obtiennent un relogement en HLM118. Les aides à l’accession à la propriété restent limitées pour ne pas donner l’apparence d’un traitement spécial119

.

Il ne s’agit cependant pas, du point de vue des associations spécialisées, de reloger toutes les familles algériennes qui s’installent en métropole, mais uniquement d’aider les plus « méritantes », c'est-à-dire les plus « adaptables » à la société française120. Lors d’une réunion de la Commission nationale consultative pour l’étude des questions nord-africaines, en 1955, il est précisé que « l’ensemble de ces efforts [pour loger les familles algériennes] est dominé par la notion essentielle de la sélection et de l’intégration progressive des familles

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Archives SSFNA, rapport 1954. 115 Archives SSFNA, rapport 1957-1958.

116 Sur les réalisations des services sociaux en faveur du logement des familles algériennes, voir aussi Cahiers

nord-africains, « Le logement familial des Nord-africains en France », n° 54, septembre-octobre 1956.

117 Amelia Lyons, Op.cit., pp. 169-170. Cf. AN, F1a 4813, Documents photographiques, bidonvilles de la Seine, Conseil général de la Seine, Accueil et hébergement des Nord-africains dans le département de la Seine, 1956. 118 AN, F1a 4813, Préfecture de la Seine, secrétariat général, Circulaire documentaire, Action sociale en faveur des Nord-africains dans la région parisienne, 1956.

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Cahiers nord-africains n° 35-36, « Le logement des nord-africains », décembre 1953-janvier 1954, pp. 28-33. Cf. aussi Amelia H. LYONS, « « Des bidonvilles aux HLM, le logement des familles algériennes en France avant l’indépendance de l’Algérie » », op. cit.

120 Sophia LAMRI, « "Algériennes" et mères françaises exemplaires (1945-1962) », Le Mouvement Social, 2002, no 2, pp. 61‑81.

118 musulmanes dans le circuit métropolitain »121. Les familles jugées dignes d’obtenir un logement social sont sélectionnées par les associations :

« M. Darrouy, secrétaire administratif de la CANAM, précise que le préfet de la Seine réserve sur les habitations nouvelles dont il dispose une "appréciable proportion de ces logements pour les familles musulmanes", dont plusieurs, sélectionnées par la CANAM et le SSFNA, ont déjà reçu satisfaction »122.

Les associations voient donc leur expertise reconnue par les pouvoirs publics, qui leur accorde en retour des logements pour les familles jugées aptes à intégrer le parc social.

Ces efforts circonscrits à une minorité de familles algériennes choisies parmi celles jugées les plus « méritantes » n’ont que des résultats limités. Des programmes d’une ampleur bien supérieure sont mis en place à partir de 1958, mais ils sont désormais spécifiques aux Algériens.

b- Construire des HLM pour les familles algériennes et créer des quotas

L’avènement de la Cinquième République marque un véritable tournant dans la gestion de l’immigration algérienne. La guerre affecte profondément la nature de l’action sociale envers les familles algériennes en France. Sans revenir en détail sur l’histoire de la création de la Sonacotral en 1956123, et du FAS en 1958124, désormais bien connue, nous rappellerons les grandes lignes de l’action gouvernementale.

Pour soulager les tensions et s’assurer de la loyauté des Algériens, les services sociaux investissent désormais davantage dans des programmes de logement destinés spécifiquement aux Algériens125. Nous pouvons parler ainsi d’une forme de « discrimination positive » à l’égard des Algériens pour une courte période allant de 1958 à 1962126. Un rapport d’André Villeneuve remis au Président de la République en juillet 1958 donne en outre de nouvelles

121AN, F1a 5043, Commission consultative nationale pour l’étude des questions nord-africaines en France 1949-1956, Compte-rendu de la réunion du 22 novembre 1955. C’est nous qui soulignons.

122 Ibid.

123 Son fonctionnement a été étudié de façon approfondie et sous des angles différents par Marc BERNARDOT, « Une politique du logement », op. cit. ; Choukri HMED, « Loger les étrangers « isolés » en France », op. cit. 124Plusieurs travaux se sont penchés sur l’origine du FAS. Il s’agissait au départ d’un fonds alimenté par la différence entre le montant des prestations familiales calculées au taux moyen métropolitain par famille d’une part, et le montant des prestations versées en Algérie au taux algérien qui lui était inférieur, d’autre part. Les autorités arguaient en effet du risque d’explosion démographique si les allocations familiales versées en Algérie avaient correspondu au taux français. De la sorte, les Algériens finançaient eux-mêmes l’action sociale dont ils bénéficiaient. Cf. Alexis SPIRE, « Semblables et pourtant différents. La citoyenneté paradoxale des « Français musulmans d’Algérie » en métropole. », Genèses, 2003, no 53, pp. 48‑68 ; Antoine MATH, « Les allocations familiales et l’Algérie coloniale. À l’origine du FAS et de son financement par les prestations familiales »,

Recherches et prévisions, 1998, no 53, pp. 35‑44.

125 Amelia H. LYONS, « Invisible Immigrants : Algerian families and the French Welfare State », op. cit., p. 190. 126

119 orientations à l’action sociale127

. Il préconise de séparer action sociale et répression, après des années de confusion entretenue par la politique du ministère de l’Intérieur. La création le 1er

décembre 1958 d’une Délégation à l’action sociale des musulmans d’Algérie en métropole va en ce sens128. La Délégation est placée sous l’autorité du Premier ministre via le SGAA. Le 29 décembre 1958 est également créé par ordonnance le FAS pour les travailleurs musulmans d’Algérie en métropole et pour leurs familles. Michel Massenet est nommé délégué à l’Action sociale en janvier 1959129. Il a donc sous sa tutelle à la fois le FAS et la Sonacotral pour agir sur le logement des Algériens, principalement à travers la réservation et la construction de logements sociaux. Son pouvoir est cependant restreint, comme le montre le commentaire du président d’une association implantée dans les bidonvilles de Nanterre :

« Celui-ci vient à plusieurs reprises visiter le bidonville et assiste à des réunions d'études. [...] Ces rapports se limitent à un échange d'informations car, en dépit de son titre, le délégué ne dispose pas de moyens à la mesure de sa tâche. En particulier, il n'a aucune autorité sur les services intéressés de la préfecture et de la commune de Nanterre »130.

En parallèle des mesures visant à améliorer le logement des Algériens et à séparer action sociale et surveillance, la position des pouvoirs publics consiste à partir de 1958 à tenter de limiter à la fois les arrivées de nouvelles familles131. Jugées comme une bonne chose au début des années 1950, elles sont désormais considérées comme devant être limitées, sous la pression du SAMAS : « Le problème du logement des familles, par suite d'arrivées de plus en plus nombreuses de femmes et d'enfants venant rejoindre leurs parents, s'aggrave de jour en jour »132. De manière générale, la question du logement est le principal problème soulevé : « Il faut craindre que ces familles nouvellement constituées ou rassemblées, ne s'installent

127 André-J. Villeneuve est alors « Chargé du groupe de travail Action sociale à la mission d’études au SGAA ». Après avoir pris contact avec les divers ministères, services et principales œuvres privées, il remet à René Brouillet, chef du SGAA, le 23 juillet 1958, un Rapport sur le problème des FMA en métropole. Cf. Vincent