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SECTION 1.- LE SERVICE ENVIRONNEMENTAL, UN OBJET ÉCONOMIQUE AUX CONTOURS JURIDIQUES INCERTAINS

A.- LE SERVICE ENVIRONNEMENTAL, UNE CATÉGORIE PARTICULIÈRE DE PRESTATION DE SERVICE

171. Après avoir explicité la définition du terme « service » en droit interne (1), nous nous emploierons, en l’absence de définition juridique du concept de « service environnemental », à caractériser ce concept en droit sur la base de critères pertinents (2).

1.- La définition des « services » en droit interne et européen

172. Incontournable dans les sciences économiques835, la distinction entre biens et services est moins explicitement formalisée en droit français. Si le Code civil est relativement disert sur la notion de bien, l’article 1779 distingue néanmoins « trois espèces principales de louage d'ouvrage et d'industrie », parmi lesquelles « le louage de service ». L’article 1780 du même code apporte cependant peu d’éléments de définition, ce qui tend à accréditer le constat selon lequel les services ne constituent pas une catégorie du droit civil. Ce constat nous invite dès lors à identifier une définition du service en dehors du Code civil.

Selon le Vocabulaire Cornu, le service peut se définir comme « l’action non désintéressée de fournir à autrui, sans lien de subordination, certaines prestations »836. Tourné vers autrui, le service s’inscrit donc dans le cadre d’une relation au moins bilatérale dont l’objet est une prestation de service. Par opposition au service, le bien désignerait une « chose matérielle susceptible d’appropriation »837. Plus explicite que le droit français, le droit de

835 « Un bien est tout ce qui produit des utilités. Le plus souvent, les services sont définis comme tant une catégorie de biens particulière, à savoir des biens immatériels » : SILEM A., Lexique d’économie, préc., p. 93.

836Ibid., p. 949.

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l’Union européenne retient une définition souple de la notion de services. Ainsi, la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur définit le « service » comme « toute activité économique non salariée, exercée normalement contre rémunération, visée à l’article 50 du traité [instituant la Communauté européenne – TCE »838. L’article 57 du TFUE (ex-article 50 TCE) définit les services comme « les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes ». Eu égard à la finalité environnementale des « services environnementaux », il convient à présent d’envisager si ces derniers constituent de véritables « services » et peuvent trouver leur place dans les catégories du droit.

2.- La définition juridique du concept de « services environnementaux »

173. En l’absence de définition législative, un avis du Comité pour l’économie verte du 29 octobre 2015 portant sur le développement des paiements pour services environnementaux se révèle particulièrement intéressant. Cet avis relève, d’une part, que l’« on parle de paiements pour services environnementaux (PSE) lorsqu'il est envisagé contractuellement de rémunérer des services environnementaux, dans la mesure où les actions associées contribuent de manière effective et additionnelle à la restauration et au bon fonctionnement des écosystèmes. En particulier, ceux-ci n’ont pas vocation à rémunérer un acteur pour une action visant au respect de ses obligations règlementaires (sic) »839. D’autre part, formalisant clairement la distinction entre « services écosystémiques » et « services environnementaux », cet avis définit explicitement ces derniers comme « des services que des acteurs se rendent entre eux ou rendent à la société dans son ensemble (il est question le plus souvent d’échanges de services entre fournisseurs et bénéficiaires), et qui visent à réduire la pression exercée sur les écosystèmes ou qui améliorent leur fonctionnement »840. Il ajoute, enfin, que la rémunération des services environnementaux correspond « à la rémunération d’une prestation de service »841.

838 Art. 4 de la Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, JOUE n° L 376 du 27 décembre 2006, p. 36.

839 COMITÉ POUR L’ÉCONOMIE VERTE, Avis portant sur le développement des paiements pour services environnementaux (PSE), préc., p. 1.

840Ibid., p. 2.

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174. À la lecture de ces éléments de définition, plusieurs remarques s’imposent. Tout d’abord, ainsi envisagé, le service environnemental ne désignerait pas une externalité positive qui serait produite non intentionnellement, mais une prestation de service réalisée intentionnellement à la demande d’un « bénéficiaire » de ce service842. Ce faisant, et comme le souligne Alexandra Langlais, les services environnementaux « rendus en contrepartie d’une rémunération, peuvent constituer une activité économique à part entière et sont susceptibles à ce titre d’être compris dans le champ d’application de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur »843. Comme le soulignent Isabelle Doussan et Gilles Martin, l’objet des paiements pour services environnementaux consiste « dans la quasi-totalité des hypothèses […] en une ou des obligations de faire ou de ne pas faire, c’est-à-dire en une ou des prestations de service au sens du Code civil »844. La littérature consacrée aux paiements pour service environnementaux et l’analyse de la pratique confirment que les prestations réalisées par le prestataire de service environnemental peuvent prendre des formes variées : mise à disposition de ruches, changements de pratiques agricoles (réduction de l’utilisation de produits phytosanitaires et engrais azotés, prairies permanentes, éléments arborés, etc.) ou encore restauration et entretien de milieux naturels (haies, zones humides, forêt). Si le service est de manière générale compris comme une prestation positive, appliqué à l’environnement, le service environnemental peut également prendre la forme d’une abstention : limitation des traitements insecticides et herbicides, réduction de l’usage de produits phytosanitaires et d’engrais, non destruction de milieux naturels (habitats, zones humides, prairies, bocages, etc.).

Comme nous avons pu précédemment l’évoquer845, il apparaît dès lors très réducteur de limiter un service environnemental à la préservation d’un service écosystémique. L’expérimentation de « paiements pour services environnementaux », dont la mise en œuvre a été confiée aux agences de l’eau, confirme ce constat. Le règlement élaboré par l’Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse dans le cadre de l’« Appel à initiatives – Expérimentation de paiements pour services environnementaux (PSE) » définit le service environnemental comme

842 V. infra. §. n° 180.

843 LANGLAIS A., « À la recherche d’une définition juridique des paiements pour services environnementaux ? », préc., p 50.

844 DOUSSAN I., MARTIN G. J., « Les paiements pour services environnementaux à la lumière de la théorie générale des contrats », in LANGLAIS A. (dir.), L’agriculture et les paiements pour services environnementaux. Quels questionnements juridiques ?, PUR, 2019, p. 286.

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« une action ou mode de gestion d'un acteur qui améliore l’état de l'environnement »846. De surcroît, si les services rendus par les écosystèmes peuvent constituer la finalité d’un service environnemental, la capacité de l’Homme à obtenir les effets attendus d’une action – ou d’une abstention – sur un ou plusieurs services identifiés paraît quelque peu présomptueux. Comme le souligne Christian Walter, agronome, si « les efforts humains réalisés en faveur de la nature […] participent sans aucun doute à la protection des services écosystémiques », ces derniers « évoluent selon une logique initialement autonome »847.

Enfin, cette définition est intéressante dans la mesure où elle est l’une des rares à exiger qu’un paiement pour service environnemental ne puisse pas être utilisé pour « rémunérer un acteur pour une action visant au respect de ses obligations règlementaires (sic) ». Nous relèverons cependant que cette condition ne se limite pas aux seules obligations « règlementaires », mais concerne également des obligations légales. Toutefois, cette interdiction pèse-t-elle sur le cocontractant qui souhaite bénéficier d’un service environnemental, ou bien prohibe-t-elle plus généralement que les PSE puissent être utilisés pour satisfaire – directement ou indirectement – une obligation légale ou réglementaire ? L’intérêt – et l’objet – des paiements pour services environnementaux étant d’inciter un prestataire à restaurer, préserver ou améliorer la qualité et la diversité des écosystèmes en contrepartie d’un « paiement », il semble par conséquent selon nous peu pertinent – voire contraire à l’esprit de cet instrument – d’envisager que celui-ci soit utilisé comme un moyen de satisfaire, ou de contribuer à satisfaire, même indirectement, une obligation légale ou réglementaire. Ce faisant, le service environnemental ne peut a priori pas être utilisé pour satisfaire une obligation de remise en état, de réparation ou de compensation sur le fondement d’un régime de responsabilité ou d’une procédure d’autorisation administrative préalable.

Au regard des éléments qui précèdent, le service environnemental peut ainsi être défini comme une catégorie particulière de prestation de service par laquelle un prestataire s’engage, en dehors de toute obligation réglementaire, à restaurer, préserver ou améliorer la qualité et la diversité des écosystèmes en vue d’en tirer un bénéfice individuel et/ou collectif.

846 Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, Règlement relatif à l’« Appel à initiatives – Expérimentation de paiements pour services environnementaux (PSE) », 2019, p. 2.

847 WALTER C., BISPO A., CHENU C., LANGLAIS A., SCHWARTZ C., « Les services écosystémiques des sols : du concept à sa valorisation », Cahiers Demeter, n° 15, 2015, p. 88.

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