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Le service public organique

Dans le document Droit administratif (Page 123-128)

Section 2. Les fonctions de l’administration

I. Le service public organique

103. Définition

BUTTGENBACH596 a défini le service public comme «un organisme public597, créé par les gouvernants, placé sous leur haute direction, soumis à un régime juridique spécial, qui a pour but de répondre à l'obligation que les gouvernants estiment avoir de donner satisfaction à des besoins collectifs du public d'une façon régulière, continue et en respectant la loi d'égalité des usagers».

Dans la mesure où ce service public gère une activité à caractère industriel, commercial ou financier, il est généralement considéré comme une entreprise publique. Il existe également des services publics à caractère administratif (tels les services publics fédéraux, anciens départements ministériels), des services publics sociaux (tels l'Office national de l'emploi (ONEM), l'Institut national d'assurance maladie-invalidité (INAMI), le Fonds des Maladies professionnelles, etc.).

104. Critères et indices: généralités

Dans un souci de classification, les critères ou les indices du service public organique doivent être mis en avant.

L’exercice n’est pas simple.

Les statuts d'un organisme (fût-il public) n'énoncent souvent que les règles essentielles de son organisation et de son fonctionnement. Ils ne précisent que très rarement la nature juridique réelle de l'organisme, son régime juridique, le

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A. BUTTGENBACH, Manuel de droit administratif, 1ère partie, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 1966, n° 59, p. 63. Le premier auteur, en droit administratif belge, qui a élaboré une théorie générale du service public.

régime de responsabilité applicable à son personnel, la juridiction compétente en cas de litige (tribunal civil, commercial ou juridiction administrative), le régime des biens affectés à l'entreprise, etc.

En outre, la terminologie n’est ni stable, ni univoque. Des termes tels que agence,

office, institut, caisse, fonds, organisme autonome, société régionale n'ont aucun

contenu juridique précis et sont d'ailleurs utilisés indifféremment pour dénommer des organismes privés ou publics, que ceux-ci soient ou non chargés d'une mission de service public, qu’ils soient ou non personnalisés598,599. La terminologie

n’est pas stable, elle évolue avec les réformes législatives. En outre, la qualification légale est parfois imparfaite600.

Trois éléments sont déterminants dans l’exercice de qualification : la création de l’organisme par les pouvoirs publics, la haute direction des gouvernants et le régime juridique spécial.

105. La création de l’organisme par les pouvoirs publics

Un service public organique est normalement créé par les pouvoirs publics par ou en vertu de la loi (décret, ordonnance) et non par des particuliers.

Il ne s’agit plus d’un véritable critère du service public, puisque nombre d'entreprises publiques qui ne poursuivent aucune mission de service public sont le fruit de la création unilatérale, ou en association601, des pouvoirs publics. En outre, il est difficile à manier, l'initiative de la création de certains services publics très anciens étant parfois difficile à établir602. Il est, dans bien des cas, insuffisant,

nombre d'institutions privées ayant ultérieurement été transformées en services publics organiques603.

598

J. DEMBOUR, Droit administratif, 3e éd., Liège, Collection scientifique de la Faculté de droit, 1970, n° 45, p. 92.

599 Exemple: le Bureau d’intervention et de restitution de Belgique est, par contre, un établissement public; l'Office régulateur de la navigation intérieure est une administration personnalisée et, à l’inverse, l’Office wallon des déchets, une entreprise régionale non personnalisée.

600

Ainsi, le Port autonome de Liège a été qualifié d'établissement public par la loi du 21 juin 1937 qui le crée. N’est-il pas une association de droit public, puisqu’il regroupe la Région, la Ville de Liège et d'autres communes de la Meuse liégeoise?

601 Par exemple, la Société belge d’Investissement pour les Pays en développement, société anonyme de droit privé, créée conjointement par l’État fédéral et la Société Belge d’Investissement International (loi du 3 novembre 2001 relative à la création de la Société belge d'Investissement pour les Pays en Développement et modifiant la loi du 21 décembre 1998 portant création de la «Coopération technique belge» sous la forme d'une société de droit public). La participation de l’État fédéral dans celle-ci n’est pas obligatoire (art.2) 602 Le Crédit Communal est souvent cité en exemple de l’ambiguïté de la création.

603 Ainsi en est-il de l'Office belge pour l'accroissement de la productivité, établissement d'utilité publique (c'est-à-dire organisme privé), qui a été transformé en un établissement public dénommé Institut pour l'amélioration des conditions de travail par l’arrêté royal n° 11 du 11 octobre 1978; on peut encore citer d’autres cas, tel celui de la Banque nationale de Belgique ou celui du Conseil économique et social de la Région wallonne, créé sur base de la loi du 15 juillet 1970, portant organisation de la planification et de la décentralisation de l’économie (tel que modifié par le décret du CRW du 23 mai 1983).

Le législateur604 – et lui seul605– est compétent pour créer un service public,

personnalisé ou non, pour plusieurs raisons.

Premièrement, selon la doctrine606, cette compétence découle du régime

parlementaire et démocratique. En vertu des articles 33 et 105 de la Constitution, les compétences ne peuvent être que d'attribution607. La politique générale de l’État est donc, si pas dirigée, au moins contrôlée par des assemblées élues. La fixation dans une norme à valeur législative d’un cadre général constitue une concrétisation minimale de ce contrôle.

Deuxièmement, l’État consacre à ces organismes des moyens financiers, souvent importants, sous forme d’apports, d’affectations unilatérales ou de subventions. Les services publics font largement usage des deniers publics.

Troisièmement, l'existence d'un service public – qu'il soit exercé en concurrence ou, a fortiori, en monopole – limite nécessairement les libertés individuelles et donc notamment celles proclamées par le décret des 2 et 17 mars 1791 (cf. supra). Certaines activités économiques peuvent être totalement ou partiellement soustraites à l'initiative privée. Les services publics bénéficient, en outre, pour l'exercice de leur activité, de règles spéciales, exorbitant du droit commun. Enfin, dans certains cas, la loi dote l’organisme créé d'une personnalité morale de droit public, ce qui nécessite une intervention du législateur.

L’intervention du législateur peut revêtir différentes modalités.

Il peut intervenir directement en créant, par une loi particulière, un service public déterminé608. Il peut aussi approuver a posteriori la création d'un service public

organique609.

604 Le législateur est utilisé dans le sens large du terme, la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 conférant en effet aux Communautés et aux Régions, en son article 9, la compétence de régler par décret la création et l'organisation de services publics organiques, dans le cadre des compétences qui leur sont dévolues. Sur cette base, ont été créés notamment la RTBF, le Commissariat général aux relations internationales, la Société flamande de distribution d'eau, la Société flamande des déchets, l'Office de la naissance et de l'enfance, la Société wallonne de gestion des participations, etc. Voy. aussi la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises.

605 Voy., not., CE, arrêt ASBL Inspraak, n° 22.555, 19 octobre 1982, qui annule l’arrêté royal approuvant la création et les statuts de l’établissement d’utilité public Stichting voor internationale Nederlandse cultuurverspreiding, au motif que cet acte fait naître un service décentralisé alors que la compétence pour créer un tel service appartient exclusivement au législateur.

606

Voy. not., P. WIGNY, Principes généraux du droit administratif belge, Bruxelles, Bruylant, 1947, n° 23, p. 20; A. BUTTGENBACH, Manuel de droit administratif, o.c., n°68, p. 66.

607 L'article 33 énonce que Tous les pouvoirs émanent de la Nation et l'article 105, que Le

Roi n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement la Constitution et les lois particulières portées en vertu de la Constitution même.

608

Par ex., la loi du 21 décembre 1998 porte création de la Coopération technique belge, société anonyme de droit public appelée à exécuter la politique de coopération au développement, la loi du 8 août 1980 relative aux propositions budgétaires 1979-1980 porte création d’un organisme public de gestion des déchets radioactifs et des matières fissiles (article 179, §2).

Le législateur peut déléguer son pouvoir de créer un service public organique à une autre autorité. L’organisme est alors créé en vertu de la loi.

Cette délégation peut être expresse et trouver sa source dans des dispositions à caractère général610. Ainsi, l’article 2 du décret du 5 décembre 1996 relatif aux

intercommunales wallonnes611 offre la possibilité à deux ou plusieurs communes de former des associations pour des objets déterminés d'intérêt communal. Cette délégation résulte souvent de dispositions légales à caractère particulier qui habilitent le Roi612 ou d'autres autorités613 à créer un service public.

Cette délégation peut aussi, dans une certaine mesure, être tacite. La doctrine belge614 admet en effet une délégation tacite et permanente du pouvoir législatif à l'exécutif pour la création et l'organisation interne des départements ministériels et de leurs services, pour autant que ne soient pas ainsi créées des personnes publiques distinctes de l’État, de la Communauté ou de la Région et que lesdits services ne portent pas atteinte aux libertés publiques, tout spécialement à la liberté du commerce et de l'industrie. Le fondement de cette délégation tacite est trouvé, d’une part, dans les articles 37 et 107 de la Constitution qui font du Roi le chef de l'administration générale et, d’autre part, dans l’article 108 qui confère au chef de l’État le pouvoir de faire les règlements et arrêtés nécessaires pour l'exécution des lois615.

106. La haute direction des gouvernants

609 Voy., par exemple, la loi du 12 février 1971 qui approuve, en son article 1er, la convention figurant en annexe à ladite loi, convention conclue par l’État, la Province de Hainaut, la ville de Charleroi et l'Association intercommunale pour l'aménagement du territoire et le développement économique et social des régions de l'Est et du Sud du Hainaut, et concernant la création du Port autonome de Charleroi.

610 La loi établit le cadre général de ces organismes, par exemple, les structures de gestion et de fonctionnement.

611

Ce décret constitue, pour la Région wallonne, la mise en œuvre de l'article 162, alinéa final, de la Constitution. Ce décret a été intégré, aux articles L1511-1 et s., dans le Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après CDLD). Voy. l’arrêté du Gouvernement wallon du 22 avril 2004 portant codification de la législation relative aux pouvoirs locaux, M.B., 12 août 2004; err. M.B., 22 mars 2005.

612

Ainsi, plusieurs lois de pouvoirs spéciaux ou extraordinaires confèrent-elles au Roi, pour une durée limitée, la possibilité de créer des organismes publics déterminés; citons, à titre d'exemple, l'article 24, 3° de la loi du 5 août 1978 de réformes économiques et budgétaires, qui permet au Roi de donner à l'Office belge pour l’accroissement de la productivité le statut d'établissement public (voy. arrêté royal n° 11 du 11 octobre 1978 portant transformation de l'Office belge pour l'accroissement de la productivité en un établissement public dénommé Institut pour l'amélioration des conditions de travail); mais ce peuvent être aussi des lois ordinaires: ainsi, la loi du 23 juillet 1926 autorise-t-elle le Roi à créer, en conformité aux principes qu'elle énonce, une société chargée de l’exploitation de l'ancien réseau des chemins de fer de l’État (voy. arrêté royal du 7 août 1926 instituant la Société Nationale des chemins de fer belge).

613 Par exemple, une personne publique déterminée: ainsi, la loi du 8 juin 1998 relative aux radiocommunications des services de secours et de sécurité charge la SFI de constituer une société anonyme de droit public dénommée A.S.T.R.I.D., chargée de constituer et d'exploiter un réseau de radiocommunications au bénéfice desdits services.

614 Voy. par exemple, A. BUTTGENBACH, Manuel de Droit administratif, o.c., n° 70, p. 68. 615 L'article 20 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 confère aux Gouvernements des Communautés et des Régions les mêmes pouvoirs.

Ce deuxième indice n'est pas spécifique aux services publics organiques, car il sert également à définir le caractère public d'une entreprise616. Il s’analyse, en fait,

comme le complément nécessaire du critère de la création. Puisque l'objectif est de satisfaire un besoin collectif considéré comme nécessaire pour la vie en société, les gouvernants, une fois le service créé, ne peuvent se désintéresser de sa gestion et en abandonner la direction à des particuliers. L’autorité a le devoir de contrôler le fonctionnement de l'organisme durant toute son existence.

M. BUTTGENBACH617 soulignait, à juste titre, que «la mainmise des gouvernants

sur un service public peut être plus ou moins accentuée: absolue, totale dans les services publics centralisés sur lesquels s'exerce le pouvoir hiérarchique, elle se relâche et devient beaucoup plus ténue lorsqu’il s'agit de services décentralisés qui, par définition, possèdent l’autonomie organique et sur lesquels les pouvoirs publics n’exercent qu’un pouvoir de tutelle».

Le «pouvoir du dernier mot», c'est-à-dire la maîtrise du service en ce qui concerne la détermination de ses règles d'organisation, de fonctionnement (son objet, la désignation de ses organes de gestion, sa capacité juridique, son régime financier) et de suppression (détermination du mode de dissolution et de l'affectation des biens de l'organisme dissous), caractérise en définitive cette «haute direction».

107. Le régime juridique spécial

Le troisième indice est le régime juridique spécial régissant l’organisme et l'activité de service public.

Le législateur, lorsqu’il crée un service public organique et lui confie une mission spécifique, entend faire fonctionner ce service suivant un régime juridique particulier618 et largement dérogatoire au droit commun. Ce régime se concrétise,

à son tour, par un faisceau d’indices.

108. Les éléments à rejeter

616 Observons cependant que, pour les services publics organiques, cette maîtrise des gouvernants résulte généralement de la loi qui crée l'organisme, qui en autorise ou en approuve la création. Pour les entreprises publiques qui n'ont pas de mission de service public, au contraire, la prépondérance des pouvoirs publics est, en règle, la conséquence du jeu normal des lois sur les sociétés commerciales, qui donne souvent à l’actionnaire principal la maîtrise de la société.

617 A. BUTTGENBACH, Manuel de Droit administratif, o.c., n° 75, p. 71.

618 Voy. à ce sujet J.-M. AUBY et R. DUCOS-ADER, Grands services publics et entreprises

nationales, T.I, Paris, P.U.F., 1963, notamment p. 33: Le régime du service public apparaît d’abord parfois comme la cause de la qualification de service public. En effet, le juge, pour rechercher si une activité constitue un service public peut trouver des indices dans les règles applicables à ce service, et notamment dans les textes qui les régissent. À cet égard, par conséquent, la démarche se trouve inversée: c’est la considération du régime qui sert à déterminer la qualité de service public.

L’objet de l’entreprise ne peut normalement pas être retenu comme critère du service public, pour la simple raison que ni la Constitution, ni la loi n'ont déterminé, par avance, les activités qui pourraient être l'apanage exclusif des particuliers ou des personnes publiques. De nombreuses activités économiques sont exercées concurremment par des services publics ou par des personnes privées619.

Dans des cas exceptionnels cependant, l’objet de l'entreprise peut servir de critère: lorsque le législateur détermine les missions de service public620, érige l’activité en service public621 ou institue un monopole légal au bénéfice de l’administration.

Il en est de même lorsque le droit positif a formellement écarté la possibilité d'intervention des pouvoirs publics622.

La forme de l’organisme ne peut pas non plus être retenue comme critère de différenciation entre l'entreprise privée et l'entreprise publique, que celle-ci gère ou non un service public. En effet, les pouvoirs publics adoptent trop souvent des formes de droit privé pour des services publics organiques. De nombreuses associations de droit public sont constituées sous la forme de sociétés anonymes, de sociétés coopératives et même d'associations sans but lucratif.

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