réduction. C’est ainsi que le langage a comme moteur le Sujet.
Le troisième élément du modèle de la signification, c’est le Concept. Celui-ci est
une forme sous laquelle le Sujet exerce le langage sur l’Objet. Le langage a pour forme
le Concept. Celui-ci est d’avance présupposé par le langage, et se prépare à aider le
Sujet à connaître l’Objet à travers le langage. De fait, comme le dit Foucault, l’activité
de connaissance est « le mouvement d’un logos qui élève les singularités jusqu’au
concept »
26. Là, il s’agit toujours d’élever des singularités à l’universalité ou du sens au
concept, et on a donc essentiellement besoin de l’aide du Concept. Ainsi, dans l’activité
de connaissance, il y a tout d’abord l’Objet et le Sujet face à face. L’Objet ouvre ses
propres singularités à l’intuition du Sujet, alors que celui-ci assiste, dans son intuition,
aux singularités de l’Objet. Pour que le Sujet connaisse l’Objet, ou qu’il élève les
singularités de l’Objet à son universalité, il faut passer par le langage. Celui-ci consiste
en l’utilisation des formes vides de la langue, car, comme nous l’avons vu, le sujet doit
« animer directement de ses visées les formes vides de la langue ». Ce sont ces formes
vides, à savoir ces formes intellectuelles qui ne sont autre chose que le Concept. En
recourant à celui-ci, le Sujet peut connaître l’Objet. Donc, le Concept est une forme
intellectuelle préalable au langage, où il s’agit donc du principe d’entendement. En
revanche, le langage n’est que son effet ou sa réflexion. Bref, c’est le Concept qui rend
possible le langage. Or, si le sujet réussit à connaître l’objet sous le concept donné,
comme nous l’avons vu, cet objet est saisi en tant qu’objet scientifique ; ce sujet se
saisit en tant que sujet transcendantal. Mais ce n’est pas tout. Le sujet fonde alors en
même temps l’horizon de l’idéalité, où le concept donné aussi se saisit en tant que
concept idéal. Ainsi, on pourrait dire que le concept empirique détient potentiellement
en lui-même la loi du concept idéal ; et que, si le sujet réussit à connaître l’objet sous ce
concept empirique, son concept idéal se met à exister de lui-même dans sa propre
identité. Il y a donc ici deux sortes de concepts : le concept donné et le concept purifié ;
le concept dans l’« acheminement empirique des idées » et le concept dans « l’horizon
de l’idéalité »
27; le concept empirique et le concept idéal. Mais, ces deux sortes de
concepts ne seraient, au fond, que l’envers et l’endroit du même Concept.
De tels concepts, en se combinant, peuvent se construire comme un ensemble
conceptuel : une structure. Car chaque concept ne paraît pas isolément, mais plutôt dans
les relations avec d’autres concepts : un concept donné a généralement des relations
solides avec des concepts contigus ; mais aussi, il a certaines relations avec des concepts
écartés ; bien plus, ces autres concepts, eux-mêmes aussi, ont des relations solides ou
fragiles avec d’autres concepts contigus ou écartés ; il y a ainsi une grande architecture
conceptuelle, à savoir la structure. Celle-ci consiste, de fait, en la détermination des
concepts et les relations entre eux : par exemple, c’est « la définition qui en [du concept]
est donnée, l’utilisation qu’on en fait, le champ dans lequel on essaie de le valider, les
transformations qu’on lui fait subir, la manière dont on le généralise ou dont on le
transfère d’un domaine dans un autre »
28; c’est également, si l’on se souvient que la
science est composée de concepts, « les formes de propositions qu’elle [la science] a
reconnaît comme valable, les types d’inférence auxquels elle a recours, les règles
qu’elle se donne pour lier les énoncés les uns aux autres ou pour les rendre équivalents,
les lois qu’elle pose pour régir leurs transformations ou leurs substitutions »
29. C’est là
la structure. Cependant, ici aussi, il faudrait sans doute distinguer deux sortes de
structures : la structure empirique et la structure idéale. Tout d’abord, il y a la structure
empirique. Celle-ci n’est pas encore un ensemble général mais spécifique, parce que ses
concepts aussi sont empiriques, en possédant leurs propres caractères factuels et réels, à
savoir incohérents avec d’autres concepts. Mais, comme nous l’avons vu, les concepts
empiriques détiennent potentiellement en eux-mêmes la loi du concept idéal. Donc,
depuis l’origine de l’histoire, selon que l’activité de connaissance continue à réussir,
leurs concepts idéaux se mettent à exister, en se construisant comme la structure idéale.
A la fin de l’histoire, la structure idéale paraîtrait dans son intégralité. Ainsi, elle n’est
plus spécifique mais générale, parce que ses concepts sont idéaux, en possédant leurs
propres caractères purs et possibles, à savoir cohérents avec les autres concepts ; et
qu’ils se constituent, de manière logique, formelle et déductive, comme la structure
27L’archéologie du savoir, p. 84 (souligné par Foucault).
28 « Sur l’archéologie des sciences. Réponse au Cercle d’épistémologie », DE I, p. 728.
idéale. En somme, dans l’histoire, on va des concepts empiriques aux concepts idéaux,
de la structure empirique à la structure idéale et de l’ensemble spécifique à l’ensemble
général. Mais, généralement parlant, dans la mesure où il y a toujours une téléologie
visant la généralité, on pourrait dire que la structure se caractérise au fond comme
générale plutôt que comme spécifique.
A propos de cet élément du Concept, selon Foucault, il y a traditionnellement eu
une manière particulière de l’analyser : la « formalisation »
30. Dans cette pratique de
formalisation, on suppose que tout langage reposerait sur des concepts ; mais que
ceux-ci ne sont pas pleinement indiqués par le langage, parce que le langage n’est pas une
incarnation immédiate des concepts, mais seulement leur réflexion lointaine. Ainsi, on
doit s’efforcer de formaliser par-delà le langage ses concepts. La formalisation, c’est
reconstruire à partir d’un langage donné sa structure conceptuelle. Cette manière
d’analyse serait familière, en particulier, à l’« analyse de la langue »
31telle que la
linguistique ou le structuralisme ou à l’« analyse de la science » telle que l’histoire des
sciences ou l’épistémologie. En réalité, le premier Foucault même, nous semble-t-il, ne
s’est pas suffisamment libéré de cette formalisation. Car, dans ses premières recherches
historiques, il a entrepris de formaliser des structures des sciences modernes : par
exemple, dans son deuxième ouvrage principal, Naissance de la clinique, il a essayé de
reconstruire à partir de documents historiques une structure disciplinaire et
institutionnelle de la clinique ; ou, dans son troisième ouvrage principal, Les mots et les
choses, il a essayé de reconstruire à partir de documents historiques une structure
transdisciplinaire des sciences de l’homme. On pourrait expliquer ce type d’entreprise
ainsi : là, il faut renvoyer tous les langages des sciences en question à leurs formes
scientifiques, c’est-à-dire à leur structure conceptuelle, qu’il s’agisse de la structure
idéale établie comme système rationnel, ou de la structure empirique construite comme
effet idéologique ; tantôt, il faut montrer quel système du signifiant a existé derrière ces
sciences dans un domaine et une époque déterminés, et comment il fonctionnait comme
structure immobile pour contraindre les activités scientifiques ; tantôt, il faut montrer
quel obstacle épistémologique existait à l’intérieur des sciences dans un domaine et une
époque déterminés, et comment s’est produit la rupture épistémologique pour donner
30 Cf. Les mots et les choses, p. 312.
31 L’archéologie du savoir, p. 39. Cf. « Sur l’archéologie des sciences. Réponse au Cercle d’épistémologie », DE I, p. 705-706.
lieu à une structure plus scientifique. C’est là reconstruire à partir de documents
scientifiques la structure conceptuelle : la formalisation de la structure. De fait, dans
l’édition originale de Naissance de la clinique, Foucault a volontairement utilisé comme
instruments de formalisation les termes structuralistes, surtout le concept « structure » ;
mais, après L’archéologie du savoir, il a jugé que ces termes n’étaient pas adéquats, de
sorte qu’il les a systématiquement supprimés ou modifiés dans sa réédition
32. Bien plus,
juste lors de la parution de Les mots et les choses, Foucault a, jusqu’à un certain point,
reconnu qu’il l’avait écrit selon la méthode de formalisation, méthode structuraliste
33;
mais, après L’archéologie du savoir, il a jugé que cette méthode n’était pas adéquate, de
sorte que, lors de son édition anglaise, il a pris la peine d’y ajouter une nouvelle préface
pour prétendre rétrospectivement qu’il n’avait jamais recouru à l’analyse structuraliste
34.
Voilà pourquoi Foucault ne s’est pas suffisamment libéré de la formalisation de la
structure conceptuelle, c’est-à-dire de l’analyse du Concept. C’est ainsi que le Concept
a été traditionnellement accompagné par la seule modalité d’analyse, la formalisation.
En somme, le Concept correspond à des formes intellectuelles, qui d’une part
Dans le document
Pour une philosophie de la subjectivation. Etude sur Michel Foucault
(Page 39-42)