• Aucun résultat trouvé

5 L’INTERSECTIONNALITÉ EN PRATIQUE : APPLICATIONS ET ENJEUX

5.1.2 Des stratégies d’intervention variées

5.1.2.6 Développer d’autres formes de communication

Plusieurs des membres de l’AMEIPH ne s'expriment pas fluidement en français. Pour certains c’est le cas aussi dans leur langue maternelle. Si l’on pense aux accents plus ou moins prononcés, aux hésitations et aux formulations pas toujours grammaticalement "correctes", la communication devient très difficile pour une personne immigrante avec des limitations sur le plan langagier.

Intervenante : « En général, la communication c’est la première barrière que les

personnes rencontrent en arrivant ici. »

À ce sujet, certains membres expriment des frustrations dues au fait qu’ils ne se sentent souvent incompris.

Membre : « Ce sont souvent les préjugés qui font que les gens ne veulent pas

t’écouter. »

Il est très intéressant de remarquer que ce participant fait un pont très clair avec la notion de préjugés et le manque d’écoute en lien avec la reconnaissance sociale. C’est pour cette raison que l’organisme a développé au fil du temps des stratégies de communication qui

tentent de ne pas reproduire des situations que Sousa Santos (2011) qualifiait d’invisibilisantes.

Climat propice aux communications non verbales

Dans une société comme la nôtre où la communication par la parole est excessivement valorisée, il est intéressant de voir comment l’organisme a été en mesure d’intégrer d’autres formes de communication et d’interaction.

Intervenante : « C’est important d’établir une ambiance détendue et accueillante où

ils peuvent se sentir en sécurité. Ensuite, il faut s’adapter et regarder la personne, observer ses réactions et s’ajuster. On veut éviter qu’il y ait certains qui n’osent pas rentrer ou qui n’osent même pas téléphoner sous prétexte qu’ils parlent mal le français ou qu’ils ont peur qu’on les comprenne pas. »

En observant quelques moments d’interaction à l’accueil de l’organisme, j’ai remarqué l’importance de l’utilisation des gestes lorsque les communications étaient moins fluides, mais surtout le regard accueillant et les sourires étaient utilisés pour souhaiter la bienvenue aux nouveaux membres.

Afin de maintenir un climat qui permet à tous et toutes de participer, il est aussi important de sensibiliser les personnes qui maîtrisent bien le français à utiliser un langage accessible.

Intervenante : « Des fois y’a ces hommes qui arrivent qui parlent très bien français et

qui s’expriment avec leurs grandes phrases de Molière que même moi je ne comprends pas…. Quand ils parlent comme ça dans les cafés-rencontre, tu vois tout le monde qui n’a rien compris avec le monsieur et son français très avancé, ils se disent merde je comprends rien c’est pas fait pour moi… et pouff ils ne viennent plus. Moi j’ai tendance à dire avec humour « Tu parles comme Molière et je comprends rien » même si je comprends, parce qu’il faut penser aux autres. Je passe souvent par l’humour, je joue la personne qui ne sait pas, mais j’amène un point. »

L’intervention par l’humour est souvent utilisée par les intervenantes pour sensibiliser à des situations plus délicates comme dans l’exemple ci-haut.

Développement d’autres outils de communications

Il est aussi intéressant de voir quels autres outils ont été développés pour favoriser un accès multiple aux activités. L’équipe de l’AMEIPH a, entre autres, repris les icônes qui viennent de la mouvance pour l’accessibilité universelle et les ont adaptés de manière à ce qu’ils puissent aussi rejoindre les personnes qui ne maîtrisent pas bien la langue française. De

plus, les activités sont presque toujours accompagnées de supports visuels et ceux-ci sont expliqués verbalement aux personnes non voyantes au besoin.

Multilinguisme

Dans l’équipe, on retrouve des personnes qui parlent plusieurs langues et il s’agit d’un point important de la stratégie d’intervention linguistique. Il n’y a aucune pression à parler français qui est exercée sur les participant·e·s comme c’est le cas

dans plusieurs autres sphères de la société et le fait d’avoir la possibilité de s’exprimer dans leur langue maternelle contribue d’un processus de reconnaissance linguistique.

Membre : « Il y a quelque chose de rassurant de savoir que quelqu’un parle ta langue

à l’organisme. Et ensuite, ça facilite d’apprendre le français parce que c’est à notre rythme. »

Le respect du rythme d’apprentissage du français est un élément qui est régulièrement mis de l’avant. On remarque aussi que le multilinguisme est favorisé dans les ateliers. C’est-à- dire que les étudiant·e·s prennent la parole en français, en anglais, en arabe ou en espagnol et on ne ressent pas de pression pour qu’ils et elles parlent français. À titre illustratif, dans un atelier trois membres discutent ensemble et les deux étudiants arabophones commencent à utiliser des mots en espagnol pour s’adresser au troisième qui est hispanophone. L’intervenante, surprise, soulève cette initiative devant le groupe et félicite les étudiants arabophones de leur capacité d’apprentissage de l’espagnol. L’AMEIPH est un endroit où les différents rythmes d’apprentissage vont être valorisés.

Intervenante : « On vise à la fois à favoriser le lien avec des personnes qui parlent la

même langue ou d’origine similaire au début en tant que réseau de soutien et parallèlement on favorise tranquillement la diversité, le mélange. »

La prise de parole des membres

Sur le plan des communications, un piège que l’on retrouve dans beaucoup d’organismes communautaires est celui de parler à la place des personnes concernées. À l’AMEIPH plusieurs membres apprécient beaucoup les espaces de parole auxquels ils et elles ont accès.

Les différentes langues parlées dans l’équipe : français, anglais, espagnol, somalien, arabe, italien, twi, rwandais, guinéen, créole.

Membre : « Elle peut le dire à ta place, mais ça ne sera jamais compris comme si le

membre qui l’avait dit et j’apprécie ça. En fait, à l’AMEIPH, ils ne parlent pas à la place des gens, mais ils t’aident plutôt à parler toi-même et j’aime beaucoup ça. »

Les membres vont travailler à développer des outils pour prendre la parole davantage et développer plus d’autonomie et d’assurance dans différentes situations. Cette stratégie de reprise de pouvoir, évoquée par Pullen-Sansfaçon (2013), contribue à transformer les dynamiques en favorisant le développement de la confiance, entre autres, au niveau des capacités orales et aussi sur le plan de l’affirmation.