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Immigrante et proche aidante : un double rôle de soutien familial

4 L’AMEIPH, REGARD INTERSECTIONNEL SUR LES OPPRESSIONS

4.3 Expériences d’oppression vécues par les personnes issues de l’immigration et en

4.3.6 Immigrante et proche aidante : un double rôle de soutien familial

Comme nous l’avons mentionné précédemment, les femmes issues de l’immigration en situation de handicap vivent des enjeux spécifiques. En ce sens, les entrevues ont été particulièrement évocatrices à cet égard et m’ont permis de documenter certains de ces enjeux. Jusqu’à présent, j’ai peu abordé les situations touchant les proches aidant·e·s, je le ferai à partir d’un exemple de cas dans cette section.

Dans la majorité des familles prenant soin d’un enfant en situation de handicap, le rôle des femmes devient très souvent celui de proche aidante. Dans les sociétés occidentales, entre autres, les pressions sont très fortes sur les femmes pour correspondre aux multiples attentes sociales qui seraient le symbole de l’émancipation des femmes. On parle même de la « surperwoman » pour définir ce standard quasi inaccessible (Cardoso, 2014, p. 220). Dans le cas des proches aidantes issues de l’immigration, les pressions se combinent, il faudrait qu’elles puissent correspondre aux attentes de la « bonne épouse », de la « bonne mère », de la « bonne immigrante » et de la « bonne émigrante ».

L’exemple évoqué par une membre de l’AMEIPH fait écho aux tensions et aux pressions sociales qui sont vécues par les femmes proches aidantes issues de l’immigration.

Membre : « Je suis venue ici pour rejoindre mon mari. Lui, il avait déjà la citoyenneté

depuis longtemps donc il a parrainé ma fille, qui était malade, pour avoir des soins mais avec le travail et la petite c’était trop pour lui. Il m’a demandé de venir le rejoindre et je suis venue ensuite avec les 2 plus vieux. »

La « bonne conjointe » … monoparentale

Comme il était attendu d’elle, cette dame est arrivée au Canada pour s’occuper de sa famille. Pour elle, c’était quelque chose d’important et elle était contente de pouvoir venir au Canada et être présente pour ses enfants et son conjoint.

Toutefois, assez rapidement elle a constaté qu’elle était plutôt seule dans cette aventure. Le conjoint était très souvent parti à l’extérieur et il ne contribuait pas à la « caisse familiale ».

Membre : « Mon mari, il dit que le gouvernement donne de l’argent pour les enfants,

donc c’est avec ça que je dois m’arranger, mais il y a aussi le logement, l’hydro, le service de diners à l’école… je sais que mon mari devrait être là pour m’aider avec les enfants, mais il est toujours en voyage, des fois 1 mois, des fois 6 mois, enfin… »

Alors qu’elle pensait venir au Canada dans l’idée d’une réunification familiale, cette proche aidante dit plutôt qu’elle a « l’impression d’avoir été amenée pour m’occuper des enfants ».

La « bonne mère »

Les familles issues de l’immigration ont souvent plus d’un enfant, la « bonne mère » doit généralement s’occuper de l’enfant en situation de handicap ainsi que des autres enfants de la fratrie.

Membre : « À l’école de ma fille, ils me répètent souvent qu’il faut que je prenne plus

de temps avec elle parce que c’est une enfant qui a besoin de beaucoup d’attention et d’aide. J’essaie de prendre du temps avec ma fille, mais il y a aussi les rendez-vous médicaux, le travail et il ne faut pas oublier les 2 autres. »

Ainsi, en tentant de veiller au meilleur intérêt de l’enfant, le personnel enseignant de l’école exerce une pression sur la mère qui dit souvent ressentir « un jugement, comme si j’étais une mauvaise mère » de la part de l’école. Toutefois, cette pression tient uniquement compte de la situation de l’enfant et ignore les autres obligations qui font en sorte que la mère a une disponibilité limitée. L’école devient alors un lieu qui lui reflète une mauvaise image de la manière dont elle remplit son rôle de mère.

La « bonne immigrante »

Les pressions sur les personnes issues de l’immigration sont aussi nombreuses, elles doivent s’intégrer et devenir autonomes rapidement afin de ne pas représenter un coût, mais plutôt un apport pour la société. Il est donc bien vu d’apprendre la langue rapidement et de se trouver un bon emploi.

Membre : « Quand je suis arrivée, je ne parlais pas très bien français. J’aurais aimé

pouvoir aller à l’école (francisation), mais puisque le père des enfants n’apporte aucune aide, ça n’a pas été possible. »

Dans l’entrevue, la dame m’expliquait qu’elle voulait trouver un bon emploi, mais qu’avec l’irrégularité des rendez-vous médicaux, il était très difficile de trouver un emploi bien rémunéré qui lui permettait d’avoir des horaires flexibles.

Membre : « Il y a toujours des rencontres à l’hôpital, au CRDI, à l’école et c’est

difficile pour les horaires. J’ai trouvé un travail de préposée même si ce n’est pas bien payé. »

Faute d’avoir un emploi mieux rémunéré, elle doit ainsi consacrer plusieurs heures au travail pour pouvoir subvenir aux besoins familiaux.

La « bonne émigrante »

Il est commun que les personnes qui émigrent d’un pays du sud vers un pays du nord ressentent une pression à faire parvenir des sous à leur famille restée dans le pays d’origine. De plus, le projet migratoire est souvent considéré comme un succès quand la personne qui a émigré est en mesure par la suite de faire venir un ou des membres de sa famille dans le pays d’accueil. Ce processus normalement se fait aux frais de la personne qui est déjà dans le pays d’accueil.

Lorsque la personne immigrante est une proche aidante, les attentes à cet égard ne sont pas nécessairement moindres, entre autres dû au fait qu’il persiste une fausse croyance qui voudrait que le gouvernement paie pour tous les frais médicaux.

Membre : « Je dois travailler fort pour payer un logement, donner la nourriture et

habiller les enfants… Le gouvernement donne quelques sous pour les enfants, mais ça ne suffit pas. J’ai d’autres personnes dans mon pays qui compte sur moi, ma mère est seule et c’est moi qui m’en occupe. Éventuellement, j’aimerais la faire venir ici, et si je ne travaille pas, je ne serai jamais capable de prendre cette responsabilité et demander un visa pour elle. »

Il devient très difficile pour les proches aidantes de pouvoir passer du temps de qualité avec ses enfants, être disponible pour les rendez-vous médicaux, être le seul soutien financier de la famille au Canada et devoir soutenir financièrement un parent dans le pays d’origine tout en faisant des économies pour faire venir la personne par la suite. La pression est énorme et c’est cette pression qui n’est pas reconnue par l’école lorsque le personnel précise à la mère qu’elle doit passer plus de temps avec sa fille.

Le travail domestique invisibilisé et non-rémunéré

Bien que cette proche aidante mentionne aimer son travail de préposée auprès des personnes âgées, il est difficile parfois de comprendre pourquoi elle reçoit un montant pour pouvoir payer une gardienne à la maison qui lui permet d’aller travailler alors que l’école fait pression pour qu’elle passe plus de temps à la maison.

Membre : « Maintenant le CLSC me donne des sous pour payer une gardienne pour

pouvoir aller travailler, mais je paie la gardienne plus cher que l’agent que je fais moi- même au travail… je me dis que ce serait mieux si je reste à la maison pour m’occuper moi-même de ma petite et prendre l’argent pour la famille, mais c’est pas comme ça que ça marche, on peut pas faire ça… »

Les salaires précaires offerts aux travailleuses immigrantes font en sorte qu’il serait plus rentable d’encaisser le financement du CLSC et de passer du temps à la maison avec sa fille. Toutefois une telle posture impliquerait de reconnaitre le travail domestique invisibilisé et non-rémunéré des proches aidantes.

Cet exemple illustre comment l’invisibilisation du travail non rémunéré de proche aidante, l’ignorance des conditions économiques difficiles dans le système scolaire et le système de santé ainsi que la conjonction de différents systèmes d’oppressions se conjuguent et s’alimentent.