• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 1 : PROBLÉMATIQUE

1.3 Contexte scientifique

1.3.1 Stratégies visant à créer un pont entre le monde réel et la salle de classe

1.3.1.2 Simulation et jeu de rôle

Bien qu’ils aient été perçus négativement jusque dans les années 70 (Crookall, 2007), la simulation et le jeu de rôle ont depuis trouvé leur place dans l’enseignement des langues. Comme le fait remarquer Tompkins (1998), les objectifs de la simulation coïncident d’ailleurs avec ceux de l’enseignement par la tâche, tels que définis par Skehan (1998), puisque la simulation se base sur la priorité donnée au sens, la définition d’un but sur lequel travailler, l’évaluation du résultat de l’activité (post-tâche) et le lien souhaité avec le monde réel. Nous verrons dans cette partie ses caractéristiques et sa pertinence en didactique de l’oral.

Définitions

Tout d’abord, notons que la simulation n’est pas un concept propre à la DdL, puisqu’elle s’inscrit dans le contexte plus large de l’apprentissage expérientiel de Kolb15 (1984). On peut penser aux

simulations de prise de décision, en didactique des sciences politiques, lors desquelles les apprenants défendent un point de vue selon un rôle préattribué (Bursens, Gijbels, Donche et Spooren, 2018).

Par ailleurs, on constate qu’il existe en matière de simulation une variété de termes, souvent utilisés de façon interchangeable, dans la littérature scientifique (Tompkins, 1998). Ainsi, il n’est pas rare de voir les termes jeu, simulation, jeu de rôle, jeu-simulation ou encore jeu de rôle-simulation être utilisés pour référer au même concept (Crookall et Oxford, 1990). Toutefois, il existe un consensus sur la distinction entre la simulation, dans laquelle l’apprenant apporte sa propre personnalité, et le jeu de rôle, dans lequel l’étudiant a un rôle assigné dans l’interaction. Ainsi, la première recrée des situations de la vie réelle, alors que le second vise à faire expérimenter à l’apprenant la situation d’un personnage spécifique (Scarcella et Oxford, 1992). Enfin, dans le contexte de l’enseignement

15 Kolb (1984) définit un cercle d’apprentissage continu comprenant l’expérience concrète, l’observation réflexive, la conceptualisation abstraite puis l’expérimentation concrète. Selon Kolb, les activités de simulation peuvent être introduites durant les phases d’expérience et d’expérimentation.

des L2, le terme simulation semble aussi avoir des implications plus larges et complexes que celui de jeu de rôle, qui est généralement bref et plus flexible, et parfois même intégré dans une simulation plus large (Ladousse, 1987).

Intérêts pour classe de langue

Nous l’avons dit, le recours à la simulation converge avec les objectifs de l’approche communicative et actionnelle. De nombreux bénéfices ont d’ailleurs été identifiés quant à l’utilisation de la simulation pour l’enseignement des L2. Un des avantages les plus évidents est que la simulation en classe offre un environnement de pratique sécuritaire dans lequel il est possible de s’essayer à de nouveaux comportements (Tompkins, 1998). Ceci est d’autant plus important dans le cas d’apprenants ayant encore une faible maitrise de la langue et pouvant ainsi pratiquer en classe avant de le faire dans la vie réelle. Par ailleurs, comme pour le recours au matériel authentique, il s’avère que la simulation, en mettant les apprenants dans des situations de communication réalistes, augmente l’activité de l’apprenant et suscite un regain d’intérêt, menant ultimement à plus de motivation dans l’apprentissage (Joma, Al-Abed et Nafi, 2016). Tomlison et Masuhara (2000) vont encore plus loin et voient en la simulation la garantie de l’implication des apprenants. Enfin, le travail de réflexion et de négociation opéré dans le cadre des tâches de simulation permet de développer la pensée critique des apprenants (Tompkins, 1998), une compétence réutilisable dans l’ensemble de leur apprentissage de la L2.

Quant au jeu de rôle, il a lui aussi des avantages. Il a notamment été démontré qu’il permet l’amélioration de la compétence de production orale des apprenants lorsqu’il est intégré à un enseignement par la tâche (Aliakbari et Jamalvandi, 2010). De plus, les apprenants perçoivent généralement positivement ce genre d’activité, non seulement du point de vue de l’amélioration de la compétence orale, mais aussi sur le plan du développement du vocabulaire et de la grammaire (Haruyama, 2010). Notons qu’à l’extérieur de la salle de classe, l’étude de McNiel-Cho (2013) sur les camps de langues16 a révélé un rôle positif de ce jeu de rôle grandeur nature sur la motivation

intégrative, en permettant aux apprenants d’adopter de nouvelles stratégies les aidant à réduire leur anxiété langagière et à augmenter leur confiance en eux.

16 Lieux réels censés recréer l’environnement du pays de la langue cible étudiée, dans lesquels il est possible de se rendre pour des immersions simulées de courte durée. Dans son étude, McNeil-Cho (2013) s’est par exemple rendu dans un camp de langues de l’US Army en Californie où les soldats sont préparés à la communication en langue étrangère avant de partir en mission à l’étranger.

Toutefois, quelques désavantages ont aussi été décelés dans la simulation (et le jeu de rôle) en classe de langue. Kaplan (1997), notamment, pose un regard critique sur l’énoncé d’instructions quand celles-ci se focalisent sur des thèmes ou du vocabulaire trop spécifiques. L’auteur y voit une perte d’authenticité et de spontanéité par rapport aux discours prononcés dans la vie réelle. Par ailleurs, Livingstone (1983) note que les contraintes de temps et d’organisation peuvent rendre difficile la mise en place de simulations en classe de langue. Cet argument, bien que valable, n’est toutefois pas propre aux activités de simulation et devrait donc être relativisé.

En résumé, les bénéfices du recours à la simulation en classe de langue contrebalancent ses désavantages. Se pose maintenant la question de l’élaboration du matériel de simulation.

Recommandations pour la mise en place de simulations en classe de langue

Selon Cummings et Genzel (1990, p. 68), l’élaboration de matériel didactique de simulation devrait toujours commencer par la définition d’un objectif général (p. ex. « je veux que mes étudiants soient plus à l’aise lorsqu’ils se rendent dans un restaurant ») avant de fixer des objectifs spécifiques (p. ex. « je veux que mes étudiants sachent comment commander dans une enseigne de restauration rapide »). On voit ici une similitude avec l’enseignement par la tâche, où l’objectif de communication est clairement établi dès le départ et fera l’objet d’un suivi (Tompkins, 1998), telle une post-tâche. Du point de vue de la création de jeu de rôle, F. Liu et Ding (2009) ont mis en lumière quatre facteurs pour le succès de ce genre de tâches auprès des apprenants : le sujet choisi (il doit être réaliste et en rapport avec les besoins de l’apprenant), l’insertion du langage approprié de la part de l’enseignant pendant le jeu de rôle, la correction des erreurs de manière appropriée17 et le rôle de l’enseignant en tant que facilitateur, spectateur et participant.

En ce qui concerne la sélection du matériel, comme l’intérêt principal de la simulation est d’amener le monde réel dans la salle de classe, le matériel didactique qui devrait être utilisé pour la simulation est celui utilisé dans le monde réel (Ellis, 2017; Tompkins, 1998). Il peut par exemple s’agir d’enregistrements de locuteurs natifs (Richards, 1985). De plus, comme le préconisent Burns et Gentry (1988) dans leur théorie de la tension d’apprendre, si l’enseignant veut augmenter

17 Les auteurs suggèrent par exemple à l’enseignant de ne pas corriger immédiatement les erreurs durant le jeu de rôle, mais plutôt de donner une rétroaction une fois l’activité terminée.

l’engagement de ses apprenants, il doit avoir pour but de lutter contre l’inertie de certains d'entre eux en situation de simulation, notamment en adaptant l’écart entre la base et la cible, en légitimant l’activité ou encore en adaptant la pertinence aux besoins de l’apprenant. Ceci peut d’ailleurs être fait en incluant au jeu de rôle des objets du monde réel, que Gebhard (2017) nomme des « realia ».