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CHAPITRE 2 : CADRE THÉORIQUE ET RECENSION DES ÉCRITS

2.1 Désir de communiquer : évolution de la théorisation

2.1.2 Désir de communiquer en L2

2.1.2.3 Conceptualisation plus récente : le DDC comme un concept situé et dynamique

Les antécédents du DDC ainsi que les liens les unissant commençant à être bien compris, S.J. Kang (2005) propose de s’intéresser à l’aspect dynamique du DDC, c’est-à-dire à sa fluctuation de moment à moment et aux variables entrant dans cette fluctuation. La nouveauté est ici le recours à la méthodologie qualitative, puisque selon l’auteur les méthodes quantitatives (questionnaires avec échelles de Likert) ne sont pas assez « pertinentes » (insightful, en anglais, p. 280) pour explorer les caractéristiques situées du DDC. Dans cette étude menée auprès d’apprenants d’ALE participant à des séances de conversation avec des tuteurs de langue natifs, l’auteur propose d’utiliser des outils de collecte de données qualitatives (des conversations enregistrées sur support audio-vidéo, des rappels stimulés (stimulated recalls) ainsi que des entrevues) afin d’observer l’émergence et les fluctuations du DDC de situation. Les résultats de S.-J. Kang (2005) indiquent que le DDC change pendant la situation de communication et que le DDC situé en L2 provient de l’interaction entre trois antécédents psychologiques au DDC situé, à savoir : l’excitation, la responsabilité (« sentiment d’obligation et de devoir délivrer et de comprendre un message », p. 285) et la sécurité. Ces facteurs sont co-construits dépendamment de variables situées, comme le

sujet de conversation, les interlocuteurs ou le contexte de communication. Dans sa conclusion, S. J. Kang (2005) propose ensuite cette définition révisée du DDC en L2 :

Le désir de communiquer (DDC) est une inclination individuelle de plein gré envers l’engagement dans un acte de communication dans une situation spécifique, qui peut varier selon l’interlocuteur, le sujet, et le contexte de la conversation, entre autres potentielles variables situées. (S.J. Kang, 2005, p. 291)

L’auteur recommande par ailleurs que la prise en compte du développement du DDC devienne une priorité dans l’acquisition des langues secondes, comme le soulignent déjà MacIntyre et al. (1998). Notons au passage que cette évolution de la théorisation sur le DDC en L2 rappelle l’idée de la langue comme une pratique située (Pennycook, 2010), une idée d’ailleurs prônée par la sociolinguistique (importance du contexte de communication).

Plus tard, MacIntyre (2007) tente d’éclaircir les liens entre DDC en L2 et motivation (ainsi qu’anxiété). Le fil conducteur de cette étude réside autour de la notion de temps. En effet, MacIntyre (2007) prend l’exemple de l’anxiété, qui est différente selon le temps : anxiété caractéristique (trait) consistante à travers le temps, anxiété situationnelle dans un contexte particulier (situation-specific) et anxiété d’état (state anxiety) à un moment précis. Par ailleurs, l’auteur rappelle aussi que dans les critiques récentes du modèle de la motivation de Gardner, les différents types de motivation apparus ne s’excluent pas les uns les autres, mais seraient des manifestations des différents moments du processus motivationnel (voir Dörnyei, 2005). Or, puisque le DDC varie dépendamment de l’anxiété et de la motivation (entre autres) tel un système d’approche et d’évitement (approach/avoidance system) : la forte motivation étant un facteur poussant à la communication, alors que l’anxiété l’entrave. Ainsi, MacIntyre (2007) affirme que le DDC doit être vu lui aussi à un moment précis et notamment comme un rapport entre motivation et anxiété. Autrement dit, le choix fait par l’individu de s’exprimer ou non en L2 dans une situation spécifique et à un moment spécifique dépendra de la somme (positive ou négative) des facteurs l’incitant à communiquer (p. ex. une forte motivation, un intérêt pour le sujet de conversation, etc.) et ceux l’en dissuadant (p. ex. une forte anxiété de communication, le fait que la personne en face soit un inconnu plutôt qu’une personne familière, etc.). Notons que Wen et Clément (2003), en contexte chinois d’ALE, avaient déjà proposé d’apporter des modifications au modèle du DDC pour mieux y traduire les notions de restrictions situées de la communication.

Des recherches plus récentes sur le DDC ont essayé d’aller encore plus loin et de capturer le DDC dans l’instant (équivalent de ce que MacIntyre appelait en 2007 le DDC d’état). À cet égard, l’étude de MacIntyre et Legatto (2010) a permis, comme son titre l’indique, de capturer les changements rapides dans l’affect des apprenants durant une même situation de communication. D’après les résultats, le DDC de moment à moment semble moins affecté par l’anxiété que le DDC de situation ne l’est. Autrement dit, le DDC situationnel peut augmenter ou baisser sans nécessairement faire varier significativement le DDC de moment à moment. Le DDC a les propriétés d’un système dynamique (terme déjà utilisé dans S.-J. Kang, 2005) et l’on constate encore une fois l’avantage de décrire et d’étudier le DDC avec une échelle de temps même si des limites méthodologiques, comme le fading affect biais (qui est susceptible de donner une vision plus atténuée des difficultés de communication au fil du temps, selon MacIntyre et Legatto, 2010, p. 167), peuvent en effet altérer les résultats.

La même année, MacIntyre et Doucette (2010) observent le DDC, l’anxiété langagière et le SCCP en relation avec les trois variables de la théorie de l’action-contrôle (Kuhl, 1994): l’hésitation (incapacité à transformer les intentions en actions, soit la capacité à commencer ou non une tâche), la préoccupation (la manière dont certaines idées persistantes et intrusives empêchent d’initier un comportement ou de changer son comportement, soit la capacité à se concentrer sur la tâche) et la volatilité (la capacité à rester dans une action plaisante sans passer prématurément à une autre action, soit la capacité à poursuivre la tâche jusqu’à son accomplissement). Les résultats (obtenus grâce à l’analyse des corrélations et l’analyse des pistes causales, ou path analysis en anglais) confirment les liens suggérés entre les facteurs du DDC et ceux de l’action-contrôle. Toutefois, trois chemins non-significatifs sont identifiés : un premier allant de la volatilité vers le DDC à l’extérieur de la salle de classe, un autre de l’anxiété vers le DDC à l’extérieur de la salle de classe, et un dernier de la préoccupation vers l’anxiété (voir Figure 2.2, ci-après). De plus, l’analyse des données révèle que l’hésitation est associée à de forts niveaux d’anxiété langagière et à des perceptions plus basses de sa compétence communicative » (p. 7). Ceci explique selon les auteurs que dans certaines situations de communication, bien que la décision d’initier la communication en L2 ait été prise, elle ne se transforme pas forcément en action concrète. Ceci est particulièrement en lien avec la variable « hésitation », à laquelle MacIntyre et Doucette (2010) suggèrent de prêter plus attention lors de futures études. C’est ce

que feront d’ailleurs MacIntyre et Blackie (2012). À travers des analyses corrélatives, ils découvrent que l’hésitation joue un rôle significatif dans la prédiction de trois résultats non linguistiques de la communication, en l’occurrence le SCCP, l’anxiété langagière et le DDC en L2.

Figure 2.2: Modèle final de l’interaction entre les trois variables de l’action-contrôle et l’anxiété langagière, le SCCP et le DDC (traduit de: MacIntyre et Doucette, 2010, p. 168).

Notons au passage que les corrélations obtenues par MacIntyre et Doucette (2010) concernant les liens entre l’anxiété langagière, le SCCP et le DDC confirment les résultats de Yashima, Zenuk- Nishide et Shimizu (2004) indiquant que la confiance en soi (AC + SCCP) s’avère essentielle pour développer le DDC35. De plus, d’après M. Liu et Jackson (2008), le SCCP semble bel et bien être

le facteur qui est le plus lié au DDC (plus que l’anxiété), comme l’avait suggéré Yashima et al. (2004). Notons aussi que M. Liu et Jackson (2008) confirment indirectement une corrélation entre le DDC et l’anxiété langagière, en observant que le non-DDC d’apprenants chinois d’ALE est corrélé à leur anxiété langagière et leur SCCP en anglais. L’anxiété garde donc toute sa place dans la prise en compte des variations du DDC.

35 MacIntyre et Doucette (2010) reprennent notamment le cas des étudiants japonais de l’étude de Yashima et al. (2004), partis en échange linguistique en immersion aux États-Unis. Dans cette étude, certains de ces étudiants japonais, bien qu’ils semblent avoir pris la décision de communiquer en anglais avant même de partir en échange (puisque cela en était le but même), n’ont pas toujours su transformer cette volonté d’interagir en action concrète une fois arrivés aux États-Unis. MacIntyre et Doucette (2010) mettent ce constat en parallèle avec leurs résultats corrélatifs pour expliquer que de tels apprenants de L2 ont une forte hésitation (théorie de l’action-contrôle) contribuant à un faible SCCP et à leur anxiété en L2, et réduisant ainsi le DDC au point qu’ils ne sont pas prêts à initier la conversation à un moment donné.

Malgré ces débats sur les antécédents du DDC en L2, ce concept a pour avantage, comme le rappelle MacIntyre (2007, p. 564), « d’offrir l’opportunité d’intégrer des approches psychologiques, linguistiques, éducationnelles et communicatives à la recherche en L2 » alors que celles-ci avaient jusqu’alors été prises séparément. Il recommande de développer la recherche sur ces moments restrictifs qui empêchent l’apprenant de L2 de s’exprimer et donc d’acquérir la langue. Une méthodologie mixte est à cet effet recommandée.