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Une intervention qui respecte les besoins et les priorités des personnes

5 L’INTERSECTIONNALITÉ EN PRATIQUE : APPLICATIONS ET ENJEUX

5.1.2 Des stratégies d’intervention variées

5.1.2.3 Une intervention qui respecte les besoins et les priorités des personnes

Les pratiques intersectionnelles accordent une grande importance à la prise en compte des perspectives subjectives des oppressions et au vécu des personnes. Pour cette raison, le respect des priorités, telles qu’identifiées par les personnes, est au cœur de la démarche d’intervention ainsi que l’établissement d’un rapport d’intervention égalitaire (Corbeil et Marchand, 2010).

Mettre la personne au cœur du processus de décision

Comme mentionné plus tôt, je fais suite à un cas abordé dans le chapitre antérieur, c’est-à- dire le cas de la dame vivant une situation de violence économique dans sa relation conjugale avec son mari et parrain qui détournait les subventions destinées au répit des proches-aidant·e·s. Un élément qui n’a pas été mentionné plus tôt est que la dame a aussi un fils d’une union précédente qui vit dans leur pays d’origine et elle souhaite le faire venir au Canada. Pour ce faire, elle tient à obtenir sa résidence le plus rapidement afin d’entreprendre les démarches avec son fils.

Lorsque la dame se présente à l’AMEIPH, l’intervenante découvre au fil des rencontres que le mari fait de l’abus financier en utilisant les subventions pour ses propres besoins. Elle comprend aussi la position délicate dans laquelle la dame se trouve puisque celle-ci ne veut en aucun cas entraver son processus de parrainage pour ne pas retarder la venue de son fils.

L’intervenante m’a confié qu’elle aurait préféré que la dame sorte de la relation nocive avant, mais dans son intervention elle a aussi considéré l’importance de prendre action selon les priorités nommées par la personne qui est au cœur de la situation. L’objectif principal durant le processus d’accompagnement a donc été de faire en sorte que le parrainage arrive à terme.

Intervenante : « Il y avait tout ça qui l’a poussé à faire ce choix et on l’a appuyée

même si ce n’est vraiment pas l’idéal d’encourager quelqu’une à rester dans une relation d’abus, mais on s’est assuré qu’elle était entourée d’un bon réseau »

L’intervention s’est faite en plusieurs temps. Premièrement, puisque la dame avait émis le souhait de poursuivre son parrainage jusqu’au bout, un mécanisme de sécurité a été mis en place pour elle et ses enfants. L’intervenante s’est assurée que la femme connaissait ses

droits et les démarches pour porter plainte si elle le souhaitait. Ensuite, elles ont visé à ce que la dame apprenne le français pour pouvoir prendre le relais des suivis médicaux de son fils. L’accompagnement a été soutenu durant plus de deux ans et, une fois le statut obtenu, elle a pu faire venir son fils et l’accompagnement fut dirigé davantage vers la sortie de la situation de violence conjugale.

Intervenante : « En intervention, j’essaie d’être ouverte et transparente à la fois et

surtout de ne pas juger. Je n’invente pas d’histoire, je suis honnête. Aussi si je ne suis pas d’accord, je ne vais jamais influencer l’opinion de quelqu’un et il y aura toujours plusieurs options. L’un des points les plus forts de l’intervention de l’association a toujours été sa capacité non seulement d’accueillir, mais d’offrir les services dans la flexibilité en fonction des personnes. »

L’analyse intersectionnelle privilégie une approche de non-hiérarchisation entre les différents systèmes d’oppression (Collins, Bilge, Pagé). Sur le plan de l’analyse, il est effectivement très intéressant d’avoir recours au concept de non-hiérarchisation pour pouvoir bien saisir la complexité des situations, l’enchevêtrement des systèmes et leur interalimentation. Toutefois, il est possible qu’une telle approche pose problème au niveau de sa mise en application. Comment peut-on agir si l’on ne priorise pas, comment choisir quelles actions poser?

L’exemple déjà présenté met de l’avant un aspect important de l’approche intersectionnelle en intervention, c’est-à-dire la nécessité de prioriser, et nous éclaire sur la manière de le faire? On remarque que l’intervenante a pris le temps d’écouter et de comprendre les différents enjeux imbriqués dans la situation et elle a accompagné la dame à déterminer quelles étaient ses priorités d’intervention en fonction des éléments qui étaient les plus oppressants pour elle. Dans cet exemple d’intervention, il ne s’agit pas de ne pas hiérarchiser, mais plutôt d’accompagner la personne à explorer les différents outils pour hiérarchiser elle-même en fonction de ses priorités. En prenant en compte que les systèmes s’interalimentent entre eux, l’empowerment se répercutera aussi de manière multiplicative dans les autres sphères d’oppression.

Tendre vers un rapport égalitaire en intervention

Comme nous l’avons vu dans l’exemple, il est possible que la priorisation faite par la personne ne corresponde pas au choix que l’intervenante aurait fait en fonction de ses

propres référents, mais le fait de respecter le choix de la personne permet à la relation d’intervention de perdurer dans un climat de respect et de confiance. Une telle manière d’aborder l’intervention amène une transformation au sein des rapports d’intervention. On y retrouve une reconnaissance importante de l’expertise que la personne détient face à sa propre réalité ce qui contribue à remettre une part considérable de pouvoir quant au choix des objectifs d’intervention.

Intervenante : « Un jour il y a une femme qui m’a dit : « quand tu parles avec moi tu

ne me parles pas comme les autres travailleuses sociales, tu ne m’as jamais fait sentir que j’avais pas terminé mon secondaire, je me sens au même niveau que toi. Tu ne me fais pas sentir comme si tu étais supérieure à moi. » Pour moi, c’est pas grave qu’une personne n’a pas fini sa cinquième année, parce qu’elle a son expérience de vie, sa sagesse à elle. »

Les intervenantes de l’organisme s’efforcent à mettre sur pied des espaces et des relations qui sont égalitaires. En ce sens, des membres ont nommé d'ailleurs l’AMEIPH comme un lieu où elles se sentaient « sur un pied d'égalité ».