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Les soins médicaux et les services sociaux, un traitement inégal

4 L’AMEIPH, REGARD INTERSECTIONNEL SUR LES OPPRESSIONS

4.3 Expériences d’oppression vécues par les personnes issues de l’immigration et en

4.3.4 Les soins médicaux et les services sociaux, un traitement inégal

Plusieurs des personnes interrogées témoignent d’expériences qui révèlent que les personnes issues de l’immigration en situation de handicap reçoivent souvent des services qui ne sont pas équivalents aux services qui sont offerts aux personnes appartenant à la majorité.

Système de santé

L’un des enjeux qui est ressorti à plusieurs reprises concerne la dominance d’une vision médicale des problèmes de santé et des traitements offerts aux personnes, c’est-à-dire que

les soins aux personnes issues de l’immigration ayant des limitations concernent souvent uniquement le volet des limitations fonctionnelles de la personne. Ils ne prennent pas conjointement en considération les enjeux qui y sont liés avec le reste de l’expérience en tant que personne immigrante. L’ignorance intervient alors ici comme mécanisme de production d’invisibilisation.

Intervenante : « On oublie que c’est une personne immigrante qui arrive dans un pays

où le contexte n’est pas le même et les pratiques sont différentes de celles qu’elle a connues. »

Lorsque cette ignorance est cumulée avec la présence d’une attitude raciste, on assiste alors à des discriminations qui peuvent s’avérer très inquiétantes.

Membre : « C’est comme si certains médecins te font sentir des fois que tu es déjà

chanceuse d’être au Canada et de recevoir des soins, c’est comme si ils te disent qu’il faudrait pas trop en demander… »

À cet égard, une intervenante mentionnait que ce type d’attitude de la part du personnel médical contribue souvent à restreindre les choix de traitements offerts aux patient·e·s issus de l’immigration.

Pour illustrer son propos, l’intervenante a fait référence au cas d’une dame récemment arrivée au Québec qui avait une limitation à la jambe. La dame avait toujours vécu avec sa limitation à la jambe et réussissait, tant bien que mal, à accomplir ses activités quotidiennes. Au cours des suivis médicaux, le médecin aurait annoncé à la dame qu’il procéderait à l’amputation de sa jambe. Il aurait été très insistant pour la convaincre que c’était la seule option et il aurait même été jusqu’à la menacer de fermer le dossier de la dame si elle n’acceptait pas l’intervention.

Pour mettre en contexte, la dame avait vécu des situations difficiles dans son pays d’origine et le processus d’immigration constituait une épreuve délicate. Elle vivait plusieurs deuils simultanément ce qui constituait en soi une situation assez compliquée émotivement, mais aussi elle vivait avec un enfant en bas âge et elle n’avait autour d’elle qu’un réseau de support très restreint lié au fait qu’elle était récemment arrivée au Québec. Il ne s’agissait alors plus juste d’une amputation au sens médical, mais bien d’un deuil supplémentaire jumelé avec un manque de ressources pour pouvoir prendre soin de son enfant et elle n’était pas prête au moment où l’amputation lui a été proposée.

Intervenante : « Souvent ça arrive, on propose un traitement et c’est ça ou rien du

En ignorant et invisibilisant un pan entier de la trajectoire de cette personne et en tentant de l’obliger à recevoir un traitement qui allait à l’encontre de ce qu’elle désirait, on voit comment le médecin a pu pousser l’invisibilisation jusqu’à la sphère de la violence.

Système scolaire

Pour revenir sur la notion de traitements inégaux dans les services publics, le système de santé n’est pas le seul où l’on remarque des discriminations où l’immigration bias influence la manière dont les services en lien avec certaines limitations sont offerts.

La surreprésentation des jeunes issus de l’immigration dans les écoles spécialisées semble s’inscrire aussi dans cette tendance.

Administration : « Les familles immigrantes sont systématiquement orientées vers

des écoles spécialisées. Il y a moins de choix qui leur sont offerts donc elles ne peuvent pas faire des choix éclairés en considérant toutes les possibilités. Je pense qu’on ne présente pas toutes les options aux familles immigrantes. »

Dans l’une des entrevues, on m’a parlé du cas d’un enfant qui a été mis dans une école en déficience intellectuelle et selon ses parents, ce n’était pas sa place. Après trois ans, les parents auraient retiré l’enfant de l’école, ce qui aurait mené à une intervention de la DPJ pour non-fréquentation scolaire. Lors de l’audience, le juge aurait demandé le diagnostic pour finalement constater qu’aucun diagnostic n’avait jamais été émis. Après l’évaluation, il s’est avéré que l’enfant avait simplement besoin d’un suivi en orthophonie.

La situation précédente explicite la propension à catégoriser rapidement les enfants issus de l’immigration avec une étiquette handicapante. Dans les cas de surdiagnostiques, l’assignation à une école spécialisée ne favorise pas l’intégration du jeune, mais contribue plutôt à une marginalisation en ne favorisant pas son inclusion dans un système scolaire régulier lorsque la situation le permet.

Parallèlement, l’intervention de la DPJ dans l’exemple précédant, présuppose que les parents sont en faute de ne pas envoyer leur enfant à l’école. On peut penser qu’une interprétation culturaliste de la situation est en cause dans de tels propos de la DPJ.

Intervenante : « Je me souviens d’avoir participé à l’évaluation d’une fille qui était

considérée comme déficiente intellectuelle profonde. À son arrivée, on lui avait passé les tests en français et sans adaptation culturelle. On lui demandait par exemple de compter la monnaie canadienne. »

Plusieurs intervenant·e·s partagent une crainte face à la banalisation des surdiagnostiques des jeunes issus de l’immigration. L’une des intervenantes va plus loin et insiste particulièrement sur « le fait que le surdiagnostic est souvent cité pour indiquer que ce sont les jeunes qui ont un problème alors que la méthode d’évaluation n’est jamais mise en cause. »

Les exemples concernant le système scolaire ainsi que le système de santé qui ont été évoqués dans cette section tendent à montrer que les personnes issues de l’immigration vivant avec une limitation ont souvent accès à une offre de service limitée et un traitement différencié.