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a. La dame à la source du chant

La « fantasmatique amoureuse incarnée par le personnage de Narcisse » innerve profondément l’imaginaire des poètes de la fin’amor. Christopher Lucken précise que Narcisse « forme avec l’image que lui renvoie le miroir de la fontaine le

bibliothèque). Cf. p. 136-137. Christopher Lucken le cite également dans LUCKEN, Christopher. « L’imagination de la dame. Fantasmes amoureux et poésie courtoise », art. cit., p. 214.

262 TOURY, Marie-Noëlle. Mort et Fin’Amor dans la poésie d’oc et d’oïl, op. cit., p. 283.

263 Ibid. Le miroir permet d’accéder chez Platon à une autre réalité supérieure. Plotin reprend et développe cette pensée dans une perspective néoplatonicienne. Saint Paul évoque pour sa part le miroir qui reflète l’image de Dieu (saint Paul, II, Cor., 3, 18).

couple exemplaire de la tradition courtoise264 ». Les poètes ont aisément métamorphosé ce miroir aquatique en miroir des yeux de la dame qu’ils aiment. Or nous avons constaté précédemment que lorsque l’amant se noie dans le regard de sa dame, c’est lui qu’il rencontre. Il contemple sa propre valeur, sa beauté et toutes les qualités qui le rendent admirable et digne d’être aimé. Dans un ultime mouvement le poète se replie sur lui et sonde les tréfonds de son cœur qui se fait à son tour miroir. Le regard de la femme qu’il aime ne reflète finalement que la propre intériorité de l’amant qui y trouve l’amour de l’amour, de la poésie et du chant éternel du désir face à l’évanescence des êtres et des sentiments. Le poète prend les traits de Narcisse mais de manière beaucoup plus intime en contemplant son propre cœur. Marie-Noëlle Toury a relevé les nombreuses occurrences du motif du miroir du cœur dans la poésie de la fin’amor. Ce thème a charmé troubadours et trouvères tout au long des XIIe et XIIIe siècles.

Le troubadour Arnaut de Mareuil par exemple y a recours de manière récurrente. Dans la canso, « Si cum li peis an en l’aiga lor vida265 », le cœur du troubadour est un miroir qui reflète le visage de la dame aimée :

tenc vos el cor ades e cossir sai

vostre gen cors cortes, qui.m fai languir, e.l gen parlar e.l deport e.l solatz, lo pretz e.l sen e la beutat de vos, don pois vos vi non fui anc oblidos266.

Le poète porte sa dame en imagination au fond de son cœur et se penche sur le reflet qu’il en garde pour se souvenir d’elle et de l’amour qu’il ressent. L’éloignement physique est pallié par l’imagination qui lui permet de se rapprocher d’elle. Toutefois, la dame n’est plus le véritable centre de gravité de la canso occupé désormais par le troubadour qui panse ses plaies en contemplant ce qui se reflète dans le miroir de son cœur. Arnaut de Mareuil va jusqu’à décrire le processus amoureux dans sa canso « Us jois d’amor s’es e mon cor enclaus267 ». L’amour, accompagné de la joie, s’est d’abord fixé dans son cœur268 mais les tourments

264 LUCKEN, Christopher. « L’imagination de la dame. Fantasmes amoureux et poésie courtoise », art. cit., p. 217.

265 ARNAUT DE MAREUIL. Les poésies lyriques du troubadour Arnaut de Mareuil, éd. cit. Chanson VIII.

266 Ibid., v. 28-32, « […] je vous garde toujours dans mon cœur et je vois ici en imagination votre beau corps agréable qui me fait languir, et vos belles paroles, et le plaisir, et votre société, votre mérite, votre esprit et votre beauté que je n’ai pu oublier depuis que je vous ai vue. ».

267 Ibid. Chanson IV.

268 ARNAUT DE MAREUIL. Les poésies lyriques du troubadour Arnaut de Mareuil, éd. cit. Chanson VIII, str. 1, v. 1-2 : « Us jois d’amor s’es e mon cor enclaus, / humils e rics e ples de

donnent rapidement naissance au paradoxe du doux mal269. L’amant préfère désirer sa dame en sachant qu’il lui est impossible de l’obtenir plutôt que d’assouvir ses désirs avec une autre270. Il est obnubilé par l’unique pensée de sa bien-aimée qui le hante continuellement271 et réaffirme qu’il n’aime qu’elle272. Les trois dernières strophes, beaucoup plus brèves273, réintroduisent le motif du doux mal d’amour274. Le poème se clôt dans une dimension plus narcissique à travers l’émergence du thème du miroir. Le personnage féminin apparaît de-ci de-là tout au long de la canso mais le poète est avant tout centré sur lui-même et sa souffrance. Il décrit avec précision le cheminement de l’amour de son cœur vers ses pensées :

[…] quar tan m’es el cor pres

qu’ades soplei lao on vos es, pros domna, e.us clam merce, sai pensan, e repaus, on qu’ieu m’estey, mon cor en vostr’amor, si qu’ieu ren als non ai em penssamen275.

L’indépendance dont a l’air de jouir le cœur lui confère une certaine autorité sur le poète qui se plie à ses obsessions. Dans la suite, l’amant décrit la métamorphose de son cœur en miroir, dont le responsable n’est autre qu’Amour :

gran doussor », « Une joie d’amour s’est fixée dans mon cœur, humble, exquise et toute pleine de douceur. ».

269 ARNAUT DE MAREUIL. Les poésies lyriques du troubadour Arnaut de Mareuil, éd. cit. Chanson IV, str. 2, v. 8 : « Mas lo mals m’es de tan doussa sabor », « Mais mon mal est d’une si douce saveur. ».

270 Ibid., str. 3, v. 16-17 : « lo dezirier am mais de vos e vuelh / qu’aver d’autra tot quan de vos dezir », « je préfère et je veux avoir de vous le désir plutôt que de recevoir d’une autre tout ce que je désire de vous. ».

271 Ibid., str. 4, v. 27-28 : « on qu’ieu m’estey, mon cor en vostr’amor, / si qu’ieu ren als non ai em penssamen. », « et, où que je sois, je tourne les pensées de mon cœur vers votre amour, de sorte que je n’ai rien d’autre en mes pensées. ».

272 Ibid., str. 5, v. 31-32 : « quar la beutatz, qu’es en vos, e.l rics laus / mi ten defes qu’ieu non am

autra domna », « car votre beauté et votre haute réputation m’interdisent d’aimer une autre dame. ».

273 Les strophes 1 à 6 font sept vers chacune tandis que les strophes 7 à 9 comptent respectivement, trois vers, deux vers et un vers. Le poème va s’amenuisant comme si le silence remplaçait irrémédiablement la voix du poète tourmenté par l’amour.

274 Ibid., str. 6, v. 37 : « tant m’es de vos l’aspre doutz e suaus », « l’âpreté qui me vient de vous m’est si douce et suave. ».

275 Ibid., v. 24-28, « car vous êtes si près de mon cœur que je m’incline toujours vers l’endroit où vous êtes, noble dame, et vous demande grâce, en songeant à vous, et, où que je sois, je tourne les pensées de mon cœur vers votre amour, de sorte que je n’ai rien d’autre en mes pensées. ».

Domna, Amors m’a dat tant d’ardimen, quar sap qu’ieu fis vos sui e no.m destuelh, qu’el cor m’a fag miral ab que.us remir276.

Il semble n’avoir aucune prise sur son cœur qu’Amour possède dans une jouissance pleine et entière. Les derniers vers mettent en perspective le motif du miroir dans une subtile mise en abyme :

Domna, de Pretz sui en l’aussir capduelh, mas per semblan mon cor nos vos aus dir277.

Le visage du poète pourrait se faire le miroir du miroir du cœur mais le troubadour n’ose pas encore se dévoiler entièrement. Ce n’est que dans l’envoi final que le voile se lève enfin : « Domn’, el semblan podetz mon cor chauzir278 ». Selon les termes de Marie-Noëlle Toury, « le visage de la dame s’est imprimé par la force de l’amour dans le cœur du poète279 ». Le miroir du cœur se reflète sur le visage du poète qui se transforme alors en miroir à la surface duquel la femme aimée peut contempler l’amour que le poète lui porte. Marie-Noëlle Toury voit dans ce miroir l’instauration « d’un échange », « d’une circulation de l’un à l’autre280 » qui s’opposerait ainsi au miroir narcissique qui ne renvoie le poète qu’à lui-même. Mais on pourrait se demander s’il y a là un véritable échange entre le poète et sa dame. En effet le visage et surtout les yeux de la dame ne reflètent-ils pas à l’amant ses propres sentiments ? Il y aurait plutôt une sorte de mouvement circulaire infini, un complexe jeu de miroir qui, de façon irrémédiable, ne renverrait finalement le troubadour qu’à son propre cœur, c’est-à-dire sa propre intériorité dont la canso est le canal d’expression.

La canso « Tan mou de cortez razo281 » du troubadour Folquet de Marseille est également hantée par Narcisse :

[…] qu’apres ai a murir, de guisa que m’er sobrebo : qu’ins e.l cor remir sa faisso, e remiran - et ieu languis

276 ARNAUT DE MAREUIL. Les poésies lyriques du troubadour Arnaut de Mareuil, éd. cit. Chanson IV, v.43-45, « Dame, Amour m’a rendu si audacieux (il sait que je vous suis fidèle et que je ne me détourne pas de vous) qu’il m’a fait dans le cœur un miroir dans lequel je vous vois. ».

277 Ibid., v. 46-47, « Dame, je suis au sommet de Valeur, et je n’ose pas par mon visage vous ouvrir mon cœur. ».

278 Ibid., v. 48, « Dame, en mon visage vous pouvez voir mon coeur. ».

279 TOURY, Marie-Noëlle. Mort et Fin’Amor dans la poésie d’oc et d’oïl, op. cit., p. 284.

280 Ibid.

quar ela.m dis que no.m dara si qu’ieu l’ai quis tan lonjamen -

e ges per aisso no m’alen, ans dobl’a des mos pessamens - e muer aissi mescladamens. Amarai la doncs a lairo, pos vei que no.m denha sofrir ? oc ieu, qu’ins e.l cor la remir282.

La mort est la seule issue envisageable pour le poète. Il agonise lentement en contemplant le visage de sa dame gravé au miroir de son cœur. Cette scène fait irrémédiablement penser à Narcisse penché sur les eaux de la source en train de s’étioler doucement sous le coup de la passion qu’il a conçue pour son reflet. Le troubadour se fait nouveau Narcisse. L’association étroite établie avec le miroir et la mort d’amour suffit à faire émerger sa figure sans avoir besoin d’évoquer explicitement son nom ou la fontaine. La puissance du mythe et notamment de la figure de Narcisse se perçoit parfaitement dans cette présence-absence fondatrice de tout un pan de l’imaginaire des troubadours.

Aimeric de Belenoi s’inscrit dans une perspective similaire avec sa canso « Ara.m destrenh Amors » :

Sa convinens colors e l’ueill clar e rien e.ill dous esguar plazen e l’oronda valors m’estan en sovinensa, per c’a toz iors m’agensa ; que mos leials cors m’es mirails de totz sos bes ; que quant aillors cortei, pensan ab lei domnei283.

282 Le troubadour Folquet de Marseille, éd. cit. Chanson III, v. 39-51 : « J’ai appris à mourir d’une façon très douce en regardant son visage dans mon cœur et je la regarde - et je souffre car elle m’a dit que elle ne se donnera pas à moi, ce que je lui ai demandé depuis si longtemps - et je n’arrive plus à respirer à cause de cela ; au contraire je double le poids de mes tourments - et je meurs ainsi diversement. Je l’aimerai donc en secret puisque je vois qu’elle ne me juge pas digne de souffrir ? Oui, pour ma part en la contemplant dans mon cœur. », traduction personnelle.

283 AIMERIC DE BELENOI. Le Poesie, éd. cit. Chanson 14, v. 21-30, « La jolie couleur de son teint, son œil clair et riant, le charme de son doux regard et son grand mérite demeurent en mes souvenirs, c’est pour cela que chaque jour m’est agréable ; car mon cœur fidèle m’est un miroir de toutes ses beautés, si bien que lorsque je courtise une autre femme, en pensée c’est à elle que je fais la cour. », traduction personnelle.

Les caractéristiques physiques de la dame comme son teint ou ses yeux lui confèrent un peu plus d’existence que les autres femmes évoquées par les troubadours précédents. Aimeric de Belenoi reste néanmoins dans le domaine de la rhétorique lyrique en employant des expressions topiques. Malgré tout, on voit se dessiner une fine silhouette à la surface du cœur du poète qui reste accroché à ses souvenirs. Il porte en lui une image de sa bien-aimée qu’il ne peut effacer même s’il en courtise d’autres. Elle revient toujours à son esprit car elle est gravée au fond du cœur de son amant pour l’éternité. Grâce à elle, le troubadour est capable de chanter.

De même que pour Folquet de Marseille, il ne lui reste plus que la mort :

don cug murir, si no.m socor Merces, que mos cors m’es miralhs de sa faysso, per que.l fugirs no.m fa re, si mal no284.

Fuir est inutile, seule la mort pourra le délivrer de sa souffrance. Mais cet espoir reste vain s’il se fait véritablement Narcisse. Il ne doit pas perdre de vue que le jeune homme est condamné à se mirer éternellement dans les eaux du Styx : ce funeste destin attend peut-être le poète qui pour sa part restera à tout jamais tourné vers le miroir de son cœur.

Au fil des reprises par les troubadours puis les trouvères, le thème du miroir devient de plus en plus intérieur. Les poètes évoquent par son intermédiaire la matière même de leur création poétique. Cette image les représente symboliquement à l’œuvre. Le poète est épris d’une « image sans corps reflétée au miroir de son cœur », qui fonde son chant comme le remarque Christopher Lucken à propos notamment d’une chanson du Chastelain de Coucy :

Quand je reguart son debonaire vis Et je la proi sanz bel respons avoir, N’est merveille s’en l’esguart m’esbahiz, Quant g’i connoiz ma mort et sai de voir. Puiz que mercis ne m’i deigne valoir, Ne sai u nul confort preigne,

Quar ses orgueus m’ocit et li mahaigne. Hé, franche rienz crueux, tant mar vous vi, Quant pour ma mort nasquites sanz merci !285

284 TOURY, Marie-Noëlle. Mort et Fin’Amor dans la poésie d’oc et d’oïl, op. cit. Marie-Noëlle Toury cite ces vers d’Aimeric de Belenoi, v. 14-16 (p. 284) : « Je pense mourir si Merci ne vient pas à mon secours, car mon coeur m’est miroir de son visage ; c’est pourquoi la fuite ne me servirait qu’à souffrir davantage. ».

La dame orgueilleuse est inaccessible dans la réalité. De dépit l’amant se replie sur lui-même pour la retrouver en son cœur. L’espace fantasmatique du cœur lui ouvre ainsi la porte du rêve, il peut librement imaginer sa dame, l’aimer et chanter ce qu’il ressent pour elle, libéré de toutes les contingences extérieures. Certains parviennent même à trouver un léger réconfort286 dans la contemplation de leur cœur où la dame se reflète. Il en va ainsi pour Thibaut de Champagne dans sa chanson « De ma dame souvenir » :

Qu’adès m’estuet que la voie et que fresche colors

soit en mon cuer mireors Deus ! con s’i fet biau mirer !287

Le trouvère apprécie de découvrir la femme aimée en son for intérieur. Marie-Noëlle Toury rappelle les propos de Jean Frappier à cet égard :

L’image du miroir intérieur, formée de mille réflexions, semble naître spontanément. Ainsi le teint clair et frais de l’aimée devient dans le cœur de l’amant le miroir où se reflètent avec joie toutes ses pensées. La localisation de la métaphore suffit à marquer sa progressive alliance avec un état de plus en plus méditatif288.

On se rappelle l’équivalence établie par Michel Zink entre aimer et chanter, il faudrait ajouter la précision : « aimer du fond de son cœur » car c’est depuis l’intériorité même du poète que sourd le chant. « L’amant est tout entier dans son regard289 », comme l’écrit Christopher Lucken. Il rappelle l’importance primordiale de la vue dans la naissance de l’amour290 qui se développe ensuite dans le cœur. Ce mouvement de l’extérieur vers l’intérieur se retrouve dans le repli progressif sur lui-même du poète tout absorbé dans la contemplation du miroir de son cœur. C’est là

286 TOURY, Marie-Noëlle. Mort et Fin’Amor dans la poésie d’oc et d’oïl, op. cit., p. 291.

287 THIBAUT DE CHAMPAGNE. Les Chansons de Thibaut de Champagne, éd. cit. Chanson XVIII, v. 31-34.

288 TOURY, Marie-Noëlle. Mort et Fin’Amor dans la poésie d’oc et d’oïl, op. cit., p. 292, citation extraite de FRAPPIER, Jean. « Variations sur le thème du miroir, de Bernard de Ventadour à Maurice Scève », art. cit., p. 165.

289 LUCKEN, Christopher. « L’Écho du poème », art. cit., p. 41.

290 Ibid. Il reprend la théorie médiévale suivant laquelle la vue est le premier des cinq sens ainsi que le premier des cinq degrés de l’amour. La flèche du dieu Amour atteint le cœur en passant à travers l’œil et fonde ainsi l’existence du chant. Il l’avait déjà évoqué dans un précédent article (p. 205). LUCKEN, Christopher. « L’imagination de la dame. Fantasmes amoureux et poésie courtoise », art. cit.

que le chant prend corps291, sans nul besoin de la voix d’Écho et surtout sans nul besoin que la dame lui réponde :

En réduisant l’histoire ovidienne au seul personnage de Narcisse, la poésie “courtoise” semble vouloir effacer tout ce qui aurait trait à la parole, alors même qu’elle la constitue292.

Il ne reste plus pour le poète qu’à puiser au fond de lui-même la voix qu’il désire faire résonner, comme le soulignent ces vers de Bernard de Ventadour :

Chantars no pot gaire valer, si d’ins dal cor no mou lo chans293.

La poésie de la fin’amor chante les beautés d’une dame, les souffrances d’un amant face aux rigueurs de sa bien-aimée, l’impossibilité d’atteindre l’objet de son désir. Mais si l’on recherche l’origine du chant courtois on trouve d’abord le cœur du poète sur lequel est gravée l’image inspiratrice du chant. Christopher Lucken rappelle la conception médiévale de l’amour considéré comme « un phénomène catoptrique par lequel la réalité extérieure est transformée en image, celle-ci venant se fixer sur la fenêtre vitrifiée des yeux pour s’offrir à la contemplation du cœur replié sur sa propre pensée comme en pleine réflexion294 ». Le « regard du cœur » est « essentiellement réflexif », « spéculaire », à la différence de celui des yeux explique-t-il. Ce qu’il voit est en quelque sorte « l’image intérieure qu’il porte en lui, comme si c’était elle que reflétaient ses yeux295 ».

Narcisse figure le poète à l’œuvre pris dans la contemplation de sa propre intériorité pour y puiser son inspiration. Giorgio Agamben a souligné que « le Moyen Âge considère que la malheureuse aventure de Narcisse se caractérise non point par le fait qu’il s’aime lui-même […], mais par le fait qu’il aime une image, qu’il s’éprend à travers un reflet296 ».

Christopher Lucken analyse à partir de cette idée la figure de Narcisse poète ou d’un poète Narcisse :

291 LUCKEN, Christopher. « L’Écho du poème », art. cit., p. 41.

292 Ibid.

293 LUCKEN, Christopher. « L’Écho du poème », art. cit. « Chanter ne peut guère avoir de valeur si le chant ne sourd de l’intérieur du cœur. » (p. 41).

294 LUCKEN, Christopher. « L’imagination de la dame. Fantasmes amoureux et poésie courtoise », art. cit., p. 210.