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De tels concepts énonciatifs, en se rapportant les uns aux autres, peuvent former un espace conceptuel, qui manifeste une configuration : une dispersion de concepts

Comme nous l’avons vu, tous les énoncés ont leur propre concept énonciatif. Bien sûr,

ces concepts ne sont ordinairement pas identiques entre eux, mais plutôt différents selon

l’énoncé. Ainsi, ils ne convergent jamais vers une unité de concepts comme le Concept ;

ils ne composent jamais, non plus, un ensemble conceptuel comme la structure,

c’est-à-dire « l’architecture conceptuelle d’un texte isolé, d’une œuvre individuelle, ou d’une

science en un moment donné »

221

; mais ils forment « leur dispersion anonyme à travers

textes, livres, et œuvres » , dans laquelle se déterminent, entre les concepts, « des

formes de déduction, de dérivation, de cohérence, mais aussi d’incompatibilité,

d’entrecroisement, de substitution, d’exclusion, d’altération réciproque, de déplacement,

etc »

222

. Bref, les concepts énonciatifs forment un « jeu de leurs apparitions et de leurs

dispersions »

223

. Mais, cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a là aucun ordre, mais

des « régularités et contraintes discursives qui ont rendu possible la multiplicité

hétérogène des concepts »

224

: on peut y reconnaître le « système commun qui rend

compte non seulement de leur émergence, mais de leur dispersion et éventuellement de

leur incompatibilité »

225

. C’est sous ce type de régularité que les concepts énonciatifs

forment une configuration, une dispersion de concepts. Là, on ne passe plus, à travers

l’activité de connaissance, du concept empirique au concept idéal, de la structure

empirique à la structure idéale et des ensembles spécifiques à l’ensemble général. Il ne

s’agit donc plus de saisir des concepts dans leur généralité ou leur spécificité au sens

traditionnel, mais plutôt dans leur spécificité effective. D’où, la dispersion de concepts

se caractérise comme effectivement spécifique. Seulement, cela ne signifie pas pour

autant qu’il n’y a aucune généralité dans cette dispersion-là. A partir de leur spécificité

effective, les concepts pourraient toujours faire apparaître en eux-mêmes un concept

comparativement général, qui ne pourrait subsister que dans un lieu déterminé et

pendant une période déterminée.

En somme, le concept énonciatif est une forme du langage, qui peut former avec

d’autres concepts énonciatifs une dispersion de concepts. C’est ainsi que l’énoncé a

comme forme le concept énonciatif.

Le quatrième élément du modèle de l’existence, c’est le « sens énonciatif ».

Celui-ci est un support matériel de l’énoncé. Alors que, dans le modèle de la

signification, le langage a pour matière le Sens, dans celui de l’existence, l’énoncé a

pour matière le sens énonciatif. Dans le dernier modèle, comme nous l’avons vu, il a

fallu s’affranchir du Sens. Ainsi, le langage a existé en lui-même sans aucun rapport au

Sens. Mais, cela ne signifie pas pour autant que cet énoncé n’a aucun support matériel.

221Ibid., p. 80. 222 Ibid., p. 80-81. 223Ibid., p. 49. 224Ibid., p. 84.

De fait, Foucault dit que l’énoncé a toujours « une existence matérielle »

226

: tant qu’il

est énoncé, il a toujours pour support matériel un sens. Celui-ci ne s’enracine bien

évidemment plus dans le corps au-dessous du langage, puisque ce corps-ci n’est au fond

que de l’ordre du Sens dans le modèle de la signification. Plutôt, ce sens est formé dans

l’énoncé même : l’énoncé forme en lui-même son sens, à savoir le sens énonciatif. Par

conséquent, l’énoncé est une existence préalable à son sens, alors que celui-ci n’est que

son effet. Bref, c’est l’énoncé même qui rend possible son sens.

Voyons plus concrètement le sens énonciatif. Foucault ne le mentionne pas en

tant que tel, mais il met en question sa matérialité. Cette matérialité énonciative se

distingue nettement de la matérialité de la proposition ou de la phrase, à savoir la

matérialité linguistique. Selon Foucault, cette dernière matérialité n’est pas répétable.

Car chaque langage apparaît toujours avec sa propre matérialité singulière, soit une voix

soit une écriture : chaque fois qu’un langage se trouve émis, il y a un support matériel ;

chacune de ces matières a son individualité spatio-temporelle, qui n’est pas répétable. Il

s’agit ici de la « matérialité sensible, qualitative, donnée sous la forme de la couleur, du

son ou de la solidité et quadrillé par le même repérage spatio-temporel que l’espace

perceptif »

227

. Or, cette matérialité linguistique fait toujours pendant avec la formalité

linguistique : en recourant à elles deux, on peut faire le langage. De fait, chaque langage

apparaît toujours avec sa formalité plus ou moins universelle, soit logique soit

grammaticale : chaque fois qu’un langage se trouve émis, on active les mêmes

formes linguistiques ; chacune de ces formes est si libre de toutes les contraintes

spatio-temporelles qu’elle est toujours activable. Bref, on réalise les mêmes formes

linguistiques dans diverses matières linguistiques. Par conséquent, pour comprendre ces

langages, il est généralement important, en neutralisant ses matières singulières, de lire

ses formes universelles. Ainsi Foucault dit : « le temps et le lieu de l’énonciation, le

support matériel qu’elle utilise deviennent alors indifférents au moins pour une grande

part : et ce qui se détache, c’est une forme qui est indéfiniment répétable et qui peut

donner lieu aux énonciations les plus dispersées »

228

. On pourrait voir ici un avantage

relatif de la formalité linguistique sur la matérialité linguistique. En tout cas, dans une

telle conception du langage, la matérialité linguistique n’est pas répétable : elle est

226L’archéologie du savoir, p. 131.

227Ibid., p. 134.

infiniment changée, alors que la formalité linguistique est infiniment conservée. En

revanche, la matérialité énonciative est répétable. De fait, Foucault dit que « malgré sa

matérialité, il [l’énoncé] peut être répété »

229

: l’énoncé a une « matérialité

répétable »

230

. Foucault analyse cette matérialité par rapport à trois champs : la

matérialité énonciative se répète en fonction de ces trois champs. Premièrement, le

champ de « réinscription » et de « transcription »

231

: la matérialité énonciative peut se

répéter si l’énoncé en question se réinscrit ou se transcrit sous certaines conditions, qui

concernent notamment des institutions matérielles. Par exemple, les différentes éditions

des Fleurs du Mal de Baudelaire ne donnent pas lieu à autant de jeux d’énoncés, mais

au même jeu d’énoncés. Là, on répète les mêmes énoncés à travers différents papiers,

encres, caractères : les différentes matérialités se répètent en tant que même. La

répétition dépend ici de l’institution matérielle du « livre ». Foucault l’explique : « un

livre, quel qu’en soit le nombre d’exemplaires ou d’éditions, quelles que soient les

substances diverses qu’il peut utiliser, c’est un lieu d’équivalence exacte pour les

énoncés, c’est pour eux une instance de répétition sans changement d’identité »

232

. La

matérialité énonciative est ainsi répétable si l’énoncé se réinscrit ou se transcrit selon

certaines institutions matérielles. Deuxièmement, le « champ de stabilisation »

233

: la

matérialité énonciative peut se répéter si l’énoncé en question se stabilise par rapport à

d’autres énoncés. Par exemple, l’affirmation que la terre est ronde ne constitue pas le

même énoncé avant et après Copernic. Car changent alors le rapport de cette affirmation

à d’autres propositions, ses conditions d’utilisation et de réinvestissement ou le domaine

d’expérience, de vérification possible, de problèmes à résoudre auquel on peut le

référer : il y a une déstabilisation du rapport de l’affirmation à d’autres énoncés. Mais,

une fois ce rapport stabilisé, l’affirmation reste identique à soi à travers plusieurs livres,

doctrines, théories. C’est pourquoi ses différentes matérialités se répètent en tant que

même. Troisièmement, le « champ d’utilisation »

234

: la matérialité énonciative peut se

répéter si l’énoncé en question s’utilise sous certaines conditions. Par exemple, soit une

formulation scientifique. Si on l’utilise pour en faire ressortir la structure grammaticale,

229Ibid. 230Ibid. 231 Cf. ibid., p. 134-136. 232Ibid., p. 135. 233 Cf. ibid., p. 136-137. 234 Cf. ibid., p. 137.

la configuration rhétorique ou les connotations dont il est porteur, il faut la distinguer de

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