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En somme, le Sujet correspond à des opérateurs du langage, qui d’une part peuvent s’établir en intersubjectivité et d’autre part peuvent être analysés par la

réduction. C’est ainsi que le langage a comme moteur le Sujet.

Le troisième élément du modèle de la signification, c’est le Concept. Celui-ci est

une forme sous laquelle le Sujet exerce le langage sur l’Objet. Le langage a pour forme

le Concept. Celui-ci est d’avance présupposé par le langage, et se prépare à aider le

Sujet à connaître l’Objet à travers le langage. De fait, comme le dit Foucault, l’activité

de connaissance est « le mouvement d’un logos qui élève les singularités jusqu’au

concept »

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. Là, il s’agit toujours d’élever des singularités à l’universalité ou du sens au

concept, et on a donc essentiellement besoin de l’aide du Concept. Ainsi, dans l’activité

de connaissance, il y a tout d’abord l’Objet et le Sujet face à face. L’Objet ouvre ses

propres singularités à l’intuition du Sujet, alors que celui-ci assiste, dans son intuition,

aux singularités de l’Objet. Pour que le Sujet connaisse l’Objet, ou qu’il élève les

singularités de l’Objet à son universalité, il faut passer par le langage. Celui-ci consiste

en l’utilisation des formes vides de la langue, car, comme nous l’avons vu, le sujet doit

« animer directement de ses visées les formes vides de la langue ». Ce sont ces formes

vides, à savoir ces formes intellectuelles qui ne sont autre chose que le Concept. En

recourant à celui-ci, le Sujet peut connaître l’Objet. Donc, le Concept est une forme

intellectuelle préalable au langage, où il s’agit donc du principe d’entendement. En

revanche, le langage n’est que son effet ou sa réflexion. Bref, c’est le Concept qui rend

possible le langage. Or, si le sujet réussit à connaître l’objet sous le concept donné,

comme nous l’avons vu, cet objet est saisi en tant qu’objet scientifique ; ce sujet se

saisit en tant que sujet transcendantal. Mais ce n’est pas tout. Le sujet fonde alors en

même temps l’horizon de l’idéalité, où le concept donné aussi se saisit en tant que

concept idéal. Ainsi, on pourrait dire que le concept empirique détient potentiellement

en lui-même la loi du concept idéal ; et que, si le sujet réussit à connaître l’objet sous ce

concept empirique, son concept idéal se met à exister de lui-même dans sa propre

identité. Il y a donc ici deux sortes de concepts : le concept donné et le concept purifié ;

le concept dans l’« acheminement empirique des idées » et le concept dans « l’horizon

de l’idéalité »

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; le concept empirique et le concept idéal. Mais, ces deux sortes de

concepts ne seraient, au fond, que l’envers et l’endroit du même Concept.

De tels concepts, en se combinant, peuvent se construire comme un ensemble

conceptuel : une structure. Car chaque concept ne paraît pas isolément, mais plutôt dans

les relations avec d’autres concepts : un concept donné a généralement des relations

solides avec des concepts contigus ; mais aussi, il a certaines relations avec des concepts

écartés ; bien plus, ces autres concepts, eux-mêmes aussi, ont des relations solides ou

fragiles avec d’autres concepts contigus ou écartés ; il y a ainsi une grande architecture

conceptuelle, à savoir la structure. Celle-ci consiste, de fait, en la détermination des

concepts et les relations entre eux : par exemple, c’est « la définition qui en [du concept]

est donnée, l’utilisation qu’on en fait, le champ dans lequel on essaie de le valider, les

transformations qu’on lui fait subir, la manière dont on le généralise ou dont on le

transfère d’un domaine dans un autre »

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; c’est également, si l’on se souvient que la

science est composée de concepts, « les formes de propositions qu’elle [la science] a

reconnaît comme valable, les types d’inférence auxquels elle a recours, les règles

qu’elle se donne pour lier les énoncés les uns aux autres ou pour les rendre équivalents,

les lois qu’elle pose pour régir leurs transformations ou leurs substitutions »

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. C’est là

la structure. Cependant, ici aussi, il faudrait sans doute distinguer deux sortes de

structures : la structure empirique et la structure idéale. Tout d’abord, il y a la structure

empirique. Celle-ci n’est pas encore un ensemble général mais spécifique, parce que ses

concepts aussi sont empiriques, en possédant leurs propres caractères factuels et réels, à

savoir incohérents avec d’autres concepts. Mais, comme nous l’avons vu, les concepts

empiriques détiennent potentiellement en eux-mêmes la loi du concept idéal. Donc,

depuis l’origine de l’histoire, selon que l’activité de connaissance continue à réussir,

leurs concepts idéaux se mettent à exister, en se construisant comme la structure idéale.

A la fin de l’histoire, la structure idéale paraîtrait dans son intégralité. Ainsi, elle n’est

plus spécifique mais générale, parce que ses concepts sont idéaux, en possédant leurs

propres caractères purs et possibles, à savoir cohérents avec les autres concepts ; et

qu’ils se constituent, de manière logique, formelle et déductive, comme la structure

27L’archéologie du savoir, p. 84 (souligné par Foucault).

28 « Sur l’archéologie des sciences. Réponse au Cercle d’épistémologie », DE I, p. 728.

idéale. En somme, dans l’histoire, on va des concepts empiriques aux concepts idéaux,

de la structure empirique à la structure idéale et de l’ensemble spécifique à l’ensemble

général. Mais, généralement parlant, dans la mesure où il y a toujours une téléologie

visant la généralité, on pourrait dire que la structure se caractérise au fond comme

générale plutôt que comme spécifique.

A propos de cet élément du Concept, selon Foucault, il y a traditionnellement eu

une manière particulière de l’analyser : la « formalisation »

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. Dans cette pratique de

formalisation, on suppose que tout langage reposerait sur des concepts ; mais que

ceux-ci ne sont pas pleinement indiqués par le langage, parce que le langage n’est pas une

incarnation immédiate des concepts, mais seulement leur réflexion lointaine. Ainsi, on

doit s’efforcer de formaliser par-delà le langage ses concepts. La formalisation, c’est

reconstruire à partir d’un langage donné sa structure conceptuelle. Cette manière

d’analyse serait familière, en particulier, à l’« analyse de la langue »

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telle que la

linguistique ou le structuralisme ou à l’« analyse de la science » telle que l’histoire des

sciences ou l’épistémologie. En réalité, le premier Foucault même, nous semble-t-il, ne

s’est pas suffisamment libéré de cette formalisation. Car, dans ses premières recherches

historiques, il a entrepris de formaliser des structures des sciences modernes : par

exemple, dans son deuxième ouvrage principal, Naissance de la clinique, il a essayé de

reconstruire à partir de documents historiques une structure disciplinaire et

institutionnelle de la clinique ; ou, dans son troisième ouvrage principal, Les mots et les

choses, il a essayé de reconstruire à partir de documents historiques une structure

transdisciplinaire des sciences de l’homme. On pourrait expliquer ce type d’entreprise

ainsi : là, il faut renvoyer tous les langages des sciences en question à leurs formes

scientifiques, c’est-à-dire à leur structure conceptuelle, qu’il s’agisse de la structure

idéale établie comme système rationnel, ou de la structure empirique construite comme

effet idéologique ; tantôt, il faut montrer quel système du signifiant a existé derrière ces

sciences dans un domaine et une époque déterminés, et comment il fonctionnait comme

structure immobile pour contraindre les activités scientifiques ; tantôt, il faut montrer

quel obstacle épistémologique existait à l’intérieur des sciences dans un domaine et une

époque déterminés, et comment s’est produit la rupture épistémologique pour donner

30 Cf. Les mots et les choses, p. 312.

31 L’archéologie du savoir, p. 39. Cf. « Sur l’archéologie des sciences. Réponse au Cercle d’épistémologie », DE I, p. 705-706.

lieu à une structure plus scientifique. C’est là reconstruire à partir de documents

scientifiques la structure conceptuelle : la formalisation de la structure. De fait, dans

l’édition originale de Naissance de la clinique, Foucault a volontairement utilisé comme

instruments de formalisation les termes structuralistes, surtout le concept « structure » ;

mais, après L’archéologie du savoir, il a jugé que ces termes n’étaient pas adéquats, de

sorte qu’il les a systématiquement supprimés ou modifiés dans sa réédition

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. Bien plus,

juste lors de la parution de Les mots et les choses, Foucault a, jusqu’à un certain point,

reconnu qu’il l’avait écrit selon la méthode de formalisation, méthode structuraliste

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;

mais, après L’archéologie du savoir, il a jugé que cette méthode n’était pas adéquate, de

sorte que, lors de son édition anglaise, il a pris la peine d’y ajouter une nouvelle préface

pour prétendre rétrospectivement qu’il n’avait jamais recouru à l’analyse structuraliste

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.

Voilà pourquoi Foucault ne s’est pas suffisamment libéré de la formalisation de la

structure conceptuelle, c’est-à-dire de l’analyse du Concept. C’est ainsi que le Concept

a été traditionnellement accompagné par la seule modalité d’analyse, la formalisation.

En somme, le Concept correspond à des formes intellectuelles, qui d’une part

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