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Les notions d’entreprise publique et de service économique d’intérêt général

Dans le document Droit administratif (Page 176-179)

Section 2. Les fonctions de l’administration

A. Les notions d’entreprise publique et de service économique d’intérêt général

159. La notion d’entreprise publique

La notion d’entreprise est liée, en droit communautaire, à l’exercice d’une activité économique. Très tôt, la Cour de justice a précisé que la notion d’entreprise visait « toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut

juridique de cette entité et de son mode de financement »831. La notion d’entreprise doit être appréciée en fonction de l’activité spécifiquement considérée832.

Lorsqu’une entité exerce simultanément plusieurs activités, elle peut n’être considérée comme une entreprise que pour celles qui présentent les caractéristiques requises833. La notion d’activité économique vise « toute activité

qui consiste à offrir des biens et de services sur un marché donné »834. Pareille activité se caractérise par le fait qu’elle serait, du moins dans son principe, susceptible d’être exercée par un opérateur privé835. Ainsi, le fait d’offrir un service

contre rémunération semble inconciliable avec, par exemple, l’exercice d’un pouvoir réglementaire836.

Si l’entreprise est détenue et contrôlée par les pouvoirs publics, elle revêtira la qualité de publique sans que cette qualité n’affecte l’application du droit communautaire dans son principe.

Partant, tous les services publics poursuivant une activité économique sont susceptible de revêtir la qualité d’entreprise au sens du droit communautaire. Par ce biais, les règles juridiques spéciales inhérentes à ces structures en droit interne sont susceptibles d’être remises en causes au nom d’une violation des règles de droit communautaire, spécialement des règles de concurrence (pratiques restrictives, abus de position dominante, ententes et cartels, accords de coopération horizontales, restrictions verticales, concentrations) et des aides d’Etat (avec la question particulière du financement des services d’intérêt économique général).

Ce n’est que lorsque ces services publics (ou entreprises publiques) sont chargés d’un service économique d’intérêt général, qu’une certaine souplesse est prévue.

831 C.J.C.E., 13 avril 1991, Höfner et Elser, aff. C-41/90, Rec., 1991, p. I-2010. 832

Conc. av. gén. JACOBS précédant C.J.C.E., 21 septembre 1999, aff. C-67/96, Rec., 1999, p. I-1223, pt 27.

833 C.J.C.E., 16 juin 1987, Commission c/ Italie, aff. 118/85, Rec., 1987, p. 2599, pt 7 ; il est d’ailleurs admis que la disposition s’applique aux entreprises publiques et aux entreprises privées (voy. not. C.J.C.E., 21 mars 1974, BRT II, aff. 127/73, Rec., 1974, p. 313, pt 20). 834 Voy. not. C.J.C.E., 16 juin 1987, Commission c/ Italie, aff. 118/85, op. cit., pt 7. 835

Voy. not. concl. av. gén TESAURO dans l’aff. Poucet et Pistre (C.J.C.E., 17 février 1993, aff. C-159/91 et C-160/91, Rec., 1993, p. I-637), pt 8, et dans l’affaire SAT Fluggesellschaft (C.J.C.E., 19 janvier 1994, aff. C-364/92, Rec., 1994, p. I-45), pt 9.

836 Concl. av. gén. L

ÉGER précédant C.J.C.E., 27 avril 1994, Almelo, aff. C-393/92, Rec., p. I-148, pt 144.

160. Les Services d’intérêt économique général

La jurisprudence de la Cour de justice ne permet pas de définir de manière précise la notion de « service d’intérêt économique général ». Si tel service doit présenter des caractéristiques spécifiques par rapport à celles que revêtent d’autres activités de la vie économique837, le recours à des expressions multiples telles que service d’intérêt général, service universel ou service public, que certains considèrent comme interchangeables838, ne facilite pas l’exercice de qualification.

Fondamentalement, cette lacune relative s’explique sans doute par le caractère sensible du sujet. Il s’impose de concilier la compétence des États membres pour définir le contenu de leurs services d’intérêt économique général, jouissant en la matière d’une très grande liberté, et le souci légitime de la Cour de justice de sanctionner certains abus. L’intérêt des États à utiliser certaines entreprises en tant qu’instruments de leur politique économique, fiscale ou sociale, doit pouvoir se concilier avec l’intérêt de la Communauté au respect des règles de la concurrence et à la préservation de l’unité du marché commun839.

Concrètement, et pour illustrer les propositions qui précèdent, les services suivants ont été considérés par les instances communautaires comme d’intérêt économique général : la distribution d’eau840, la distribution d’électricité841, la distribution de

gaz842, la mise à disposition d’un réseau de téléphone843, la collecte et la distribution de courrier844, la gestion de lignes aériennes non rentables845, la

837

C.J.C.E., 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova, aff. C-179/90, Rec., 1991, p. I-5889 ; C.J.C.E., 17 juillet 1997, GT-LINK, aff. C-242-95, Rec., 1997, p. I-4449 ; C.J.C.E., 18 juin 1998, Corsica Ferries France, aff. C-266/99, Rec., 1998, p. I-3949. 838 Concl. av. gén. L

ÉGER précédant C.J.C.E., 19 février 2002, Wouters, aff. C-309/99, Rec., 2002, p. 1577, pt 161.

839 C.J.C.E., 19 mars 1991, Commission c/ République française, aff. C-202/88, Rec., 1991, p. I-1223, pt 12 ; C.J.C.E., 21 septembre 1999, Albany, aff. C-67/96, Rec., 1999, p. I-5751, pt 103 ; pour de plus amples développements sur l’application du principe de subsidiarité en ce domaine, voy. D. TRIANTAFYLLOU, « L’encadrement communautaire du financement du

service public », R.T.D.E., 1999, p. 21 et s.

840 C.J.C.E., 8 novembre 1983, IAZ, International Belgium c/ Commission, aff. jtes 96-102, 104, 105, 108 et 110/82, Rec., 1982, p. 3369 ; Déc. de la Commission n° 82/371/CEE du 17 décembre 1981, Navewa-Anseau, J.O.C.E., L 167 du 15 juin 1982, p. 39 et s.

841 C.J.C.E., 27 avril 1994, Almelo, aff. C-393/92, op. cit. ; C.J.C.E., 23 octobre 1997,

Commission c/ Pays-Bas, aff. C-157/94, Rec., 1994, p. I-5699, pt 41.

842 C.J.C.E., 23 octobre 1997, Commission c/ République française, aff. C-159/94, Rec., 1997, p. I-5815, concl. av. gén. G. COSMAS.

843 C.J.C.E., 13 décembre 1991, RTT c/ GB-Inno-BM, aff. C-18/88, Rec.,1991, p. I-5973 ; C.J.C.E., 17 novembre 1992, Royaume d'Espagne, Royaume de Belgique et République italienne c/ Commission des Communautés européennes, aff. C-281/90, Rec., 1992, p. I- 5833, concl. av. gén. JACOBS ; C.J.C.E., 16 mai 1991, Jan van Noorden c/ Association pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Assedic) de l'Ardèche et de la Drôme, aff. C- 272/90, Rec., 1991, p. I-2543, concl. av. gén. TESAURO.

844 C.J.C.E., 17 mai 1993, Corbeau, aff. C-320/91, Rec., 1993, p. I-2563 ; C.J.C.E., 10 février 2000, Deutsche Post AG, aff. C-147/97 et C-148/97, Rec., 2000, p. I-825 ; C.J.C.E., 17 mai 2001, TNT Traco SpA et Poste Italiane, aff. C-340/99, Rec., 2001, p. I-4109, concl. av. gén. S. ALBER.

845 C.J.C.E., 11 avril 1989, Ahmed Saeed Flugreisen, aff. C-66/86, Rec., 1989, p. I-838, pt 55.

gestion d’infrastructures d’aéroport846, la gestion de certains déchets en vue de faire face à un problème environnemental847, le placement de main-d’œuvre848, le

transport en ambulance849, etc.850.

La prestation offerte au public est seule considérée, et dès lors qu’elle présente des éléments d’universalité et de continuité851, qui sont déduits du régime juridique

(légal, réglementaire ou contractuel), la qualification de service d’intérêt économique général est acquise. Ainsi, des grossistes qui fournissent en France des médicaments aux pharmacies ont été considérés comme des entreprises chargées d’un service d’intérêt économique général, parce qu’ils étaient obligés, par un arrêté ministériel, de détenir en permanence un stock important et d’assurer une livraison de médicaments dans les 24 heures suivant la réception de la commande852.

Enfin, une évolution dans la jurisprudence de la Cour de justice, s’expliquant tant par une prise en considération plus grande des services d’intérêt général en tant que valeur commune de l’Union853 que par la libéralisation des marchés et la

privatisation des services publics, a été soulignée. La Cour de justice accepte des institutions dérogatoires aux mécanismes « naturels » du marché854 afin d’obliger les opérateurs économiques à fournir ces prestations spécifiques – parfois non rentables – dans le but de sauvegarder le caractère universel et continu de ceux- ci. Sensible à l’équilibre financier des entreprises chargées de pareilles missions, la Cour de justice admet plus facilement que des restrictions à la concurrence sont nécessaires, notamment sous l’angle du financement (octroi d’un droit exclusif ou spécial855, d’un financement direct sous la forme de subvention ou d’un

financement indirect sous la forme d’un avantage fiscal856 venant compenser

strictement857 les surcoûts générés par les services d’intérêt économique général).

846 Déc. de la Commission n° 98/190/CE du 14 janvier 1998, Flughaven Frankfurt, J.O.C.E., L 72 du 11 mars 1998, p. 30 et s.

847 C.J.C.E., 23 mai 2000, Sydhavnens Sten & Grus, aff. C-209/98, Rec., 2000, p. I-3743, pt 75.

848

C.J.C.E., 13 avril 1991, Höfner, aff. C-66/86, Rec., 1991, p. I-2010 ; C.J.C.E., 11 décembre 1997, Job Centre coop., aff. C-55/96, Rec., 1997, p. I-7140 ; C.J.C.E., 8 juin 2000, Giovanni Carra e.a., aff. C-258/98, Rec.,2000, p. I-4217.

849 C.J.C.E., 25 octobre 2001, Firma ambulanz Glökner et Landkreis Südwestpfalz, aff. C- 475/99, Rec., 2001, p. I-8089, concl. av. gén. JACOBS.

850

Pour d’autres exemples, voy. N. THIRION, op. cit., spéc. p. 298, et concl. av. gén. LÉGER

précédant C.J.C.E., 19 février 2002, Wouters, aff. C-309/99, op. cit., pt 163. 851

En ce sens, voy. K. LENAERTS, op. cit., spéc. p. 430.

852 C.J.C.E., 22 novembre 2001, Ferring, aff. C-53/00, Rec., 2001, p. I-9067, concl. av. gén. TIZZANO.

853 En ce sens, voy. K. L

ENAERTS, op. cit., spéc. p. 430. 854

Comme des clauses d’achat exclusif (C.J.C.E., 27 avril 1994, Almelo, aff. C-393/92, op. cit.).

855 C.J.C.E., 17 mai 1993, Corbeau, aff. C-320/91, op. cit. 856 C.J.C.E., 22 novembre 2001, Ferring, aff. C-53/00, op. cit.

857 Si la subvention ne se limite pas à compenser les surcoûts que l’entreprise supporte pour l’accomplissement des obligations de services d’intérêt économique général, elle pourra être qualifiée d’aide d’État (C.J.C.E., 22 novembre 2001, Ferring, aff. C-53/00, op. cit. ; voy. encore la Dir. 2000/52/CE de la Commission, du 26 juillet 2000, modifiant la directive 80/723/CEE relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques, J.O.C.E., L 193 du 29 juillet 2000, p. 75, qui fait office d’instrument de contrôle et de système de comptabilité analytique).

Pour que l’article 106 s’applique, encore faut-il que l’entreprise ait été « chargée » de la gestion d’un service d’intérêt économique général par un acte de la puissance publique858. Dans un premier temps, il fut jugé que le seul exercice

d’une activité réglementée par l’État ne suffisait pas859. Ultérieurement, la Cour a précisé que l’« acte de puissance publique » ne devait pas nécessairement revêtir la forme d’un acte législatif ou réglementaire860, une simple « concession de droit public » suffisant861. Cependant, la Cour a admis que le seul fait, pour un pouvoir public, de rendre obligatoire l’affiliation à un fonds sectoriel de pensions, créé par des partenaires sociaux, était suffisant pour considérer que ce fonds était une entreprise chargée de la gestion d’un service au sens de l’article 90 précité862.

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