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L’art comme vecteur de reconnaissance et de visibilisation

5 L’INTERSECTIONNALITÉ EN PRATIQUE : APPLICATIONS ET ENJEUX

5.1.2 Des stratégies d’intervention variées

5.1.2.4 L’art comme vecteur de reconnaissance et de visibilisation

Le concept de stigma, amené par Goffman (1963), que nous avons abordé plus tôt nous offre un bon outil pour comprendre la reprise de pouvoir en lien avec la reconnaissance. Il nous amène à voir qu’une personne qui prend action en arrive à se reconnaître elle-même comme une personne qui agit. De par cette expérience d’autoreconnaissance, cette personne peut prendre conscience de son pouvoir d'agir et éventuellement le transposer à d’autres contextes. L’art est utilisé à l’AMEIPH comme un outil qui vise à encourager cette reconnaissance et sert à plusieurs échelles.

Reconnaissance des personnes et de leurs potentiels

Faute d’autres référents, il est fréquent que les personnes issues de l’immigration en situation de handicap intègrent les différents stigmas à leur vision d’eux et d’elles-mêmes et en arrivent à se percevoir à travers une telle lunette. De plus, lorsque le stigma est lié à une limitation fonctionnelle, il est possible que les personnes en arrivent à penser que leurs potentiels soient eux aussi limités.

Intervenante : « L’idée dans les ateliers d’art, c’est pas de cacher les limitations, mais

on fait voir que les gens portent aussi autre chose en eux. » La stratégie d’intervention qui soutient le travail de l’AMEIPH dans les ateliers d’art et dans plusieurs autres activités est d’offrir un regard différent qui valide le fait que les personnes sont capables de se mettre en action et d’accomplir plusieurs choses. Un effort soutenu est déployé par les intervenantes pour reconnaitre à la fois les différences et les difficultés rencontrées tout en offrant des expériences qui permettent aux membres de valider qu’ils et elles sont plus que ces différences qui les stigmatisent dans plusieurs autres sphères de leur vie.

Administration : « C’est des gens qui vivent avec

beaucoup d’étiquettes, mais quand ils s’assoient dans le cours d’art ils deviennent des artistes, ils vont au cours de français, ils deviennent des étudiants, c’est intéressant de camper des identités différentes, de multiplier les rôles et valoriser des facettes différentes des gens. »

À l’organisme, l’agentivité ou le pouvoir d’agir des membres de l’AMEIPH est mis en lien direct avec la notion de multiplications des identités. Les différentes identités auxquelles les personnes ont recours pour se définir deviennent en quelque sorte une manière de reconnaitre la diversité au sein même des individus. L’organisme structure ses activités de manière à ce que les membres puissent faire l’expérience de différents rôles sociaux. L’atelier d’art est un bon exemple en ce sens, il permet aux personnes de prendre conscience individuellement de leurs potentiels, leurs talents, et découvrir un nouveau côté d’eux. Ce processus vise aussi à apprendre à être fier de soi et ouvre la porte à parler de sa réalité à travers des moyens qui sont autres que les mots.

Intervenante : L’idée c’est aussi de travailler parallèlement à assumer chacune de ses

identités. On voudrait qu’ils arrivent à se dire « ok oui il y a ça, mais je ne suis pas juste ça »

Pour plusieurs membres, la participation au projet d’art permet une ouverture sur soi et une prise de conscience sur le pouvoir qu'ils et elles ont dans leur vie et sur leurs choix. Ainsi, l’art devient un outil de déconstruction des images intériorisées par la socialisation et avec un levier pour travailler sur la reconnaissance de soi et le développement d’une identité

Une intervenante explique dans une conversation informelle comment elle a essayé à plusieurs reprises de donner des conseils à une étudiante pour faciliter son travail de peinture. Un jour, elle a réalisé qu’elle tentait de lui enseigner ce qu’elle pensait être la « bonne » technique, mais qu’une bonne ou mauvaise technique c’est relatif. Elle rit et me fait part de l’étonnement qu’elle a ressenti lorsqu’elle a compris que cette étudiante avait développé sa propre technique avec le pinceau sans beaucoup d’eau et qu’en fait c’était son style, sa façon de faire et non une « mauvaise » technique à corriger.

subjective. En développant des moyens créatifs de s’exprimer et d’agir tout en valorisant le potentiel des personnes marginalisées, les ateliers d’art s’inscrivent comme des espaces d’empowerment tels que définis dans les pratiques anti-oppressives de Pullen-Sansfaçon (2013).

Visibilisation et reconnaissance sociale

Selon Ricoeur (2004), les possibilités de reconnaissance de soi passent aussi par la reconnaissance d'autrui et la reconnaissance sociale. En ce sens, nous avons mentionné que les productions artistiques des membres étaient exposées dans les locaux de l’organisme, mais, au-delà de l’exposition dans les locaux, l’AMEIPH organise annuellement un vernissage ouvert au grand public dans les locaux du Centre Saint-Pierre. Cette expérience est très significative pour les participant·e·s du groupe d’art. Elle permet aux familles et aux proches de reconnaitre les talents souvent méconnus des membres. L’intervenante du projet d’art évoque les cas de familles qui ont éclaté en larmes devant la beauté des œuvres. Pour d’autres parents, c’est en constatant que les œuvres sont achetées qu’ils sont pris d’une fierté. Les étudiant·e·s sont aussi très valorisé·e·s par les commentaires touchants qu’ils et elles récoltent suite à la diffusion des œuvres.

Une telle reconnaissance agit directement sur le sentiment de fierté des artistes et transforme la perception qu’ils ont d’eux-mêmes. Cette nouvelle perception de soi contribue par le fait même à transformer le rapport qu’ils et elles entretiennent face aux stigmas qui leur sont accolés dans d’autres situations et contribue à ébranler les préjugés qui sont véhiculés au sujet des personnes issues de l’immigration en situation de handicap. Les préjugés étant l’un des obstacles majeurs à la reconnaissance sociale, on peut donc penser que les activités de visibilisation, comme le vernissage ou encore le marché de Noël, offrent des espaces de participation sociale qui prennent une part active dans le processus de déconstruction des préjugés, et ce, dans une perspective de justice sociale.