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5 L’INTERSECTIONNALITÉ EN PRATIQUE : APPLICATIONS ET ENJEUX

5.1.1 Des valeurs de base inclusives

5.1.1.2 Convivialité, appartenance et solidarité

Dans un contexte où les personnes issues de l’immigration en situation de handicap vivent régulièrement de l’exclusion de différentes natures et dans différentes sphères (Roy et Soulet, 2001), il est particulièrement important que l’organisme qui travaille

spécifiquement sur cet enjeu soit en mesure de reconnaître les éléments excluants qu’il peut lui-même reproduire et mette des mécanismes en place pour transformer ses pratiques.

Une convivialité adaptée/accessible

En ce sens, l’AMEIPH tente de véhiculer un climat d’ouverture et d’inclusion qui fait contrepoids aux expériences d’exclusion sociale qui sont vécues par les membres.

En général, plusieurs organismes vont prévoir dans leurs locaux des espaces d’accueil pour les membres afin de favoriser l’échange informel, briser l’isolement. L’AMEIPH s’inscrit dans cette lignée, mais prévoit aussi certaines adaptations à l’espace d’accueil de manière à intégrer des éléments qui rendent l’espace accessible et inclusif. On compte parmi ces éléments un poste de travail adapté aux fauteuils roulants qui est doté d’internet, un photocopieur et un fax disponibles gratuitement, un micro-onde adapté en braille pour les personnes non voyantes et un coin café avec des chaises et tables pour les personnes qui voudraient prendre un moment pour discuter ou qui attendent un transport adapté. En parallèle, il y a une personne ressource accueillante et avenante qui est disponible pour répondre aux questionnements ou aider les personnes à utiliser certains appareils.

Dans l’espace d’accueil, il y a aussi de la musique pour transmettre un climat de convivialité et les toiles des étudiant·e·s de l’atelier d’art sont exposées pour visibiliser et valoriser leurs œuvres.

Membre : « Si on sent qu’il y a quelque chose qu’on ne peut pas faire par nous-

mêmes, on vient ici et ils vont nous aider à faire les démarches, envoyer un fax gratuitement. On apprend en même temps comment on peut le faire pour la prochaine fois, ça nous donne des nouvelles idées aussi. »

Cet espace d’accueil accessible prend aussi la forme d’un espace d’apprentissage pour les membres. Que ce soit pour des démarches médicales, scolaires, professionnelles ou d’immigration, le fait d’offrir ces services de photocopie et fax gratuitement sur le lieu allège les déplacements et les membres apprennent à le faire par eux-mêmes.

L’espace d’accueil est pensé aussi de manière à prendre en compte la précarité financière des membres, un axe d’oppression supplémentaire qui vient s’ajouter au croisement pris en compte dans l’organisme. En offrant cet espace de travail, on reconnait et prend en considération que les personnes immigrantes en situation de handicap ont beaucoup de

documents à fournir et qu’ils n’ont pas tous internet à la maison et que les cafés internet sont couteux. Le côté convivial du lieu permet de développer des liens entre les différents participants qui s’y attardent ou de simplement s’y poser pour se reposer avant de reprendre la route vers la maison.

Bien que l’organisme ait réfléchi à mettre en place plusieurs des éléments favorisant l’appropriation du lieu par les membres. Il serait aussi souhaitable, dans une perspective intersectionnelle, de porter la réflexion au-delà des besoins exprimés par les personnes présentes. C’est-à-dire de penser aux obstacles qui pourraient être rencontrés par des personnes qui figurent dans la population visée par l’organisme, mais qui ne sont pas présentes. En ce sens, le fait de porter attention aussi aux besoins des « absents » contribue à s’interroger sur d’éventuelles reproductions de comportement ou manières de faire qui pourraient avoir un effet d’exclusion pour certaines personnes.

L’appartenance, une famille choisie

La convivialité précédemment exposée et la place importante que l’organisme prend dans la trajectoire d’intégration des personnes se traduisent pour plusieurs dans la construction d’un lien d’appartenance très fort.

Membre : « On se sent familier ici. Moi je suis quelqu’un de très timide, mais quand

je viens ici, je me sens dans un environnement familier, je me sens chez moi et je suis à l’aise. Dans le fond, quand je dis qu’on se sent « Chez soi » c’est vraiment un endroit où on se sent libre, il n’y a pas de gêne, personne ne va te faire sentir mal. »

Membre : « Je me sens comme dans ma famille là-bas »

Le fait de faire référence au registre de la famille est très significatif, particulièrement pour les personnes immigrantes qui ont souvent eu à faire des coupures douloureuses avec des membres de leur famille. Il est donc important pour l’organisme de mettre en place des espaces qui favorisent la création de liens et de réseaux pour les membres et de préserver un climat de convivialité qui est propice à la consolidation d’un lien d’appartenance significatif.

Entraide, solidarité et pouvoir d’agir

Dans les activités, les membres apprécient beaucoup le partage et les échanges qui ont lieu. Plusieurs personnes font référence au fait qu’elles se sentent bien, voire respectées, ce qui est en lien direct avec le climat de convivialité et de reconnaissance nommé plus tôt.

Membre : « La solidarité et l’entraide c’est le principal de l’association… le principal

de l’association c’est de se mettre ensemble et je me sens bien parce que c’est là qu’on trouve des gens qui nous ressemble si je peux dire. »

Membre : « Quand je suis venue ici, j’ai trouvé d’autres gens, on parle, on fait des

contacts, on trouve des ami.es. Ça motive à se dire qu’on est pas seule sur la planète. Quand je suis avec mes sœurs handicapées, on sait qu’on est des handicapés et puis on échange ensemble. »

Membre : « Je peux dire que quand je suis à l’association, je suis entourée de

personnes comme moi, handicapées et immigrantes comme moi et je peux dire qu’on partage la même expérience entre nous. Quand je sors dehors, les gens sont gentils avec moi, mais ils ne vivent pas ce que je vis, c’est ça la différence. »

Le fait de constituer un endroit où les personnes ayant un vécu commun, une expérience partagée autour d’enjeux similaires, joue un rôle spécifique pour les membres de l’AMEIPH. En ce sens, l’AMEIPH favorise ces espaces d’échange, de partage et de mise en commun de situations et d’expériences spécifiques vécues en tant que personne issue de l’immigration en situation de handicap.

Intervenante : « Le fait qu’elles soient toutes issues de l’immigration, ça fait qu’elles

comprennent. Elles ont toutes vécu l’engrenage de l’immigration, l’attente pour les papiers. C’est quelque chose en commun qu’elles partagent, elles ont toutes laissé leur famille, leurs proches, des fois même les enfants, certaines sont arrivées toutes seules ici. Elles sont là les unes pour les autres, elles ont toutes vécu l’attente, la frustration, le découragement et elles vont s’encourager. »

Puisque toutes les personnes n’ont pas fait les mêmes choix face à des situations similaires, le fait de mettre en commun des expériences apparentées fait aussi ressortir la possibilité de prendre différentes trajectoires. Ces espaces de partage contribuent à élargir l’éventail des choix qui s’offrent aux membres.

Intervenante : « Ce qu’on remarque c’est surtout au niveau du pouvoir d’agir, le fait

de prendre leurs décisions et de voir des choix parmi lesquels elles peuvent choisir. Il y a plusieurs exemples, que ce soit le choix du traitement par rapport à un problème de santé ou un handicap. Sinon, le choix du conjoint, être capable d’envisager qu’on a le choix, le choix de la personne, mais aussi le choix de rester célibataire. »

Ce partage de situations similaires semble très propice au développement de l’entraide entre les membres et devient en quelque sorte une forme de pouvoir d’agir qui se concrétise,

entre autres, par la création d’un réseau de soutien et en revendiquant le fait de vouloir aider à son tour.

Membre : « L’AMEIPH c’est une très bonne idée, par exemple dans les gens que j’ai

rencontrés là-bas, j’ai remarqué que si quelqu’un a une information qui peut être bénéfique pour quelqu’un d’autre, ils prennent le téléphone et appellent et donnent l’information pertinente. Ça a fait qu’on est devenu un réseau de personnes qui se connaissent et puis qui communiquent ensemble et c’est très beau. »

Membre : « Il faut cesser de penser qu’on est juste destiné à recevoir et penser qu’on

peut aussi faire. »

Intervenante : « Dans des sorties, on voit des fois quelqu’un qui a une déficience

physique aider quelqu’un qui est non-voyant en le guidant pour éviter un obstacle. » On peut voir une continuité entre le climat de convivialité et le développement d’une appartenance qui s’inscrivent en ligne directe avec les valeurs d’entraide et de solidarité qui sont portées par l’organisme. Ces valeurs sont développées et mises de l’avant dans l’organisme dans une perspective de tendre vers un plus grand pouvoir d’agir ou d’empowerment, tel que développé par Boisclair et al. (2010).