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2. LE SITE DE LA RECHERCHE

2.2 Le site de la recherche

Le site de la recherche désigne une réalité géographique et sociale étendue. Il englobe l’école fréquentée par les participants et les divers lieux où se déroulent leurs actions, en classe et en dehors de la classe. En effet, Angers (2005) avance que le site correspond au « lieu de l’observation » (p. 132). Cela dit, l’école qui a accueilli le chercheur en Haïti a été la plaque tournante de la collecte de données. Une enquête préliminaire y a été réalisée entre octobre et novembre 2009. Il s’agit d’une école privée catholique secondaire fondée il y a environ 60 ans par des religieux. Ces derniers sont membres d’une congrégation religieuse avec une vocation d’éducation de la jeunesse. Depuis une trentaine d’années, la direction de l’école est assurée par des religieux haïtiens assistés d’un corps professoral laïc haïtien. Sur les 65 enseignants6

que comptait l’école en 2010-2011, il y avait cinq religieux. Depuis sa fondation, l’école s’appuie sur une concertation des efforts et sur une équipe éducative soudée, en dépit des multiples engagements de ses enseignants. La majorité d’entre eux dispensent des cours dans d’autres établissements scolaires de la ville et, en plus de cela, certains enseignants exercent d’autres métiers afin d’améliorer leurs revenus. Selon le Gouvernement de la République d’Haïti (2004, 2010), les salaires des enseignants sont relativement bas en Haïti, surtout dans les écoles privées. Malgré tout, le directeur de l’école souligne, appuyé par les témoignages recueillis auprès de plusieurs enseignants, que l’école regroupe les « meilleurs enseignants de la ville ».

Lors de notre prise de contact, le directeur de l’école nous a présenté son projet originel, tel qu’envisagé par ses fondateurs : une école disciplinée et à l’avant-garde de la pédagogie, un personnel haïtien compétent et dévoué, offrant aux jeunes une

6 Le terme enseignant englobe ici tout le personnel enseignant du collège sans discrimination. En 2010- 2011, il y avait une seule enseignante (conjointe de l’adjoint du directeur et ancienne élève) sur environ

formation physique, intellectuelle et morale de qualité. Cette vision résume le projet éducatif de l’école ; elle décline aussi les lignes directrices de la vie de cette école du nord-ouest d’Haïti, telle que nous l’avons observée au quotidien pendant dix mois. L’ouverture de l’école aux élèves de milieu socioéconomique défavorisé est une préoccupation depuis sa fondation. Il ressort aussi des propos du directeur de l’école tenus lors de notre prise de contact, qu’en tout temps, une des missions de cette école est de procurer une éducation de qualité aux enfants de familles modestes et, pour cela, de fixer des frais de scolarité les plus accessibles possibles à tous les élèves. La discipline, la formation physique, intellectuelle et religieuse et la place accordée aux élèves démunis sont des caractéristiques de cette école qui ressortent de nos observations, des entrevues et des conversations informelles avec nos participants et le personnel enseignant. Ces éléments incitent les parents à inscrire leurs enfants dans cette école, contribuant ainsi à sa réputation d’excellence dans la région. En effet, depuis son origine, cette école a une ouverture départementale ; ses élèves viennent des quatre coins du Nord-Ouest. Selon nos observations, l’ouverture de l’école sur son milieu se poursuit de nos jours. À titre d’exemple, elle a accueilli près de 200 élèves rescapés du tremblement de terre de janvier 2010, événement qui a durement affecté tous les Haïtiens et, en particulier, certains de nos participants.

L’attention particulière que cette école accorde depuis sa création aux élèves démunis, mais performants au plan scolaire, justifie aussi son choix comme site de la recherche. Selon les habitants de la région incluant le personnel enseignant, la bonne réputation de cette école réside aussi dans son bon fonctionnement. Depuis quelques années, cette école vit surtout des moyens financiers provenant des frais de scolarité versés par les familles des élèves, vivant sur place ou à l’étranger, ou par des bienfaiteurs. Selon le directeur de l’école, le soutien financier reçu autrefois des régions de la congrégation religieuse situées dans les pays riches se raréfie. Les bourses d’études envoyées par des bienfaiteurs du Canada et de la France, pour financer la scolarisation des élèves performants mais pauvres, sont désormais limitées. Cette situation affecte la scolarisation des jeunes de la ville ; elle constitue aussi un défi pour

le fonctionnement financier de l’école et la qualité de la formation dispensée. Conséquemment, certains de nos participants avaient encore des dettes à l’école en raison de frais de scolarité impayés au cours de l’année scolaire précédente. Cela se reflète dans l’entrevue semi-dirigée avec l’élève R12 :

En Haïti, il y a beaucoup d’élèves surtout les malheureux qui font beaucoup d’efforts par rapport au travail scolaire. Mais, ils n’ont pas un encadrement sur le plan économique […] En 9e année fondamentale, je ne pouvais pas retirer la fiche d’examen car mes parents n’avaient pas payé mes frais de scolarité.

Après son accord verbal pour que nous menions la collecte des données dans son établissement, le directeur nous a dirigé vers son adjoint qu’il considérait mieux indiqué et plus disponible pour nous fournir les informations sollicitées. Lors de notre installation sur le terrain, le directeur et son adjoint ont été informés oralement de l’objet de notre recherche et du profil des élèves ciblés. Nous avons valorisé l’intérêt d’une recherche universitaire menée en contexte haïtien et au sein de leur collège.

En 2010-2011, l’école où s’est déroulée notre collecte de données comptait 1028 élèves répartis dans 22 salles de classe de la 7e AF à la philosophie. Pour les

personnes rencontrées sur le terrain, c’est un des établissements de référence du département. Sa réputation tient à son organisation interne, au profil de ses enseignants, à la discipline qui y règne, aux critères d’entrée et de passage en classe supérieure et aux résultats des élèves aux examens organisés par l’État haïtien. Ces éléments sont détaillés dans l’agenda scolaire qui tient lieu de règlement intérieur de l’école remis en début d’année scolaire à chaque élève. Par exemple, la rentrée effective des classes a eu lieu le 4 octobre 2010, conformément aux directives de l’État haïtien, alors que la plupart des autres établissements secondaires publics et privés de la ville ont ouvert leurs portes deux semaines plus tard.

Les bons résultats obtenus aux examens officiels, tirés des documents consultés au bureau de la vie étudiante, offrent un exemple du bon fonctionnement de

l’école. Selon ces documents, le taux de réussite des élèves de l’école était de 75 % au baccalauréat de philosophie, diplôme qui marque la fin des études secondaires en Haïti, lors de l’année scolaire 2009-2010. Sur 205 candidats, il y a eu 195 admis, soit 95.12 % de réussite à l’examen officiel de 9e AF. En 2010-2011, les résultats provisoires du

collège aux examens officiels étaient : 96.61 % de réussite pour la 9e AF, soit 171

admis et 6 ajournés sur 177 candidats ; 86.76 % de réussite, 59 admis et 8 ajournés sur 68 candidats au Bac I Rhéto ; 72.60 %, 53 admis et 19 ajournés sur 73 candidats au Bac II Philo. Or, le taux de réussite au Bac I et II a été de 19 % dans tout le département du Nord-Ouest en 2010-20117.

Selon le Gouvernement de la République d’Haïti (2004), l’examen officiel de 9e AF, qui donne accès à la classe de 3e, marque le passage du cycle fondamental au

cycle secondaire. Lors de la messe de rentrée, le directeur de l’école a présenté le mot d’ordre de l’année scolaire 2010-2011 en disant : « Continuons à construire l’excellence et à nous ouvrir la voie du succès ». Il a également rappelé deux aspects du Projet éducatif : à l’école, la moyenne de passage en classe supérieure est de 55/100, soit 5,5/10 ; ensuite, le français est la langue d’usage obligatoire au sein du collège. Nos observations en divers lieux et à divers moments dans l’école montrent que cette dernière directive est peu respectée aussi bien par les élèves que par l’ensemble du personnel éducatif. En classe, les enseignants utilisent souvent le créole, langue nationale des Haïtiens. Plusieurs enseignants affirment : « nous sommes obligés de donner des explications en créole. C’est notre langue. Les élèves comprennent mieux en créole ». La difficulté des élèves en français ou la réticence affichée par certains à utiliser le français en dehors du cadre obligatoire de la classe sont aussi apparues lors des entrevues avec eux. Par exemple à la question : quelle est la langue que vous utilisez quand vous travaillez en groupe ? L’élève R11 répond :

7 Le Ministère de l'éducation nationale et de la formation professionnelle (MÉNFP) d'Haïti publie les résultats des examens officiels par école. Ces résultats sont disponibles au niveau de la section départementale du MÉNFP et de chaque école.

Quand nous travaillons en groupe à la Pointe nous utilisons le créole peut- être […] C’est notre langue maternelle. Nous ne nous intéressons pas au français. Parce qu’il y a des gens dans notre groupe de travail qui ne veulent pas comprendre le français.

Chaudenson (2006) et Saint-Germain (1997) constatent que le créole est utilisé au quotidien, dans tous les moments de la vie en Haïti. Ces deux auteurs s’intéressent aussi à d’autres pays en développement réunissant un profil linguistique identique à celui d’Haïti soit, une langue officielle héritée de l’histoire et une ou des langues locales. Cela dit, le français est officiellement la langue d’enseignement au secondaire en Haïti (Gouvernement de la République d’Haïti, 2004). Il est aussi la langue de la rédaction des examens officiels, d’où l’importance de la connaissance du français pour la réussite scolaire. Toutefois, le français représente un défi majeur pour les élèves haïtiens.