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l’immigration algérienne en métropole (1955-1965)

Encadré 3-1 Petit guide des bidonvilles de Nanterre

« Tartarin », « Dequéant », « la Folie », « les Pâquerettes », « 66 rue des Prés », « 97 rue des Prés », « rue Edouard Colonne », « rue des Bizis », « rue Georges Bizet », « rue de Lens », « 185 rue de Courbevoie », « rue de Valenciennes », « 259 avenue de la République ». Il est difficile de s’y retrouver dans la géographie des bidonvilles de Nanterre. Les appellations varient d’une source, d’un interlocuteur et d’un moment à l’autre, de telle sorte que le chercheur doit composer avec une sorte de palimpseste urbain. Les bidonvilles n’ayant pas d’existence officielle, les appellations indigènes se concurrencent : c’est parfois la toponymie communale qui prévaut, parfois le nom de l’usine voisine ou encore l’origine nationale des habitants. Ainsi, « La Folie » et « La Garenne », fréquemment dissociés, désignent un seul et même bidonville du quartier des Groues, qui en compte d’autres ; le « 185 rue Courbevoie » est aussi appelé « bidonville des Italiens » et « la Parisienne » désigne les bidonvilles de la rue des Prés, en raison de l’usine qui les jouxte. Un des bidonvilles (La Folie ou le « 7 » de la rue Dequéant selon les interlocuteurs) a pour surnom « Le Caire ».

À l’intérieur des bidonvilles, il est tout aussi difficile de s’orienter. Les rues n’ont évidemment pas de nom et le risque est grand de se perdre à La Folie pour les nouveaux venus ou les visiteurs. On vient ainsi chercher le médecin à une des entrées du bidonville qui donne sur la rue de la Garenne. En dehors de l’opposition structurante entre quartiers des « ouvriers » et des familles, il n’existe guère de point de repère. Monique Hervo mentionne une « place de l’Homme bon », qui désigne un habitant installé de longue date. Elle est restée

172 pendant longtemps une référence pour beaucoup, grâce à l’arbre qui s’y trouvait. Pour se situer, la fontaine demeure le principal point de repère.

a- Des résorptions inefficaces

Les premiers bidonvilles se développent dans le quartier du Petit-Nanterre, à la frontière de Colombes, dans un espace marginalisé de la commune. Les bidonvilles Tartarin et Dequéant (essentiellement peuplés d’homme isolés) et celui des Pâquerettes (qui accueille surtout les familles) s’y développent sans réelle contrainte jusqu’au milieu des années 1950 et atteignent leur extension maximale en 1957, date à laquelle commencent les résorptions et les transferts de population afin de construire le grand ensemble municipal des Pâquerettes62. À cette date, 150 isolés du bidonville Dequéant sont relogés en foyer et trois familles du bidonville des Pâquerettes trouvent une place en HLM, tandis que les autres reconstruisent leurs baraques un peu plus loin. C’est en octobre 1959 qu’a lieu la première grande opération de relogement de familles pour permettre la construction du groupe scolaire des Pâquerettes. Une trentaine de familles sont évacuées vers la cité de transit voisine, une dizaine vers le centre de dépannage Luquet à Paris ou la Maison départementale de Nanterre, et une vingtaine sont installées dans l’immeuble social de transition des Marguerites ou dans une cité de transit près de la gare de la Folie63. En novembre 1960 encore, des relogements ont lieu au Petit-Nanterre64 et ils continuent après l’indépendance : 500 isolés des Pâquerettes sont relogés en 1963 et 350 de la rue Dequéant en 1964. De même, 75 familles des Pâquerettes sont transférées en 1963, à la cité des Grands Prés ou aux Canibouts, puis encore 12 en 1964, sans doute à la cité de transit des Groues. Ainsi, la construction du grand ensemble des Canibouts – qui n’a finalement permis de reloger que 250 familles environ65 – n’a pas fait disparaître les bidonvilles de Nanterre, et même pas ceux du Petit-Nanterre, comme le montre le tableau 3-1. Le bidonville des Pâquerettes perdure jusqu’au début des années 1970 (70 familles algériennes et tunisiennes et une centaine d’isolés y vivent en 196866). C’est là que grandit Brahim Benaïcha, dont la famille n’est hébergée en cité de transit à Ivry qu’en 1970.

D’autres bidonvilles se développent à partir de 1952-1953 au sud-est de Nanterre dans le quartier des Groues/Fontenelles, ancien espace des chiffonniers, où se trouvent également

62 AN, F1a 5120, « léments d’étude sociologique sur le bidonville du Petit-Nanterre ».

63 Ibid. Nous ne saurions dire si se trouvent parmi elles les 28 familles que la mairie avait commencé par

expulser. Cf. note n° 24.

64 CAC 19770391 art. 7, Habitat-bidonvilles Seine/Opérations de liquidation/ Lettre du préfet de la Seine au ministère de l’Intérieur, le 9 novembre 1960.

65 Cf. chapitre 2. 66

173 les champignonnières de la commune67. Le plus important est celui de la Garenne, dit « La Folie » en raison de la proximité de la halte de chemin de fer qui porte ce nom68. Il compte une population très nombreuse au début des années 1960, y compris familiale.

Tableau 3-2:Nombre de familles installées au bidonville de la Folie (1956-1965)

Années 1956 1957 1959 1960 1961 1965

Nombre de familles 8-17 30* 83*-150 180*-200 250 300 à 500

Source : IHTP, fonds Monique Hervo *chiffres de l’ANAN

La première opération de résorption importante s’y déroule en novembre 1960. Deux cents baraques sont détruites à cette occasion. Cinq cents isolés et six familles du bidonville de la Garenne sont alors expulsés. Dans le même secteur, 10 familles et 250 isolés voient leurs habitations détruites en mars 1961 aux « Bels-Ébats ». Cinq familles rejoignent le centre de transit de la Courneuve, les autres se reconstruisent une baraque69. Les opérations ne reprennent qu’en 1965 dans ce bidonville70. Dans l’intervalle, le nombre de familles augmente dans des proportions très importantes71. Par ailleurs, d’autres bidonvilles plus réduits se développent (cf. tableau n° 16) : « rue de Lens » (85 familles en 1963, rapidement relogées à la demande de l’EPAD72

), « rue de Valenciennes » (42 familles portugaises, 32 maghrébines en 1963), « rue des Bizis » (résorbé en 1961). Dans le quartier du chemin de L’Ile, au nord-est de la commune, sont par ailleurs apparus au début des années 1960 les deux bidonvilles de la rue des Prés. Enfin, le bidonville du « 259 avenue de la République » dit « Pont de Rouen », apparaît en 1961 et compte environ 80 familles en 1963.

67 D’importantes carrières existaient à Nanterre dans le quartier de la Folie, (aujourd’hui entre l’université, l’ensemble des Provinces-françaises et le Parc André Malraux) à partir du début du XXe siècle. Ces carrières, dites Pascal et de la Folie, fournissaient des pierres pour la construction et abritaient également des champignonnières. À la fin des années 1960, une partie des carrières fut remblayée à la suite de plusieurs effondrements et le tracé de la ligne de RER A suivit celui des carrières. Le parc Malraux, qui succéda au bidonville de la Folie, a précisément été installé là en raison de la présence de carrières en sous-sol qui rendait le terrain inconstructible. Renseignements apportés par la Société d’histoire de Nanterre.

68 La halte en question a été construite en 1919 par les Américains, qui occupaient alors le camp de la Folie. Pendant longtemps, la halte en question servait à déposer et récupérer les cheminots qui travaillaient dans les ateliers et bureaux de la SNCF environnants. Avec la construction des ensembles des Provinces françaises, Marcellin Berthelot, et l’arrivée de la faculté, la halte en question devint nettement insuffisante. Cf. L’Éveil du 13 décembre 1966. C’est seulement l’arrivée du RER qui amènera la construction d’une gare.

69 AN, F1a 5120, Bidonvilles de l'ancien département de la Seine. Opérations de résorption 1956-1969, Compte-rendu de l'opération du 26 mars 1961 dans le bidonville de la Garenne, secteur des Bels-Ebats, le 29 mars 1961. 70

Marie-Claude BLANC-CHALEARD, « Des bidonvilles à la ville », op. cit.

71La Folie est d’autant plus marginalisée qu’en 1960-1961 est construite l’avenue Joliot-Curie, parallèle à la rue de la Garenne, qui détourne la circulation qui passait auparavant au milieu du bidonville.

72 CAC 19770391 art. 7. Habitat-bidonvilles Hauts-de-Seine, Bidonvilles de Nanterre, Ensemble universitaire de Nanterre.

174 Les effectifs de célibataires en bidonville à Nanterre ont donc fortement diminué entre 1959 et 1961 (de 5 800 à 2 100) grâce à une politique massive de construction de foyers, avant une nouvelle augmentation, lorsque la politique de résorption se tourne vers les bidonvilles portugais au début des années 1960 (4 400 « isolés » en bidonville à Nanterre en 1965). L’évolution de la population familiale est différente. Non seulement les bidonvilles accueillant des familles se multiplient, mais surtout le nombre de familles explose dans tous les bidonvilles. On passe de 200 familles en 1959 à 800 environ en 1961 (le GEANARP en décompte 650 en décembre 196173). Après la fin de la guerre surgit l’espoir d’un relogement des habitants des bidonvilles, qui aspirent à rentrer dans le droit commun. D’ailleurs, les militants du SCI quittent La Folie en juillet 1962, seule Monique Hervo reste. La disparition des bidonvilles de Nanterre n’est pourtant plus la priorité du pouvoir central, qui s’intéresse désormais davantage aux bidonvilles de Champigny74. La croissance de la population familiale continue lentement (950 familles en 1965).

En 1965, Nanterre reste ainsi le principal espace de regroupement des familles algériennes en bidonville. Dans les Hauts-de-Seine, l’essentiel des familles en bidonville sont « nord-africaines », et environ 900 sur 1000 sont installées à Nanterre. Dans les autres départements de la petite couronne, le nombre de familles « nord-africaines » en bidonville est d’environ 300 dans le Val-de-Marne et 300 en Seine-Saint-Denis, disséminées la plupart du temps à raison de quelques dizaines par communes. Ainsi, sur les 1500 familles « nord-africaines » environ qui résident en bidonville en région parisienne en 1965, plus de 900, soit 60% sont encore installées à Nanterre75.

b- Limiter la croissance des bidonvilles

La difficulté de faire disparaître les bidonvilles où résident des familles a deux causes. La première est que les possibilités de relogement sont insuffisantes. Si au milieu des années 1950 des familles sont tout simplement expulsées de leur baraque, il n’est théoriquement pas possible de les déloger sans leur proposer de relogement pendant la période hivernale. En 1960, le SGAA écrit ainsi au ministère de l’Intérieur :

« Dans le domaine du relogement des familles un principe fondamental a été posé par vous-même : aucune famille ne doit être expulsée sans relogement immédiat pendant la période de l’année où règne un climat

73AN, F1a 5109. GEANARP, rapport d’activité 1961.

74 Marie-Claude BLANC-CHALEARD, « Des bidonvilles à la ville », op. cit.

75 Tous les chiffres bruts sont tirés de AN, F1a 5116, recensement des bidonvilles de la Seine. Ce recensement de chaque bidonville de la région parisienne distingue les différentes nationalités concernées. Cf. Annexes du chapitre 4, documents n° 1 et 2.

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rigoureux (octobre-mars). […] J’ai eu l’honneur de signaler à plusieurs reprises des violations de ce principe dont la municipalité de Nanterre semble responsable. Il me paraît particulièrement important que des consignes détaillées soient données sur ce sujet tant aux officiers du SAT qu’à tous les services de police et notamment aux commissariats de Nanterre et de Puteaux »76.

En pratique, il ne semble pas que des expulsions aient eu lieu après 1958, y compris en dehors de la trêve hivernale. La deuxième raison qui empêche une disparition rapide des bidonvilles est que les arrivées de familles à Nanterre sont nombreuses. Elles ont plusieurs origines. On a vu que de nombreuses familles arrivaient à Nanterre pour fuir la guerre jusqu’en 196177

. En plus de ces familles venues directement d’Algérie, un certain nombre provient d’autres bidonvilles résorbés (Argenteuil notamment78) ou d’autres régions de métropole. Ainsi en 1961, « on constate à Nanterre un afflux de familles originaires du Nord où la situation de l’emploi n’est pas aisée »79

. À cette date, Nanterre est devenu un point de rassemblement pour les familles qui ne parviennent pas à trouver un autre logement. La présence d’originaires de nombreuses régions algériennes dessine des réseaux migratoires qui convergent vers Nanterre.

Ainsi, parallèlement aux dispositions prises pour limiter les arrivées de familles algériennes sur le territoire métropolitain80, des mesures sont mises en place pour empêcher les installations de familles en bidonville. Selon Monique Hervo, c’est en septembre 1961 que la « brigade Z » se manifeste pour la première fois à La Folie81. Ces policiers en bleu de travail ont pour fonction d’empêcher la construction de nouvelles baraques. Mais la brutalité de leurs interventions n’empêche néanmoins pas de nouvelles arrivées : 72 familles de la base constituée à partir des archives de Monique Hervo (désormais base MH) (sur 182) sont arrivées à partir de 1962. Les nouvelles venues s’installent à la place de familles qui partent, dans des baraques déjà construites, ou profitent du caractère labyrinthique des bidonvilles pour construire discrètement. En avril 1963, le préfet de police note que « depuis le 1er septembre [1962], à Nanterre, 87 nouvelles baraques ont fait leur apparition »82. Le véritable arrêt des constructions se produit selon Bernard Bret en 1964 : « Lorsque la PP a numéroté soigneusement toutes celles existantes et mis un terme définitif à l’extension, que ce soit du

76 CAC 19770391 art. 7. Habitat-bidonvilles Seine, Opérations de liquidation. 77 Cf. chapitre 1.

78

CAC 19770391 art. 7. Habitat-bidonvilles Seine, Bidonvilles du département de la Seine, Lettre du préfet de la Seine au ministère de l’Intérieur, le 20 février 1959.

79 CAC 19770391 art. 7. Habitat-bidonvilles Seine, Réunion de coordination du 13 mars 1961, PV de la réunion tenue au ministère d’Etat chargé des affaires algériennes.

80

Cf. chapitre 1. 81

Monique HERVO, Chroniques du bidonville, op. cit., pp. 145‑147.

82 CAC 19770391 art. 9, Services-préfecture de la Seine, Migration vers la France de ressortissants algériens et de différents pays d’Afrique noire, Rapport du préfet de police au ministère de l’Intérieur, le 1er

176 bidonville, ou même de chaque baraque : il devenait impossible de se construire une nouvelle pièce, a fortiori un nouveau logement »83.

c- Densification du peuplement des bidonvilles

Les arrivées croissantes de familles en bidonville à partir de 1959 puis l’interdiction de construire de nouvelles baraques au début des années 1960 conduisent à une densification de la population, qui modifie à la fois le paysage et les modes d’habiter. Dans un entretien, une femme raconte l’évolution du paysage des Pâquerettes : « Quand on est arrivé [en 1958] il n’y avait pas trop de monde en fait, il y avait de la place, il y avait encore des terrains, c’était pas plein encore, comme dans les années qui sont passées après, où tout le monde arrivait en même temps en fait… »84. C’est surtout à La Folie que la densification se fait ressentir. Une femme interviewée par Monique Hervo en 1968 se souvient qu’à son arrivée en 1959, « il n’y avait pas beaucoup de baraques, pas comme aujourd'hui ; avant, on était bien mieux que maintenant : c’était propre, il n’y avait pas beaucoup de boue et il y avait des champs, tout autour, avec des fleurs85 ». À cette date, des moutons paissent d’ailleurs à l’arrière du bidonville et un témoin raconte qu’« il a fallu une intervention vigoureuse de la police pour la supprimer [cette situation] et obliger les bouchers à se fournir aux abattoirs de la Villette »86.

Figures 3-2: Les abords du bidonville de la Folie vers 1958

Photographies Monique Hervo.

83 Bernard BRET, « Contribution à l’étude de l’habitat provisoire dans la banlieue parisienne », op. cit., p. 56. 84

Muriel COHEN, Les Algériens des bidonvilles de Nanterre pendant la guerre d’Algérie : histoire et mémoire,

mémoire de maîtrise d’histoire, sous la direction de Jean-Louis Robert et Marie-Claude Blanc-Chaléard, Panthéon-Sorbonne, Paris, 2003, p. 38.

85 Monique HERVO et Marie Ange CHARRAS, Bidonvilles, op. cit., p. 110. 86

177 En 1958-1959, les habitations sont relativement espacées et de larges chemins permettent de se déplacer. Deux années plus tard, on ne circule plus que par des boyaux et des baraques sont construites dans la cour d’autres baraques : on peut ainsi voir « une famille algérienne accueillir une famille cousine après 1964. Dans l’impossibilité de construire, on s’est serré. D’un logement, on en a fait deux, séparés par une cloison, ayant chacun leur porte d’entrée indépendante »87. Cette densification rend la vie quotidienne de plus en plus difficile : les queues pour s’approvisionner en eau à la fontaine s’allongent, la boue qui a remplacé l’herbe s’infiltre partout, les tensions augmentent.

Figures 3-3: Le bidonville de la Folie vers 1969

Photographies Monique Hervo.

**

Entre 1955 et le début des années 1960, un nombre croissant de familles algériennes se sont installées dans les bidonvilles de Nanterre où chacune à construit sa propre baraque. Lorsque des mesures sont prises, au début des années 1960, pour limiter l’extension des bidonvilles, les familles continuent à arriver, mais doivent désormais se serrer au sein du parc de baraques déjà existant. Hormis dans le quartier du Petit-Nanterre où le reflux est plus précoce, c’est seulement à partir de 1965 que la population familiale des bidonvilles de Nanterre a commencé à décliner, sous le double effet de la suspension des arrivées et des actions de résorption. Nous verrons à présent comment ces familles arrivent dans les bidonvilles, quels sont les liens qui existent entre elles et comment elles s’organisent.

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178 III. Les structures du peuplement des bidonvilles

Les bidonvilles de Nanterre ont rassemblé, pendant parfois plus de quinze ans, des centaines de familles issues pour la plupart d’un milieu rural, logées dans de l’habitat auto-construit, sur des terrains souvent dépourvus du moindre aménagement urbain. Ces familles sont généralement présentées comme une population très homogène et nécessairement solidaire face aux épreuves subies. Brahim Benaïcha présente ainsi la population du bidonville des Pâquerettes :

« Chacun connait les autres et au moins le nom des trois cent familles toutes solidaires les unes des autres. Au vrai, nous ne formons qu’une seule et même famille qui partage joies et peines. À l’exception des commerçants, nous avons tous la même situation sociale. Le chef de famille travaille en usine ou pour la ville de Paris, ce qui donne à peu près le même budget à chacun »88.

En dépit de cette image idéalisée, produite avec trente ans de décalage par le regard d’un adulte sur son enfance, nous souhaiterions revenir sur la composition du peuplement des bidonvilles et les relations qui se nouent entre les familles concernées. Il s’agit en effet de déterminer dans quelle mesure le bidonville est un lieu de résidence stable, semblable à de nombreux quartiers, ou un espace de transit quitté au plus vite.

Davantage que l’origine régionale, la famille semble être un des éléments les plus structurants de l’organisation des bidonvilles (1). L’étude des modalités d’entrée et de la durée du séjour dans le bidonville montre que toutes les familles n’ont pas la même trajectoire (2). Cependant, la majorité de la population est constituée d’une base homogène d’ouvriers réguliers (3).

1- Réseaux migratoires, réseaux familiaux

La question des origines, étroitement liée avec celle de l’identité, est centrale dans les problématiques migratoires et peut se décliner à plusieurs échelles : nationale, régionale, locale. Les origines des habitants des bidonvilles sont souvent présentées comme des éléments structurants des relations entre les habitants. Il existe cependant plusieurs niveaux d’appartenance régionale parmi la population des bidonvilles, qui structurent en partie les réseaux et les solidarités. Reste que les liens familiaux jouent sans doute également un rôle.

a- Des origines nationales aux origines régionales

L’idée d’une forte homogénéité régionale au sein des bidonvilles est très répandue. Brahim Benaïcha écrit encore dans son témoignage :

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« Notre bidonville constitue un vrai mini-État. Nous sommes tous de la même origine. Ce qui nous donne le statut de tribu. […] Chaque bidonville à Nanterre est représentatif d’une région de l’Algérie. Il est rare de trouver des Soufis habitant avec des Oranais par exemple »89.

Une étude approfondie de la composition du peuplement des bidonvilles montre cependant que cette idée doit être nuancée, comme le confirme le tableau suivant, construit par le GEANARP :

Tableau 3-3: Origines des familles nord-africaines en bidonville à Nanterre au 31 décembre 1962