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SECTION 2.- LES CONCEPTS VECTEURS D’UNE APPROCHE PLUS ÉCONOMIQUE DU DROIT DE LA PROTECTION DE LA BIODIVESITÉ

B.- LA PRÉÉMINENCE DU CONCEPT DE PATRIMOINE NATUREL EN DROIT FRANÇAIS

144. Parfois assimilé au concept de « capital naturel », le concept de « patrimoine naturel » est, de par ses origines, un concept essentiellement juridique dont la terminologie emprunte à la législation relative à la protection du patrimoine culturel (1). Dans la mesure où le droit français privilégie une approche patrimoniale de la protection de l’environnement, l’introduction en droit interne du concept de capital naturel reste par conséquent limitée (2).

750Ibid.

751 Décision d'exécution (UE) 2018/210 de la Commission du 12 février 2018, concernant l’adoption du programme de travail pluriannuel LIFE pour 2018-2020, préc.

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1.- L’origine du concept de patrimoine appliqué à l’environnement

145. « Polysémique »752, le « patrimoine » est un concept d’origine essentiellement juridique qui a fait l’objet d’un important travail de réflexion théorique dans le courant du XIXe siècle, sous l’impulsion notamment des juristes Charles Aubry et Charles Rau. Ces auteurs ont défini le patrimoine d’une personne comme « l’universalité juridique de ses biens, c’est-à-dire, des objets extérieurs sur lesquels elle a des droits à exercer en tant qu’on les considère comme des biens »753. Essentiellement civiliste, cette définition du patrimoine présente la particularité de reposer exclusivement sur l’idée de propriété. Or, selon l’article 544 du Code civil, la propriété désigne « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». Néanmoins, appliqué à l’environnement, le concept de patrimoine va justifier une atténuation des droits de propriété sur les ressources naturelles et la création d’un statut juridique spécifique à ces éléments.

146. L’utilisation du concept de patrimoine, appliqué à l’environnement, prend sa source dans le déploiement, à partir de la fin des années 1960, des notions de « patrimoine naturel » et de « patrimoine commun de la nation ». Inspirée de la législation sur les monuments historiques, la notion de « patrimoine naturel et culturel » apparaît pour la première fois dans le droit français en 1967754. Alors que la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques ne parlait pas de « patrimoine », Marie Cornu et Jean-Michel Leniaud relèvent que ce terme sera mobilisé « en particulier à partir des années soixante-dix »755. À partir de là, nous avons assisté à une véritable « vague patrimoniale » en droit de l’environnement756.

Adoptée le 16 novembre 1972, la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel consacre à la fois les notions de « patrimoine mondial » et de « patrimoine naturel ». La définition du « patrimoine naturel » retenue par ce texte sera très inspirée de la législation sur les monuments historiques : « aux fins de la présente Convention sont considérés comme "patrimoine naturel" : − les monuments naturels constitués par des formations

752 DEFFAIRI M., La patrimonialisation en droit de l’environnement, IRJS, 2015, p. 5 et s.

753 AUBRY C., RAU C.-F., Cour de droit civil français, Tome 4, F. LAGIER, 1844, p. 99.

754 Art. 1er du décret n°67-158 du 1er mars 1967, préc.

755 CORNU M., LENIAUD J.-M., « L’évolution des critères de patrimonialité : la notion plastique d’intérêt d’histoire ou d’art », in BADY J.-P., CORNU M., FROMAGEAU J., LENIAUD J.-M., NÉGRI V. (coord.), De 1913 au Code du patrimoine. Une loi en évolution sur les monuments historiques, La documentation française, Travaux et documents n° 39, 2018, p. 86.

756 VAN LANG A., Droit de l’environnement, préc., p. 193 ; V. dans le même sens : PRIEUR M. et al., Droit de l’environnement, préc., p. 227.

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physiques et biologiques ou par des groupes de telles formations qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue esthétique ou scientifique, − les formations géologiques et physiographiques et les zones strictement délimitées constituant l'habitat d'espèces animale et végétale menacées, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de la science ou de la conservation, − les sites naturels ou les zones naturelles strictement délimitées, qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de la science, de la conservation ou de la beauté naturelle »757. La notion de « patrimoine naturel » sera par la suite consacrée par la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, qui énonce qu’« il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde du patrimoine naturel dans lequel il vit »758. Si le député André Forens avait pu constater, à l’occasion des débats sur le projet de loi pour la protection de la nature, que « la notion de patrimoine naturel est encore mal définie et son nécessaire support juridique reste à définir »759, celle-ci a été progressivement structurée par la suite.

147. Créée par une décision du Comité interministériel d’action pour la nature et l’environnement du 14 février 1978760, la Commission Interministérielle des Comptes du Patrimoine Naturel a entrepris de réaliser une évaluation monétaire du patrimoine naturel761. Dans le cadre des travaux réalisés par cette Commission, le patrimoine naturel sera ainsi défini comme « l’ensemble des éléments naturels, et des systèmes qu’ils forment, qui sont susceptibles d’être transmis aux générations futures ou de se transformer. Font partie du patrimoine naturel : - les espèces animales et végétales, - les populations animales et végétales dont la durée de vie et le rythme de renouvellement impliquent la possibilité d’une accumulation et donc d’une transmission, - les éléments et les produits du milieu naturel qui sont régulièrement et rapidement renouvelés ou recyclés même s’ils ne peuvent être appréhendés qu’en terme de flux, - les systèmes écologiques où les espèces se reproduisent y compris le support physique de ces systèmes, - les systèmes physiques de circulation de matière et d’énergie, - les éléments permanents de l’écosphère terrestre qui sont rattachables à un territoire et peuvent de ce fait être appropriés »762. Par la suite, nous allons assister en droit français à un glissement du concept de « patrimoine naturel » vers celui de « patrimoine commun de la nation ».

757 Art. 2 de la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel du 16 novembre 1972.

758 Art. 1 al. 1 de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, préc.

759 Doc. AN., CR de la 1ère séance du 22 avril 1976, JO AN du 23 avril 1976, p. 2047.

760 PRIEUR M., « L'administration de l'environnement », RJE, 2/1983, p. 110.

761 V. sur ce point : WEBER J.-L., « Écologie et statistique : les comptes du patrimoine naturel », Journal de la société de statistique de Paris, t. 128, 1987, pp. 137-162.

762 WEBER J.-L., « Le patrimoine naturel », in COMMISSION INTERMINISTÉRIELLE DES COMPTES DU PATRIMOINE NATUREL, MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT, INSTITUT NATIONAL DE LA

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148. Selon certains auteurs, la notion de « patrimoine commun » constituerait une « résurgence » de la catégorie de res communis763. Pour Carole Hernandez-Zakine, le « patrimoine commun » n’aurait « pas pour finalité l’appropriation publique des terres mais la reconnaissance de devoirs de préservation en faveur de nouveaux titulaires qui transcendent l’individu dans une approche collective des enjeux »764. Si le droit international s’est appuyé sur le concept de « patrimoine commun de l’Humanité »765, le droit français privilégiera le concept de « patrimoine commun de la nation ». Celui-ci sera introduit en droit français par la loi « Defferre » du 7 janvier 1983, qui énonce que « le territoire français est le patrimoine commun de la nation »766. Ce concept sera par la suite appliqué à l’environnement par la loi « Barnier » du 2 février 1995, qui dispose que « Les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l'air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation »767. Appliqué à l’environnement, ce concept permet d’« englober indifféremment des res nullius (les espèces sauvages) et des res communes (les ressources telles que l’air et l’eau) »768. Le concept de « patrimoine commun de la nation » peut ainsi être rapproché des réflexions notamment menées par François Ost, qui défend l’idée d’une limitation du droit de propriété via un d’un démembrement de cette dernière entre, d’une part, les biens soumis à un régime de propriété publique ou privée et, d’autre part, un patrimoine commun ou naturel dont l’État – ou la nation – ne seraient pas le « propriétaire » mais le gardien769. Si ce concept

STATISTIQUE ET DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES, Les Comptes du patrimoine naturel, Les collections de l’INSEE, n° 535-536, série D, n° 137-138, déc. 1986, p. 39.

763 DEFFAIRI M., La patrimonialisation en droit public de l’environnement, préc., p. 35 ; V. également, dans le même sens : HERNANDEZ-ZAKINE C., « La planification de l’eau : expression nouvelle d’une publicisation de la gestion de l’espace rural », in FALQUE M., LAMOTTE H. (eds.), Ressources agricoles et forestières. Droits de propriété, économie et environnement, Bruylant, 2014, p. 178.

764 HERNANDEZ-ZAKINE C., « La planification de l’eau : expression nouvelle d’une publicisation de la gestion de l’espace rural », préc., p. 180 ; V. également, dans le même sens : LAMARQUE J., « La loi du 3 janvier 1992 sur l’eau », CJEG, 1993, p. 81.

765 Certains auteurs considèrent que le concept de « patrimoine commun de l’humanité » trouve sa première expression moderne en 1967 dans le discours à la tribune des Nations Unies du représentant de Malte à l'ONU, M. Arvid Pardo, à propos de l’exploitation des grands fonds marins : Nations Unies, documents officiels, A/C. 1/PV. 1515 ; cité par KISS A., « La notion de patrimoine commun de l’humanité », RCADI, vol. 175, 1982-II, p. 114 ; VAN LANG A., Droit de l’environnement, préc., p. 192 ; HERNANDEZ-ZAKINE C., « La planification de l’eau : expression nouvelle d’une publicisation de la gestion de l’espace rural », préc., p. 178.

766 Art. 35 de la loi « Defferre » n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat, JO du 9 janvier 1983, p. 215 ; codifié à l’article L. 110 du Code de l’urbanisme.

767 Art. 1 de la loi « Barnier » n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, préc. ; modifiant l’art. L. 200-1 du C. rur.

768 VAN LANG A., Droit de l’environnement, préc., p. 193.

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« transcende le droit de propriété »770, il n’exclut pas pour autant que de tels droits puissent être reconnus sur certains des éléments qui le compose. Bien que les espaces animales et végétales fassent partie, dans leur globalité, du patrimoine commun de la nation, il reste possible de s’approprier une fraction de ces ressources naturelles à des fins privatives (eau, air, etc.)

149. Cette dynamique de « patrimonialisation » du droit de l’environnement trouvera son expression la plus aboutie dans la Charte de l’environnement, qui considère « Que l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains ». Dans la mesure où le concept de « patrimoine commun » est solidement établi en droit français, le concept de « capital naturel » rencontre par conséquent un succès limité.

2.- La pénétration limitée du concept de capital naturel en droit français

150. En dépit du succès rencontré par le concept de « capital naturel » dans les approches économiques de l’environnement, de même qu’en droit européen, sa place apparaît relativement réduite en droit interne. Ni le Code de l’environnement, ni le Code de l’urbanisme, ne font en effet explicitement référence à ce concept de « capital naturel ». Seul le Code de l’environnement fait une référence appuyée au concept de « capital cynégétique »en matière de chasse771. Si le concept « capital naturel » est absent, en tant que tel, des textes juridiques, il est néanmoins intéressant d’observer que les stratégies nationales pour la biodiversité 2004-2010 et 2011-2020 s’appuient toutes deux largement sur le concept de « capital écologique ». La SNB 2011-2020 définit d’ailleurs ce concept comme les « ressources telles que minéraux, plantes, animaux, air de la biosphère terrestre, vus comme moyens de production de biens et services écosystémiques : production d’oxygène, épuration naturelle de l’eau, prévention de l’érosion, pollinisation des cultures, et même fourniture de services récréatifs. Le capital écologique est l’un des cinq capitaux mobilisés pour la production de richesse, les quatre autres étant le capital humain, le capital financier, le capital social et le capital physique »772. Il est frappant de constater que cette définition, qui associe les termes de « capital » et de « biens et services écosystémiques », s’appuie presque mot pour mot sur les travaux des sciences

770 SAVARIT I., « Le patrimoine commun de la nation, déclaration de principe ou notion juridique à part entière ? », RFDA, 1998 p. 305.

771 Art. D. 422-102, D. 422-115 et D. 422-120 du C. env.

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économiques consacrés au concept de « capital naturel »773. Si la loi « Biodiversité » du 8 août 2016 consacre indiscutablement une approche plus économique de la protection de la biodiversité, le législateur s’oriente-t-il, pour autant, vers un droit du « capital naturel » ?

151. S’appuyant sur une approche explicitement économique, l’exposé des motifs du projet de loi relatif à la biodiversité énonce que « la biodiversité est aussi une force économique pour la France. D’une part, elle assure des services qui contribuent aux activités humaines, dit services écosystémiques. Si l’évaluation complète des services rendus et donc le coût de leur disparition ne sont pas encore connus, plusieurs études ont montré l’importance de la biodiversité en tant que capital économique extrêmement important »774.

Contrairement à ce qu’une première approche pourrait laisser penser, la référence faite par le projet de loi au concept de « capital naturel » s’avère trompeuse sur la résonnance de ce concept dans le texte proposé. Une analyse lexicométrique révèle que son utilisation reste en effet marginale dans les débats775, ainsi que dans les documents préparatoires relatifs à la loi « Biodiversité »776, où sont largement privilégiés les concepts de « patrimoine », de « patrimoine naturel » ou encore de « patrimoine commun de la nation ». Il n’est dès lors pas surprenant de constater que, dans sa version finale, la loi du 8 août 2016 ne consacre en aucune manière le concept de « capital naturel ». Si celui-ci n’apparaît pas en tant que tel en droit interne, il se devine, de manière sous-jacente, dans l’approche plus économique consacrée par le législateur. Dans son rapport consacré au projet de loi relatif à la biodiversité, la député Geneviève Gaillard relevait que « ce projet de loi promeut une biodiversité moins patrimoniale et plus dynamique, perçue dans toutes ses composantes – terrestre, aquatique et marine – et dans ses dimensions tant ordinaire que remarquable »777. Si cette approche ne participe pas d’une volonté de réduire le caractère patrimonial de la biodiversité, mais de protéger une biodiversité moins patrimoniale – au sens qu’elle serait « ordinaire » –, nous pouvons néanmoins légitimement nous interroger sur l’éventualité d’un glissement, pour l’avenir, d’une vision patrimoniale de la protection de l’environnement vers un droit du « capital naturel ».

773 V. supra. §. n° 137.

774 Projet de loi relatif à la biodiversité, Doc. AN n° 1847, 26 mars 2014.

775 Doc. AN, CR. de la réunion du mardi 10 juin 2014, à 17 heures ; Doc. AN, CR de la deuxième séance publique du mardi 24 mars 2015 ; Doc. Sénat, CR de la séance publique du mardi 19 janvier 2016 ; Doc. AN, CR de la première séance publique du mardi 15 mars 2016 ; Doc. Sénat, CR de la séance publique du jeudi 12 mai 2016 : Doc. AN, CR de la réunion du lundi 13 juin 2016, à 21 heures ; Doc. AN, CR de la deuxième séance publique du mardi 21 juin 2016.

776 GAILLARD G., Rapport sur le projet de loi relatif à la biodiversité (n° 1847), préc., p. 15.

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152. Selon Agathe Van Lang, l’introduction, par la loi « Biodiversité » du 8 août 2016, des « services écosystémiques » et des « valeurs d’usage » à l’article L. 110-1 du Code de l’environnement « donne le sentiment que l’environnement est un ensemble de biens, d’actifs. La dimension immatérielle et désintéressée qui caractérise habituellement le patrimoine commun en droit de l’environnement s’en trouve effacée »778. Dans le même sens, François-Guy Trébulle n’avait pas manqué de voir, dans l’introduction du dispositif de « réserves d'actifs naturels » au sein du projet de loi sur la biodiversité, une « convergence avec un mouvement d'ensemble d'identification et de valorisation de ce que l'on appelle désormais le "capital naturel" »779. Plus encore, selon le politiste Rémy Petitimbert, la généralisation du recours au concept de « services écosystémiques » constituerait un glissement de l’action publique environnementale « d’une protection patrimoniale de la biodiversité (basée sur l’idée générale de l’atténuation des effets du développement sur la biodiversité) » vers « une gestion d’entités socio-économiques, décomposables et décomposées, dont la valeur est reconnue par l’utilité procurée à l’humain »780. Dans le même sens, Erwin Dreyer et Guy Landmann énoncent que l’« émergence de la notion de services écosystémiques et de son corollaire de paiement pour services ne va pas sans débats éthiques opposant une vision patrimoniale selon laquelle l’intégrité des écosystèmes est un bien commun qui doit être maintenu pour les générations futures, et une vision utilitariste qui met en avant le maintien de la capacité des écosystèmes à assurer ces services »781. Si le droit résiste à l’intégration explicite du concept de « capital naturel », la consécration juridique de l’approche selon laquelle la biodiversité et les écosystèmes seraient à l’origine de « biens » et « services » témoigne, de manière sous-jacente, du succès rencontré par ce concept, sans qu’il soit nécessaire de le consacrer explicitement en droit interne. Dans la mesure où le remplacement du concept de « patrimoine naturel » par celui de « capital naturel » ne constituerait pas une évolution neutre, la distinction théorique entre ces deux concepts mérite, par conséquent, d’être soulignée.

778 VAN LANG A., « Protection du climat et de la biodiversité au prisme du droit économique : l'apport de la loi Biodiversité », préc., note n° 15.

779 TRÉBULLE F.-G., « Chronique : entreprise et développement durable (2e partie) », EEI, n° 7, Juill. 2015, p. 40.

780 PETITIMBERT R., « Quantifier pour manager. L’émergence des paiements pour services environnementaux au sein des politiques publiques environnementales françaises », préc., §. n° 1.

781 DREYER R., LANDMANN G., « Les services écosystémiques rendus par les forêts : une préface », Revue forestière française, 3/2012, p. 209.

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153. Selon Michel Prieur, le concept de patrimoine commun chercherait « à introduire un élément à la fois moral et juridique dans la conservation de l’environnement »782. À propos du concept de « capital naturel », Virginie Maris, philosophe, relève que celui-ci n’offre pas « une vision neutre mais imagée la nature ou du fonctionnement des écosystèmes. Il s’agit également de capturer, à travers cette métaphore utilitaire et économique de la nature, l’essence des relations entre les citoyens et la nature (valorisation strictement instrumentale) et de la visée de l’action publique (optimisation ou maximisation économique) »783. « Indissociable de la pensée économique libérale néo-classique et de la pensée utilitariste »784, la notion de « capital » apparaît également, sous plusieurs aspects, réductrice par rapport aux notions de « patrimoine naturel » et de « patrimoine commun ». Tout d’abord, le capital tend à désigner, en droit, un « ensemble des biens figurant à l’actif d’un patrimoine, par opposition aux revenus qu’ils produisent »785, ou encore un « ensemble des biens frugifères d’une personne, des biens productifs qui lui rapportent des fruits ou lui fournissent des produits »786. Ainsi envisagé, la notion de capital apparaît plus restreinte que celle de patrimoine, dans la mesure où le capital ne serait qu’un élément du patrimoine productif. Le champ du concept de « capital » serait d’autant plus limité que le capital naturel ne constitue qu’un stock de ressources naturelles. À la différence du concept de « patrimoine commun de la nation », le concept de « capital naturel » exclut par conséquent de son champ les paysages, qui ne constituent pas des ressources naturelles. Ensuite, le concept de « capital naturel » serait également « anthropocentrique » et « instrumental », dans la mesure où « il se concentre sur les aspects de la nature qui bénéficient à l'homme, et non sur les aspects de valeur intrinsèque de la nature et sur les avantages pour les autres espèces »787. Là où les investissements réalisés dans le capital naturel appellent une contrepartie en termes de biens et services, l’approche patrimoniale relèverait, à l’inverse, « d'une véritable éthique du futur […] qui transcende les objectifs immédiats »788. Selon l’économiste Yves Barel, on ne gèrerait pas un patrimoine de la même manière que l’on gère un capital : « on gère un capital pour l’accroître, on gère un patrimoine

782 PRIEUR M. et al., Droit de l’environnement, préc., p. 227.

783 MARIS V., « Le capital naturel, une image réduite des valeurs de la nature et des politiques environnementales », préc., p. 37.

784 ANDRÉ-LAMAT V., « De l’eau source à l’eau ressource : production d’un capital environnemental ou d’un commun. L’exemple de l’eau domestique au Pharak (Népal) », Développement durable et territoires, Vol. 8, n° 3,

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