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En somme, le Sens correspond à des supports matériels, qui d’une part peuvent s’organiser comme genèse et d’autre part peuvent être analysés par l’interprétation

C’est ainsi que le langage a comme matière le Sens.

Dans le modèle de la signification, il y a donc quatre éléments dans le

mécanisme général du langage : l’Objet, le Sujet, le Concept et le Sens. Cependant,

ceux-ci, en pratique, ne se séparent pas nécessairement nettement entre eux. D’ordinaire,

ils s’interpénètrent. On met souvent en question l’Objet non pas isolément, mais à

travers le Concept ou le Sens : il ne s’agit pas seulement de l’Objet, mais du Concept de

l’Objet ou du Sens de l’Objet, par exemple de la structure de l’objet ou de l’expérience

de l’objet. On met souvent en question le Sujet non pas isolément, mais à travers le

Concept ou le Sens : il ne s’agit pas seulement du Sujet, mais du Concept du Sujet ou

du Sens du Sujet, par exemple de l’entendement du sujet ou de la sensibilité du sujet.

On met souvent en question le Concept non pas isolément, mais à travers l’Objet ou le

42Ibid., p. 39-40 ; « Sur l’archéologie des sciences. Réponse au Cercle d’épistémologie », DE I, p. 706.

43 Ibid., p. 727.

Sujet : il ne s’agit pas seulement du Concept, mais de l’Objet du Concept ou du Sujet du

Concept, par exemple du référent du concept ou de l’opération du concept. On met

souvent en question le Sens non pas isolément, mais à travers l’Objet et le Sujet : il ne

s’agit pas seulement du Sens, mais de l’Objet du Sens ou du Sujet du Sens, par exemple

de la source du sens ou de la synthèse du sens. Bien plus, on met souvent en question

non pas l’Objet lui-même ou le Sujet lui-même, mais la relation entre les deux : il ne

s’agit pas seulement de l’Objet ou du Sujet, mais de l’Objet-Sujet ou du Sujet-Objet, par

exemple de l’affection que l’objet apporte au sujet ou de l’intention que le sujet porte à

l’objet. On met souvent en question non pas le Concept lui-même ou le Sens lui-même,

mais l’unité entre les deux : il ne s’agit pas seulement du Concept ou du Sens, mais du

Concept-Sens ou du Sens-Concept, par exemple de la structure de l’inconscient ou de la

genèse de la science. C’est ainsi que les quatre éléments du mécanisme du langage se

combinent mutuellement. Néanmoins, il ne faut pas penser que ces quatre éléments

fusionnent parfaitement comme une seule et même existence. Ils existent, en principe,

chacun séparément : les quatre existences diffèrent radicalement dans leur nature. Par

conséquent, l’Objet n’est qu’une cible préalable au langage ; le Sujet n’est qu’un

opérateur préalable au langage ; le Concept n’est qu’une forme intellectuelle préalable

au langage ; le Sens n’est qu’un support matériel préalable au langage. Le langage, en

revanche, n’est que leur effet ou leur réflexion. Bref, ce sont ces quatre éléments qui

rendent possible le langage : les premiers composent le second. Au fond, ces quatre

éléments correspondent aux quatre préjugés traditionnels que Foucault a critiqués, de

manière non thématique mais assez claire, dans L’archéologie du savoir

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; c’est en les

refusant qu’il a pu arriver au modèle de l’existence sur le langage. En conséquence, on

pourrait dire que ces quatre éléments sont quelque chose comme les causes du langage :

l’Objet correspondrait, disons, à la « cause finale », le Sujet à la « cause motrice », le

Concept à la « cause formelle » et le Sens à la « cause matérielle ». Ou bien, si l’on tient

compte du point selon lequel, dans la philosophie de la connaissance depuis Kant, la

causalité ne vaut que comme une catégorie dans la faculté de connaissance du sujet

transcendantal, on pourrait sans doute remplacer le terme de cause par celui de

condition : l’Objet correspondrait à la condition finale, le Sujet à la condition motrice, le

Concept à la condition formelle et le Sens à la condition matérielle. Mais, en tout cas,

les quatre éléments en question provoquent le langage, et, dans cette mesure, ils jouent

d’une certaine manière le rôle de cause pour le langage. Ce qu’on reconnaît là, ce n’est

au fond rien d’autre qu’une tradition essentielle de la philosophie occidentale, à savoir

celle de la théorie des quatre causes d’Aristote. De fait, dans ses études sur ce premier

métaphysicien, cours au Collège de France en 1970-1971, Foucault remarque

l’importance de cette théorie : après Platon qui s’est encore partiellement lié à certains

arguments sophistiques, Aristote a bâti cette théorie métaphysique pour établir

définitivement l’espace intérieur de la philosophie occidentale, de sorte que sa théorie

s’est développée jusqu’à nos jours en passant par des versions diverses

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. Selon

l’analyse foucaldienne, c’est par cette théorie de la quadruple causalité qu’Aristote

fonde la philosophie elle-même sur quatre causes. Premièrement, la philosophie doit

toujours se porter vers la connaissance pure du monde, c’est-à-dire la vérité dans les

choses ; c’est cette vérité naturelle, ou « objective », qui est sa cause finale.

Deuxièmement, la philosophie doit toujours s’opérer par la contrainte spirituelle de la

vérité, c’est-à-dire la vérité dans l’esprit du philosophe ; c’est cette vérité efficiente, ou

« subjective », qui est sa cause motrice. Troisièmement, la philosophie doit toujours se

référer à la structure formelle de l’intelligence, c’est-à-dire la vérité dans la forme ; c’est

cette vérité idéale ou conceptuelle qui est sa cause formelle. Quatrièmement, la

philosophie doit toujours s’appuyer sur l’Etre des choses, c’est-à-dire la vérité dans la

matière ; c’est cette vérité substantielle ou sensible qui est sa cause matérielle. Bref, la

philosophie se fonde sur ces quatre vérités ou ces quatre causes finale, motrice, formelle

et matérielle. C’est pourquoi Foucault résume ainsi :

Le philosophe est dans la vérité : il y est de plein droit, d’entrée de jeu. C’est elle qui est

substantiellement présente dans ce dont il parle [la cause matérielle] ; c’est elle qui agit

de façon efficiente dans le développement de la philosophie [la cause motrice] ; c’est elle

qui donne forme à la singularité de chaque philosophie [la cause formelle] ; c’est elle qui

sert de fin à tous les propos du philosophe [la cause finale]. Le philosophe est guidé par

la quadruple causalité de la vérité

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.

46 Cf. Leçons sur la volonté de savoir, p. 32-38.

Le philosophe existe dans la vérité ou, plus précisément, il est encadré par quatre sortes

de vérités en tant que causes. Ce sont ces quatre éléments qui circonscrivent l’espace

intérieur de la philosophie, en permettant de philosopher. Autrement dit, ce sont eux qui

réalisent « une certaine intériorité de la philosophie »

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, « celui [le principe] de

l’intériorité, ou de l’inaccessibilité de la philosophie à partir de l’extérieur »

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. Par

conséquent, nous pourrions dire ainsi : la vérité « objective » serait une cible préalable à

la philosophie ; la vérité « subjective » serait un opérateur préalable à la philosophie ; la

vérité conceptuelle serait une forme intellectuelle préalable à la philosophie ; la vérité

sensible serait un support matériel préalable à la philosophie. La philosophie, en

revanche, ne serait autre chose que leur effet. Bref, ce sont ces quatre éléments qui

rendraient possible la philosophie : les premières composent la seconde. C’est ainsi que

ces quatre vérités jouent le rôle de cause pour la philosophie. C’est bien cette théorie

aristotélicienne qui s’est développée depuis l’aurore de la philosophie jusqu’à nos jours,

et, donc, même si Foucault ne l’indique pas précisément, la présente philosophie de la

connaissance, encadrée par une autre série de quatre éléments, ne serait au fond rien

d’autre qu’une version moderne de cette tradition philosophique. Voilà pourquoi ces

quatre éléments, l’Objet, le Sujet, le Concept et le Sens, ne sont autre chose que des

causes du langage. C’est ainsi qu’il y a ces quatre éléments dans le modèle de la

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