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CHAPITRE 4 : L’IMPORTANCE DES FLUX :

VOLUMES ET INTENSITE

Décrire les recours transfrontaliers consiste dans un premier temps à faire le point sur l’intensité du phénomène. S’agit-il d’une pratique thérapeutique mobilisée par un large nombre de patients laotiens ou est-elle négligeable en comparaison des recours réalisés dans les structures nationales ?

Dans ce chapitre, nous nous interrogeons sur la proportion de patients laotiens qui, en bordure frontalière, ont recours aux soins en Thaïlande. Nous envisagerons tout d’abord la situation actuelle (I) puis replaçons le phénomène transfrontalier dans une perspective historique (II).

I - Situation actuelle

Pour donner un ordre de grandeur du nombre de patients transfrontaliers, un regard croisé est nécessaire : l’éclairage sera porté dans un premier temps en Thaïlande et dans un second temps au Laos. La spécificité de la situation de Vientiane justifiera un développement particulier.

A/ Attraction/Emission : approches chiffrées

•••• Lieux d’accueil : les hôpitaux thaïlandais

Etablie à partir des données de registres collectés en Thaïlande, la figure 19 rend compte du volume de patients laotiens reçus en 2004 dans les établissements de soins thaïlandais ville par ville. Il apparaît que la prise en charge de ces derniers est répartie dans l’ensemble des villes thaïlandaises que nous avons enquêtées. En d’autres termes, les mobilités de santé ne sont pas circonscrites à un espace transfrontalier spécifique mais sont présentes tout le long de l’axe frontalier lao-thaïlandais.

Figure 19 - Principales villes d’accueil des patients laotiens dans des structures hospitalières thaïlandaises, 2004

Si toutes les villes thaïlandaises adjacentes à la frontière accueillent des patients laotiens dans leurs structures de soins, l’importance de la prise en charge est néanmoins hétérogène d’un point à l’autre du territoire thaïlandais. De même, le poids des patients laotiens dans la patientèle totale est variable d’une structure à l’autre : de très faible (de l’ordre de 1 à 2%) dans la majorité des structures publiques, il peut atteindre près de 50% dans certaines structures privées, dont une en particulier à Nong Khai.

En 2004, le nombre de consultations était de 150 à Chiang Mai tandis qu’elle était de 18 000 à Nong Khai. Comme cette dernière, Chiang Khong et Udon Thani se dégagent nettement des autres villes frontalières avec chacune plus de 10 000 consultations annuelles. Le reste des villes enquêtées a reçu pour la même période entre 2 000 et 6 000 patients. Les effectifs de patients laotiens consultant en Thaïlande diffèrent donc d’une ville frontalière à l’autre.

Le facteur démographique pourrait éclairer ce constat, sachant que les effectifs de population qui vivent à proximité de la frontière ne sont pas identiques.

Le cas de Vientiane confirme cette hypothèse : le centre de la capitale abrite en effet plus de 300 000 habitants et l’ensemble de la province comptait en 2005 près de 700 000 habitants [Recensement national, Laos, 2005]. Cela pourrait expliquer que les structures de soins en face de Vientiane reçoivent un nombre important de patients transfrontaliers : les hôpitaux de Nong Khai et d’Udon Thani ont en effet accueilli en 2004 plus de 32 000 patients laotiens.

Toutefois deux situations frontalières l’infirment. On remarque que les structures de soins à Chiang Khong ont pris en charge en 2004 plus de 12 000 patients laotiens alors même que la

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province limitrophe de Bokéo fait partie des provinces les moins peuplées du Laos : d’après le recensement de 2005, elle compte en effet 145 000 habitants en 2005. D’après la même source, la province de Savannakhet en aval sur le Mékong est la première du pays en termes de population puisqu’elle est composée de 825 000 habitants. Pourtant les effectifs de patients relevés dans les hôpitaux de Mukdahan s’élèvent en 2004 à seulement 4 000 patients.

On peut conclure que le nombre de patients laotiens recensés dans les structures de soins thaïlandaises ne dépend donc pas uniquement du poids démographique des provinces limitrophes dont ils sont originaires. D’autres facteurs, d’ordre structurel et relevant des caractéristiques des populations, concourent aux variations numériques des mobilités transfrontalières de santé et seront développés ci-après avec les données collectées au Laos.

•••• Lieux de départ : les villages laotiens

Au Laos, dans tous les lieux étudiés, nous avons rencontré des personnes ayant eu recours au moins une fois dans une structure de soins thaïlandaise dans le passé.

La carte présentée ci-dessous (figure 20) est le fruit des enquêtes menées dans les différents espaces frontaliers côté laotien entre 2006 et 2007 et rend compte des effectifs et des taux de recours transfrontaliers.

Une lecture par effectifs (carte 1) montre la prédominance du phénomène transfrontalier au départ de Vientiane, où 318 adultes et enfants des 27 villages sélectionnés ont répondu avoir eu recours en Thaïlande. En seconde position arrive le village de Mouangkhousinh à Houayxay dans la province de Bokéo (114 déclarations) suivi par le village de Dongchik dans la province de Champassak au sud du Laos (90 déclarations).

Néanmoins les écarts de taille des échantillons des sujets enquêtés entre les différents espaces frontaliers ne permettent pas une description pertinente des mobilités par effectifs. Pour obtenir

une vision plus satisfaisante des flux, nous avons rapporté le nombre de ménages65 dont l’un des

membres au moins est allé se soigner en Thaïlande au nombre total de ménages enquêtés (par la suite dénommé taux de recours ménage, voir carte 2) puis au nombre total d’individus enquêtés (par la suite dénommé taux de recours individuels, voir carte 3) dans chacune des zones frontalières.

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Les taux de recours ménage vont de 11% à Vientiane à 62% à Dongchik, soit une forte variation. Sur les sept zones frontalières étudiées, quatre présentent des taux proches de 50%, il s’agit des deux villages de la province de Bokéo, du village de Pakkading Neua et Dongchik dans la province de Champassak dans lesquels la moitié des chefs de ménages enquêtés a déclaré qu’au moins un de ses membres a eu recours dans le passé dans une structure de soins thaïlandaise. L’importance du phénomène transfrontalier à l’échelle familiale apparaît ainsi majeure dans ces villages.

Il n’en va pas de même en ce qui concerne les villages urbains de Sounantha (Savannakhet) et Pabath (Pakse) qui présentent des taux autour de 30% ainsi que les 27 villages de la capitale pour lesquels le taux est de 11%, soit une proportion relativement faible.

Les taux de recours individuels oscillent de 6% à Sounantha à 25% à Mouangkhousinh. Les proportions sont plus faibles et l’écart entre le taux minimal et le taux maximal est réduit. Il apparaît ainsi que si le phénomène de recours touche un nombre important de ménages, cette pratique se limite cependant dans chaque ménage à un nombre d’individus restreint ; ce qui explique la dilution du taux de recours rapporté à la population totale enquêtée. Dans l’ensemble des zones étudiées, le nombre moyen de patients transfrontaliers dans chaque ménage s’élève à 1,5 (figure 21).

Figure 21 – Nombre moyen de patients transfrontaliers par ménage enquêté

Se soigner en Thaïlande n’est donc pas un comportement thérapeutique adopté par l’ensemble des individus d’un ménage mais plutôt par un ou deux de ses membres, soit une proportion relativement faible.

Les taux de recours individuels (carte 3 de la figure 20) varient selon les lieux, qui peuvent être classés en trois groupes :

− un premier groupe, dans lequel les recours transfrontaliers concernent moins de 12% du

nombre total d’individus enquêtés (représenté par les flèches jaunes) : les 27 villages de la capitale Vientiane - Sounantha - Pabath.

− un deuxième groupe, dans lequel les recours transfrontaliers sont compris entre 12 et

20% du nombre total d’individus enquêtés : Kokluang, Pakkading Neua et Dongchik.

− un troisième groupe, dans lequel les recours transfrontaliers concernent 25% des

S’agissant de l’importance des recours transfrontaliers et compte tenu des caractéristiques socio-économiques des différents lieux, précédemment exposés, il se dégage une différence notable entre les espaces frontaliers de type urbain et les espaces frontaliers ruraux. Les villages les moins enclins aux mobilités de santé appartiennent en effet aux trois plus grandes villes du Laos : Vientiane, Savannakhet et Pakse. En revanche, les quatre autres villages frontaliers dont le taux de recours est supérieur à 50% en proportion des ménages enquêtés, ont au contraire tous une composante rurale.

La présence de structures de soins de niveau provincial ou central à proximité du domicile des citadins d’une part, les dysfonctionnements de l’offre de soins à proximité des villages ruraux d’autre part, expliquent probablement la disparité des taux de recours.

La frontière lao-thaïlandaise, qu’elle soit marquée par le Mékong, traversée par un pont ou terrestre, est partout franchie par des patients laotiens en recherche de soins et s’orientant vers les structures de soins thaïlandaises. On aurait pu penser a priori que le pont entre Vientiane et Nong Khai jouait le rôle d’accélérateur de flux d’une rive à l’autre, pourtant c’est à Houayxay dans la province de Bokéo que le plus fort taux de recours individuel a été relevé. Les modalités de transport et de traversée semblent finalement moins importer que les motifs pour lesquels les patients recourent.

B/ Le cas de Vientiane : imbrication de facteurs