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La situation des familles installées en métropole avant la guerre d’indépendance

algérienne en métropole (1945-1963)

III. La situation des familles installées en métropole avant la guerre d’indépendance

Malgré de nombreux problèmes méthodologiques, les données administratives sont relativement convergentes et permettent de connaître les dynamiques du début de l’immigration familiale algérienne en métropole de façon plus fine. L’immigration familiale algérienne commence de façon individuelle dans l’entre-deux-guerres, mais l’interdiction de circuler faite aux femmes explique que le phénomène reste confidentiel. La liberté de circulation instaurée en 1947 entraîne une importante croissance des travailleurs algériens en métropole. Les femmes commencent à suivre dans les années suivantes. Elles font leur apparition en 1948-1951. Elles sont environ 10 000 en 1954. Leurs arrivées s’accélèrent en 1954-1955 peut-être en raison des premières opérations militaires. Avec la mise en œuvre du plan Challe, les arrivées s’accélèrent. À la fin de la guerre d’indépendance, les familles algériennes sont environ 25 000 au minimum en France. La guerre constitue donc une rupture importante dans le rythme jusque là assez lent de l’émigration algérienne. À ce stade, nous n’avons cependant encore qu’une vision très impressionniste des conditions d’immigration et de leurs motifs, en dehors de la guerre. L’étude de la situation des familles installées en métropole avant la guerre d’indépendance montre que différentes formes d’immigration coexistent alors.

III. La situation des familles installées en métropole avant la guerre d’indépendance

Avant 1954, que l’on considère généralement comme le début de guerre d’indépendance algérienne, le nombre de familles algériennes en métropole est modéré, restant inférieur à 10 000. Malgré des tensions politiques croissantes en Algérie, à la suite des massacres de Guelma et Sétif en mai 1945, mais aussi en métropole, notamment après la mort de 6 Algériens tués par la police lors du défilé du 14 juillet 1953, ces familles s’installent dans un contexte encore calme. Les recensements présentés plus hauts renseignent leur lieu

61 d’origine et d’installation, tandis que les enquêtes de l’INED et des Cahiers nord-africains apportent quelques éléments sur leurs profils sociologiques et les conditions de leur émigration.

Ces familles proviennent d’un nombre limité de régions, mais la Grande Kabylie, principale pourvoyeuse de migrants masculins, n’est pas une zone de départ des familles (1). Si leur implantation en métropole est globalement la même que celles des travailleurs, avec une installation dans les principales villes industrielles françaises, leur répartition n’est pas identique (2). Les motifs de l’émigration sont pendant cette période particulièrement liés à la condition professionnelle du chef de famille (3).

1- Les zones de départ des familles

a- Des bassins de départ communs

Les principales zones de départ des migrants masculins vers la métropole de l’entre-deux-guerres sont massivement les territoires kabyles des départements de Constantine et d’Alger. La Soummam, Akbou et Guergour, communes mixtes (CM) 132 de l’arrondissement de Bougie, fournissent les plus gros contingents. Les CM d’Azzefoun, de Djurdjura, Dra-el-Mizan, Fort-National, Haut-Sebaou et Mizrana, dans l’arrondissement de Tizi-Ouzou, viennent en seconde position. Enfin, un faible nombre d’émigrés proviennent des communes de Maghnia, Nedroma et Renault dans l’arrondissement de Tlemcen en Oranie133

. Par la suite, les zones d’émigration s’étalent (notamment vers les Territoires du Sud) et se multiplient, mais les grandes régions de départ restent les mêmes.

Les familles proviennent, en partie seulement, des mêmes régions. Jean-Jacques Rager décrit en 1950 les zones d’émigration familiale, à partir d’un recensement effectué en 1949 dans les communes mixtes et communes de plein exercice : « L’émigration des femmes musulmanes paraît […] se préciser, depuis quelques mois. Elle s’effectue surtout en Oranie, dans la région de Sétif et dans quelques tribus bougiotes »134. En 1956, J.J. Rager confirme

132

Par opposition aux Communes de plein exercice (CPE), les communes mixtes sont de vastes unités territoriales dont la majorité de la population est algérienne. Son conseil municipal est nommé par les autorités françaises.

133 Benjamin STORA, Aide-mémoire de l’immigration algérienne, 1922-1962 : chronologie, bibliographie, Paris,

CIEMI-L’Harmattan, 1992, p. 81. 134

Jean-Jacques RAGER, Les musulmans algériens en France et dans les pays islamiques, op. cit., 261. Robert Montagne confirme ces données dans un article de 1953, mais distingue aussi de nouveaux mouvements : « On signale, non loin de Marseille, une colonie d’une cinquantaine de foyers venus de l’oasis de Touggourt [Territoires du sud]. Des colonies analogues provenant de la région de Nedroma en Oranie, ou du Guergour en Petite Kabylie [région de Bougie], sont également en formation sur notre territoire », Cf. Robert MONTAGNE,

62 que l’émigration familiale « relativement faible par rapport à l’ensemble des départs dans les départements d’Alger et de Constantine […] était beaucoup plus marquée dans le département d’Oran »135

. Robert Montagne observe au début des années 1950 les mêmes zones de départ. Ce qu’il appelle les « Petites Kabylies »136

et qui regroupe les confins de la Grande Kabylie (Djurdjura), des « îlots de l’Atlas pré-saharien », c'est-à-dire la région des Aurès (Msila, Biskra), des Oasis comme Touggourt et Ouargla, mais aussi la région de Nedroma-Maghnia dans l’Oranais connaissent des départs de familles « assez fréquents ». Montagne estime qu’il peut d’ailleurs s’agir d’une « sorte de réaction naturelle des familles contre les risques de mariage mixtes en France »137. Enfin, une enquête menée sur la région parisienne en 1954-1955 confirme que les familles de Grande Kabylie sont sous représentées dans l’immigration familiale : « Pour sa majorité, cette émigration provient des CM du département de Constantine et de l’arrondissement de Maghnia dans le département d’Oran »138. Jusqu’au milieu des années 1950, l’émigration familiale algérienne provient ainsi avant tout des régions de Bougie et de Sétif dans le Constantinois, de Maghnia et Nedroma dans l’arrondissement de Tlemcen, et des oasis du sud de Biskra. Un autre espace de départ des familles peut enfin être distingué : les villes, petites ou grandes, et les centres de colonisation. Selon Robert Montagne, ces espaces urbains connaissent une émigration parfois massive des familles. En revanche, la Grande Kabylie, une des principales zone d’émigration des travailleurs, n’est donc pas une zone de départ des familles.

b- La « Grande Kabylie », à l’écart des migrations familiales

La Grande Kabylie, par opposition à la Petite Kabylie dont elle est séparée par la vallée de la Soummam, désigne la région occidentale de la Kabylie, autour de Tizi-Ouzou et Fort-National. Certains auteurs distinguent les deux zones, tandis que d’autres parlent

« L’émigration nord-africaine en France. Son caractère familial et villageois », in Hommage à Lucien Febvre.

Éventail de l’histoire vivante : offert par l’amitié d’historiens, linguistes, géographes, économistes, sociologues,

ethnologues, Paris, Armand Colin, 1953, p. 370.

135 Jean-Jacques RAGER, L’Émigration en France des musulmans d’Algérie, op. cit., pp. 37‑38.

136L’acception de « Petites Kabylies » par Robert Montagne est très particulière. En effet, celui-ci désigne un ensemble de zones très discontinues, telles que l’ouest de l’Oranie, le Djurdjura, les Aurès et les Oasis des Territoires du Sud comme un ensemble cohérent de zones berbères « plus ou moins arabisées par la langue et islamisées par l’adoption de la loi Coranique ». De fait, les populations de ces zones se considèrent elles-mêmes davantage comme arabes que berbères. Par adhésion au « mythe berbère » ou coquetterie d’ethnologue, Robert Montagne catégorise les zones « berbères arabisés » avec les zones berbérophones, façon de dire que l’arabisation n’est que superficielle.

137 Robert MONTAGNE, Cahier liminaire, op. cit., planche I, « Divers types d’émigration en Algérie ». Cf. documents n° 3, carte 1 en annexe.

138 Georges Rösch, « les Africains du Nord dans la Seine, enquête hospitalière et sociale », Cahiers

63 simplement de « Kabylie »139. Un certain nombre de traits communs les réunissent de toute façon. Robert Montagne estime qu’il y prévaut « une famille patriarcale solide, une entraide collective puissante ». Cette idée n’est pas propre aux sociologues coloniaux : Geneviève Massard-Guilbaud insiste également sur l’importance de la structure familiale au sein de la société kabyle, constituée de cercles emboîtés qui créent de fortes solidarités. Ces structures expliquent que la migration, rendue nécessaire par les expropriations coloniales, vise au départ à consolider l’exploitation familiale en Algérie, et fonctionne largement sur le mode de la noria, même si une minorité d’hommes s’est précocement marié en France.

Du fait de sa structure spécifique, la société kabyle aurait, selon Robert Montagne, davantage résisté à l’émigration familiale. Dès lors, la raison pour laquelle la Petite Kabylie a vu une émigration familiale plus précoce que la Grande Kabylie n’apparaît pas clairement, l’idée selon laquelle il s’agissait d’empêcher le développement des mariages mixtes n’expliquant pas la différence entre les deux zones. Geneviève Massard-Guilbaud fait le même constat d’une émigration familiale plus tardive à partir de la Grande Kabylie, sans avancer de raison plus claire. En revanche, elle estime que l’émigration familiale rapide de certaines zones comme les Hautes plaines constantinoises est un résultat du déchirement du « tissu social » causé par la colonisation140. De plus amples recherches paraissent néanmoins nécessaires pour expliquer les rythmes différenciés de l’émigration familiale.

Issues de plusieurs zones et de différents types d’espaces, ruraux et urbains, les familles algériennes se sont pour l’essentiel installées dans les grandes villes françaises.

2- Paris, Lyon, Marseille : l’implantation des familles en France au début des années 1950 Les migrants s’installent traditionnellement dans les régions plus industrielles, et c’est notamment le cas des Algériens. Est-ce que les femmes algériennes qui arrivent en France entre 1947 et le milieu des années 1950 s’installent dans les mêmes zones, et dans quelle proportion ?

139 Geneviève Massard-Guilbaud reprend ainsi la distinction entre Grande et Petite Kabylie, de même qu’Alain Mahé. Celui-ci considère que cette distinction, qui se réfère au découpage de l’administration ottomane, a sans doute contribué à renforcer leurs singularités respectives, mais qu’elle est peu pertinente du point de vue anthropologique, car les véritables spécificités interviennent au niveau des sous-ensembles. Cf. Alain MAHE,

Histoire de la Grande Kabylie, XIXe-XXe siècles : anthropologie historique du lien social dans les communautés

villageoises, Saint-Denis, Bouchène, 2001, p. 15. Ce n’est pas le cas en revanche de Karima-Slimani Dirèche in Karima SLIMANI-DIRECHE, Histoire de l’émigration kabyle en France au XXe siecle : réalités culturelles et

politiques et réappropriations identitaires, Paris, l’Harmattan, 1997, 214 p. 140 Geneviève MASSARD-GUILBAUD, Des Algériens à Lyon, op. cit., pp. 450‑451.

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a- Une implantation urbaine calquée sur celles des hommes....

La répartition des hommes algériens en métropole est connue : elle épouse globalement la géographie de l’industrie141

. Les Algériens se trouvent principalement dans le nord, l’est, dans les régions parisienne, lyonnaise, dans le sud-est. Ils sont particulièrement urbains : au RGP de 1954, 35 000 résident à Paris sur 62 000 dans l’agglomération parisienne ; 11 000 à Lyon, sur 15 000 dans le Rhône ; et 7 500 à Marseille sur 12 000 dans les Bouches-du-Rhône. Ils sont en revanche davantage dispersés dans le Nord, conformément à la localisation des mines et des industries : les Algériens sont seulement 2100 dans l’agglomération lilloise, pour 15 000 dans le Nord142

.

Il n’en va pas très différemment pour les familles. Un indice de leurs premières zones d’installation nous est fourni par la localisation des différents bureaux du Service social familial nord-africain (SSFNA)143. Le premier bureau ouvre à Lille en janvier 1952, puis deux autres à Metz et Paris. En 1953, ouvrent ceux de Lyon, Villefranche-sur-Saône et Nancy et en 1954, celui de Saint-Etienne. En 1957, Grenoble et Montbéliard accueillent à leur tour un bureau. Alain Girard confirme cette distribution:

« Ces familles […] se rencontrent le plus souvent, dans les zones d’implantation les plus denses des Algériens en France, région parisienne, Nord et Pas-de-Calais, Moselle et Meurthe-et-Moselle, Rhône et Loire, Bouches-du-Rhône, c'est-à-dire dans les régions fortement industrialisées, génératrices d’emplois »144.

L’absence de bureau du SSFNA dans les Bouches-du-Rhône s’explique par le monopole détenu précocement par l’association d’aide aux Travailleurs d’Outre-mer (ATOM) en matière d’assistance aux Algériens dans la région marseillaise.

Cette répartition homologue des hommes et des femmes s’explique par le fait que la plupart des femmes algériennes qui s’installent en métropole viennent rejoindre un époux. Pour autant, elles ne sont pas réparties selon la même distribution que les travailleurs isolés, dont un tiers réside en région parisienne.

141 Cf. documents n° 4, carte 3 en annexe.

142 INSEE, Recensement général de la population de mai 1954, Résultats du sondage au 1/20ème, Population-ménages-logements, Tableaux synoptiques, PUF, 1956, p. 46. Sur l’immigration algérienne dans le nord de la France, Cf. Jean-René GENTY, L’immigration algérienne dans le Nord-Pas-de-Calais, 1909-1962, Paris,

L’Harmattan, 1999, 309 p.

143Il s’agit d’un service d’assistance sociale destiné spécifiquement aux familles algériennes. Cf. Amelia H. LYONS, « Genre et décolonisation: le cas du Service social familial nord-africain », op. cit. Nous avons pu consulter une partie des archives de cette association avant leur versement aux archives de Paris, en 2011. 144

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b- ...Mais une répartition différenciée

Malgré leurs limites, à partir des recensements du MSPP et du ministère de l’Intérieur de 1952 et 1953, on peut cartographier de façon relativement précise la répartition des femmes et ainsi repérer les tendances principales145. La carte établie à partir des statistiques récoltées par le MSPP en 1952 fait ressortir une concentration des femmes bien supérieure à celle des hommes146. Trois pôles d’égale importance comptent environ 600 femmes chacun : Paris, Lyon et Marseille. Les départements du Nord, l’Oise, la Moselle, la Meurthe-et-Moselle, la Loire, le Gard et le Var comptent seulement quelques dizaines de femmes chacun. On trouve très peu de femmes dans les autres départements. Les résultats plus détaillés du recensement du ministère de l’Intérieur de 1953 permettent d’opérer des comparaisons147

.

Tableau 1-2 : Proportion de femmes par départements et régions IGAME selon le

recensement du ministère de l’Intérieur de 1953

département/région A Nombre d’hommes B Nombre de femmes C Nombre d’enfants D total Algériens E proportion de femmes par rapport à la population algérienne totale de la zone F proportion de femmes par rapport à l'ensemble des femmes algériennes de métropole G proportion d'hommes par rapport à l'ensemble des hommes algériens de métropole Rhône 10800 800 1400 13000 6,2 16,5 4,9 Bouches du Rhône 12500 800 2200 15500 5,2 16,5 5,7 Seine-et-Marne 764 42 155 961 4,4 0,9 0,3 9ème région : Marseille 22400 1140 2880 26420 4,3 23,5 10,2 Seine-et-Oise 6547 321 866 7734 4,2 6,6 3,0

8ème région : Lyon 28200 980 1780 30960 3,2 20,2 12,8

1ère région : Paris 88000 1900 3150 93050 2 39,2 40,0

Seine 80000 1500 2100 83600 1,8 30,9 36,4

7ème région : Dijon 5800 110 240 6150 1,8 2,3 2,6

5ème région :

Toulouse 3800 60 150 4010 1,5 1,2 1,7

Nord 21821 300 1200 23321 1,3 6,2 9,9

2ème région : Lille 33000 400 1450 34850 1,1 8,2 15,0

3ème région :

Rennes 2200 20 50 2270 0,9 0,4 1,0

4ème région:

Bordeaux 2300 20 40 2360 0,8 0,4 1,0

6ème région : Metz 33700 220 260 34180 0,6 4,5 15,3

sources :

-AN, F1a 5035, 24 août 1953/Recensement numérique des Français musulmans originaires d'Algérie en résidence dans la métropole

-AN, F1a 4813, Réunion du 30 octobre 1956 /Récapitulation, s.d. NB: Seules les colonnes en gras figurent dans la source.

145On a vu que les publications départementales de l’INSEE pour le RGP 1954 ne présentent pas la structure par sexe, se contentant de donner le total de la population des « musulmans originaires d’Algérie » et leur répartition dans la population active. Cf. la note n° 93.

146 Cf. documents n° 4, carte 4 en annexe. 147

66 La colonne E permet de constater que les femmes sont généralement concentrées dans les départements les plus urbains de chaque région148. Il y a par exemple 5.2 % de femmes parmi la population algérienne des Bouches-du-Rhône (département le plus urbanisé de la région), pour 4.3 % de femmes dans la région de l’IGAME (Inspecteur général de l’administration en mission extraordinaire)149

de Marseille, qui regroupe plusieurs départements ruraux. De même, il y a 6.2 % de femmes parmi la population algérienne du Rhône, pour 3.2 % à l’échelle de la région IGAME de Lyon, ce qui signifie que la proportion de femmes est très basse dans les départements proches du Rhône, comme l’Ardèche ou la Drôme. En revanche, la proportion de femmes par rapport à la population algérienne totale est plus élevée dans les départements périphériques de la région parisienne qu’en son centre (4.4 % de femmes algériennes en Seine-et-Marne et 4.2 % en Seine-et-Oise, 1.8 % dans la Seine). Les familles algériennes sont donc proportionnellement plus nombreuses à s’installer en bordure de la région parisienne.

La colonne E montre par ailleurs que le Rhône et les Bouches-du-Rhône ont une proportion de population féminine bien supérieure à la moyenne nationale de 2 % (5 à 6 % de femmes), tandis que le département de la Seine – qui compte le plus grand nombre de femmes en valeur absolue – en compte moins de 2 %. Parmi les départements qui comptent plus d’une centaine de femmes, le département du Nord compte seulement 1.3 % de femmes. Autrement dit, le sex-ratio, extrêmement déséquilibré en faveur des hommes à l’échelle nationale, est légèrement plus favorable aux femmes à Marseille et Lyon qu’en région parisienne. Cette surreprésentation de la population féminine à Marseille persiste d’ailleurs au début des années 1960150. Cela s’explique sans doute par le fait que Marseille est une ville de transit151

. Selon une sociologue qui enquête pour le Credoc en 1961, « Marseille constitue souvent pour les

148

Le rapport qui accompagne le recensement donne cependant quelques indications importantes qui ne sont pas repérables à l’échelle départementale : « C'est bien souvent dans les petites agglomérations que l'on rencontre proportionnellement le plus de femmes musulmanes. C'est ainsi que dans le département de l'Aude il atteint pour la petite ville de Salsigue près de 20 % (17 femmes musulmanes pour 88 travailleurs) ». Cf.AN, F1a 5035, 24 août 1953, Enquête sociale sur la situation des musulmans originaires d'Algérie résidant en métropole, « Recensement numérique des Français musulmans originaires d'Algérie en résidence dans la métropole », pp. 5- 6.

149 Le territoire métropolitain est découpé en neuf régions IGAME qui correspondent au territoire d’action des hauts-fonctionnaires en question

150

MllePitrou, sociologue, auteur d’un rapport du Credoc destiné aux autorités marseillaises note que Marseille a toujours concentré une forte présence familiale et connu une surreprésentation de la présence des familles : en 1961, 10% des familles algériennes de France y vivent, pour 5% de la population musulmane totale. Cf. Cahiers

nord-africains, « le logement des Nord-Africains à Marseille », n°82, mars 1961, p. 11.

151

Sur la présence algérienne dans la région marseillaise, Cf. Émile TEMIME, arseille transit : les passagers de

Belsunce, Paris, Autrement, coll. « Français d’ailleurs, peuple d’ici », 1995, pp. 68‑78 ; Jean-Jacques JORDI, Abdelmalek SAYAD et Émile TEMIME, Histoire des migrations à Marseille., Aix-en-Provence, disud, 1991, 224 p.

67 familles, soit un lieu de fixation dès l’arrivée au lieu même du débarquement, soit au contraire un lieu de repli en cas d’échec de l’implantation dans un autre coin de la France »152

.

Les colonnes F et G permettent quant à elles de comparer la distribution régionale des femmes avec celle des hommes à l’échelle nationale. 40 % des femmes algériennes de métropole vivent ainsi dans la région parisienne (1900 sur 4850), soit une proportion égale à celle des travailleurs hommes. En revanche, 16 % de la population féminine algérienne de métropole vit dans le Rhône contre 5 % seulement des travailleurs hommes et il en va quasiment de même dans les Bouches-du-Rhône. C’est l’inverse dans la région de Metz, où résident seulement 4 % des familles algériennes de métropole, alors qu’elle accueille 15 % des travailleurs. Dans une moindre mesure, il en va de même dans le nord de la France.

En somme, alors que le poids des femmes en région parisienne est globalement identique à celui des hommes, on note qu’elles sont très largement sous-représentées dans l’est et le nord de la France et surreprésentées dans le sud. Ce phénomène doit-il être mis en relation avec la structure économique des régions concernées ?

3- Structures de l’emploi et regroupement familial

Selon le recensement du ministère de l’Intérieur de 1953, les femmes sont nettement sous-représentées dans le nord et l’est de la France, et surreprésentées dans le quart sud-est. Cette répartition peut s’expliquer par la spécificité des formes de logement en fonction des types d’activités économiques. Mais un enjeu central de la venue des familles tient également