• Aucun résultat trouvé

Une pluralité historiquement ancrée

Le recours à des thérapeutes autres que ceux de la médecine officielle est très ancien. Françoise Loux (1990 : 258) en note la présence dans la France traditionnelle et elle précise que, quand la maladie était grave, quand ni le guérisseur du village, ni le médecin n’avaient pu intervenir, les familles faisaient souvent appel à quelqu’un venu de l’extérieur, une personne susceptible de fournir un élixir magique, venu d’un pays lointain. Ces thérapeutes, qui étaient fréquemment des charlatans, exploitaient l’attrait de l’exotisme, et permettaient aux malades d’envisager une issue bénéfique à leur mal.

Et Françoise Loux interroge nos pratiques actuelles :

“ Ces charlatans de foire font sourire. Ne peut-on cependant trouver une parenté avec eux dans l’attrait actuel que représentent les thérapeutiques ésotériques? Dans ce cas également, il y a référence à l’exotisme. Au lieu de rechercher des racines dans sa propre tradition, on se réfère à des traditions différentes, apparaissant moins banales mais pour lesquelles on n’a aucune affinité culturelle. N’est-ce pas le cas avec certaines techniques de yoga ou de bio-énergie californienne? Leur attrait ne va t-il pas de pair avec le dépaysement qu’elles sont censées apporter?” (Ibid.)

Pour autant, le recours aux thérapies alternatives est au cœur des pratiques quotidiennes, comme le souligne Marcellani :

« Le recours aux thérapies alternatives survient aussi souvent lorsque la médecine classique, tout d’abord consultée, se révèle incapable de proposer un diagnostic et/ou un soin adapté et efficace, ou bien lorsque le patient ayant déjà consulté un médecin, voire plusieurs médecins et spécialistes, s’est entendu dire « vous n’avez rien ». Catégorisé par la biomédecine comme « faux malade » ou « pseudo-malade » (Laplantine F, 1986 : 267), il se voit assez vite contraint à chercher ailleurs une prise en charge thérapeutique. Dans ce cas, il s’agit d’un « choix par défaut ».» (Marcellani et al., 2000 : 24)

Il n’y a, d’ailleurs qu’à interroger nos propres pratiques. Qui n’a jamais utilisé des chemins de traverse quand il s’agit de gérer sa santé au quotidien ? Il s’agit de parcours mouvants qui oscillent entre biomédecine et autres recours :

«Les itinéraires thérapeutiques qui émergent ici sont tous caractérisés par des allers et retours entre médecine biomédicale et thérapies alternatives. Une dialectique se dégage dans les usages combinés des deux modes de soins, entre le « grave » et le « moins grave », entre le « cassé » et le « déréglé », entre le visible et l’invisible, entre le lésionnel et le fonctionnel, entre le rassurant, le solide, et l’aventureux ou l’inconnu. » (Marcellini et al., 2000 : 29)

Pluralité thérapeutique et cancer

Dans le cadre de la maladie cancéreuse, et comme nous le verrons plus loin, il semblerait que ces stratégies d’utilisation d’expédients soient très répandues et répondent à un besoin vital :

«Les malades-le plus souvent accompagnés par leur entourage, ou parfois l'entourage suppliant le malade- peuvent alors développer de nouvelles attentes : une recherche de sens, de spiritualité, de religiosité, d'accompagnement, de soins de support ou de confort, ou de recherche d'espoir. C'est une nouvelle période de liminarité, délimitant cette fois un statut flou de malade entre la vie et la mort, qui favorise de nouvelles motivations pour des soins non conventionnels» (Cohen et al., 2016 : 204).

Ceci semble d’autant plus vrai que cette maladie, nommée dans son roman par l’oncologue Siddhartha Mukherjee, « L’empereur de toutes les maladies » (2013), hante l’homme depuis son apparition sur terre.

Un succès qui ne se dément pas

Avant tout, il convient de définir ce que sont les médecines non conventionnelles (selon la terminologie employée par l’OMS). Car de nos jours, en France et tant dans les milieux médicaux ou paramédicaux que populaires, une opposition subsiste entre médecine conventionnelle et médecines dites non conventionnelles, alternatives ou traditionnelles, ces diverses médecines, qui renvoient à des entités parfois très différentes les unes des autres (et parfois plus à des techniques de soins qu’à des médecines à proprement parler), étant souvent employées indistinctement pour les qualifier les unes et les autres ou pour dire les choses de manière sans doute plus simple, pour les mettre dans le même sac. L’appellation « médecines alternatives» a, par exemple, été choisie par le magazine « Sciences et santé » édité par

l’INSERM 37, devant la multiplicité des appellations possibles : médecine alternative, parallèle, traditionnelle, douce, complémentaire, naturelle... Son édition n° 20 de mai-juin 2014, sépare clairement les deux mondes : d’un côté la médecine occidentale moderne, scientifique et de l’autre les approches non conventionnelles, souvent considérées comme non scientifiques et basées sur des « croyances ».

Cette guerre de tranchées dure depuis le XIIème siècle, période à laquelle les premières universités européennes consacrées à la médecine ont vu le jour.

Le nombre de médecines alternatives répertoriées dépasse les 400 actuellement selon l’OMS38. Cet organisme donne la définition suivante de la médecine traditionnelle39 :

« La médecine traditionnelle est la somme totale des connaissances, compétences et pratiques qui reposent sur les théories, croyances et expériences propres à une culture et qui sont utilisées pour maintenir les êtres humains en bonne santé ainsi que pour prévenir, diagnostiquer, traiter et guérir des maladies physiques et mentales. »

Puis, L’OMS complète cette première définition :

« Médecine parallèle, alternative ou douce : dans certains pays, les appellations médecine parallèle, alternative ou douce sont synonymes de médecine traditionnelle. Elles se rapportent alors à un vaste ensemble de pratiques de soins de santé qui n’appartiennent pas à la tradition du pays et ne sont pas intégrées dans le système de santé dominant. »

Nous pouvons remarquer l’emploi du mot « croyances », qui, dans une certaine mesure peut être interprété dans un sens plutôt péjoratif, pour ne pas dire non sérieux. Pierre Lagrange (2012 : 10) interroge la méfiance, voire le rejet que suscite l’évocation de croyances issues de notre environnement proche, celles, issues de cultures plus exotiques semblant plus acceptables :

« Si les croyances qui provoquent rires, gesticulations et finalement agacement des chercheurs en sciences sociales sont intéressantes, c’est parce que le rapprochement avec les savoirs scientifiques permet de rendre visible notre incapacité à remplir le programme de l’anthropologie, c’est-à-dire à étudier l’ensemble des discours et pratiques, qu’il s’agisse de croyances ou de sciences. Apparemment, les vols d’organes, le spiritisme ou la Vierge, ce n’est pas comme la magie Zandé,

37 Institut national de la santé et de la recherche médicale. 38 OMS : Organisation Mondiale de la Santé.

le chamanisme achuar , ou les dieux égyptiens. Et le risque est grand de se faire traiter de sorcier, de métapsychiste ou d’ufologue par des collègues saisis de gesticulations » (Lagrange, 2012 : 10).

Je développerai plus loin la question du lien entre croyance et rationalité. En effet, comme nous le verrons, cette question se révèle de première importance lors de l’analyse du matériel ethnographique.

Une étude du CAS40 (Centre d’Analyse Stratégique) de 2012 révèle que près de 70% des européens ont fait appel à une thérapie non conventionnelle durant leur vie, 25% d’entre eux y recourent chaque année. Les thérapies peuvent être rattachées à l’utilisation de produits naturels (aromathérapie, lithothérapie, phytothérapie, diète…), mais aussi au lien avec le corps au travers d’actions directes sur celui-ci (atlasthérapie, chiropraxie, ostéopathie, massages…). Certaines sont axées sur les liens corps-esprit (hypnose, sophrologie, méditation, EMDR41…), d’autres font appel à des techniques complexes issues de traditions médicales d’autres continents : ayurvéda, médecine chinoise, reiki42…)

Comment se définit un tradipraticien

Tout d’abord, comment définir ce que signifie le terme tradipraticien ? Laurence Pourchez (2013 : 14) en donne la définition suivante :

« Encore plus discutable malgré son vernis "moderne" ou "scientifique", le terme de tradipraticien est un emprunt au vocabulaire initial de l’anthropologie médicale. Cette branche de l’anthropologie s’est développée aux Etats-Unis à partir des années 1960 et comme le remarque Jean-Pierre Olivier de Sardan (2006 : 1040), il s’agissait à l’origine, dans la lignée des ethno- sciences et de la découverte de ce que l’on nomme, de manière quelque peu discriminatoire, les "médecines non-conventionnelles", de donner une importance particulière aux représentations locales de la maladie. Les enquêtes étaient à l’époque menées principalement auprès des

40 Centre d’Analyse Stratégique, c’était une institution française d'expertise et d'aide à la décision qui appartenait

aux services du Premier ministre.

41 Cet acronyme anglais signifie « Eye movement desensitization and reprocessing », c’est-à-

dire reprogrammation et désensibilisation par des mouvements de l’œil. Validée par l’INSERM en 2004, puis par la Haute Autorité de Santé et plus récemment par l’OMS, l’EMDR est une thérapie qui permet de requalifier la mémoire émotionnelle.

42Le Reiki est une pratique qui vise à réactiver les capacités d’auto-guérison par des techniques de relaxation et

d’apposition des mains. Cette approche holistique d’harmonisation énergétique est d'origine japonaise et se base sur le fait que les objets, les êtres vivants et l'univers tout entier sont énergie. Pour le Reiki, cette énergie dont nous serions faits nous aussi, doit circuler librement dans notre organisme pour assurer notre bien-être et notre santé physique et émotionnelle.

thérapeutes et le terme de tradipraticien a été forgé, qualificatif somme toute assez générique, donc réducteur, puisqu’il désigne tant ceux qui soignent avec les plantes que ceux qui utilisent le recours à des techniques du corps, à la transe, à des pratiques magico-religieuses… »

Elle précise enfin, que le terme tradipraticien semble tomber en désuétude : des qualificatifs plus précis sont désormais employés par les anthropologues, ce, en fonction de la spécificité du domaine du thérapeute. En outre, la tendance actuelle, dans le domaine de la recherche ethnographique est plutôt de travailler avec les usagers de ces médecines, qui véhiculent mieux les valeurs culturelles liées aux soins et aux techniques du corps (les remèdes de grands-mères).

Qui sont les tradipraticiens ?

Les études anthropologiques menées auprès (et sur) des tradipraticiens sont nombreuses. Elles ont fait, depuis l’époque de Rivers, les beaux jours de l’anthropologie. Le rapport à la maladie, aux manières de la traiter, aux représentations du mal, ont constitué des objets d’observations précoces, Rivers (1917) ayant été l’un des premiers anthropologues à s’y intéresser. Pour autant, Singleton (2005 : 57) situe l’essor des recherches anthropologiques consacrées aux thérapies traditionnelles à la fin du XXème siècle :

« Il y avait déjà eu à cette époque (1972) quelques recherches en ethnopharmacologie et deux ou trois pionniers avaient publié des monographies sur la médecine traditionnelle, mais la ruée sur l'ethnopharmacologie, le recours officiellement préconisé aux "tradipraticiens", l'essor de l'anthropologie médicale et l'auto-organisation des "guérisseurs" eux-mêmes, ne date que des années 1980».

Cependant, même si le sujet des tradipraticiens n’est pas récent et concerne la majorité de l’humanité, les recherches ont principalement été conduites par des anthropologues occidentaux. Il serait par exemple possible de citer Evans Pritchard, 1928 ; Laplantine 1976 ; Fassin 1990 ; Singleton, 2005 et bien d’autres encore... Mais comme le remarque Didier Fassin, il n’a jamais été question d’une entreprise philanthropique. Ce qui semble intéresser vraiment les scientifiques issus des ex-pays colonisateurs concernant les usages des médecines « traditionnelles » est centré quasi exclusivement sur la pharmacopée, sur ce qui peut servir aux occidentaux :

« Tout d'abord, il faut remarquer que les recherches scientifiques menées sur ce thème ont presque exclusivement pour objet les pharmacopées, écartant ainsi les dimensions rituelles, magiques, religieuses - c'est-à-dire finalement sociales - de la cure traditionnelle : celle-ci est réduite à un inventaire de plantes, de substances, de recettes qu'il s'agit d'évaluer en dehors de tout contexte réel et du seul point de vue de la biologie ainsi que le met en évidence Jean-Pierre Dozon (1987) à propos du Bénin. » (Fassin, 1990 : 19)

Nous pouvons penser que cet intérêt sélectif répond à au moins deux aspects reliés aux personnes qui effectuent les recherches dans ce domaine. D’une part, nous savons tout l’intérêt que revêt, pour les industries pharmaceutiques des pays dominants, la « découverte » et le dépôt de brevet pour des molécules « nouvelles » issues des pharmacopées autochtones ainsi que, de manière plus générale, les savoirs originels qui sont souvent instrumentalisés dans le cadre de ce que les occidentaux nomment le développement (Roué et Nakashima, 2002, Roué, 2003). Comme nous l’explique Arun Agrawal, après avoir été recueillis (et il n’est pas anodin de voir que les travaux font état « d’informateurs » et non d’acteurs de la recherche) les savoirs traditionnels font alors l’objet d’un grand nettoyage afin que ne soient gardés que ceux qui sont réellement utiles à l’occident :

« Certaines bases de données recensent les pratiques dites les « meilleures » ou « exemplaires » en mettant en relief les succès obtenus par divers peuples autochtones ou communautés locales face à des problèmes de préservation de l’environnement, santé, éducation ou agriculture (…) Pour une bonne part, les informations que contiennent ces bases de données ethnobotaniques rappellent des recherches anthropologiques sur les savoirs traditionnels antérieures, qui remontent au tournant du siècle dernier, à cette différence près que les mêmes savoirs et les mêmes recherches sont maintenant représentés par le biais du puissant langage utilitaire du savoir autochtone et justifiés par l’importance cruciale de ce savoir pour le succès des efforts de développement » (2002 : 327- 328).

La bio piraterie est en effet un sport fort développé ces dernières décennies, avec à la clé, de substantiels profits pour les trusts pharmaceutiques, et des miettes, voire aucun bénéfice, de quelque ordre qu’il soit, pour ceux qui ont été pillés.

D’autre part, bien que construites dans un cadre scientifique, des observations plus récentes opérées auprès des tradithérapeutes n’en demeurent pas moins très ethnocentrées, comme en témoigne Michael Singleton (2005 : 53) :

«Dans La Chute, d'Albert Camus, Clamence, le juge repenti, se déclare coupable au préalable afin de pouvoir jeter la première pierre à tout le monde. C'est pourquoi, dès ces premières lignes, je

suis prêt à admettre que par inattention je me suis rendu coupable, il y a quelques années, d'une faute professionnelle grave. En quête d'éditeur, j'avais revu, corrigé et rassemblé en 1982 mes incursions dans le domaine de l'ethnomédecine sous forme d'un recueil intitulé Ethnomedical Elucubrations (Des élucubrations ethnomédicales). Mais au moment même de relier les photocopies, le titre m'est soudainement paru équivoque, voire déplacé. Et si "ethnomédecine" rimait avec "ethnocide"?».

Les références au domaine de l’ethnobotanique, par exemple, sont souvent assujetties à des comportements opportunistes de la part de promoteurs peu délicats de l’utilisation de ces plantes. Souvent, ils dévoient, en occultant des pans entiers de ce que représente, au-delà de la simple utilisation médicinale, les signifiants, l’histoire des indications thérapeutiques d’un végétal. Laurence Pourchez (2013), dans son article : « Les savoirs « traditionnels » associés aux plantes sont-ils toujours traditionnels ? », met l’accent sur les libertés qui sont prises dans la présentation, l’utilisation de végétaux, dont la vente est récupérée par des circuits commerciaux peu scrupuleux. Au-delà de ce qui pourrait apparaitre comme un usage trivial, le risque sanitaire est une réalité, les principes actifs de plantes mal utilisées, peuvent s’avérer toxiques, voire létaux. Pour autant, il existe dans la littérature des ouvrages qui mettent en valeur les savoirs populaires liés aux plantes. Ainsi, nous pouvons faire état du travail réalisé par des défenseurs d’une utilisation appropriée des plantes comme Pierre Lieutaghi ( Le livre

des bonnes herbes, 1966) et Thierry Thévenin (Plaidoyer pour l’herboristerie, 2013 ).

L’étude, la compréhension des subtilités qui se trouvent derrière le simple usage d’un médicament à base de plantes récoltées dans la forêt, réclame un travail ethnographique de fond. Cependant, il apparait souvent, que cela est insuffisant pour appréhender, intégrer, comprendre véritablement le sens de cette pratique, qui dépasse l’apparente banalité de l’usage d’un remède de « grand-mère ». C’est, à mon sens, tout le travail de l’anthropologue de tenter ce décryptage, honnêtement, avec humilité, en ayant conscience de peut-être, n’avoir compris et intégré que partiellement toutes les subtilités de ce qu’il a observé.

Sont-ils dépositaires d’un réel savoir ?

En France, les travaux consacrés aux savoirs des tradithérapeutes sont nombreux et surtout présents depuis la fin du XIXème siècle notamment avec les écrits des folkloristes. Les plus connus, en France, sont Sébillot, Saintyves et Van Gennep. C’est surtout ce dernier qui a

donné une orientation plus contemporaine à la discipline, la faisant passer du folklore à l’ethnographie, comme le rappelle Jean-François Gossiaux dans son écrit : « Du folklore à l’ethnologie française. » (2000 : 2)

« Du folklore à l'ethnologie française" : l'intitulé est a priori explicite et a valeur de programme. Situant l'une dans la filiation de l'autre, il annonce un récit historique commençant au dix- neuvième siècle par l'évocation de quelques figures tutélaires, Sébillot, Saintyves... pour aboutir à l'"ethnologie française" institutionnalisée comme telle au milieu du vingtième, en mentionnant au passage l'inspiration que cette dernière est allée chercher du côté de l'ethnologie exotique. »

Nous notons l’imprécision du terme qui revêt des réalités et des pratiques fort diverses, en cela il est utile de nommer clairement les différentes typologies de soins proposés par ces acteurs de la santé populaire.

Au XIXème siècle, des auteurs tels que François de Vallières (1882 : 8) ont plutôt une vision peu amène des « guérisseurs » :

« Rebouteurs, Orouscopes, Méges, Gaugnes, Bailleuls, Renoueurs, Voyants, Remaugeous, Sorciers, telles sont les nombreuses appellations qui servent à désigner cet être toujours ingnorant auquel non-seulement des paysans et des ouvriers, mais encore des citadins et des gens relativement éclairés n'hésitent pas à demander conseil ». (De Vallières, 1882 :8)

Charles-Félix Durand (1884 : 5) dresse lui aussi un portrait au vitriol de ceux qu’il nomme guérisseurs :

« Or, à côté des docteurs - lesquels, reconnaissons-le entre parenthèse, ont bien perdu depuis Molière de leurs grands airs pédantesques, et ont beaucoup gagné en savoir-à côté des docteurs -et c'est notre excuse- font passer de notre poche dans la leur le petit écu blanc, il est une autre variété d'Artistes- suivant l'expression dudit Guy Patin.

Et celle-ci est plus habile que celle-là, je vous jure, à escamoter le petit écu ; elle est plus audacieuse aussi, car elle ne nous donne pas cette consolation de mourir "méthodiquement" suivant les règles d'Hippocrate ou de Galien.

Cette variété se compose des GUÉRISSEURS : triacleurs non jurés, charlatans, marchands d'orviétan, médicastres...

Gens ne valant pas un bout de corde, impudents et ignorants, escogriffes ou aigrefins, maîtres fourbes et maîtres filous, détrousseurs, écorcheurs, trucheurs, enfants de la Mate, aurait dit Villon, tarés-toqués parfois- illuminés, extravagants..., au demeurant, les plus plaisantes gens du monde. »

Nous conviendrons que ce dernier réquisitoire est quelque peu violent, et décrédibilise de manière définitive tous les thérapeutes non officiels, c’est-à-dire ceux non reconnus par la « vraie médecine ».

Marcelle Bouteiller (1966) a répertorié dans les régions de France les différentes catégories de guérisseurs de la fin du XIXème au début de XXème siècle. Cet ensemble de soignants populaires étaient principalement issus des zones rurales, dépositaires d’une forte tradition dont il subsiste encore de nos jours des survivances :

« Administrées dans un but charitable, en principe non lucratif, les thérapeutiques traditionnelles comportent plusieurs formes : prières et actes conjuratoires, remèdes de bonne femme, reboutage, lever de sorts, sans oublier le recours aux Saints. Le cas échéant, la divination confirme le diagnostic. » (Bouteiller, 1966 : 11)

Au-delà des soins, où semble-t-il de façon indissociable, nous observons qu’est présente la dimension religieuse ou magico-religieuse. Ainsi, Jeanne Favret-Saada (1977) a démontré dans Les mots, la mort, les sorts toute la place qu’occupaient les pratiques magico-religieuses