• Aucun résultat trouvé

Lorsqu’ils se plaignent des rigueurs de leur Dame, les poètes lyriques s’identifient souvent au personnage de Narcisse. Ils craignent de partager le sort du jeune homme qui s’est perdu dans les eaux de la fontaine. Comme l’explique très bien Marie-Noëlle Toury dans la conclusion de son ouvrage sur la mort et la

fin’amor, les trouvères ont fait des « personnages romanesques leurs parangons, la

mort leur apparaît comme la preuve irréfutable de la qualité de l’amour145 ». C’est pourquoi la figure de Narcisse a pu provoquer un tel engouement. Le rapprochement entre la passion impossible et mortifère que le héros mythologique conçoit pour lui-même et l’amour impossible du poète pour une dame entraîne inévitablement le poète à souhaiter la mort. Marie-Noëlle Toury a une formule intéressante lorsqu’elle soutient que « le sujet de la poésie lyrique dit la mort dans ses chansons, aussi nettement que le personnage de roman meurt effectivement d’amour146 ». Elle précise bien dans la suite que la perspective est légèrement différente puisque si les personnages romanesques la trouvent (Pyrame et Thisbé meurent tout comme Narcisse, Didon ou Tristan), le sujet lyrique la désire. Le poète exprimerait donc par son chant un désir de mort, impossible à atteindre, tout comme son amour est impossible à réaliser. Son poème serait donc l’expression de cette double impossibilité. La création poétique est le fruit du désir inassouvi. Narcisse devient le référent de l’amour impossible qui conduit à la mort. Son nom seul suffit à faire converger un faisceau de significations denses où mort et amour s’entremêlent. La mort d’amour est intégrée à l’écriture poétique et se diffracte sous des motifs qui se perpétuent pour donner naissance à des clichés romanesques qui perdurent jusqu’à

145 TOURY, Marie-Noëlle. Mort et Fin’Amor, op. cit., p. 298.

fin du XIIIe siècle147. Un de ces motifs qui expriment la mort d’amour est la folie d’amour qui se trouve très souvent associée à Narcisse notamment dans la poésie lyrique ; la folie constitue un premier pas sur le chemin de la mort.

Le trouvère Thibaut de Champagne ne se contente pas d’une simple comparaison entre le je du poète amant et le personnage mythologique, il va plus loin puisqu’il affirme que le poète amant est Narcisse148. Le rejet qu’il subit de la part de celle qu’il désire l’entraine à connaître un sort identique à celui du héros ovidien. Néanmoins dès les vers suivants, l’identification complète du poète à Narcisse est nuancée :

Noiez sui près, loing est ma garison, S’entendré je touz jorz a son servise149.

Le poète condense dans ces deux vers une série d’oppositions qui contredisent les vers précédents. À la mort par noyade qui ouvre le vers 37 répond en fin de vers la guérison. Le chiasme entre les adverbes près et loing suggère que le poète n’est pas dans une situation très favorable. La métaphore de la maladie apparaît avec la garison, qui n’est pas envisageable d’après le poète. La mélancolie amoureuse l’a atteint tout comme Narcisse. Il n’est pas encore tout à fait mort et il est encore capable d’affirmer sa fidélité sans faille à sa bien-aimée. Comme le souligne très bien Marie-Noëlle Toury, c’est le mépris de la dame qui entraîne le désir de mort mais ce désir est rapidement contrebalancé au vers 38 par « l’affirmation de son infaillible fidélité150 ». Elle explique par la suite que le substitut poétique de la mort d’amour est bien souvent la folie, folie provoquée par le chagrin d’amour. D’après elle, cette folie est « la représentation à peine atténuée de la mort d’amour151 ». Le poète exprime ses doutes à l’égard de ce qu’il ressent :

Ensi ne sai se faz sens ou foloi, Car cist esgarz va par son jugement152.

147 TOURY, Marie-Noëlle. Mort et Fin’Amor, op. cit., p. 297. Il s’agit des modèles de la folie d’amour ou du dilemme impossible.

148 THIBAUT DE CHAMPAGNE. Les Chansons de Thibaut de Champagne, éd. cit. Chanson XXII, v. 36 : « Narcisus sui, qui noia tout par soi ».

149 Ibid., Chanson XXII, v. 37-38.

150 TOURY, Marie-Noëlle. Mort et Fin’Amor, op. cit., p. 135

151 Ibid., p. 215. Cette dimension est présente dans le roman surtout, Marie-Noëlle Toury précise que « la folie d’amour des poètes n’est pas univoque comme dans le roman mais surtout elle reste de l’ordre de la dialectique ou du jugement moral ». Dans une sous-partie consacrée à « La folie » (p. 215-225), elle ajoute (p. 218) : « L’amour est obligatoirement folie, sinon il n’est pas. ».

152 THIBAUT DE CHAMPAGNE. Les Chansons de Thibaut de Champagne, éd. cit. Chanson XXII, v. 31-32.

Incapable de distinguer « sens » et « folie », son esprit est aliéné et par conséquent c’est une première étape vers la mort qui est engagée. La mort d’ailleurs fait son apparition dès la strophe suivante en même temps que Narcisse. Si le poète amant ne se noie pas comme Narcisse, il meurt symboliquement sous le coup de la folie.

Le poète parvient à s’identifier à Narcisse sans convoquer le motif du miroir, seule l’image de la mort d’amour est nécessaire. Il évoque au tout début de sa chanson les trois issues possibles qu’il peut connaître face aux rigueurs de sa dame : « Guerir l’estuet ou morir ou remaindre153 ». L’alternative entre guérir ou mourir est exprimée à la toute fin de la chanson juste avant l’envoi dans lequel le poète supplie sa dame. Finalement cela n’indiquerait-il pas au lecteur que le choix du poète est de

remaindre ? En attendant que la dame change d’attitude, il compose des chansons

sur la mort d’amour prochaine et la guérison lointaine. Cette attente se solde par sa folie probable…

Dame, merci ! qu’aie de vos pardon ! Se je vous aim, ci a bel entreprise. Je ne puis pas bien couvrir ma reson, Si le savrez encore, si con je croi154.

Le poète implore vivement le pardon de sa dame à l’aide de tournures exclamatives. Il développe ensuite son argumentaire en mettant en avant sa folie, responsable de tout. La parataxe du dernier vers du passage intensifie la déresponsabilisation de l’amoureux et la supériorité de la dame qui sait tout. La mort d’amour reste envisagée mais elle ne se trouve pas réalisée dans le poème, seule la raison chancelante du poète est malmenée.

On retrouve la même idée dans la célèbre chanson de Bernart de Ventadour « Can vei la lauzeta mover »155. Le poète reconnaît sa folie : « et ai be faih co’l fols en pon156 ». Mais cet état de démence était déjà présent auparavant :

Anc non agui de me poder ni no fui meus de l’or’en sai ue’m laisset en sos olhs vezer157.

153 THIBAUT DE CHAMPAGNE. Les Chansons de Thibaut de Champagne, éd. cit. Chanson XXII, v. 2 ; TOURY, Marie-Noëlle. Mort et Fin’Amor, op. cit., p. 291.

154 THIBAUT DE CHAMPAGNE. Les Chansons de Thibaut de Champagne, éd. cit., Chanson XXII v. 41-44.

155 BERNARD DE VENTADOUR. Chansons d’amour, éd. cit. Chanson 31.

156 Ibid., v. 38 : « et j’ai vraiment agi comme le fou sur le pont ».

157 Ibid., v. 17-19 : « Je n’eus plus pouvoir sur moi-même et je ne m’appartins plus dès l’instant où elle me laissa regarder dans ses yeux ».

Le poète ne semble plus maître de lui-même. Il a perdu l’esprit depuis qu’il s’est laissé prendre au piège des yeux de la dame. À force de s’y mirer sans espoir,

m’an mort li sospir de preon, c’aissi’m perdei com perdet se lo bels Narcisus en la fon158.

Encore une fois, on retrouve les trois motifs entremêlés, la folie, la mort et Narcisse. Le poète ne peut mourir véritablement, il ne lui reste que la folie pour essayer de connaître un sort identique à celui de Narcisse.

Il en va de même dans une chanson159 d’Aimeric de Belenoi. Même s’il ne cite pas nommément Narcisse, la présence du héros ovidien est néanmoins sous-jacente de manière assez évidente. La mention du « leials cors160 » du poète qui est un « mirails161 » fait immédiatement songer à Narcisse pris au piège des eaux de la fontaine. C’est dans ce cœur-miroir que le poète amant porte l’image de la dame :

que mos leials cors m’es mirails de totz sos bes ; que quant aillors cortei, pensan ab lei domnei162.

Cette image tourne à l’obsession puisqu’il ne voit plus qu’elle derrière toutes les femmes qu’il rencontre et laisse place finalement à la folie :

paor ai que desrei, e car o dic follei163.

Le poids de l’attente est insupportable et provoque des souffrances indicibles :

mas trop long’ atendensa : que eu fas tal sufrensa164.

158 BERNARD DE VENTADOUR. Chansons d’amour, éd. cit. Chanson 31, v. 22-24 : « les profonds soupirs ont causé ma mort, si bien que je me suis perdu comme se perdit le beau Narcisse dans la fontaine ».

159 AIMERIC DE BELENOI. Le Poesie, éd. cit. Chanson 14 « Ara.m destrenh Amors ».

160 Ibid., v. 27.

161 Ibid., v. 28.

162 Ibid., v. 27-30 : « Mon cœur loyal n’est qu’un miroir de toutes ses beautés ; si bien que lorsque je courtise une autre femme, en pensée c’est à elle que je fais la cour » (traduction de Marie-Noëlle Toury p. 284, dans TOURY, Marie-Noëlle. Mort et Fin’Amor, op. cit.).

163 AIMERIC DE BELENOI. Le Poesie, éd. cit., v. 49-50 : « J’ai peur de sortir du droit chemin, car oui, j’affirme que j’agis comme un fou. », traduction personnelle.

164 Ibid., v. 45-46 : « Mais mon attente est longue au point que j’endure de telles souffrances. », traduction personnelle.

Mais hélas « l’attente est trop longue et la mort devient l’issue obligée de cette attente165 », comme le souligne Marie-Noëlle Toury. Or comme le poète ne meurt pas, il lui est seulement possible de chanter sa douleur et son désir de mort en sombrant dans la folie.

Peirol, lui aussi devient fou. Il affirme même que Narcisse n’a pas été plus fou que lui :

Mal o ai dig, ans folley follamen, quar anc Narcis, qu’amer l’ombra de se, si be.s mori, no fo plus fols de me166.

La répétition de « folley », « follamen » et « fols » provoque l’impression d’un tourbillon de folie qui emporte le poète aux côtés de Narcisse. C’est pour cette raison qu’il affirme partager un sort identique au sien : mourir du désir inassouvi167. Néanmoins, il ne souhaite plus importuner sa dame :

mas la boca tenrai ades e fre.

Aquilh sivals non l’en dira mais re !168

Il exprime le souhait de cesser son chant tout en continuant à chanter son amour pour elle. Le poète annonce qu’il va se taire, effet de prétérition puisqu’il ne cesse de parler du silence dans lequel il trouverait la mort :

Irai lai doncs morir ad escien ? Oc, qu’aital mort amarai eu soven, qu’estranhaman a gran plazer qui ve so qu’ama fort, ja non ai’ autre be169.

Le poète accepte de prendre le chemin de la mort car il continue d’aimer. Cette image du poète mort qui pourtant aime toujours est assez étrange. On comprend bien qu’il ne meurt pas véritablement mais qu’il fait cesser son activité

165 TOURY, Marie-Noëlle. Mort et Fin’Amor, op. cit., p. 284.

166 PEIROL. Peirol Troubadour of Auvergne, éd. cit. Chanson 15 « Mout m’entremis de chantar voluntiers », v. 19-21 : « J’ai mal parlé et je suis devenu complètement fou ; en effet même Narcisse qui aima son reflet au point d’en mourir ne fut plus fou que moi » (traduction de Marie-Noëlle Toury p. 288, dans TOURY, Marie-Marie-Noëlle. Mort et Fin’Amor, op. cit.).

167 Ibid., v. 22 : « Atressi.m muer entre.ls loncs deziriers », « Comme lui je meurs de désir inassouvi » (traduction de Marie-Noëlle Toury p. 250, dans TOURY, Marie-Noëlle. Mort et Fin’Amor, op.

cit.).

168 PEIROL. Peirol Troubadour of Auvergne, éd. cit. Chanson 15, v. 34-35 : « mais je garderai toujours la bouche craintive. Celle-ci du moins ne lui en dira plus rien. », traduction personnelle.

169 Ibid., v. 39-42 : « Irai-je donc assurément à ma mort ? Oui, car à travers la mort j’aimerai souvent, car celui qui s’en tient à son amour en retire étrangement de grands plaisirs, jamais je n’aurai d’autre baiser », traduction personnelle.

poétique. La folie peut-être contribue à cette extinction de la voix poétique qui laisse seulement un souvenir d’elle à la dame…

Lo vers tramet midons per tal coven qu’a tot lo menhs, s’autre pro no m’en ve, quan l’auzira, li membrara de me170.

Ce motif du désir de mort exprimé à l’aide de la référence à Narcisse se retrouve également chez un troubadour anonyme. Le poète a été pris par le regard d’une dame et depuis ce fatal instant, il a peur de perdre ses faveurs à cause de rumeurs que font courir les lauzengiers :

car la bela tan m’a vencut e.m lia que per mos olhs tem que perda la via com Narcisi, que dedins lo potz cler vi sa ombra e l’amet tot entier e per fol’amor mori d’aital guia171.

Le poète anonyme donne plus de détails du mythe que Thibaut de Champagne dans sa chanson. Il évoque le reflet que Narcisse a aperçu dans l’eau et l’amour qu’il a conçu pour lui-même. Le poète craint de partager le sort de Narcisse car lui aussi a été trahi par ses yeux. Le décalage dans la comparaison tient à la nature de ce qui provoque la mort des deux amants. Si Narcisse aime son reflet, le poète aime une dame. Finalement Narcisse redouble ici le motif de l’enfant qui voyait son propre visage dans un miroir et qui à force de jouer avec le brise172. Le lien entre les deux images est également établi par l’emploi du substantif « folatge » pour qualifier la conduite de l’enfant avec son miroir et de l’adjectif « fol » pour qualifier l’amour de Narcisse. La première comparaison de l’enfant et du poète n’est pas parfaite non plus puisque si l’enfant brise le miroir lui-même, le poète perd sa dame à cause de l’intervention extérieure des lauzengiers173. Néanmoins il importe

170 PEIROL. Peirol Troubadour of Auvergne, éd. cit. Chanson 15, v. 43-45 : « J’envoie ces vers à ma dame avec la promesse que, si elle n’en a pas d’autre bénéfice, quand elle les entendra, au moins elle pourra se souvenir de moi. », traduction personnelle.

171 Trouvères et Minnesänger, éd. cit., v. 12-16 : « car la belle m’a tellement subjugué et attaché à elle que je crains que je ne perde ma vie par la faute de mes yeux, comme Narcisse qui aperçut dans l’eau limpide du puits son propre reflet dont il s’éprit profondément et ainsi il mourut par son fol amour. » (p. 113).

172 Ibid., p. 113, v. 1-5 : « Aissi m’ave cum a l’enfan petit / que dins l’espelh esgarda son vizatge / e.i tast’ ades e tan l’a assalhit / tro que l’espelhs se franh per son folatge, / adonca.s pren a plorar son damnatge », « Il en est de moi comme du petit enfant qui aperçoit son visage ds la glace et qui ne cesse d’y toucher et de remuer la glace tant qu’elle se brise et alors il se met à pleurer sa perte ».

173 TOURY, Marie-Noëlle. Mort et Fin’Amor, op. cit. L’auteure relève cette comparaison « boiteuse » (p. 45).

peu que les analogies fonctionnent parfaitement, ce qui ressort c’est que Narcisse entraîne avec lui un faisceau de significations bien spécifiques centrées autour du désir de mort et d’un amour impossible. Narcisse est devenu le signe de l’amoureux malade d’amour que les souffrances indicibles mènent à la mort.

Les troubadours et les trouvères entre les XIIe et le XIIIe siècles associent à la figure de Narcisse les motifs de la mort et de la folie. La mort de l’esprit dans la poésie lyrique se réalise donc sous la forme de la folie d’amour. La folie pousse le poète amant à abandonner le chant, ce qui provoque sa mort. Sa folie se caractérise certes par une perte du « sens » mais elle est également accompagnée de nombreuses souffrances morales qui évoquent la mélancolie amoureuse. La maladie n’est pas nommée explicitement à cette époque et c’est le terme folie qui sert finalement à désigner l’état de souffrances dans lequel se trouve le poète amant qui ne peut assouvir sa passion.

La folie continue de perdurer chez les amoureux malheureux de la deuxième partie du Moyen Âge mais un autre mal les assaillent également non moins violemment. À partir du XIVe siècle, l’esprit de l’amoureux qui se heurte à un amour impossible ne sombre plus seulement dans la folie mais se consume dans un abattement violent. Cette langueur peut se révéler très dangereuse puisqu’elle entraîne chez le poète une absence de volonté et de désir de vivre.

b. « Malade de mal ennuieux

174

», l’esprit se meurt

Un vent mélancolique souffle sur la création poétique au crépuscule du XIVe siècle et à l’aube du XVe siècle qui affrontent les rigueurs de l’« hiver »175 de la littérature, selon l’expression de Jacqueline Cerquiglini. Les thèmes du retour sur soi, de l’enfermement ou de la vieillesse correspondent parfaitement à l’invasion de la poésie courtoise par la douleur et le désespoir que décrit Daniel Poirion176.

La forme souple de la canso est abandonnée au profit de poèmes à formes fixes et « le mouvement d’élévation » du poème courtois « fait place à une

174 CHARLES D’ORLÉANS. Poésies, éd. cit. Chanson XL, v. 1.

175 CERQUIGLINI-TOULET, Jacqueline. La Couleur de la mélancolie : la fréquentation des livres

au XIVe siècle, 1300-1415. Paris : Hatier, 1993. (Coll. Brèves Littérature). L’auteure oppose le

« printemps de la littérature », le XIIe siècle, à « l’hiver » que constitue le XIVe siècle (p. 11).

176 POIRION, Daniel. Le Poète et le Prince. L’évolution du lyrisme courtois de Guillaume de

Machaut à Charles d’Orléans. Genève : Slatkine Reprints, 1978. Le critique voit dans cette

tristesse lyrique le reflet d’un malheur qui guette tous les êtres humains. Il y aurait certes une vérité éternelle de la souffrance. Mais il faut également y percevoir une métamorphose de la conscience poétique dont les causes sont liées à la situation même des poètes. Le pessimisme de leurs œuvres viendrait d’une crise tragique de la société courtoise qui a connu la pénible et longue épreuve de la guerre de Cent ans (p. 547).

méditation où s’exprime passivement ce que plus tard on appellera un état

d’âme177 ». Le vers serait ainsi le meilleur vecteur pour l’expression du sentiment et

deviendra spécifique à la poésie.

La poésie lyrique évolue progressivement « vers un approfondissement de la vie intérieure dans le sens de la tristesse178 » selon Daniel Poirion. L’épanchement de ses souffrances par le poète donne naissance à un nouveau lyrisme qui cherche à rendre la mélancolie de l’âme.

Mais malgré ce renouvellement, les poètes des XIVe et XVe siècles ne composent pas leurs œuvres ex nihilo. Dans le traditionnel mouvement de reprise et de variatio de la littérature médiévale, ils héritent du matériau mythologique de leurs prédécesseurs et l’adaptent à leur propos. Le Roman de la Rose est l’œuvre majeure qui constitue la source d’inspiration des poètes de cette époque. Il n’est donc pas étonnant de retrouver dans la poésie lyrique des XIVe et XVe siècles la galerie de personnifications et de figures antiques qui peuplent le verger de Déduit. Par ailleurs la tradition de la mélancolie amoureuse bien ancrée à cette époque se retrouve également, mais colorée un peu différemment du fait du poids que possède désormais la mélancolie. C’est ainsi que l’on retrouve Narcisse qui apparaît de