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Soins infirmiers et déterminants de santé

Un malade inséré dans son environnement

Plus j’ai avancé dans ma recherche de terrain et plus j’ai constaté que l’humain malade du cancer n’est en aucun cas un individu isolé au sein de son environnement physique et social. Et comme je l’annonçais plus haut, la compréhension du vécu des malades (et sans doute aussi de celle des soignants) est susceptible d’être enrichie par les apports et outils fournis par la santé publique. En effet, de la même manière que son existence est comprise dans une histoire, en un lieu géographique donné, la vie d’une personne est insérée dans un système beaucoup plus vaste composé de tous les facteurs qui vont influer sur son vécu tels que l’organisation politique du pays dans lequel il évolue (avec l’importance des politiques de santé), le milieu de vie, les conditions socio-économiques... En santé publique, divers auteurs ont tenté de modéliser les déterminants sociaux de la santé et leur influence potentielle sur l’humain.

Ainsi, le modèle de Dahlgren et Whitehead (1991), retient 4 niveaux en matière de déterminants de santé. Cette modélisation schématise et synthétise les éléments environnementaux, physiques et relationnels des individus selon leurs âges et le lieu où ils vivent. Ces éléments interagissent et s’influencent mutuellement.

Planche n° 1 : modèle de Dahlgren et Whitehead, 1991, Policies and strategies to promote social equity in

health. Stockholm : Institute of Future Studies.

Les déterminants sociaux de la santé

Facteurs liés à l’âge, et à la constitution

Le modèle montre qu’en fonction de son capital génétique, de son âge, de son sexe, du rôle qui lui est dévolu en fonction de ce sexe (son genre), l’individu représente un élément singulier du puzzle social et environnemental dans lequel il s’insère.

Réseaux sociaux et communautaires

Le tissu social dans lequel est intégré la personne va prendre toute son importance dans des situations réclamant du soutien. Par exemple, dans le cas du cancer, l’insertion sociale du malade aura un impact qui pourra être positif ou négatif sur l’évolution de la maladie.

Facteurs liés aux conditions de vie et de travail

En fonction du type d’emploi, les facteurs de risques pour la santé sont conséquents. Dans certains cas (comme pour une des personnes interrogées dans le cadre de cette thèse) il existe même un lien direct entre exposition aux agents toxiques et maladie (amiante-cancer de la plèvre).

Des conditions de vie insalubres liées au logement ont des conséquences évidentes sur la qualité de vie et interfèrent avec le capital santé des individus.

Conditions socio-économiques, sociales et culturelles

Englobant tous les autres déterminants de manière large, ces macro déterminants vont influer sur tous les autres et vont même parfois prendre le pas sur ceux-ci.

Il est possible, grâce à cet outil, d’enrichir les analyses et d’envisager la prise en compte des déterminants sociaux de la santé comme faisant partie d’un tout, d’un contexte global d’existence au sein duquel tout est interconnecté, avec une interdépendance des différents facteurs explicatifs et une diffusion des idées, des habitudes (Hannerz, 1996 : 18). Il serait presque possible de rapprocher ce qui serait une sorte de système complexe à flux entrants et sortants du concept d’écoumène proposé par Ulf Hannerz (1992 : 264-265). Celui-ci, s’appuyant sur la linguistique et notamment sur la genèse des langues créoles, propose en effet de considérer les faits sociaux, non sur la base d’une explication monolithique des choses mais à la lumière de la complexité des situations, ce qui revient à proposer des explications multidimensionnelles des phénomènes14 observés.

Dans le domaine biomédical, les modes de pensées focalisent souvent l’axe de référence uniquement sur le versant de la maladie et de ses symptômes. C’est une vision issue de l’histoire des soins, car notre société et la médecine biomédicale se sont construits dans le paradigme du cure, du soin vu du strict point de vue des protocoles techniques biomédicaux. Tout le système de soins est construit pour répondre à ce principe : diagnostiquer et traiter. La mise en lien de l’individu confronté à la maladie dans son environnement global est une notion finalement assez récente dans notre société. J’ai pu l’observer de l’intérieur en tant que soignant : les théories des soins se sont complétées les unes et les autres tout au long des décennies : d’abord centrées, à l’époque de Virginia Henderson sur les besoins de la personne (Henderson, 1966, Henderson & Nite, 1978), d’autres théoriciennes (Orem, 1987, Peplau, 1952) ont élargi l’horizon du champ des soins infirmiers en proposant des modèles d’analyse

14 Le texte original est le suivant :

« (…) I would suggest first of all that creole cultures – like creole languages- are intrinsically of mixed origins, the confluence of two or more widely separate historical currents which interact in what is basically a center/periphery relationship. (…) The cultural processes of creolization are not simply a matter of a constant pressure from the center toward the periphery, but a much more creative interplay. As languages have different dimensions such as grammar, phonology and lexicon, and as creole langages are formed as unique combinations and creations out of the interactions between languages in these various dimensions, so creole cultures come out of multidimensional cultural encounters and can put things together in new ways » (Hannerz, 1992 : 264-265).

des situations humaines plus fins, tenant compte des interrelations avec un environnement plus global.

Un autre modèle d’analyse est disponible et susceptible d’enrichir l’analyse anthropologique. Il s’agit du modèle de la CSDH/CDSS15 utilisé par l’OMS. Il rassemble l'ensemble des déterminants reconnus et est fondé sur les interactions que des déterminants dits « structurels » des inégalités sociales de santé entretiennent avec des déterminants dits « intermédiaires » de l'état de santé des individus. Ce modèle permet une approche complémentaire à celle rendue possible par le modèle précédent en mettant en évidence, de manière plus explicite, l’influence des déterminants du contexte socio-économique et politique.

Planche n° 2 : modèle de la DSDH/CDSS16

15 CSDH : Commission on Social Determinants of Health ; CDSS : Commission des déterminants sociaux de la

santé.

16 Combler le fossé en une génération. Instaurer l’équité en santé en agissant sur les déterminants sociaux de la

santé, 2009. OMS.

Mais cette présentation de l’influence possible des déterminants sociaux de santé sur l’apparition du cancer, ne serait pas complète sans une explicitation du modèle proposé par Marjolaine Pingeon (2012) qui intègre les notions de temps et d’espace.

Planche n° 3 : modèle de M. Pingeon (2012)

Ce modèle présente, hormis les segments classiques (contexte global, systèmes d’éducation, de santé…) une dimension qui faisait défaut jusque-là dans les modèles précédents : la temporalité. Ceci a une grande importance et, comme nous le verrons dans le chapitre intitulé

Chronologies, permet de prendre en compte le fait que nous ne vivons pas dans un temps figé,

mais dans une temporalité dynamique qui évolue chaque jour, et qu’il faut constamment réévaluer et faire évoluer.

Grâce aux différents éléments précédemment présentés, il m’a été possible de tenter de dresser une cartographie des déterminants de santé identifiables dans la zone géographique que j’ai étudiée17. En outre, nous verrons plus loin que les déterminants sociaux ainsi que les

modèles d’analyse présentés plus haut ont un impact probable sur les schémas d’interprétation de la maladie développés par les personnes atteintes de cancer.

Chapitre II