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4. LES MÉTHODES DE COLLECTE DES DONNÉES

4.1 Les approches méthodologiques des recherches sur la réussite scolaire

4.2.1 Les observations directes

En référence à Jaccoud et Mayer (1997), à Laperrière (2008) et à Lapassade (2006), l’observation directe des élèves en classe constitue le premier temps du travail

de terrain. Comme nos autres techniques de collectes, elle vise la production de connaissances. Le chercheur peut ainsi s’immerger dans le milieu pour tenter de comprendre de l’intérieur le sens que les participants donnent à leurs activités scolaires. L’observation des élèves a consisté à les suivre de près, dans leurs diverses activités. Cette démarche est connue en ethnométhodologie sous le nom tracking (« filature »). Pour Zimmerman (1984), la filature c’est « suivre à la piste ; marcher sur les traces de quelqu’un » (p. 3).

Nos participants ont été observés dans tous les cours du programme officiel, selon l’horaire de l’école. En classe, leurs activités ont été observées selon certaines dimensions dont les principales ont été a) la prise de notes (l’élève prend des notes ou n’en prend pas), b) les attitudes (l’élève est couché sur sa table, endormi ou encore sorti de la classe), c) les questions (il ou elle pose des questions à l’enseignant), d) les réponses aux questions (du professeur), e) les interactions avec les pairs ou avec l’enseignant, f) le matériel scolaire exigé (présence/absence, sorti/rangé, ouvert/fermé), g) la vitesse de travail (tableau 9). Ces aspects ont été formulés après les premières observations en classe. Nous avons pris en compte la question et les objectifs de recherche ainsi que les trois grands aspects des actions à observer conformément au cadre de référence (tableau 10). Il s’agit des actions de nos participants en classe, à la maison, dans les activités parascolaires. En somme, ce sont les actions qui contribueraient à leur réussite scolaire.

Nous avons réalisé au total environ 190 observations directes, toutes retranscrites en détail dans notre journal de terrain. Ces observations se sont déroulées du 10 novembre 2010 (début des observations en classe) au 4 juillet 2011 (fin des observations retranscrites dans le journal de terrain du chercheur). Environ 90 observations se sont déroulées dans les quatre salles de classe de 3e secondaire, du lundi

au vendredi, pendant les périodes d’enseignement. Chacune de ces observations a duré 50 minutes, la durée officielle d’une période de cours. Même lorsque l’enseignant est parti avant la fin de son cours, nous avons continué d’observer les élèves. Les 100

autres observations directes se sont déroulées en dehors de la classe : sur la cour, dans un local de l’école et dans les quartiers. Sur la cour de l’école, nous avons observé des groupes de travail spontanés incluant chaque fois un ou plusieurs de nos participants. Dans les locaux, nous avons observé nos participants à la bibliothèque de l’école, dans les activités génies en herbe ou des concours et en conseil de classe. Nous avons aussi observé nos participants dans leurs quartiers. Nous avons réalisé environ 30 observations des participants impliqués dans le travail de groupe autogéré au quartier (salles d’étude au séminaire, dans une église, dans une autre école de la ville). Ces observations en dehors de l’école ont duré entre deux heures et trois heures. En général, nous étions au lieu du rendez-vous avant l’arrivée de nos participants jusqu’à leur départ. Ces observations ont eu lieu à des moments variables, après les classes, du lundi au vendredi ou les fins de semaine. Nous avons aussi réalisé une quinzaine d’observations de nos participants travaillant en groupe dans leur classe, en fin de semaine, hors du contrôle d’un adulte. La durée est très variable selon les périodes du calendrier scolaire (1 heure à 4 heures). Ces groupes d’entraide spontanés sont organisés en fin de semaine, dans les classes de l’école. Les élèves y vont et viennent selon leurs besoins ou selon les sollicitations des pairs : « viens nous aider » ou « viens travailler avec nous. Nous avons quelque chose à te montrer ». Enfin, nous avons réalisé une vingtaine d’observations de nos participants à l’Alliance française (à la bibliothèque, lors des débats ou dans d’autres occasions de discussion ou d’échange où ils étaient présents et engagés).

Ces informations retracent les principales observations réalisées. Toutefois, il nous est difficile de rendre compte dans le détail de toutes les observations informelles qui ont été réalisées : avec certains enseignants, avec les membres du bureau de la vie étudiante (en charge de la discipline à l’école et de l’accueil des parents d’élèves), avec des anciens élèves de passage à l’école ou les sept rencontres de parents organisées par l’école d’une durée moyenne de deux heures chacune. Les observations informelles des élèves à l’école ont été les plus nombreuses, car elles ont eu lieu chaque fois que

nous étions dans l’école, du 1er octobre 2010 au 15 juin 2011. Leur durée est variable

(de 10 minutes à 1 heure).

Une grande place a donc été faite aux observations en dehors de l’école. Au regard de notre expérience en enseignement, nous considérons, à la suite de Fordham (1994), que "le hors" école constitue un lieu d’apprentissage. Il instruit autant sur les pratiques non dites des élèves que sur les formes de soutien qu’ils reçoivent. Ce double regard permet, en cohérence avec la démarche ethnométhodologique, une approche globale de l’élève dans les divers espaces/temps de sa vie scolaire. Des entretiens basés sur un récit et un commentaire des élèves ont servi à compléter cette quête du sens que les élèves donnent à leur réussite scolaire. Les observations ont été consignées, souvent mot à mot et en contexte, dans notre journal de terrain.

L’attention a été accordée en priorité aux participants (leurs actions et leurs discours pendant le cours). Ces observations ont ensuite été mises en contexte avec celles des enseignants et des pairs en classe (leurs actions et leurs discours) et les événements survenus pendant le cours (passage d’un préfet de discipline, des membres du comité d’élèves de l’école, de visiteurs de l’extérieur de l’école). En Haïti, nous avons observé que les passages en classe de personnes extérieures à l’école sont fréquents. Par ailleurs, des rencontres informelles ont été provoquées dès le départ avec les élèves ciblés, à la fin d’un cours, sur la cour lors des recréations, tout de suite après la classe, après un examen ou un concours de génies en herbe, ou à d’autres moments et occasions. Ces rencontres informelles visaient plusieurs buts. D’abord, de telles rencontres visent à obtenir le maximum de renseignements en lien avec les faits observés en classe. Les élèves sont les personnes les mieux placées pour commenter leurs actions et leurs discours axés sur l’école, pour en donner le sens et, de ce fait, permettre peu à peu au chercheur d’approfondir son questionnement et d’entrevoir des clés de compréhension possible de la réussite scolaire dans ce milieu défavorisé. Ensuite, les rencontres informelles visaient à établir une familiarité, un climat de confiance et une connaissance mutuelle entre le chercheur et les élèves. Bien souvent,

les rencontres spontanées avec les élèves après un cours ont permis de recueillir leurs propos à chaud sous forme de retour sur les actions en classe ou de commentaires émis pendant le cours.

D’une part, la signification que les élèves assignent à leurs actions scolaires au quotidien nécessite, pour être comprise, que le chercheur pose des questions "in situ" pendant l’activité ou peu après le déroulement de l’activité. D’autre part, selon Eisenhart (2008) et Spindler (1982), la démarche ethnographique établit une interaction constante entre observation et entretien. La recommandation d’Eisenhart (2008) s’avère pertinente ici : « normalement, on attend de l’ethnographe qu’il soit présent dans la situation pendant que se produisent des comportements intéressants, et qu’il soit en mesure de poser des questions aux participants pendant qu’ils vaquent à leurs activités » (p. 300). Enfin, dans l’approche ethnométhodologique, les actions enregistrées doivent, pour être bien comprises, a) être resituées dans leur contexte de production, b) être accompagnées par des commentaires de leurs auteurs et notées par le chercheur, c) prendre en compte la situation de production. Sur ce dernier point, les concepts d’indexicalité et de réflexivité contribuent à la mise en perspective des actions des participants en lien avec leur réussite scolaire.

Nous l’avons déjà souligné, les rencontres avec les élèves leur ont permis de nous questionner sur notre personne, l’objet de notre présence, la raison du choix d’Haïti et de leur collège. Sans renier leur fierté de vivre en Haïti, les élèves ont aussi exprimé leur étonnement face au fait que le chercheur s’intéresse à « un pays pauvre comme Haïti ». Les rencontres informelles ont préparé les observations plus systématiques en dehors de la classe : lors des travaux en groupes d’entraide dans les classes de l’école après l’horaire ou le samedi matin, dans les quartiers. L’information sur les lieux et les moments de ces rencontres a été obtenue des élèves, des enseignants ou de l’équipe de la vie étudiante. Ces différents acteurs ont agi comme des informateurs à divers moments. Les observations dans la classe et en dehors ont été consignées en détail dans notre journal de terrain. En cohérence avec la question et les

objectifs de recherche, soulignons que l’observation directe a permis de nombreuses interactions avec nos participants ce qui a contribué à alimenter, progressivement, notre compréhension de leur réussite scolaire.

Chaque observation en classe a duré 50 minutes, la durée d’un cours à l’horaire du collège selon les directives du Gouvernement de la République d’Haïti (2007a). La durée des observations en dehors de la classe a été variable. Elle dépend de la nature et de l’environnement de l’activité ainsi que des participants. Leur engagement lors des activités en dehors de la classe est variable. Certains groupes de travail sont concentrés dans les apprentissages du début à la fin ; dans d’autres groupes, certains élèves sont moins engagés : « Des fois, les élèves n’ont pas une bonne disposition au travail. Il y a ceux qui sont là pour perturber le travail. Mais, d’autres viennent avec une disposition pour travailler » (R03, entrevue). Ce sont les participants qui sont les maîtres du jeu. Après avoir négocié leur accord, nous avons suivi le cours des événements en étant présent dans de nombreuses activités, tout en restant discret. À quelques rares occasions, nous avons brièvement accepté de nous engager dans les activités des participants, mais toujours à leur demande et le moins souvent possible. Pour recueillir le maximum d’informations, nous avons pris appui sur les dimensions du concept d’engagement scolaire présenté dans le cadre de référence (figure 2). Ces dimensions fournissent des balises aux observations et aux entrevues semi-dirigées. Le tableau 9 présente une grille des observations en classe en lien avec le tableau 10. Bien que réductrice par rapport à la richesse des observations effectuées, elle en donne une petite illustration. Ces deux tableaux offrent des indices qui alertent notre regard d’observateur. Nous cherchons ce qui est hors-normes, peu remarqué ou inédit dans les actions des élèves en relation avec la réussite scolaire.

En résumé, pendant les dix mois de la collecte de données (octobre 2010 à juin 2011), nous avons réalisé environ 75 heures d’observation en classe et 200 heures d’observation en dehors de la classe, parmi lesquelles environ 60 heures d’observation des participants en groupes de travail autogérés au quartier.

Tableau 9

La grille d’observation directe en classe Nom Attitudes Prise de notes/

Vitesse de travail

Matériel

scolaire Réponses/ Questions Interactions (enseignant, pairs) R04 Son cahier est ouvert et posé sur sa table. Elle regarde au tableau. Écrit lentement ce qui se trouve au tableau. A ses crayons et sa gomme posés sur la table. A répondu à une question. Regarde l’enseignant pendant le cours. R05 Son cahier est ouvert et posé sur la table. Il regarde devant et autour de lui. Écrit vite ce qui est sur le tableau. A son livre, son cahier et deux crayons. A posé deux questions. Regarde l’enseignant et ne répond pas à son voisin. R08 Son cahier et son livre sont ouverts et posés sur la table. Elle regarde au tableau. Écrit rapidement ce qui est au tableau. Fais quelques dessins à côté. A son livre, son cahier et deux crayons sur la table. A répondu à trois questions et posé deux questions. Sourit à l’enseignant Regarde l’enseignant.

Tableau 10

Les aspects des actions à observer Type d’activités en

relation avec l’école

Dimensions des activités scolaires

Les actions des élèves en classe

- Attitude générale : participation en classe, attention et intérêt aux leçons, discipline et respect des consignes et des règles ;

- Comportements des participants lors de la réalisation de la tâche : travail fait à temps, participation lors des discussions ; - Comportements dans la mise en œuvre des consignes de l’enseignant, possession du matériel scolaire requis ; - Interactions avec les enseignants et les pairs : bonnes relations, demande d’aide, coopération au travail d’équipe, aide apportée aux pairs.

Les actions des élèves en dehors de la classe

- Implication dans l’école : comités d’élèves et d’école, bénévolat, représentation de l’école ;

- Activités scolaires à la maison : contenu, durée et modalités des tâches scolaires effectuées ;

- Initiatives sociales en dehors de l’école : sports, bénévolat, activités sociales, culturelles et spirituelles, loisirs ;

- Activités scolaires réalisées seul ou avec d’autres : travail en équipe avec les pairs, demande d’aide, bibliothèque, Internet.

Les actions des élèves avec l’aide de l’environnement

- Enseignants : aides aux devoirs, conseils et encouragements ;

- Parents : achat du matériel scolaire, encouragements, intérêt pour les études, participation aux activités de l’école ;

- Environnement : bourses, activités parascolaires, bibliothèques.