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1. L’ORIENTATION MÉTHODOLOGIQUE

1.3 Les concepts méthodologiques clés de l’ethnométhodologie

L’indexicalité, la réflexivité et les membres sont trois notions centrales en ethnométhodologie. Le choix de les intégrer s’explique par leur interrelation avec le devis méthodologique de l’étude. Ces concepts guident le regard et les choix méthodologiques du chercheur et souhaitent ainsi donner de la rigueur scientifique à la recherche. De plus, chacune de ces notions s’attache à expliciter le processus de construction de la réussite scolaire par l’élève selon l’originalité de la perspective épistémologique choisie.

Emirbayer et Maynard (2006) et Garfinkel (2007) relèvent que l’indexicalité est un terme adapté de la linguistique. Ce concept concerne le langage ordinaire mais exige que l’on aille au-delà des mots entendus. De ce fait, l’indexicalité réfère au contexte précis des actions. Pour De Luze (1997), le langage est l’ensemble des paroles, des attitudes, symboliques ou non. La vie courante est faite de discours (oraux ou écrits), de mots comme « ici », « là », « maintenant ». Ces mots ne prennent leur sens complet que dans le contexte où ils sont émis, au-delà du sens linguistique habituel. Cela suppose la maîtrise, en tant que membres, des codes ou des allants-de-soi du groupe social. Les allants-de-soi expriment ce qui est « pris pour évident ». Les élèves qui forment un même groupe de travail développent entre eux une entente tacite. Pour se comprendre, ils n’ont pas toujours besoin de se parler au sujet de leurs activités. Le contexte de l’activité doit être considéré dans l’analyse. Il inclut les lieux, les personnes et les circonstances. L’approche interactionniste en éducation énonce l’idée d’une définition de la situation par les acteurs sociaux. Lapassade (1998) soutient qu’« en définissant la situation à laquelle ils participent, ils la construisent » (p. 5). L’ethnométhodologie développe cette même idée que nous reprenons pour comprendre la réussite scolaire. Ainsi, quand nos participants commentent les façons de mener leurs activités en classe, dans les groupes d’étude librement constitués, dans leur temps d’étude personnelle, ils dévoilent au chercheur le sens qu’ils donnent à ces activités. Ils énoncent dans leurs discours comment ils construisent leur réussite scolaire dans leurs actions scolaires quotidiennes.

Garfinkel (2007) estime que les expressions sont la base même de nos conversations : le langage ordinaire dit la réalité des individus. Dans cette perspective, le langage ne se limite pas à la communication. Selon Emirbayer et Maynard (2006), le langage constitue l’activité sociale et en est le siège. Les discours des élèves sur leurs actions scolaires sont porteurs de sens. De ce fait, le processus d’interprétation provenant de leurs discours (entrevues, rencontres informelles) devient lui-même un phénomène d’enquête selon Wilson (1970). Ceci nous conduit à une autre notion centrale de l’ethnométhodologie à savoir la réflexivité.

La réflexivité est le corollaire de l’indexicalité. Elle est un concept des sciences sociales et humaines. Selon Chapoulie (1998), la réflexivité traduit la capacité d’un individu à expliciter sa propre démarche. L’ethnométhodologie aborde la réflexivité sous l’angle des acteurs sociaux, par exemple les élèves. Sous cet angle, la réflexivité considère que le langage courant des acteurs sociaux décrit et constitue une réalité sociale. C’est dans ce sens que nous abordons ce concept dans notre recherche. Par exemple, en commentant leurs activités scolaires passées et présentes, nos participants construisent en même temps le sens de ces activités. La réflexivité est donc une opération de dévoilement et d’explicitation de l’ordinaire ou du non-dit. De Luze (1997) ajoute qu’elle consiste à déchiffrer ce qui est sous-jacent aux discours, tenant compte de sa propre expérience des interactions dans la vie sociale. Par exemple, les réponses d’un élève aux questions du chercheur sont des discours qui participent à la compréhension de sa réussite scolaire : « Avant d’étudier, je lis et relis la leçon. Je peux lire et relire encore l’exercice. J’essaie de comprendre » (R06).

Par ailleurs, la réflexivité renvoie au « code » des acteurs, à ce qui « va de soi » pour eux. Elle exprime la compétence d’acteur des élèves, déjà évoquée au deuxième chapitre. La réflexivité correspond à la capacité non seulement de dire une pratique (une activité) en la décrivant, mais aussi d’instituer cette pratique. Commentant, d’un point de vue ethnométhodologique, les pratiques des éducatrices en service de garde au Québec, Larouche (2005) note que « dire c’est faire » (p. 339). Elle

reprend la pensée d’Austin (1970) pour qui : « raconter sa pratique c’est en même temps la constituer » (p. 339). Car, à l’instar de Larouche (2000, 2005), nos participants construisent aussi leur réussite scolaire en commentant leurs activités scolaires quotidiennes. À partir de nos questions, ils ont explicité le sens de ces activités qui constituent cette réussite. Une des caractéristiques de l’ethnométhodologie est le recours à la description de ce que font et disent les individus. Cette description constitue l’activité et la rend également intelligible. Ainsi, pour comprendre les façons de faire des élèves en lien avec leur réussite à l’école, il faut les mettre en situation réflexive. Pour Garfinkel (2007), la réflexivité est pour les ethnométhodologues la base des conduites sociales. Sans cette activité de dévoilement la chercheure ou le chercheur ne peut pas faire émerger le code sous-jacent aux activités des acteurs. Précisons qu’un code est une pratique partagée par les membres d’un groupe donné.

En ethnométhodologie, le matériel d’analyse dépend de l’activité quotidienne des personnes. Toutefois, Amiel (2004) précise que cette approche ne reconnaît pas au sujet humain le statut d’acteur, mais plutôt celui de membre. Ce concept a déjà été présenté au deuxième chapitre. En résumé, Garfinkel (2007) précise que la notion de « membre » est au cœur du problème abordé par une recherche ethnométhodologique. Le concept de membre renvoie à la maîtrise du code social (le sens commun) du groupe et non à la biographie. Dans cette perspective, les acteurs sociaux sont des « membres », c’est-à-dire des individus qui partagent une communauté de langage et de pratiques au quotidien. C’est ainsi que nous considérons les élèves haïtiens performants. Faire émerger leur code commun ou les façons de faire qu’ils partagent rendra possible leur transférabilité aux élèves moins performants. L’indexicalité, la réflexivité et la notion de membres sont inter reliées dans le devis méthodologique de l’étude. Elles font partie des fondements théoriques de la démarche ayant servi de fil conducteur au travail de terrain. Elles participent à la rigueur de la recherche. Chacune contribue à expliciter la construction de la réussite de nos participants.