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SECTION 1.- LE SERVICE ENVIRONNEMENTAL, UN OBJET ÉCONOMIQUE AUX CONTOURS JURIDIQUES INCERTAINS

B.- LA RECHERCHE D’ÉLÉMENTS DE CARACTÉRISATION DU SERVICE ENVIRONNEMENTAL EN DROIT

166. Si le droit européen offre quelques rares éléments pour qualifier juridiquement le concept de service environnemental (1), les perspectives notamment offertes en droit interne par la loi « Biodiversité » du 8 août 2016 apparaissent tout aussi limitées (2).

1.- Les perspectives de qualification limitées offertes par le droit européen

167. Comme nous l’avons démontré, le droit relatif aux activités agricoles et forestières constitue un terrain privilégié de la notion de services environnementaux821. Si le droit européen a pu, un temps, entretenir la confusion entre services environnementaux et services écosystémiques, cette distinction a depuis été clarifiée822. En dépit du succès rencontré par le concept de « services » ou de « services environnementaux » en droit européen, aucun texte ou document ne définit ces concepts. De surcroît, le droit européen entretient également une

819Ibid., p. 166.

820Ibid.

821 V. supra. §. n° 54 et s.

822 À titre d’exemple, la décision n° 2006/702/CE du Conseil européen du 6 octobre 2006 relative aux orientations stratégiques communautaires en matière de cohésion énonce qu’« il convient de garantir l'existence de services environnementaux tels que l'approvisionnement en eau propre, des infrastructures de traitement des eaux usées et des déchets, la gestion des ressources naturelles, la décontamination des terres en vue de les préparer pour de nouvelles activités économiques et la protection contre certains risques environnementaux (par exemple désertification, sécheresses, feux de forêt et inondations), qui devraient tous avoir un caractère prioritaire dans ce contexte » : Décision n° 2006/702/CE du Conseil du 6 octobre 2006 relative aux orientations stratégiques communautaires en matière de cohésion, JOUE n° L 291, 21 octobre 2006, p. 11.

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certaine confusion dans la mesure où, s’il se réfère de plus en plus fréquemment à l’idée de « paiement » ou de « rémunération », les mesures agro-environnementales et climatiques de la politique agricole commune ne visent qu’à compenser les coûts d’opportunités, c’est-à-dire accorder seulement une contrepartie aux surcoûts générés par les pratiques contractualisées. La récente proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 1er juin 2018 encourage pourtant explicitement l’octroi par les États membres de « paiements aux agriculteurs et aux autres gestionnaires de terres qui prennent, sur une base volontaire, des engagements en matière de gestion contribuant à l’atténuation des changements climatiques et l’adaptation à ceux-ci ainsi qu'à la protection et à l’amélioration de l’environnement »823. La Commission ajoute toutefois, dans le même temps, que « ce type de paiements ne devrait couvrir que les coûts supplémentaires et les pertes de revenus découlant des engagements qui vont au-delà de la base formée par les normes et exigences impératives établies dans le droit national ou de l’Union et par la conditionnalité, telle que définie dans le plan stratégique relevant de la PAC »824. Si les réflexions sur les paiements pour services environnementaux peinent encore à se concrétiser en droit européen, le projet de PAC 2021-2027 laisse présager une évolution plus explicite en faveur de la rémunération des services environnementaux825.

2.- Les éléments en faveur de la caractérisation du concept de service environnemental en droit interne

168. Si l’on peut identifier une confusion plus ou moins volontaire dans de nombreux travaux entre services écosystémiques et services environnementaux826, il est de plus en plus clairement

823 Commission européenne, Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles régissant l'aide aux plans stratégiques devant être établis par les États membres dans le cadre de la politique agricole commune (les « plans stratégiques relevant de la PAC ») et financés par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), et abrogeant le règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil et le règlement (UE) n° 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil, COM(2018) 392 final, p. 28.

824Ibid.

825 Entretien réalisé le 20 août 2020 auprès de Mme Nathalie Marty, Chargé d’étude Service Agriculture, Milieux aquatique et Inondations auprès de Agence de l’eau Adour-Garonne.

826 Pour des exemples de confusion de la part de la doctrine juridique entre services environnementaux et services écosystémiques (ou services écologiques) : RADIGUET R., Le service public environnemental, Université Toulouse 1 Capitole, 2016, dactyl., p. 238 et s. ; VANUXEM S., « Les contrats de services écologiques ou la "reféodalisation du lien contractuel" ? L’exemple du projet-pilote REDD+ et des "compensations pour mises en défens" dans la forêt marocaine de Mâamora, in HAUTEREAU-BOUTONNET M. (dir.), Le contrat et l’environnement. Étude de droit interne, international et européen, PUAM, 2014, pp. 235-250 ; CAMPROUX-DUFFRÈNE M.-P., « Les paiements pour services environnementaux : une participation au processus de marchandisation des services écosystémiques ? Quelle réalité pour un marché des paiements pour services

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admis dans la littérature scientifique et technique consacrée aux paiements pour services environnementaux que le « service environnemental » ne désigne pas un service « rendu par » la nature, mais un service « rendu à » la nature par l’Homme827. Selon Alexandra Langlais, « la notion même de services relatifs à l’environnement figure d’ores et déjà dans la sphère juridique sous des intitulés différents (services, services écologiques, services par les écosystèmes, services environnementaux […]) mais à des degrés normatifs différents »828.

De prime abord étrangère à notre objet, la loi du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale définit les services écologiques comme « les fonctions assurées par les sols, les eaux et [les espèces et habitats protégés] au bénéfice d'une de ces ressources naturelles ou au bénéfice du public ». Bien que la définition retenue par le législateur français s’inspire de celle retenue par la directive sur la responsabilité environnementale du 21 avril 2004, elle se montre néanmoins intéressante en ce qu’elle exclut explicitement du champ des services écologiques les « services rendus au public par des aménagements réalisés par l'exploitant ou le propriétaire »829. Peu explicite, le terme « aménagement » apparaît en effet assez éloigné de l’idée selon laquelle l’Homme rendrait un service à l’environnement. Bien qu’ils soient d’origine anthropique, les « services rendus au public » visé par la loi du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale s’assimilent difficilement à des services environnementaux qui seraient rendus par l’Homme à l’environnement.

169. Consacrant largement les notions de « services écosystémiques », de « fonctions écologiques » des écosystèmes et de « valeurs d’usage », la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages introduit également en sa substance le terme de « services environnementaux ». Elle énonce que « les surfaces […] et les activités agricoles, aquacoles et forestières peuvent être vecteurs d'interactions écosystémiques

environnementaux ? », préc., pp. 113-126 ; BODIGUEL L., « Les paiements pour services environnementaux à la lumière du bail rural environnemental », in LANGLAIS A. (dir.), L’agriculture et les paiements pour services environnementaux. Quels questionnements juridiques ?, PUR, 2019, p. 302.

827 V. notamment en ce sens : BONNIN M., « L’émergence des services environnementaux dans le droit international de l’environnement : une terminologie confuse », préc., §. n° 19 ; LANGLAIS A., « Les paiements pour services environnementaux comme nouveau contrat environnemental ? », préc., p. 186 ; AZNAR O., GUÉRIN M., PERRIER-CORNET Ph., « Agriculture de services, services environnementaux et politiques publiques : éléments d'analyse économique », préc., p. 576.

828 LANGLAIS A., « Les paiements pour services environnementaux comme nouveau contrat environnemental ? », préc., pp. 185-186.

829 Art. 1 de la loi n° 2008-757 du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'environnement, préc.

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garantissant […] des services environnementaux qui utilisent les fonctions écologiques d'un écosystème pour restaurer, maintenir ou créer de la biodiversité »830.

À travers cette formulation, le législateur contribue ainsi à apporter les premiers éléments au service d’une caractérisation de la notion de service environnemental en droit. Introduit en première lecture devant l’Assemblée nationale, le principe de complémentarité reconnaissait, dans sa rédaction initiale, la capacité des activités agricoles et forestières d’être un « vecteur d’interactions écosystémiques permettant la préservation des continuités et des fonctionnalités écologiques ». Le Sénat remplacera la notion de fonctionnalités écologique par celle de services environnementaux en première lecture, afin d’exprimer plus clairement que « l’agriculture productive peut être également source de services pour la biodiversité et l’environnement via l’entretien d’espaces riches en biodiversité »831. La rapporteure Geneviève Gaillard a sur ce point souligné le manque de clarté de la rédaction adoptée par le Sénat832. Le choix d’asseoir le service environnemental sur l’utilisation des fonctions écologiques, et non pas comme un moyen d’agir sur ces mêmes fonctions n’apparaît en effet pas pleinement satisfaisant d’un point de vue terminologique et conceptuel. De surcroît, le législateur ne répond pas à la question de savoir si les services environnementaux sont inhérents aux activités agricoles, aquacoles et forestières, et constituent des externalités positives, ou si ces services constituent des prestations qui seraient rémunérées par un bénéficiaire. Enfin, la rédaction adoptée n’envisage pas l’hypothèse selon laquelle le service environnemental résulterait d’une abstention ou du non-usage d’un bien – nonuse –833, alors qu’il s’agit pourtant d’un enjeu central – et une des originalités – des paiements pour services environnementaux. Du fait des lacunes de la loi, il convient dès lors de proposer une qualification juridique de ce concept.

§2.- LA QUALIFICATION JURIDIQUE DES SERVICES ENVIRONNEMENTAUX

170. La notion de service environnemental n’a fait l’objet, jusqu’à présent, d’aucun travail de définition ou de qualification juridique834. Le « service » rendu par l’Homme à la nature, qui semble conditionner l’existence paiement pour service environnemental, constitue-t-il, d’un

830 Art. 2 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016, préc.

831 Doc. Sénat, CR de la séance du mardi 7 juillet 2015, amendements n° 46, 71, 115 et COM-475.

832 Doc. AN, CR de la séance du mardi 1er mars 2016, 21 heures.

833 LAITOS G. J., The right of Nonuse, préc.

834 V. notamment sur ce point : LANGLAIS A., « À la recherche d’une définition juridique des paiements pour services environnementaux ? », préc., pp. 31-57.

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point de vue juridique un « service » ? Dans l’affirmative, ce dernier entre-t-il dans une catégorie juridique préexistante, ou constitue-t-il une catégorie sui generis de services ? L’intérêt de cette distinction n’est pas seulement doctrinal, mais également pratique, dans la mesure où, de la qualification, découle nécessairement l’application d’un régime juridique. Nous verrons ainsi, tout d’abord, que le service environnemental constitue une catégorie particulière de prestation de service (A). Dans la mesure où le service environnemental s’envisage comme un « service » tourné vers la protection de l’environnement, nous déterminerons, ensuite, si cette activité constitue un service public (B).

A.- LE SERVICE ENVIRONNEMENTAL, UNE CATÉGORIE PARTICULIÈRE DE

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