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Le principe pollueur-payeur a été défini pour la première fois dans un rapport du Comité de l'environnement de l’OCDE du 15 mars 1972, consacré aux principes directeurs relatifs aux

SECTION 1.- LES PRINCIPES ENVISAGÉS COMME FONDEMENTS PRIVILÉGIÉS DES INSTRUMENTS ÉCONOMIQUES

A.- LA DISTINCTION ENTRE LES APPROCHES ÉCONOMIQUE ET JURIDIQUE DU PRINCIPE POLLUEUR-PAYEUR

95. Le principe pollueur-payeur a été défini pour la première fois dans un rapport du Comité de l'environnement de l’OCDE du 15 mars 1972, consacré aux principes directeurs relatifs aux

aspects économiques des politiques de l'environnement sur le plan international524. Ce document énonce que « le principe à appliquer pour l'imputation des coûts des mesures de prévention et de lutte contre la pollution, principe qui favorise l'emploi rationnel des ressources limitées de l'environnement tout en évitant des distorsions dans le commerce et les investissements internationaux, est le principe dit "pollueur-payeur" »525. Cette proposition sera formellement consacrée par une recommandation du Conseil de l’OCDE du 26 mai 1972 « sur

522 Art. 2 de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016, préc. ; qui modifie l’art. L. 110-1 II du C. env.

523 THUNIS X., « Le principe du pollueur-payeur : de l’imputation des coûts à la détermination des responsabilités », in DE HEERING A., LEYENS S. (eds.), Stratégies de développement durable. Développement, environnement ou justice sociale ?, Presses universitaires de Namur, 2009, pp. 171-172 ; V. également sur ce point : THUNIS X, DE SADELEER N., « Le principe du pollueur-payeur : idéal régulateur ou règle de droit positif ? », Aménagement-Environnement, NSP/1995, pp. 3-15.

524 Comité de l'environnement, Rapport du 15 mars 1972 sur les principes directeurs relatifs aux aspects économiques des politiques de l'environnement sur le plan international [C(72)69].

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les principes directeurs relatifs aux aspects économiques des politiques de l’environnement sur le plan international »526. La définition, ainsi que la portée de ce principe, seront par la suite réaffirmées par une recommandation du Conseil de l’OCDE du 14 novembre 1974 « sur la mise en œuvre du principe pollueur-payeur »527. Comme le souligne Jean-Yves Chérot, il est nécessaire de toujours « prendre en considération le principe-pollueur payeur dans le cadre même où il a été pensé »528. Cette entreprise est essentielle dans la mesure où, à la lecture de la définition originelle de ce principe, deux observations s’imposent.

96. Tout d’abord, le principe pollueur-payeur est fréquemment assimilé, par de nombreux auteurs, à un principe d’« internalisation des externalités »529. Or, si les principes pollueur-payeur et d’internalisation entretiennent des liens étroits, ils se distinguent néanmoins530. Dans sa conception initiale, issue de la définition de l’OCDE, le principe pollueur-payeur avait pour objectif principal d’éviter que les pouvoirs publics n’accordent aux acteurs publics des subventions destinées à compenser les coûts des mesures de protection de l’environnement de nature à engendrer des distorsions importantes dans le commerce et les investissements internationaux531. Dès lors, ce dernier constitue un principe d’imputation des coûts des mesures de prévention et de lutte contre la pollution, et non un principe d’internalisation. En effet, en économie, l’objet de l’internalisation est une « externalité », c’est-à-dire l’« effet sur le bien-être d’un ou plusieurs autres agents dû à l’action d’un autre agent non suivie d’indemnisation

526 Recommandation du Conseil du 26 mai 1972 sur les principes directeurs relatifs aux aspects économiques des politiques de l'environnement sur le plan international [C(72)128].

527 Recommandation du Conseil du 14 novembre 1974 sur la mise en œuvre du principe pollueur-payeur [C(74)223].

528 CHEROT J.-Y., « Préface », in DE SABRAN-PONTEVÈS E., Les transcriptions juridiques du principe pollueur-payeur, PUAM, 2007, p. 12.

529 CAUDAL S., « La Charte et l'instrument financier et fiscal », RJE, NSP/2005, p. 240 ; V. notamment pour illustration : « En tant que principe d'internalisation des coûts de la pollution, le principe pollueur-payeur vise à ce que les phénomènes de pollution soient pris en compte par ceux qui les génèrent » : SUTTERLIN O., « Principe pollueur-payeur », J.-CI. Env., Fasc. 2420, 20 févr. 2020, Point-clé 2 ; « Le principe pollueur-payeur est en somme un principe d’internalisation des coûts qui consiste à faire supporter au pollueur la différence entre le cout social et le coût privé » : VAN LANG A., Droit de l’environnement, préc., p. 124 ; « Le principe [pollueur-payeur] est d’abord économique, qui repose sur un mécanisme d’internalisation des coûts externes : il implique que le prix d’un produit doit représenter l’ensemble des coûts supportés par la collectivité, y compris les externalités supportées par d’autres agents que ceux qui les engendrent » : BILLET Ph., « Principe pollueur-payeur », in COLLART DUTILLEUL F., PIRONON V., VAN LANG A., Dictionnaire juridique des transitions écologiques, Institut Universitaire Varenne, 2018, p. 660.

530 DE SABRAN-PONTEVÈS E., Les transcriptions juridiques du principe pollueur-payeur, PUAM, 2007, p. 167 ; DE SABRAN-PONTEVÈS E., « Le principe pollueur-payeur en droit communautaire », REDE, n° 1, 2008, p. 22.

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par le bénéficiaire pour les avantages retirés (externalité positive ; économie externe), ou par le responsable pour les coûts engendrés (externalité négative, déséconomie externe) »532. Ainsi, la pollinisation, ou bien encore l’amélioration de la qualité de l’air ou de l’eau s’assimilent à des externalités positives, là où, à l’inverse, la pollution, le bruit ou encore les incendies constituent les principales illustrations d’externalités négatives.

En réponse à cette absence de prise en compte par le marché des externalités, l’économiste britannique Arthur Cecil Pigou a développé dans les années 1920 une « théorie des externalités ». L’auteur préconise ainsi l’institution et la perception par l’État d’une taxe (appelée par la suite « taxe pigouvienne ») destinée à intégrer aux coûts d’une activité le coût des effets externes négatifs qu’elle génère (externalités négatives)533. On parle alors d’internalisation des externalités négatives dès lors que le coût des effets négatifs d’une activité sur l’environnement est répercuté dans les coûts de production des biens et services vendus sur le marché. Or, le critère de la distinction entre principe pollueur-payeur et principe d’internalisation réside dans le fait que la théorie des externalités « n’implique pas l’imputation automatique des coûts d’une nuisance à celui qui la cause »534.

Comme le souligne l’OCDE, « bien qu’il soit souvent rapproché du principe pollueur-payeur, le concept d’internalisation des coûts environnementaux a trait aux moyens de mesurer les coûts et avantages environnementaux ainsi qu’au montant à payer pour couvrir les coûts. Cette notion est beaucoup plus complexe que le principe pollueur-payeur, lequel concerne celui qui doit se voir imputer les coûts dont le montant exact doit être arrêté "par les pouvoirs publics pour que l’environnement soit dans un état acceptable." »535.

Dès lors, si le principe pollueur-payeur participe de l’idée selon laquelle les coûts sociaux et environnementaux générés par les acteurs économiques du fait de leurs activités doivent être internalisés – au sens de répercutés dans le coût des biens et services qui sont à l'origine de la pollution –, il n’intervient que pour s’assurer que le coût des mesures de prévention et de lutte contre la pollution soit assumé par le pollueur, et non par les personnes publiques, ou plus largement par tout autre agent économique.

532 SILEM A., Lexique d’économie, préc., p. 397.

533 PIGOU A. C., The economics of welfare, London: MacMillan and co., 1920, 976 p.

534 THUNIS X., « Le principe du pollueur-payeur : de l’imputation des coûts à la détermination des responsabilités », préc., p. 172.

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97. Ensuite, il est également intéressant d’observer que le principe pollueur-payeur n’a pas été originellement pensé par l’OCDE comme un principe de responsabilité536, de réparation537, ou bien encore de compensation des dommages causés par la pollution538. Conçu seulement comme un principe d’imputation économique, le principe pollueur-payeur ne visait originellement « aucune protection absolue de l’environnement »539. En effet, l’ambition de l’OCDE se limitait seulement à assurer le maintien de l’environnement « dans un état acceptable »540. Elle ajoute qu’il ne serait « ni raisonnable ni nécessaire de dépasser un certain niveau dans l'élimination de la pollution, en raison des coûts que cette élimination entraînerait »541. Si le principe pollueur-payeur constitue « en substance un principe de politique économique plus qu’un principe juridique »542, celui-ci va néanmoins être introduit en droit à partir de la fin des années 1980. Le processus d’appropriation juridique de ce principe va néanmoins aboutir à le détourner sensiblement de sa conception initiale, pour l’envisager comme une déclinaison d’un principe de responsabilité ou de réparation.

2.- L’appropriation juridique inadéquate du principe pollueur-payeur

98. Le principe pollueur-payeur constitue désormais un principe incontournable des politiques environnementales. Comme le souligne Yves Jégouzo, l’« inflation des coûts des politiques d’appropriation publique a conduit à rechercher un nouveau mode de financement des services collectifs environnementaux bâti sur une logique de type économique originale qui se différencie à la fois du système de financement par l’impôt utilisé pour les services publics

536 THUNIS X., « Le principe du pollueur-payeur : de l’imputation des coûts à la détermination des responsabilités », préc., p. 198 ; BILLET Ph., « Principe pollueur-payeur », préc., p. 660.

537 BILLET Ph., « Les approches volontaires et les principes du droit de l’environnement », in HERVÉ-FOURNEREAU N. (dir.), Les approches volontaires et le droit de l’environnement, PUR, 2008, p. 100.

538 « Dans l’optique de l’OCDE, le principe pollueur-payeur n’est pas un principe de compensation des dommages causés par la pollution : il signifie simplement que les pouvoirs publics ne doivent pas, en règle générale, accorder des subventions à leurs industries à des fins de lutte contre la pollution. Il est destiné à orienter l’allocation, entre les pouvoirs publics et le secteur privé, des coûts afférents à la pollution intérieure ou aux mesures de protection de l’environnement national. Il concerne celui auquel devraient être imputés les coûts de protection de l’environnement et non le montant qui doit être payé » : OCDE, Principes et concepts environnementaux, préc., p. 13.

539 DE SABRAN-PONTEVÈS E., Les transcriptions juridiques du principe pollueur-payeur, préc., p. 23 ; V. également, dans le même sens : THUNIS X., « Le principe du pollueur-payeur : de l’imputation des coûts à la détermination des responsabilités », préc., p. 173.

540 Annexe II du Rapport du Comité de l'environnement, en date du 15 mars 1972, sur les principes directeurs relatifs aux aspects économiques des politiques de l'environnement sur le plan international [C(72)69], p. 4.

541Ibid.

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classiques […] et du financement par l’usager, qui est le modèle employé pour les services industriels et commerciaux. Il s’agit du recours au principe "pollueur payeur" »543. L’introduction de ce principe, d’origine économique, en droit, va conduire la communauté juridique à « le traduire à l’aide de ses méthodes et en fonction de ses objectifs propres »544. Ce faisant, le sens premier de ce principe va, au fil du temps, être quelque peu transformé.

99. Pleinement au fait des principes directeurs approuvés par le Comité de l'environnement

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