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En somme, le Concept correspond à des formes intellectuelles, qui d’une part peuvent se construire comme structure et d’autre part peuvent être analysées par la

formalisation. C’est ainsi que le langage a comme forme le Concept.

Le quatrième élément du modèle de la signification, c’est le Sens. Celui-ci est un

support matériel où le Sujet exerce le langage sur l’Objet à travers le Concept. Le

langage a pour matière le Sens. Mais il faut faire attention à la double acception de ce

mot. Le Sens indique premièrement la sensibilité ou sa sensation. Celle-ci sert de

support matériel au langage : elle donne son propre corps au Concept comme forme

vide, en sorte que se présente le langage. A ce moment-là, tandis que le Concept est une

forme du langage, la sensation est un contenu du langage, à savoir ce que veut dire le

langage. Dans cette mesure, le Sens indique deuxièmement le signifié. En somme, le

Sens indique à la fois le contenu senti et le contenu signifié. On pourrait dire cependant

qu’au fond s’unissent ces deux contenus. En conservant cette double acception du mot,

le Sens sert de matière au langage. Ainsi, de même que le Concept, ce Sens est d’avance

présupposé par le langage, et se prépare à aider le Sujet à connaître l’Objet à travers le

langage. De fait, comme nous l’avons déjà vu, l’activité de connaissance est « le

32Cf. L’archéologie du savoir, p. 27 ; D. Defert, « Chronologie », DE I, p. 41.

33 Cf. « La philosophie structuraliste permet de diagnostiquer ce qu’est “aujourd’hui” », DE I, p. 583.

mouvement d’un logos qui élève les singularités jusqu’au concept ». Ces singularités-là

ne sont autre chose que les contenus sentis et à signifier, c’est-à-dire le Sens. Pour

procéder à l’activité de connaissance, on a essentiellement besoin de l’aide du Sens.

Ainsi, dans cette activité, il y a tout d’abord l’Objet et le Sujet face à face. Ensuite, le

Sujet trouve dans son intuition les singularités de l’Objet, à savoir les contenus sentis.

Ceux-ci sont déjà clairs grâce au fonctionnement de notre sensibilité, mais ils ne sont

pas encore distincts à cause de l’absence du fonctionnement de notre entendement. Pour

que le Sujet connaisse l’Objet de manière claire et distincte, ou qu’il élève les contenus

sentis au concept, il faut passer par le langage. C’est dans celui-ci que se rencontrent les

contenus sentis et le concept. Là, comme la matière est individualisée par la forme, les

contenus sentis sont individualisés par le concept. Il en résulte que, dans ce langage, ils

deviennent les contenus signifiés, alors que le concept devient la forme signifiante.

C’est ainsi que, en recourant au Sens, le Sujet peut connaître l’Objet. Donc, le Sens est

un support matériel préalable au langage. En revanche, le langage n’est que son effet ou

sa réflexion. C’est bien le Sens distingué par le Concept, ou inversement le Concept

clarifié par le Sens : en d’autres termes, « ce serait une pensée revêtue de ses signes et

rendue visible par les mots, ou inversement ce seraient les structures mêmes de la

langue mises en jeu et produisant un effet de sens »

35

. Bref, c’est le Sens qui rend

possible le langage. Or, si le sujet réussit à connaître l’objet sous le concept et sur le

sens donné, comme nous l’avons vu, cet objet est saisi en tant qu’objet scientifique ; ce

sujet se saisit en tant que sujet transcendantal ; ce concept se saisit en tant que concept

idéal. Mais ce n’est pas tout. Si le sujet exerce l’acte fondateur, alors le sens donné est

saisi en tant que sens fondamental. Ainsi, on pourrait dire que le sens empirique détient

potentiellement en lui-même la loi du sens fondamental ; et que, si le sujet réussit à

connaître l’objet sur le sens donné, son sens fondamental se met à exister de lui-même

dans sa propre identité. Ce sens fondamental, ce serait en d’autres termes une sensation,

une expérience ou une pensée fondamentales, c’est-à-dire un « projet fondamental »

36

.

Il y a donc ici deux sortes de sens : le sens donné et le sens fondamental ; l’opinion

superficielle et la pensée fondamentale ; la doxa empirique et le « projet fondamental ».

Mais, ces deux sortes de sens ne seraient, au fond, que l’envers et l’endroit du même

Sens.

35L’ordre du discours, p. 48.

De tels sens, en confluant, peuvent s’organiser comme un ensemble sensible :

une genèse. Car chaque sens n’apparaît pas isolément, mais plutôt dans l’enchaînement

avec d’autres sens : un sens donné a toujours des liaisons lourdes avec des

sens environnants ; mais aussi, il a certaines liaisons avec des sens éloignés ; bien plus,

ces autres sens, eux-mêmes aussi, ont des liaisons lourdes ou légères avec d’autres sens

environnants ou éloignés ; il y a ainsi un grand enchaînement des sens, à savoir la

genèse. Ou bien, disons autrement : des sensations, en confluant, organisent une opinion

ou une pensée ; des opinions ou des pensées, en confluant, organisent un thème ou une

théorie ; des thèmes ou des théories, en confluant, organisent justement une « vision du

monde » ou une « mentalité de l’époque » ; il y a ainsi une grande évolution théorique, à

savoir la genèse. Celle-ci existe toujours avant le langage, en attendant d’être exprimée

par lui. Ainsi, à ce niveau de la genèse se décident tous les contenus des langages ; et

aussi se font tous les choix théoriques ou scientifiques. Sur ce point, on pourrait se

référer à la remarque foucaldienne suivante : « l’opinion constitue le noyau central, le

foyer à partir duquel se déploie tout l’ensemble des énoncés scientifiques ; l’opinion

manifesterait l’instance des choix fondamentaux (métaphysiques, religieux, politique)

dont les divers concepts de la biologie, ou de l’économie, ou de la linguistique, ne

seraient que la version superficielle et positive, la transcription dans un vocabulaire

déterminé, la masque aveugle à lui-même »

37

. C’est à partir de ce niveau de l’opinion ou

de la genèse que se déploient tous les langages. Cependant, ici aussi, il faudrait sans

doute distinguer deux sortes de genèses : la genèse empirique et la genèse fondamentale.

Tout d’abord, il y a la genèse empirique. Celle-ci n’est pas encore un ensemble global,

mais une simple somme d’ensembles locaux, parce que ses sens aussi sont empiriques,

en possédant leurs propres caractères factuels et réels, à savoir discordants avec d’autres

sens. Mais, comme nous l’avons vu, les sens empiriques détiennent potentiellement en

eux-mêmes la loi du sens fondamental. Donc, depuis l’origine de l’histoire, selon que

l’activité de connaissance continue à réussir, c’est-à-dire selon « la dialectique de leur

[opinions] conflit »

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, leurs sens fondamentaux se mettent à exister, en s’organisant

comme la genèse fondamentale. A la fin de l’histoire, la genèse fondamentale

émergerait dans son intégralité. Ainsi, elle n’est plus une somme des ensembles locaux,

mais un ensemble global, parce que ses sens sont fondamentaux, en possédant leurs

37 « Sur l’archéologie des sciences. Réponse au Cercle d’épistémologie », DE I, p. 728.

propres caractères purs et possibles, à savoir concordants avec les autres sens. En

somme, dans l’histoire, on va des sens empiriques aux sens fondamentaux, de la genèse

empirique à la genèse fondamentale et de la somme des ensembles locaux à l’ensemble

global. Mais, généralement parlant, dans la mesure où il y a toujours une téléologie

visant la globalité, on pourrait dire que la genèse se caractérise au fond comme globale

plutôt que comme locale.

A propos de cet élément du Sens, selon Foucault, il y a traditionnellement eu une

manière particulière de l’analyser : l’« interprétation »

39

. Dans cette pratique

d’interprétation, on suppose que tout langage reposerait sur un sens ; mais que celui-ci

n’est pas pleinement représenté par le langage, parce que le langage n’est pas une

solidification immédiate du sens, mais seulement sa réflexion lointaine. Ainsi, on doit

s’efforcer d’interpréter par-delà le langage son sens. L’interprétation, c’est redécouvrir à

partir d’un langage donné son foyer sémantique

40

. Cette manière d’analyse serait

familière, en particulier, à l’« analyse de la pensée » telle que la psychologie ou la

psychanalyse au sens vulgaire ou à l’« analyse de la société » telle que la sociologie ou

le marxisme au sens vulgaire. En réalité, le premier Foucault même, nous semble-t-il, ne

s’est pas suffisamment libéré de cette interprétation. Car, dans ses premières recherches

historiques, il a entrepris, jusqu’à un certain point, d’interpréter l’inconscience profond

de la mentalité occidentale ou l’expérience fondamentale de la société occidentale :

dans l’Histoire de la folie, il a essayé de redécouvrir à partir de documents historiques

l’expérience fondamentale de la folie dans la société occidentale ; dans la Naissance de

la clinique, il a essayé de redécouvrir le « non-pensé » profond de la médecine moderne

dans la mentalité occidentale ; dans Les mots et les choses, il a essayé de redécouvrir

l’expérience profonde de l’ordre des mots et des choses dans la civilisation

occidentale

41

. On pourrait expliquer ce type d’entreprise ainsi : là, il faut renvoyer tous

les langages historiques à leur foyer sémantique, soit psychique ou social, soit

individuel ou collectif ; tantôt, il faut « retrouver par-delà les énoncés eux-mêmes

l’intention du sujet parlant, son activité consciente, ce qu’il a voulu dire, ou encore le

jeu inconscient qui s’est fait jour malgré lui dans ce qu’il a dit ou dans la presque

39 Cf. Les mots et les choses, p. 312.

40

Cf. L’archéologie du savoir, p. 36, 143-145 ; « Sur l’archéologie des sciences. Réponse au Cercle d’épistémologie », DE I, p. 704-705.

41 Cf. « Préface [à l’Histoire de la folie] », DE I ; Naissance de la clinique. Une archéologie du regard, p. VII-VIII, XV, 201; Les mots et les choses, p. 11-13 ; L’archéologie du savoir, p. 26-27.

imperceptible cassure de ses paroles manifestes ; de toute façon il s’agit de reconstituer

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