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b. L’être et le néant des poètes courtois

Les relectures médiévales du mythe de Narcisse dans une perspective platonicienne font dire à Jean Frappier que si le Narcisse ovidien reste prisonnier de son reflet, le poète lyrique découvre dans la contemplation de l’objet aimé une réalité supérieure à lui300. Il poursuit en soutenant que « la mortelle fascination de l’amant comme tiré hors de lui par le miroir symbolique et vivant […] peut être assimilée aux passivités de l’extase301 ». Ainsi les « sortilèges de la fine amor abolissent ici la conscience de la personnalité, à l’opposé du gnôthi seauton et du moderne Narcisse “curieux de sa seule essence” 302 ».

S’il juge que « la métaphore du miroir devient vite un cliché que peu d’auteurs réussirent à revivifier303 », Jean Frappier pose néanmoins le constat suivant :

Chez Bernard de Ventadour, le miroir amoureux éloigne de l’introspection, absorbe un moi tout passif, il apparaît ensuite comme le principe d’une analyse

297 LUCKEN, Christopher. « L’imagination de la dame. Fantasmes amoureux et poésie courtoise », art. cit., p. 218.

298 Ibid., p. 219.

299 LUCKEN, Christopher. « L’imagination de la dame. Fantasmes amoureux et poésie courtoise », art. cit., p. 219.

300 FRAPPIER, Jean. « Variations sur le thème du miroir », art. cit., p. 163.

301 Ibid., p. 163-164.

302 Ibid., p. 164.

sentimentale, d’une méditation active sur l’objet aimé et par conséquent d’une connaissance de soi304.

Le miroir offre à l’amant un accès détourné à son intériorité par l’intermédiaire du regard de l’autre. Mais les poètes ne se contentent pas de cette connaissance au second degré, ils plongent encore plus profondément en eux-mêmes pour y trouver leur propre moi ainsi que la source de leur chant. Ils y découvrent leur mort prochaine, leur finitude et surtout le néant de l’existence. Jacques Roubaud associe les figures de Narcisse et de Tristan au néant et en fait les personnages-types du dilemme du trobar :

Entre Narcisse et Tristan, affronter les deux faces pétrifiantes du néant de l’amour : néant ou bien parce que le miroir des yeux de la dame ne renvoie qu’à soi, et c’est le néant de Narcisse ; ou bien parce qu’il n’y a personne, rien, dans la forme même, dans l’image de l’amour, et c’est le néant de Tristan305.

« La tenzos de non-re306 » que se livrent Aimeric de Peguilhan et Alberet de Sisteron évoque parfaitement l’aporie à laquelle est confronté le troubadour. Au lieu de débattre sur l’amour, Aimeric décide de lancer à son adversaire une question sur le « nien »307. Ce dernier, bien en mal de lui répondre, lui oppose d’abord le silence : « Respondrai com ? calarai me !308 ». La pirouette rhétorique du néant qui appelle le néant309 ne satisfait par Aimeric qui relance le partimen. Alberet introduit alors une comparaison fort riche en signification :

304 FRAPPIER, Jean. « Variations sur le thème du miroir », art. cit., p. 164.

305 ROUBAUD, Jacques. La fleur inverse. Essai sur l’art formel des troubadours. Paris : Ramsay, 1986. Cf. p. 51.

306 AIMERIC DE PEGUILHAN. The poems of Aimeric de Peguilhan, éd. cit. Chanson 6, v. 9. Jacques Roubaud en livre également une transcription (p. 23-24), une traduction et un commentaire. ROUBAUD, Jacques. La fleur inverse, op. cit.

307 AIMERIC DE PEGUILHAN. The poems of Aimeric de Peguilhan, éd. cit. Chanson 6, v. 1-6 : « Amics Albertz, tenzos soven / Fan assatz tuit li trobador, / Et partisson razon d’amor / E d’als, qan lur platz, eissamen. / Mas ieu faz zo q’anc om non fes, / Tenzon d’aizo qi res non es. ». Traduction de Jacques Roubaud : « Ami Albert tensons souvent font beaucoup tous les troubadours et proposent débats d’amour et d’autres s’il leur plaît aussi mais moi je fais ce que jamais homme ne fit tenson sur ce qui n’existe pas sur tout sujet aisément vous me répondriez mais à rien je veux votre réponse et ce sera la tenson du néant. », dans ROUBAUD, Jacques. La

fleur inverse, op. cit.

308 AIMERIC DE PEGUILHAN. The poems of Aimeric de Peguilhan, éd. cit. Chanson 6, v. 18. Traduction de Jacques Roubaud : « je réponds que je vais me taire. », dans ROUBAUD, Jacques.

La fleur inverse, op. cit.

309 AIMERIC DE PEGUILHAN. The poems of Aimeric de Peguilhan, éd. cit. Chanson 6, v. 16 : Alberet : « Us nienz es d’autre compratz. ». Traduction de Jacques Roubaud : « un néant est par un autre payé », dans ROUBAUD, Jacques. La fleur inverse, op. cit.

N’Aimerics nuil essernimen No.us aug dir, anz parlatz error. Folia deu hom a follor

Respondre, e saber a sen. Eu respon a « non sai que s’es » Con cel q’en cisterna s’es mes, Qe mira sos oils e sa faz, E s’el sona, sera sonatz e qui, De si meteus, c’als non i ve310.

La figure de Narcisse apparaît en filigrane dans l’évocation de celui qui mire dans la « citerna » ses yeux et son visage. L’erreur et la folie rappellent également la méprise du héros ovidien face à son reflet311. Écho, quant à elle, se manifeste de manière plus fantomatique à travers la mention du son de la voix du poète qui lui revient. La sonorité [s] se répand dans toute la strophe à la manière de l’écho qui se répercute sans fin. Chez Ovide, la nymphe était encore là pour renvoyer à Narcisse les mots de douleur qu’il lançait à tout va mais désormais le troubadour se retrouve irrémédiablement seul ; il n’y a personne d’autre qui entende résonner le son de sa voix.

Aimeric saisit l’image au vol et file la métaphore :

Albertz, cel sui eu veramen Qi son’e mira sa color, Et aug la voz del solador, Pueis ieu vos son primeiramen ; E.l resonz es nienz, so.m pes312.

Aimeric se métamorphose en Narcisse tandis qu’il fait d’Alberet Écho. Marie-Noëlle Toury a relevé le caractère dialectique des évocations implicites de ces figures mythologiques qui alimentent le jeu de l’être et du néant auquel se livrent les

310 AIMERIC DE PEGUILHAN. The poems of Aimeric de Peguilhan, éd. cit. Chanson 6, v. 28-36. Traduction de Jacques Roubaud : « Seigneur Aimeric aucune chose qui ait un être je ne vous entends dire mais erreur folies on doit à folies répondre et sagesse à sens je réponds à je ne sais quoi comme celui qui en la citerne s’est mis il regarde ses yeux et son visage s’il appelle il sera appelé par lui-même car nul autre il n’y voit. », dans ROUBAUD, Jacques. La fleur inverse, op.

cit.

311 OVIDE. Les Métamorphoses, éd. cit. T. I, Livre III, v. 431 error, v. 474 male sanus, v. 479 misero

[…] furori, respectivement traduits par « erreur » (p. 84), « son délire » et « ma triste folie »

(p. 85).

312 AIMERIC DE PEGUILHAN. The poems of Aimeric de Peguilhan, éd. cit. Chanson 6, v. 37-41. Traduction de Jacques Roubaud : « Albert celui-là je suis véritablement qui appelle et regarde son visage et vous la voix de celui qui répond puisque le premier appel or l’écho est néant. », dans ROUBAUD, Jacques. La fleur inverse, op. cit.

deux interlocuteurs313. Toutefois, ce ne sont pas de vains ornements rhétoriques au service d’un jeu intellectuel. Jacques Roubaud a mis au jour la dimension intertextuelle de la tenso qui rend hommage à Guillaume IX d’Aquitaine et à sa

canso « Farai un vers de dreit nien » et qui rappelle également la canso de la lauzeta

de Bernard de Ventadour314. Il faut toutefois dépasser l’aspect de « divertissement sans conséquence » ou de « témoin de la culture scolastique de troubadours déjà tardifs » de la tenso315. Les deux coblas citées évoquent l’idée centrale sur laquelle repose la tenso à savoir que le néant est voix ou écho316. Ainsi Aimeric de Peguilhan développe l’idée que le trobar est avant tout voix, la « voix du troubadour chantant face aux oreilles et au silence de l’auditoire317 », comme l’écrit Jacques Roubaud. Le motif du miroir est introduit par l’intermédiaire d’Alberet pour faire pendant à celui de l’écho ainsi « l’image dans le miroir est le néant de la vue comme l’écho est celui de la voix318 », poursuit Jacques Roubaud. Le dilemme posé par les deux troubadours concerne l’amour. Aimer c’est chanter or si l’amour n’est rien, alors le « chantar », le « trobar » s’évanouissent, deviennent néant, « nien »319. Les deux troubadours en viennent finalement à rejoindre le néant de Narcisse :

Si l’amoureux ne rencontre jamais que sa propre image dans le miroir des yeux, le chant ne reçoit jamais de réponse réelle à sa voix, il n’est qu’un écho de sa propre voix, un flatus uocis. Il dit l’amour mais l’amour, alors, n’est qu’un nom ; il est néant de n’être que nomination. Cela ne fait pas de lui une “chose ayant un être” ; cela ne lui confère aucun “essernimen”320.

Dans un renversement paradoxal, la figure de Narcisse qui précédemment permettait au poète de se représenter au travail en contemplant le miroir de son cœur signifie ici le rien. En effet, Jacques Roubaud souligne que le poète n’adresse son amour qu’à « une dame inanimée », qu’à « une « image inerte », qu’« au vide ». Le chant qui nomme l’amour alors n’est rien « puisque l’amour n’est “aucune chose” »321. D’après Jacques Roubaud la tenso repose sur le dilemme suivant :

313 TOURY, Marie-Noëlle. Mort et Fin’Amor dans la poésie d’oc et d’oïl, op. cit., p. 289

314 ROUBAUD, Jacques. La fleur inverse, op. cit., p. 31-32 et p. 47.

315 Ibid., p. 51.

316 Ibid., p. 47.

317 ROUBAUD, Jacques. La fleur inverse, op. cit., p. 47.

318 Ibid.

319 Ibid., p. 51.

320 Ibid.

ou bien le néant de n’être que nomination ; ou bien celui de ne nommer que le néant322.

C’est à la fois « l’eau bougeante mais immobile » de la source dans laquelle se mire Narcisse « ou bien la roue qui perpétuellement mout le vide »323. Toutes les coblas de la tenso ne sont que des échos qui répètent inlassablement le néant de l’amour. Les deux éléments représentatifs du mythe de Narcisse, « l’eau miroir et l’air écho324 », en sont le symbole idéal. Dans cette tenso Aimeric de Peguilhan donne à voir la poésie qui ne renvoie qu’à elle-même. Contrairement aux autres chansons dans lesquelles les poètes faisaient entendre leur douleur et la menace de la mort, cette dernière reste dans le champ de l’abstraction pour chanter « la vacuité de toute chose325 ». Claude Machabey-Besanceney a souligné qu’entraîné dans cet abîme spéculaire, le poète découvre dans sa chute en même temps que l’image de Narcisse le néant qui le menace et qu’il ne peut que fuir326. L’unique ressource du poète pour combler « le vide laissé par [sa] fuite » est le vers, la poésie qui dit simplement que « l’amour n’est rien que l’amour du désir »327.

Troubadours et trouvères ont trouvé en Narcisse le représentant idéal de leur condition d’amant, de poète et d’être humain soumis à la finitude. Ils se sont eux-mêmes faits Narcisse pour sonder le miroir de leur cœur et l’espace d’un instant ils ont parfois perçu l’écho de leur propre voix. La fin’amor, comme l’explique Claude Machabey-Besanceney, « […] dessine […] un espace qui va du cœur, lieu de souffrance, habité par l’image et le désir, à l’imagination qui, sous l’impulsion du désir tire l’image du cœur et la transforme en poème, puis de l’imagination au poème lui-même328 ». Le grand chant courtois devient ainsi l’écrin où repose l’image muette de la dame329, selon l’analyse de Christopher Lucken. Toutefois le mythe de Narcisse a offert aux poètes l’occasion de donner la parole à la dame à travers la figure d’Écho. Le funeste duo a ainsi accompagné intimement l’évolution de la poésie lyrique amoureuse « car si l’oreille s’ouvre à la voix, ce n’est pas la bouche de celui qui parle que l’on regarde, mais ses yeux330 ». Cette remarque de

322 ROUBAUD, Jacques. La fleur inverse, op. cit., p. 52.

323 Ibid.

324 Ibid.

325 TOURY, Marie-Noëlle. Mort et Fin’Amor dans la poésie d’oc et d’oïl, op. cit., p. 289.

326 MACHABEY-BESANCENEY, Claude. Le “martyre d’amour” dans les romans en vers, op. cit., p. 50.

327 Ibid.

328 Ibid., p. 57.

329 LUCKEN, Christopher. « L’imagination de la dame. Fantasmes amoureux et poésie courtoise », art. cit., p. 222.

Christopher Lucken fait transparaître la nécessité absolue et surtout l’interdépendance du regard et de la voix dans la création poétique et surtout dans la possibilité de dire l’amour : le poète tourne son regard sur le miroir intérieur et le tend à celui qui écoute sa voix. Il est à la fois Narcisse et Écho, il se fait l’écho de son narcisse intérieur. Le secret de la prospérité de ce mythe réside peut-être là : par un regard et une voix liés l’un à l’autre intrinsèquement331, il évoque la poésie elle-même.

Si les poètes se sont sentis si proches de Narcisse c’est parce que ce dernier « meurt de la blessure toujours vive du rêve poétique de l’ineffable », il est un être « consumé de désirs inassouvis »332. Les poètes se heurtent à l’indicible et leur destin est de toujours recommencer à essayer de l’exprimer à travers leur art ; confions le soin à Marie-Noëlle de conclure :

La chanson acquiert par contrecoup, et à la place de la Dame, le statut d’objet du désir, d’objet d’amour - pur joyau dont la quête, tel un graal, reste à jamais inachevée333.

Les troubadours et les trouvères ne sont pas les seuls à avoir trouvé dans le mythe de Narcisse des échos à leur esthétique ou à leur manière de voir le monde. En effet, la figure du jeune homme qui se meurt d’amour résonne également avec des théories psycho-physiologiques sur l’amour de la philosophie et de la médecine antiques, toujours en vogue à l’époque médiévale334.

331 MACHABEY-BESANCENEY, Claude. Le “martyre d’amour” dans les romans en vers, op. cit. Elle décrit le « processus amoureux » d’où naît « la création poétique » (p. 64) : « le flux amoureux qui naît du croisement des regards conduit l’image de l’objet aimé sur les parois du cœur de l’amant d’où elle est tirée par l’imagination vers la lumière de l’esprit ». Au sein de ce « lieu de fécondation », « désir, mesure, amour, souffrance, vont venir se fondre dans les lettres, les mots, les vers, le chant du poème ». Elle ajoute que « ce processus passe par l’air, le souffle, la voix ». Or si « la voix est la vie du poème », selon elle, sa naissance émane d’un regard pouvons-nous ajouter.

332 TOURY, Marie-Noëlle. Mort et Fin’Amor dans la poésie d’oc et d’oïl, op. cit., p. 298-299.

333 Ibid., p. 299.

334 LUCKEN, Christopher. « L’imagination de la dame. Fantasmes amoureux et poésie courtoise », art. cit., p. 214. MACHABEY-BESANCENEY, Claude. Le “martyre d’amour” dans les romans

Chapitre 3 : Un amour mortifère : de la maladie

d’amour à la mort d’amour

Narcisse hante la poésie de la fin’amor car il incarne le parfait amant qui a su aimer jusqu’à la mort. Quand les poètes ou les héros dans les romans expriment leur passion, ils évoquent le triste destin de Narcisse et lui associent très souvent des métaphores, assez classiques depuis Ovide, pour dépeindre les souffrances causées par l’amour, telles que la flamme de l’amour ou l’amour maladie.

L’image de l’amour maladie se trouve régulièrement associée à Narcisse dans notre corpus, au point qu’elle semble aller de soi. Pourtant il faut s’interroger sur ces liens qui unissent le héros mythologique et la métaphore de l’amour maladie. Le faisceau de significations que le mythe de Narcisse véhicule, avec la peinture de ses souffrances et sa fin funeste, entre en parfaite concordance avec la description de la maladie d’amour établie depuis l’Antiquité.

La maladie d’amour, avant de constituer une métaphore topique en littérature, et ce dès l’Antiquité, a fait l’objet d’une étude poussée par les médecins qui s’interrogeaient sur la véritable existence de cette maladie. Il est intéressant d’étudier d’abord la naissance de cette maladie pour essayer ensuite de comprendre comment elle est devenue une figure topique dans la description des souffrances de l’amoureux avant d’appréhender les liens forts qu’elle entretient avec la figure de Narcisse. Si ce dernier connaît, pour sa part, une issue fatale, il n’en est pas forcément de même pour tous ceux qui se comparent à lui, leur mort se réalise de manière un peu différente.

1) La mélancolie amoureuse, une maladie propre

aux héros ?

Le terme médical qui correspond à la maladie d’amour est la mélancolie amoureuse ou en latin amor hereos ou amor heroicus. L’expression latine invite d’emblée l’esprit à faire un lien avec le nom « héros ». Cette terminologie signifierait donc que la mélancolie amoureuse est une maladie qui touche

essentiellement les héros. De quelle manière cette dénomination s’est-elle élaborée au fil du temps ?

Un célèbre médecin du XIIIe siècle, Arnaud de Villeneuve, offre la définition suivante dans son traité sur la mélancolie amoureuse :

Dico igitur, nullis aliorum preiudicando sententiis, quod amor talis (videlicet qui dicitur hereos) est vehemens et assidua cogitatione supra rem desideratam cum confidentia obtinendi delectabile apprehensum ex ea1.

Il utilise le terme hereos pour qualifier cet amour qu’il est intéressant de mettre en regard du titre de son ouvrage, le Tractatus de amore heroico. Au XIIIe siècle, il semble évident qu’une affinité particulière existe entre la maladie, la mélancolie amoureuse et le statut du malade, des héros ou des personnes puissantes, de noble lignage. L’assimilation de l’amor hereos ou heroicus et de l’amour courtois s’est faite de manière assez simple comme le rappellent Danielle Jacquard et Claude Thomasset dans l’une de leurs études quand ils écrivent que « le mal d’amour décrit depuis l’Antiquité par les médecins est devenu au prix d’une étymologie incertaine l’amour courtois2 ». Nous reviendrons au cours de notre analyse sur cette étymologie pour comprendre comment les auteurs médiévaux en sont venus à parler d’amour héroïque.

Citons simplement pour le moment Arnaud de Villeneuve qui explicite le parallèle établi entre amour héroïque et amour courtois :

Dicitur autem amor heroicus, quasi dominalis, non quia solum dominis accidit, sed aut quia dominat subiiciendo animam et cordi hominis imperando, aut quia talium amantium actus erga rem desideratam similes sunt actibus subditorum erga proprios dominos3.

1 ARNAUD DE VILLENEUVE. Opera medica omnia. III, Tractatus de amore heroico, Epistola de

dosi Tyriacalium medicinarum. Edidit et praefatione et commentariis anglicis instruxit Michael R.

Mc Vaugh. Barcelona : Edicions de la Universitat de Barcelona, 1985. La citation d’Arnaud se trouve au chapitre I de son traité (p. 46). Elle est traduite dans l’article de Danielle Jacquard et Claude Thomasset (p. 147) : « Je dis donc, sans préjuger d’aucune autre affirmation, qu’un tel amour, c’est-à-dire celui qui est dit héroïque, est une réflexion (cogitatio) véhémente et assidue que l’on exerce sur l’objet désiré, réflexion qui est nourrie par la ferme espérance d’obtenir le plaisir que cet objet a suggéré. », JACQUARD, Danielle et THOMASSET, Claude. « L’amour “héroïque” à travers le traité d’Arnaud de Villeneuve ». Dans La folie et le corps. Études réunies par Jean Céard avec la collaboration de Pierre Naudin et de Michel Simonin. Paris : Presses de l’École Normale Superieure, 1985. (Coll. Arts et Langage). Pages 143-158.

2

JACQUARD, Danielle et THOMASSET, Claude. « L’amour “héroïque” à travers le traité d’Arnaud de Villeneuve », art. cit., p. 151.

3 ARNAUD DE VILLENEUVE. Opera medica omnia, éd. cit., p. 50 : « On parle d’amour héroïque, voire suzerain, non seulement parce qu’il affecte les seigneurs mais parce qu’il règne par

Danielle Jacquard et Claude Thomasset avancent dans la suite de leur analyse les trois raisons pour lesquelles l’amor heroicus est l’équivalent de l’amor

dominalis. D’abord cet amour affecte surtout les seigneurs, ensuite il domine l’esprit

et le cœur de l’homme et enfin il pousse les amants à se comporter envers l’objet