• Aucun résultat trouvé

2. LE SITE DE LA RECHERCHE

2.3 L’entrée et l’installation sur le terrain

Après l’accord de la direction du collège lors de la préenquête effectuée en octobre 2009, l’installation, en tant qu’immersion, au début de la recherche a nécessité d’autres négociations, principalement avec les enseignants et avec les élèves. Le bureau du responsable à la vie étudiante, notre interlocuteur privilégié et informateur clé, a été notre porte d’entrée dans l’école. Ce bureau occupe une place privilégiée au sein de l’école car, il est le lieu de passage de toute la communauté éducative : enseignants, élèves, parents d’élèves, anciens élèves, amis de l’école, autorités administratives et visiteurs. La place centrale de ce bureau tient à l’importance du poste dans le fonctionnement de l’école ainsi qu’au charisme de son titulaire. Ce dernier, ancien élève de l’école comme la plupart des enseignants, est à son service depuis de nombreuses années. Ce bureau a joué un rôle important dans la collecte de données car, il est le lieu de référence en tout temps, à l’arrivée dans l’école et au départ de l’école. Ce bureau suscite aussi des questions sur la vie dans l’école et sur les faits observés. Ce contexte favorable nous a permis de nous imprégner rapidement du fonctionnement de l’école, d’enregistrer des conversations informelles et éclairantes sur les élèves et

leurs activités, d’observer l’école de l’intérieur et de rencontrer des élèves avant l’entrée dans les classes ou après l’école. La fréquentation de la salle des enseignants a commencé trois semaines après le début de l’année scolaire et après la prise de contact avec les élèves des quatre classes de 3e secondaire en compagnie du directeur de

l’école. Ce dernier a dit ceci aux élèves : « Je vous présente M. Botondo, ancien directeur au collège secondaire à l’Ile de la Tortue. Il s’intéresse au travail des élèves de 3e. Il sera avec nous cette année. Il viendra souvent dans votre classe. Comportez-

vous naturellement ».

Les 15 enseignants des quatre classes de 3e ont été sollicités lors de la collecte

des données. La familiarité avec eux s’est faite progressivement, comme avec les élèves. Les interventions du responsable de la vie étudiante et notre connaissance du milieu ont facilité les contacts. Après le passage dans les classes avec le directeur, nous avons établi une planification d’observation des élèves, selon les matières. Les emplois du temps et les listes d’élèves reçus du responsable de la vie étudiante ont permis de retracer les enseignants et les matières enseignées. La fréquentation de la salle des enseignants a favorisé les échanges informels avec eux sur divers sujets : le métier et les conditions de vie des enseignants haïtiens, leurs représentations sur les élèves et les parents et, progressivement, leurs discours sur la réussite scolaire. Chaque observation en salle de classe a été négociée à l’avance avec l’enseignant concerné et a nécessité son accord. Les grandes lignes de la recherche ont été présentées individuellement et oralement à l’enseignant à cette occasion :

Suite à mes deux années de travail à l’Ile de la Tortue, je m’intéresse aux activités scolaires des élèves haïtiens de 3e afin de compléter un travail à

l’université. Je sollicite votre permission pour assister à vos cours afin d’observer les élèves. Je ne vais pas intervenir dans les cours. Je m’intéresse à ce que font les élèves mais pas à votre façon d’enseigner. Je ne suis pas là pour vous évaluer. Comme je ne connais pas encore les élèves, je vous demanderai au début de m’indiquer discrètement certains élèves qui peuvent m’intéresser. Merci.

Tous les 15 enseignants de 3e secondaire ont accepté de nous accueillir dans

leurs classes, pendant leurs cours. Certains nous ont d’ailleurs spontanément suggéré des noms d’élèves comme participants à la recherche. Les enseignants ont aussi parlé des modes d’organisation des élèves et de leurs lieux de rencontre en dehors de l’école, par exemple le travail en équipe au petit séminaire; d’autres enseignants ont commenté leurs manières d’enseigner dans le but d’aider les élèves à réussir à l’école. Les interactions avec les enseignants ont fourni de précieux renseignements pour une meilleure connaissance du contexte éducatif propre à notre étude. En côtoyant les enseignants, nous avons appris les noms des enseignants et des élèves des classes de 3e

secondaire. Peu à peu, nous avons commencé à percevoir le point de vue des enseignants sur des questions qui les préoccupent : les difficultés de l’usage du français dans l’enseignement, la précarité du métier d’enseignant en Haïti, la situation politique instable du pays et ses répercussions néfastes sur l’éducation en Haïti.

Ces informations sont consignées dans le journal de terrain du chercheur. Certaines d’entre elles ont fourni des points de repère ayant aidé le chercheur à adopter une attitude adéquate sur le terrain et ont contribué ainsi au succès de la collecte de données. Par exemple, en ce qui concerne la prise de contact avec les élèves en les appelant par leur nom, l’établissement de la familiarité avec eux, la gestion des rencontres informelles avec eux après le cours, dans la rue, et plus tard lors des entrevues semi-dirigées.

Les rencontres et les échanges spontanés avec les enseignants de l’école permettent de dire que le terrain s’est montré favorable à la présence du chercheur. Il est apparu dans les propos des enseignants et, par la suite, dans les commentaires des participants, que le choix de leur collège pour mener une recherche universitaire était une reconnaissance de la qualité de leur école et par conséquent un motif de fierté et d’autosatisfaction de la communauté éducative dans son ensemble. Plusieurs fois, nous avons entendu de la bouche des enseignants et même de certains élèves : « Notre école est une référence dans le département du Nord-Ouest. Toutes les autres écoles

regardent ce que nous faisons ». En plus de la fierté suscitée par la présence du chercheur, les Haïtiens ont généralement un rapport favorable à l’école et à la connaissance. Les élèves et les enseignants nous ont posé plusieurs questions sur le système éducatif et les conditions d’étude au Canada. Les enseignants voyaient chez le chercheur une ressource pouvant les aider dans leur métier. Plusieurs ont demandé des outils et des conseils pour gérer des classes avec de grands effectifs. Dans cette école, les classes de 3e secondaire ont une moyenne de 50 élèves. Joint (2006) et le

Gouvernement de la République d’Haïti (2010) avancent que les effectifs avoisinent 50 à 60 élèves par classe, voire plus, dans les collèges privés et publics en Haïti.

L’adhésion des élèves et des enseignants à notre étude a été accompagnée d’une certaine réserve au départ : « Pourquoi as-tu choisi Haïti? Qu’est-ce qui peut t’intéresser dans notre pays? Pourquoi n’es-tu pas allé en Afrique? Que vas-tu faire avec les informations recueillies ici? ». Le chercheur était invité à la transparence quant à ses motivations et à sa présence. Les réponses à ces questions se sont voulues franches tout en préservant la confidentialité sur l’objet de l’étude afin, entre autres, de se prémunir des biais qu’aurait pu occasionner une divulgation de la question et des objectifs de la recherche :

Je suis ici pour recueillir des informations sur des questions que je me pose depuis 2005 quand j’étais directeur à l’Ile de la Tortue. Je m’intéresse aux activités scolaires des élèves de 3e. J’aimerais comprendre comment ils

réussissent. Ces élèves m’intéressent car ils sont dans une étape de transition dans le contexte du nouveau secondaire en Haïti. J’ai choisi votre collège car lors de mon passage l’an dernier j’ai vu qu’il fonctionne bien.

Concernant le contexte de l’étude et les conditions de l’enquête, l’année scolaire s’est bien déroulée malgré la situation post " tremblement de terre". Toutefois, quelques événements de la vie du pays ont eu des incidences sur le fonctionnement habituel du collège et des élèves, et par ricochet sur le déroulement de la recherche. Parmi ces événements : la tempête tropicale Tomas en novembre 2010, l’élection présidentielle en février 2011, l’épidémie du choléra pendant une bonne partie de la

durée de l’enquête. Chacun de ces événements a perturbé le fonctionnement de l’école. Par exemple, ils ont eu des effets sur l’assiduité et la ponctualité des élèves et des enseignants. La tempête Tomas a provoqué l’annulation de plusieurs jours de classe, des retards dans l’organisation des examens d’étape et d’autres activités du calendrier scolaire. L’élection présidentielle de 2011 a été précédée d’une crise sociopolitique dans le pays, de novembre à décembre 2010. Nous avons noté la discipline qui occupe une grande place dans le projet éducatif de cet établissement. Or, l’épidémie du choléra a causé un assouplissement momentané des exigences en matière d’assiduité et de ponctualité. Les campagnes de sensibilisation aux mesures d’hygiène organisées par l’État haïtien ont aussi entrainé des suppressions des cours et un relâchement dans l’ambiance de travail et d’étude. Avec les appels à la prudence relayés par les medias haïtiens face à l’expansion de l’épidémie du choléra, le travail d’équipe habituellement organisé par les participants a ralenti. Durant cette période, il nous a été difficile de rencontrer les élèves après les classes. En somme, le contexte ambiant a affecté le déroulement de la collecte de données; il a rallongé la durée du travail et de la présence sur le terrain. C’est aussi pour cela que nous avons dû apporter quelques modifications à notre plan initial de collecte des données. La principale modification est d’avoir renoncé à organiser des entrevues de groupe avec nos participants. Ces entrevues visaient, entre autres, à organiser des discussions entre eux afin d’identifier à travers leurs discours des codes et des stratégies de réussite communs aux participants, exprimés de préférence en créole avec la présence d’un traducteur. Nous pensons que ces entrevues de groupe auraient enrichi davantage nos données brutes et notre compréhension de la réussite de ces élèves. Considérant les réalités du site de la collecte des données, nous pensons aux propos de Vasquez (1992) en relation avec le contexte socio-historique d’une étude ethnographique : « Plusieurs auteurs ont remarqué qu’un des risques de l’ethnographie est que l’on tend à privilégier les données observées sans tenir compte du cadre sociologique et historique […], si bien que l’on peut sous-estimer les liens entre la situation observée et les contextes où elle se produit » (p. 49).