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la configuration rhétorique ou les connotations dont il est porteur, il faut la distinguer de sa traduction dans une autre langue : les deux énoncés ne sont pas identiques ; on doit

penser que leurs matérialités énonciatives ne se répètent pas du tout. En revanche, si

l’on utilise cette formulation pour la faire entrer dans une procédure de vérification

expérimentale, il ne faut plus la distinguer de sa traduction : les deux énoncés sont

identiques de ce point de vue ; on peut penser que leurs matérialités énonciatives se

répètent en tant que même. C’est ainsi que la matérialité énonciative peut se répéter

selon le champ de réinscription-transcription, celui de stabilisation et celui d’utilisation.

C’est la raison pour laquelle elle se distingue de la matérialité linguistique : la première

peut être répétée dans certaines conditions, alors que la seconde doit être chaque fois

changée. En réalité, cette matérialité énonciative se superposerait, jusqu’à un certain

point, à ce dont nous avons parlé comme les trois aspects dans l’existence de l’énoncé :

comme il a été déjà indiqué, l’énoncé apparaît comme événement, fonctionne comme

pratique et subsiste comme chose ; ces trois aspects expliquent l’existence de l’énoncé

et par là probablement aussi la matérialité énonciative ; la matérialité incorporelle, statut

paradoxal de la notion d’événement, serait au fond une autre expression de la

matérialité énonciative. Par conséquent, l’énoncé pourrait se rapporter, à travers cette

matérialité énonciative, à la matérialité non énonciative : la matérialité énonciative lui

sert de passage au monde extérieur ou au domaine non langagier. De fait, c’est pour cela

que, dans L’archéologie du savoir qui ne traite pas du domaine non langagier, Foucault

s’y réfère exceptionnellement dans quelques passages sur ce quatrième élément de

l’énoncé, presque jamais sur les autres éléments de l’énoncé. Or, en parlant de cette

matérialité énonciative, nous avons jusqu’ici mis en question un certain ensemble de

matières énonciatives. C’est cette matière comme élément constituant qui n’est autre

chose que le sens énonciatif. Celui-ci conserve dans sa matérialité toujours une

ambiguïté : c’est d’abord la sensibilité qui accompagne l’énoncé avec l’entendement

dont le rôle est joué par le concept énonciatif ; mais c’est également le contenu énoncé

qui aussi l’accompagne avec la forme d’énonciation dont se charge toujours le concept

énonciatif. Bref, le sens énonciatif est un support matériel qui est constitué à la fois de

la sensibilité énonciative et du contenu énonciatif. C’est ce sens énonciatif que l’énoncé

forme en lui-même. Voilà pourquoi, comme F. Gros le fait remarquer

235

, Foucault a

affirmé dans ses études sur Raymond Roussel : « dire a le pouvoir merveilleux de

donner à voir »

236

. A savoir que le langage déploie en lui-même toujours la visibilité ou

la sensibilité. C’est dans le prolongement de cette idée que Foucault affirmerait que

l’énoncé déploie en lui-même toujours le sens énonciatif. C’est pourquoi il ne faut plus

se demander si un énoncé donné a ou pas quelque sens, c’est-à-dire s’il s’agit de

l’existence du sens ou de son absence. Car tout énoncé a toujours son propre sens

énonciatif, même si l’on traite d’un énoncé qui n’exprime aucune pensée significative,

même si c’est celui que le non-Occidental a dit en dehors de l’esprit occidental. Le sens

énonciatif n’est donc pas un simple sens qu’on saisit dans la dichotomie entre

l’existence et l’absence ; il est plutôt un sens qu’on saisit au niveau de l’« il y a ». En

d’autres termes, il n’est pas un simple sens tel que le sujet l’unit au concept en

connaissant l’objet ; il est plutôt une position du sens ou une existence même du sens.

Or, ce sens énonciatif n’a plus aucune relation avec l’« activité de

connaissance » dans le modèle de la signification. Ainsi, on n’approfondit plus, à

travers l’activité de connaissance, des sens empiriques vers les sens fondamentaux. De

fait, la dichotomie entre le sens empirique et le sens fondamental serait ce qui peut se

superposer, au fond, à la dichotomie entre l’existence et l’absence du sens que nous

avons refusée tout à l’heure. Il n’y a donc plus deux classes de sens, le sens empirique et

le sens fondamental, mais une seule et même sorte de sens, le sens énonciatif : on ne

voit plus que des sens passent téléologiquement du niveau empirique au niveau

fondamental, mais qu’ils continuent à se mettre aléatoirement en jeu au niveau

historique. Bref, le sens énonciatif n’est plus ni fondamental ni empirique, mais

historique. Là encore, il ne s’agit bien sûr plus ni de l’historicité transcendantale ni de

l’historicité empirique, mais de l’historicité effective. Il n’y a donc que des sens

énonciatifs effectivement historiques, à partir desquels il faut reprendre ce qu’on a

jusqu’ici appelé le sens fondamental et le sens empirique, à savoir le Sens, en tant que

cas particulier du sens énonciatif.

De tels sens énonciatifs, en se rapportant les uns aux autres, peuvent former une

configuration : une dispersion de sens. Comme nous l’avons vu, tous les énoncés ont

leur propre sens énonciatif. Ces sens, tant qu’ils sont répétables comme matière

énonciative, peuvent être parfois identiques entre eux. Mais, quand même, ils peuvent

236 « Dire et voir chez Raymond Roussel », DE I, p. 214. Cf. « Pourquoi réédite-t-on l’œuvre de Raymond Roussel ? Un précurseur de notre littérature moderne », DE I, p. 422

en principe différer selon l’énoncé. Ainsi, ils ne convergent jamais vers une unité des

sens comme le Sens ; ils ne composent jamais, non plus, un ensemble des sens comme

la genèse ; mais ils forment leur dispersion où se distribuent des points de choix

théorique. Comme nous l’avons vu, dans le modèle de la signification, les sens ont pu

constituer non seulement les sensations, mais aussi, au-delà, l’expérience, l’opinion, la

pensée, le thème, la théorie, etc. ; dans celui de l’existence aussi, les sens énonciatifs

concernent non seulement les sensations, mais aussi des possibilités du contenu énoncé,

à savoir des points de choix théorique. C’est pourquoi Foucault exprime la dispersion de

sens plus positivement en d’autres termes : « la dispersion des points de choix »

237

;

« les différentes possibilités qu’il [le discours] ouvre de ranimer des thèmes déjà

existants, de susciter des stratégies opposées, de faire place à des intérêts inconciliables,

de permettre, avec un jeu de concepts déterminés, de jouer des parties différentes »

238

.

Bien plus, en considérant les thèmes ou les théories comme « stratégie »

239

, il dit

également qu’il s’agit du « champ de possibilités stratégiques »

240

. Voilà la dispersion

de sens. Mais, cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a là aucun ordre, mais une

régularité historique : « le système de formation des différentes stratégies »

241

. On peut

y reconnaître « la loi de formation et de dispersion de toutes les options possibles »

242

.

C’est sous cette régularité que les sens énonciatifs forment une configuration, une

dispersion de sens. Là, on ne passe plus, à travers l’activité de connaissance, du sens

empirique au sens fondamental, de la genèse empirique à la genèse fondamentale et des

ensembles locaux à l’ensemble global. Il ne s’agit donc plus de saisir des sens dans leur

globalité ou leur localité au sens traditionnel, mais plutôt dans leur localité effective.

D’où, la dispersion de sens se caractérise comme effectivement locale. Seulement, cela

ne signifie pas pour autant qu’il n’y a aucune globalité dans cette dispersion-là. A partir

de leur localité effective, les sens pourraient toujours faire apparaître en eux-mêmes un

sens comparativement global, qui ne pourrait subsister que dans un lieu déterminé et

pendant une période déterminée.

237 L’archéologie du savoir, p. 52. 238Ibid., p. 51. 239 Cf. ibid., p. 85. 240

« Sur l’archéologie des sciences. Réponse au Cercle d’épistémologie », DE I, p. 718 ; L’archéologie du savoir, p. 52.

241Ibid., p. 91.

En somme, le sens énonciatif est un support matériel du langage, qui peut former

avec d’autres sens énonciatifs une dispersion de sens. C’est ainsi que l’énoncé a comme

matière le sens énonciatif.

Dans le modèle de l’existence, il y a donc quatre éléments dans le mécanisme

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