• Aucun résultat trouvé

SECTION 1.- LE SERVICE ENVIRONNEMENTAL, UN OBJET ÉCONOMIQUE AUX CONTOURS JURIDIQUES INCERTAINS

B.- L’ADÉQUATION ENTRE SERVICE ENVIRONNEMENTAL ET SERVICE PUBLIC

175. Peu après la parution, en 1985, du Livre vert sur les perspectives de la politique agricole commune848, la Commission des Communautés européennes avait pu énoncer que « la société doit accepter le fait que l’agriculteur étant aussi gestionnaire de l’environnement rend un service publique (sic) qui mérite une rémunération suffisante »849. Envisagé comme une prestation particulière de service dont l’objet consiste à restaurer, préserver ou améliorer la qualité et la diversité des écosystèmes en vue d’en tirer un bénéfice individuel et/ou collectif, le service environnemental constitue-t-il un service public ? Selon René Chapus, le service public est défini comme « une activité […] assurée, ou assumée par une personne publique en vue d'un intérêt public »850. La protection, la restauration ou encore la gestion des éléments de l’environnement identifiés à l’article L. 110-1 I du Code de l’environnement étant notamment reconnue d’intérêt général par le législateur851, la question de l’existence d’un « service public » en matière d’environnement a pu susciter l’attention de la doctrine et du juge.

Dans une décision « Doucedame » du 22 octobre 2007, le Tribunal des conflits énonce que les mesures prises par les Départements dans le cadre de leurs compétences en matière d’espace naturels sensibles doivent être considérées comme « comme la mise en œuvre d'un service public de protection de l'environnement par ces collectivités territoriales »852.

Privilégiant, dans ses travaux de recherche doctorale, le terme « service public environnemental », Rémi Radiguet définit cette catégorie particulière de service public comme « l’ensemble des activités assurées ou assumées par les personnes publiques aux fins de maintenir les équilibres écologiques par l’usage de prérogatives de puissance publique en tant que de besoin »853. Tourné vers une finalité environnementale, le service public environnemental constitue d’abord un service public, dont l’existence est conditionnée par la réunion des critères de définition du service public.

176. L’existence d’un service public est en effet déterminée par la réunion de deux critères : un critère organique, et un critère matériel. Le critère matériel requiert que l’activité concernée

848 Commission des Communautés européennes, COM(85) 333 final, Perspectives de la politique agricole commune, 13 juillet 1985, préc.

849 Commission des Communautés européennes, COM(88) 338, Environnement et agriculture, 16 août 1988, p. 16.

850 CHAPUS R., Droit administratif général, T. 1., Montchrestien, 15e éd., 2001, p. 579.

851 Art. L. 110-1 I du C. env.

852 TC, 22 oct. 2007, Mlle Doucedame c/ Département des Bouches-du-Rhône, req. n° C3625, Rec. p. 607.

176

soit exercée dans un but d’intérêt général. Le critère organique exigeait classiquement que l’activité soit assurée directement par une personne publique (l’État, une collectivité locale ou un établissement public). Le juge administratif a toutefois reconnu la possibilité pour une personne privée de gérer un service public854 ou de collaborer à son exécution855. Les critères jurisprudentiels permettant de déterminer dans quelles conditions l’activité d’une personne privée peut être qualifiée de service public seront affirmés dans un arrêt Narcy856. Trois conditions seront ainsi posées par le juge administratif : la réalisation d’une mission d’intérêt général ; un contrôle de la personne publique ; la présence d’au moins une prérogative de puissance publique. Ce dernier critère sera reconnu facultatif par le Conseil d’État dans son arrêt Ville de Melun du 20 juillet 1990857. Cette solution sera confirmée par la suite dans un arrêt A.P.R.E.I. du 22 février 2007, selon lequel l’absence de prérogatives de puissance publique ne fait pas obstacle à l’existence d’un service public s’il est démontré que la personne publique a entendu confier à cette personne privée un service public858. Cette intention est appréciée par le juge administratif au moyen d’un faisceau d’indices, qui prend en compte : les conditions de création, d’organisation et de fonctionnement du service ; les obligations imposées par la personne publique ; et les mesures prises pour vérifier leur respect.

À la lumière de ces critères, il convient dès lors de déterminer si la réalisation d’une prestation de service environnemental par une personne privée ou publique est susceptible de constituer une activité de service public.

177. Au regard de son objet, qui consiste à restaurer, préserver ou améliorer la qualité et la diversité des écosystèmes, le service environnemental apparaît assez indiscutablement comme une activité d’intérêt général sur le fondement de l’article L. 110-1 du Code de l’environnement. En effet, si les dispositifs de paiements pour services environnementaux reposent notamment sur l’existence d’un « bénéficiaire » de ce service, le fait que celui-ci soit le « premier » bénéficiaire du service environnemental réalisé n’enlève rien au fait que, même individuel – ou individualisable –, le bénéfice retiré d’une prestation de service environnemental est

854 CE, 13 mai 1938, Caisse primaire « Aide et protection », req. n° 57302, Rec. p. 417.

855 Le Conseil d’État a notamment reconnu que les fédérations départementales des chasseurs, en veillant à la répression du braconnage, à la constitution et à l'aménagement de réserves de chasse, et à la protection et à la reproduction du gibier, collaborent ainsi à l'exécution d'un service public : CE, 4 avril 1962, Chevassier, Rec. p. 244.

856 CE, 28 juin 1963, Sieur Narcy, req. n° 43834, Rec. p. 401.

857 CE, 20 juillet 1990, Ville de Melun, req. n° 69867 et 72160, Rec. p. 220.

858 CE, 22 février 2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés (A.P.R.E.I.), req. n° 264541, Rec. p. 92

177

nécessairement collectif, puisqu’il bénéficie à la société dans son ensemble. Si les dispositifs de paiements pour services environnementaux ont prioritairement vocation à inciter des personnes privées à s’engager en faveur de la protection de l’environnement, il est cependant tout à fait envisageable que ces services soient réalisés par des personnes publiques, notamment des collectivités locales ou des établissements publics (syndicats mixtes, établissements publics de coopération environnementale, etc.). D’intérêt général, le service environnemental qui serait réalisé par une personne publique, même à la demande d’une personne privée, pourrait a priori constituer un service public. Dans un arrêt du 2 avril 1958, Ministre de l’agriculture c/ Consorts Grimouard, le Conseil d’état avait pu juger qu’un contrat conclu entre un propriétaire privé et l'administration des eaux et forêts en vue du reboisement, par cette dernière, de terrains privés, constituait l’une des modalités de l’exécution du service public de la conservation, du développement et de la mise en valeur de la forêt française859.

178. Dans le cas où les prestations de services environnementaux seraient exécutées par des personnes privée à la demande d’une personne publique, l’existence d’un service public nous semble en revanche plus difficile à envisager. Pour retenir l’existence d’un service public, il conviendrait toutefois d’identifier la présence de prérogatives de puissance publique ou une intention de la personne publique de confier au prestataire de service environnemental privé une mission de service public. Dans une décision du 25 mars 1996, le Tribunal des conflits a ainsi pu reconnaitre que, même en l’absence de prérogatives de puissance publique, une association loi 1901 qui s’était vue confiée par contrat avec l’État la gestion d’une réserve naturelle avait été « chargée d'une mission de service public »860. Si la réalisation d’une prestation de service environnemental constitue une activité d’intérêt général indépendamment de la qualité du prestataire, il nous semble en revanche difficile de caractériser une volonté de la personne publique contractante de confier à son prestataire privé un service public. Par conséquent, dans le cas où les prestations de services environnementales seraient réalisées par une personne privée, soit à la demande d’une personne publique, mais sans intention de confier à ce prestataire un service public, soit à la demande d’une autre personne privée, la qualification de service public devra être écartée. Le large déploiement, sous le contrôle des agences de l’eau, de l’expérimentation de « paiements pour services environnementaux » se révèlera riche d’informations sur la nature de juridique de ces dispositifs et des services qui sont rémunérés.

859 CE, 2 avr. 1956, Époux Bertin et Ministre de l’agriculture c/ Consorts Grimouard, req. n° 98637, Rec. p. 168.

178

179. Afin de permettre de qualifier les prestations de services environnementaux de service public, nous pourrions envisager de reconnaitre la protection de l’environnement comme un service public « par nature », au même titre que pourraient l’être la justice, la défense nationale, l’éducation ou encore la santé. La qualité du prestataire de service environnemental serait ainsi indifférente sur la qualification du service environnemental, qui serait par « nature constitutif » d’un service public au regard la finalité environnementale qu’il poursuit.

Au regard de l’objet du service environnemental (réaliser une prestation de service pour le compte d’un « bénéficiaire »), de ses modalités de financement (versement d’un « paiement » ou d’une contrepartie) et de fonctionnement (utilisation vraisemblablement de technique inspirée du droit privé), les prestations de services environnementaux semblent pouvoir être rattachées à la catégorie des services publics industriels et commerciaux (SPIC)861. Ce faisant, les litiges relatifs à l’exécution de ces prestations relèveraient de la compétence du juge judicaire, et non du juge administratif, comme ce serait le cas en présence d’un service public administratif (SPA). Qualifier d’activité de service public par nature une prestation de service environnemental présente également un intérêt pour la régulation juridique des paiements pour service environnementaux, dans la mesure où cela permet d’envisager que des contrats conclus entre personnes privées soit plus facilement qualifiés – ou requalifiés – de contrats de droit public862. En revanche, une telle solution contribue à véhiculer une vision quelque peu manichéenne, selon laquelle la protection de l’environnement serait une activité publique par nature. Or, si les personnes publiques peuvent contribuer à la dégradation de l’environnement863, les personnes physiques ou morales de droit privé, au premier rang desquelles des associations de protection de l’environnement ou encore certaines sociétés, peuvent inversement exercer un rôle précieux en faveur de sa préservation864.

SECTION 2.- LE « PAIEMENT », CONTREPARTIE À LA RÉALISATION D’UNE

Outline

Documents relatifs