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SECTION 2.- LES CONCEPTS VECTEURS D’UNE APPROCHE PLUS ÉCONOMIQUE DU DROIT DE LA PROTECTION DE LA BIODIVESITÉ

A.- L’INTÉGRATION JURIDIQUE DU CONCEPT DE SERVICES RENDUS PARS LES ÉCOSYSTÈMES

appellations, parfois services écosystémiques, d’autre fois services environnementaux ou encore services écologiques »647. Ce constat nous invite par conséquent à analyser, tout d’abord, le processus d’introduction du concept de services rendus par les écosystèmes en droit (A), pour voir ensuite les spécificités juridiques du concept de services écosystémiques (B).

A.- L’INTÉGRATION JURIDIQUE DU CONCEPT DE SERVICES RENDUS PARS LES ÉCOSYSTÈMES

124. Sous l’impulsion de réflexions prenant appui sur les sciences économiques, les fonctions et/ou services assurés par les écosystèmes se sont récemment imposés comme un élément central permettant de renouveler l’intérêt de protéger la biodiversité et les écosystèmes. Si l’idée selon laquelle les écosystèmes rendent un certain nombre de « services » n’est pas nouvelle en droit (1), le concept de service écologique a en premier lieu été consacré en droit français dans le cadre de la réparation des dommages causés à l’environnement (2).

1.- L’identification des premières manifestations juridiques du concept de services rendus par les écosystèmes

125. Si la terminologie « service écosystémique » est relativement récente, les dynamiques naturelles auxquelles ce concept renvoie ont été appréhendées par le droit dès lors début des années 1970. En faisant référence aux « fonctions écologiques fondamentales des zones humides », la Convention de Ramsar du 2 février 1971 a ainsi contribué à consacrer « en filigrane » le concept de services écosystémiques648. Dans le même sens, le principe 5 de la Déclaration de Stockholm de 1972 reconnaissait que « les ressources non renouvelables du globe doivent être exploitées de telle façon qu'elles ne risquent pas de s'épuiser et que les avantages retirés de leur utilisation soient partagés par toute l'humanité ».

Dès 1989, la communication de la Commission des Communautés européennes relative à la conservation des forêts tropicales relevait que « les forêts tropicales assument non

647 V. notamment sur ce point : BONNIN M., « L’émergence des services environnementaux dans le droit international de l’environnement : une terminologie confuse », préc., §. n° 1.

648 POMADE A., « Les paiements pour services environnementaux contribuent-ils à l’émergence d’un ”gradient de juridicité” ? », préc., §. n° 12 ; V. également en ce sens BONNIN M., « L’émergence des services environnementaux dans le droit international de l’environnement : une terminologie confuse », préc., §. n° 7.

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seulement des fonctions essentielles en fournissant l'eau et les éléments nutritifs nécessaires à l'agriculture (ces « services écologiques » ont davantage une importance économique qu'environnementale), mais produisent également de nombreuses matières premières pour le commerce et l'industrie. […] Les forêts tropicales fournissent des services environnementaux semblables à des régions entières. Dans ce cas, les effets en aval de la déforestation sont importants tant au niveau écologique qu'au niveau économique et social »649. La même année, Cyril De Klemm a pu souligner « le rôle essentiel de nombreuses espèces sauvages à l’intérieur des écosystèmes dont elles font partie, comme pollinisateurs, disperseurs de graines, agent de contrôle de populations d’autres espèces quand elles deviennent surabondantes, ou encore comme décomposeurs de matière organique. L’importance des services réciproques que les espèces se rendent les unes aux autres et la gravité des déséquilibres que peut entrainer leur perturbation commencent à peine à être comprises »650.

Le concept de service écosystémique sera également présent, de manière implicite, dans la Déclaration de principe de 1992 relative à la gestion, la conservation et l’exploration écologiquement viable de tous les types de forêts, sous l’expression « services forestiers »651. Cette dernière énonce en effet que « l'homme a besoin de produits et de services forestiers tels que le bois et les produits à base de bois, l'eau, les produits alimentaires et fourragers, les plantes médicinales, le combustible, les matériaux de construction, l'emploi, les loisirs, les habitats de la faune et de la flore, la diversité des paysages, les réservoirs et puits de carbone et d'autres produits forestiers »652. Elle ajoute que « les décisions prises sur la gestion, la conservation et l'exploitation écologiquement viable des ressources forestières devraient tirer profit, autant que possible, d'une évaluation approfondie de la valeur économique et non économique des biens et services forestiers et des coûts et avantages environnementaux. La mise au point et l'amélioration des méthodes à utiliser pour ces évaluations devraient être encouragées »653. Bernard Chevassus-au-Louis et Romain Pirard ont également pu relever que, « bien avant le succès de la notion de services écosystémiques, le terme "d’aménités environnementales" avait

649 Communication (89/C 264/01) de la Commission, La conservation des forêts tropicales : le rôle de la Communauté, JOCE n° C 264 du 16 octobre 1989, pp. 6-8, souligné par nous.

650 DE KLEMM C., « La conservation de la diversité biologique. Obligation des états et devoir des citoyens », préc., p. 399, souligné par nous.

651 POMADE A., « Les paiements pour services environnementaux contribuent-ils à l’émergence d’un ”gradient de juridicité” ? », préc., §. n° 12 ; V. également, dans le même sens BONNIN M., « L’émergence des services environnementaux dans le droit international de l’environnement : une terminologie confuse », préc., §. n° 7.

652 Nations-Unies, Déclaration de principes, non juridiquement contraignante mais faisant autorité, pour un consensus mondial sur la gestion, la conservation et l’exploitation écologiquement viable de tous les types de forêts, A/CONF.151/26 (Vol. III), 14 août 1992.

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été introduit pour évoquer certains produits des écosystèmes dont l’homme bénéficie gracieusement. […] Bien qu’encore usité, ce terme "d’aménités" a été peu à peu remplacé par celui de "services" dans la littérature récente, en lien avec l’accent mis sur le rôle de l’homme dans leur production »654. Sous l’influence de l’OCDE, le concept d’aménités s’est imposé au cours des années 1990, en lien avec le concept de « multifonctionnalité », dans le contexte des débats sur la réforme de la Politique Agricole Commune655. Peu usité, celui-ci n’est explicitement consacré qu’à deux reprises en droit interne : une fois dans le Code forestier656, et une fois dans le Code de l’environnement657. Le concept de services rendus par les écosystèmes va se concrétiser dans le cadre du régime relatif à la réparation des dommages causés à l’environnement, à travers le concept de services écologiques.

2.- L’introduction des services écologiques dans le cadre de la réparation des dommages causés à l’environnement

126. La directive 2004/35/CE sur la responsabilité environnementale658 est communément reconnue comme le marqueur de l’entrée dans l’ordre juridique du concept de service écologique659, qu’elle définit comme « les fonctions assurées par une ressource naturelle au

654 CHEVASSUS-AU-LOUIS B., PIRARD R., « Les services écosystémiques des forêts et leur rémunération éventuelle », préc., p. 580.

655 MOLLARD A. et al., « Les aménités environnementales : quelle contribution au développement des territoires ruraux? », VertigO, Hors-série 20, déc. 2014, §. n° 1, en ligne, [http://journals.openedition.org/vertigo/15235].

656 « Un programme national de la forêt et du bois précise les orientations de la politique forestière pour une durée maximale de dix ans. Il détermine des objectifs économiques, environnementaux et sociaux fondés sur des indicateurs de gestion durable. Il définit les territoires interrégionaux qui justifient, de par leurs caractéristiques communes, une coordination des programmes régionaux de la forêt et du bois, définis à l'article L. 122-1. Il assure le partage de l'information sur la production de produits forestiers et de produits issus de la transformation du bois, en vue d'une meilleure valorisation du bois et du développement des entreprises, ainsi que sur la production d’aménités environnementales et sociales de la forêt en vue de leur développement et de l'évaluation des modalités de leur rémunération » : art. 67 de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014, préc. ; modifiant l’art. L. 121-2-2 du C. forest.

657 « Les allées d'arbres et alignements d'arbres qui bordent les voies de communication constituent un patrimoine culturel et une source d'aménités, en plus de leur rôle pour la préservation de la biodiversité et, à ce titre, font l'objet d'une protection spécifique. Ils sont protégés, appelant ainsi une conservation, à savoir leur maintien et leur renouvellement, et une mise en valeur spécifiques » : art. 172 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016, préc. ; modifiant l’art. L. 350-3 du C. env.

658 Directive 2004/35/CE du Parlement Européen et du Conseil du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux, préc., p. 56.

659 DOUSSAN I., « Les services écologiques : un nouveau concept pour le droit de l’environnement », in CANS C. (dir.), La responsabilité environnementale. Prévention, imputation, réparation, Dalloz, 2009, p. 125.

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bénéfice d’une autre ressource naturelle ou du public »660. Elle ajoute que « lors de la détermination de l'importance des mesures de réparation complémentaire et compensatoire, les approches allant dans le sens d'une équivalence ressource-ressource ou service-service sont à utiliser en priorité »661. La notion de « services écologiques » a été introduite en droit français, dans le cadre de la transposition de la directive 2004/35/CE, dans des termes relativement identiques par la loi relative à la responsabilité environnementale du 1er août 2008662. Le Code de l’environnement définit ainsi les services écologiques comme « les fonctions assurées par les sols, les eaux et les espèces et habitats mentionnés au 3° au bénéfice d'une de ces ressources naturelles ou au bénéfice du public, à l'exclusion des services rendus au public par des aménagements réalisés par l'exploitant ou le propriétaire »663.

Dans ses travaux de recherche doctorale consacrés à l’appréhension des services écologiques par le droit, Mélodie Fèvre a pu considérer l’expression « services écologiques » comme synonyme à celle de « services écosystémiques »664. Nous pensons, à l’inverse de la position défendue par l’auteure, que ces concepts ne doivent pas être confondus. La directive 2004/35/CE, de même que la loi LRE du 1er août 2008, consacrent en effet une approche singulière qui mérite d’être soulignée. Tout d’abord, la détérioration des services écologiques vient s’inscrire en additionnalité par rapport aux éléments qui permettent de caractériser le préjudicie écologique. Ensuite, la directive témoigne d’une approche qui se recentre sur un objet plus restreint : l’écosystème. Enfin, elle formalise une définition qui, à l’inverse des services écosystémiques, ne se caractérise pas uniquement à travers les services rendus aux seuls êtres humains, mais à l’ensemble du vivant. Nathalie Hervé-Fournereau et Alexandra Langlais ont pu souligner, dans le même sens, que « telle que défini par la directive 2004/35/CE ("fonctions assurées par une ressource naturelle au bénéfice d’une autre ressource naturelle ou du public"), le concept de "service lié à des ressources naturelles", bénéficie d’une définition extensive qui se distingue de celle retenue par le rapport sur l’[Évaluation des Écosystèmes

660 Directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux, préc., p. 60.

661 Annexe II. Art. 1.2.2 de la Directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004, préc., p. 68 ; V. également, dans le même sens : BAS A., GAUBERT H., La directive « Responsabilité environnementale » et ses méthodes d’équivalence, Études et documents du CGDD, n° 19, 2010, p. 11.

662 Loi n° 2008-757 du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'environnement, préc.

663 Art. 1 de la loi n° 2008-757 du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale, préc., ; codifié à l’art. L. 161-1 I du C. env.

664 FEVRE M., Les services écologiques et le droit. Une approche juridique des systèmes complexes, Université de Nice Sophia-Antipolis, 2016, dactyl., p. 68.

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pour le Millénaire] ("bienfaits que les gens retirent des écosystèmes") »665. Initialement rattaché au régime de la réparation de certains dommages causés à l’environnement, le concept de services écologiques va progressivement s’autonomiser de celui-ci en droit interne.

B.- L’AUTONOMISATION DES SERVICES RENDUS PAR LES ÉCOSYSTÈMES DES

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