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Développer une expertise au croisement des difficultés/oppressions

5 L’INTERSECTIONNALITÉ EN PRATIQUE : APPLICATIONS ET ENJEUX

5.1.2 Des stratégies d’intervention variées

5.1.2.2 Développer une expertise au croisement des difficultés/oppressions

L’expertise spécifique que l’AMEIPH a développée au fil des années se transpose à différents niveaux. Elle prend forme autant dans les interventions individuelles, les interventions de groupe qu’au plan des stratégies internes.

Accueil et accompagnement individuel

L’analyse des situations d’oppression de la section précédente nous a fait voir comment les difficultés rencontrées par les membres de l’AMEIPH étaient incarnées dans des intersections complexes. Les causes ne peuvent donc pas être isolées et c’est pourquoi l’intervention de l’organisme est envisagée de manière globale et inclut très souvent une perspective écosystémique (Mayer, 2002) qui rejoint le système familial.

Intervenante : « Le fait d’inclure le système familial c’est pour nous une stratégie

d’intervention qui permet de faire en sorte que les différents membres d’une famille peuvent trouver sous le même toit des réponses à plusieurs situations. Parce qu’une fois que le lien de confiance est créé envers une structure c’est plus facile ensuite. »

Qu’il s’agisse de ressources d’accueil et d’intégration ou de ressources du système de santé, le personnel n’est souvent pas familier avec la spécificité des situations vécues par les membres de l’AMEIPH. À l’AMEIPH, les intervenant·e·s sont formés de manière à ce que les membres puissent retrouver toutes les informations dont ils et elles ont besoin au même endroit.

Intervenante : « Quand la personne arrive, c’est sûr qu’il lui manque beaucoup

d’informations donc nous commençons par ça. On s’assure que l’information qui est mise à la disposition des personnes va recouper à la fois le processus relié avec l’immigration, les étapes par rapport aux papiers et par rapport aux situations de handicap rencontrées, les examens médicaux, transports adaptés, intégration de l’école pour les enfants. »

Membre : « J’ai trouvé là-bas beaucoup de services et beaucoup d’accueil. Je suis allé

à l’AMEIPH initialement pour mon enfant, mais j’ai trouvé des services pour toute la famille. Le plus grand service que j’ai trouvé là-bas c’est ma liberté, parce qu’ici si tu n’as pas de résidence permanente, t’as pas de liberté et eux ils m’ont aidé beaucoup dans le suivi de ma demande de résidence à moi, ils m’ont même aidé financièrement quand j’ai eu à payer pour certaines démarches et aussi ils m’accompagnaient dans des rencontres médicales ou à l’école pour m’aider avec le français. »

Le fait d’entrer en interaction avec des personnes ressources qui sont en mesure de comprendre la complexité des enjeux vécus simultanément vise à faire vivre aux membres des expériences où ils et elles ne se sentent pas discrédités ou invisibilisés dans la relation d’aide. Par cette stratégie, l’AMEIPH tente d’amenuiser les effets de la stigmatisation et de renforcer les capacités d'une personne à se reconnaître comme étant digne d'être reconnue (Mensah et al., 2011) et d’emblée veut contribuer à accroitre la puissance d'agir des membres.

En lien avec les enjeux de craintes face aux structures de l’État nommées précédemment, une intervenante explique :

Intervenante : « Dans les CLSC, ils ne comprennent pas toujours cette méfiance-là,

que les gens ont face aux systèmes d’autorité, si la personne ne vient pas à son RV, on passe au prochain et tu passes sur la liste noire des personnes qui ne sont pas assez motivées pour assister à leurs rendez-vous ».

Le fait d’offrir un éventail large de services et d’activités qui répondent aux besoins des membres se veut une manière de ne pas obliger les gens à constamment repartir de zéro dans de nouvelles relations d’aide avec des intervenant·e·s qui ne sont pas toujours outillés pour saisir les interrelations des expériences complexes d’oppressions vécues par les membres. De plus, l’expertise spécifique de l’organisme facilite la confiance chez les membres.

Ateliers

Dans le but de diffuser au maximum les informations sur les ressources disponibles et de répondre aux questionnements des membres, l’organisme offre mensuellement des ateliers d’information sur différents thèmes comme le transport adapté, la recherche d’emploi, les droits des patients dans les services sociaux et le système de santé, etc.

En assistant à un atelier sur la recherche d’emploi, j’ai remarqué que l’atelier était donné par un organisme externe spécialisé sur la recherche d’emploi pour les personnes en situation de handicap. Comme aucune ressource externe ne possède de connaissances spécifiques jumelant handicap et immigration en emploi, une intervenante de l’AMEIPH coanimait avec la personne invitée et complétait les informations qui étaient fournies. Il s’agit d’une pratique courante dans l’organisme qui prend en considération que les ressources externes ne sont pas nécessairement en mesure d’offrir toutes les informations relatives aux croisements spécifiques entre handicap et immigration, alors il alloue une ressource dont le rôle est d’offrir un complément d’information qui rendra l’atelier plus complet pour les membres.

Développement de nouveaux services

Administration : « Si on juge que les organisations peuvent adapter leurs services

pour avoir une plus grande inclusion, on va pousser dans ce sens-là par des stratégies de sensibilisation. Mais si on pense que les services ne peuvent pas se donner à cause d’une limitation particulière, on va essayer d’aller chercher les moyens de documenter la situation et éventuellement combler ce vide-là en créant les services nécessaires. » Les personnes avec des déficiences intellectuelles ne sont pas acceptées dans les cours de francisation réguliers. Par contre, comme tous les nouveaux arrivants, ces personnes ont besoin d’apprendre à communiquer en français pour pouvoir s’intégrer au Québec. Suite à ce constat, l’AMEPH a décidé de développer des ateliers de français adaptés. Ces ateliers visent l’acquisition de notions de base en français afin d’augmenter le sentiment de compétence et l’estime des membres. Ils tentent de favoriser l’autonomie et veulent influencer la transformation des vecteurs de différenciation sociale (Juteau, 2003) qui pèse sur les représentations des personnes issues de l’immigration avec des limitations intellectuelles.

Équipe engagée qui s’actualise

Le volet de formation du personnel est très encouragé par la direction de l’AMEIPH. Une grande importance est accordée à la formation des intervenant·e·s afin qu’ils et elles puissent se tenir à jour sur les différents enjeux, lois, services touchant les secteurs d’intervention de l’organisme. À cet effet, les intervenant·e·s sont très libres dans leur choix de formation et par la suite, ils et elles sont invité·e·s à partager leurs réflexions sous forme d’autoformation au reste de l’équipe. Cette initiative participe à une mise en commun des savoirs et offre un espace de réflexion collectif qui est fort pertinent dans le cadre d’une pratique intersectionnelle.

Toutefois, si une approche intersectionnelle était intégrée plus largement, on pourrait penser que les employé·e·s et membres seraient invité·e·s à se tenir informé·e·s aussi sur le plan des mobilisations et des solidarités qui se déploient à différents niveaux afin de prendre part aux mouvements sociaux et s’inscrire dans différents réseaux de solidarité. Pour l’instant, ce volet est peu mis de l’avant par l’organisme.