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La sensibilité à la qualité environnementale urbaine : disparités sociales et compromis résidentiel

environnementale urbaine au service de la qualité du cadre de vie

1.1. La sensibilité à la qualité environnementale urbaine : disparités sociales et compromis résidentiel

Des habitants sensibles à la qualité de leur environnement

Durant l’enquête de terrain, les habitants ont exprimé une grande sensibilité à la qualité de leur environnement. L’ensemble des habitants interrogés estime en effet important de vivre dans un environnement de bonne qualité.

L’importance qu’ils accordent à la qualité de leur environnement est aussi visible à travers l’expression de satisfactions ou de mécontentements. Les parcours commentés et les ‘focus groupes’ ont été l’occasion pour eux de donner leur avis sur leur quartier. Les habitants de Papus, un quartier pavillonnaire, expliquent ainsi être satisfaits de leur environnement immédiat :

« C'est très calme, la verdure. Il y a un petit jardin devant. Moi je ne me plains pas ! » M. Hirondelle, un habitant de Papus interrogé lors d’un parcours commenté

« Ici on est un peu gâté : pistes cyclables, il y a un bus qui passe tous les quarts d’heure » M. Rossignol, un habitant de Papus interrogé lors d’un parcours commenté

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D’autres habitants ont exprimé leur mécontentement en décrivant les points négatifs du quartier. Un habitant de Bordelongue décrit la saleté des lieux : « c’est d’une saleté répugnante. Là depuis 2 jours en sortant de chez moi, j’ai droit aux sacs poubelles »5. Un habitant de Tabar explique que « c’est pas assez coloré ici »6.

Le mécontentement s’est également exprimé au travers de l’injonction. L’utilisation des expressions « il faut que » ou « il va falloir que » est fréquente et témoigne de l’implication des habitants dans l’amélioration de leur quartier. Un habitant durant un ‘focus groupe’ explique ainsi qu’ « il faut des bancs pour s'asseoir, pour bronzer. Il faut éloigner les routes, la rocade. Il faut avoir des contacts avec les personnes ». On note également l’utilisation de vérité générale : « les espaces verts, c'est indispensable dans un quartier »7.

Les habitants ont également exprimé à plusieurs reprises leurs craintes quant à la qualité de leur environnement et à son impact sur leur santé. Un habitant de Tabar fait en l’occurrence le rapprochement entre la bonne qualité et la salubrité de l’environnement : « pour moi c’est important, c’est très important de vivre dans un environnement sain »8. Un habitant de Bordelongue explique aussi se préoccuper de la qualité de l’air qu’il respire :

« Quand il y avait l’usine AZF oui on se préoccupait de la pollution de l’air, parce qu’elle lâchait des trucs, les odeurs je vous dis ça vous réveillait ! Vous vous posiez la question ‘qu’est-ce qu’il se passe’ ? Ça rentrait dans les appartements. […] Je vous dis, il y avait du souffre, il y avait de tout ! » M. Chêne, un habitant de Bordelongue interrogé lors d’un parcours commenté

Preuve encore de l’intérêt que portent les habitants à la qualité de leur environnement, certains habitants se renseignent et cherchent à comprendre l’impact des nuisances environnementales du quartier sur la santé des habitants. Un habitant de Papus s’intéresse en l’occurrence à l’impact du passage des avions sur la qualité de l’air dans le quartier :

« Je m’étais renseigné. Il y a une copine qui bosse à Air France à Paris dans le service de l’environnement. Je lui avais demandé de me fournir des renseignements sur la pollution atmosphérique avec ce qui sort des moteurs d’avion, des réacteurs. Il y a des gaz brûlés évidemment, et puis est-ce qu’il n’y a pas aussi de temps en temps du kérosène non brûlé qui est éjecté pour alléger les avions. Elle n’a pas su me répondre, elle m’a dit ‘je me renseignerai’. Mais je suppose que forcément un moteur qui brûle du kérosène, il crache des gaz hein forcément, et les gaz, ils retombent ils retombent, c’est sûr » M. Mésange, un habitant de Papus interrogé lors d’un parcours commenté

5 M. Tilleul, un habitant de Bordelongue interrogé lors d’un parcours commenté 6 M. Jonquille, un habitant de Tabar interrogé lors d’un parcours commenté

7 M. Libellule, un habitant des Tours de Seysses interrogé lors d’un parcours commenté 8 M. Coquelicot, un habitant de Tabar interrogé lors d’un parcours commenté

Disparités sociales et compromis résidentiel

Même si les habitants semblent partager une certaine sensibilité à la qualité environnementale urbaine de leur quartier, cette sensibilité s’est avérée variable d’un habitant à l’autre. Les habitants vivant en front de rocade se sont notamment distingués en se montrant très positifs sur les abords de leur logement qui pourtant ont soulevé la critique de l’ensemble des autres habitants parce que beaucoup trop bruyants et enclavés derrière le mur de la rocade. Certains habitants ont notamment cherché à valoriser les abords de leur logement en insistant sur les points positifs, en l’occurrence sur la présence d’un aménagement paysager et de lieux de détente.

Figure 20 Un aménagement paysager et un lieu de détente en front de rocade (Source : Delphine Chouillou)

Intriguée par cette attitude, j’ai souhaité compléter cette enquête en contactant un des bailleurs sociaux du terrain d’étude, en l’occurrence le bailleur social de la micro entité de Tabar (cf. détails de l’enquête dans l’introduction générale). Le bailleur social m’a permis de consulter les doléances écrites des habitants exprimées lors de demandes de mutation de logement. L’étude porte en particulier sur les logements de 2 cages d’escalier de 2 immeubles diversement exposés aux nuisances de la rocade : un immeuble en front de rocade et un immeuble à l’intérieur de la micro entité de Tabar qui donne sur la place André Mattieu. Protégés par des immeubles qui font écran, les logements sont beaucoup moins exposés aux nuisances de la rocade.

Figure 21 Les immeubles étudiés dans le cadres des analyses des doléances écrites des habitants (Conception : Delphine Chouillou)

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J’ai cherché à comprendre si les nuisances de la rocade pouvaient constituer un motif de mutation pour les habitants vivant en front de rocade.

Tout d’abord, les habitants des logements situés en front de rocade n’ont à aucun moment demandé une mutation en mettant en cause les nuisances de la rocade. Les nuisances environnementales semblent donc ne pas constituer une gêne pour eux puisqu’elles ne sont pas évoquées dans les demandes de mutation, ou du moins elles semblent être supportées.

Par ailleurs, quand ces habitants souhaitent déménager, ils demandent explicitement à rester dans les immeubles en front de rocade, en dépit donc des nuisances de la rocade. Deux couples de personnes âgées ont en l’occurrence demandé à déménager au rez-de- chaussée de leur immeuble, et deux jeunes adultes qui ont quitté le logement de leurs parents ont demandé à rester également dans ces immeubles. Ces habitants témoignent donc d’un fort attachement à leurs immeubles qui semble contrebalancer l’exposition à de fortes nuisances environnementales.

Ces immeubles semblent même être attractifs au sein de la micro entité de Tabar. Les habitants de l’autre immeuble étudié se situant en face de la place André Mattieu demandent à vivre dans les immeubles en front de rocade. Il est à noter que les logements et les loyers sont similaires dans l’ensemble de la micro entité de Tabar. L’immeuble en front de rocade n’est donc pas choisi pour la qualité de ses logements ou car il serait moins onéreux à la location. Ceci montre donc l’attrait des immeubles en front de rocade en dépit des fortes nuisances environnementales.

La responsable de site de Tabar a confirmé ces résultats et a constaté cette tendance dans l’ensemble de la micro entité de Tabar. Elle estime ne pas avoir de difficulté à proposer les logements situés en front de rocade pour la location et qu’il y avait rarement des départs. Elle a expliqué que les logements en front de rocade étaient recherchés pour leur « tranquillité sociale », et préférés par rapport au centre de la cité de logement social dont les logements ont beaucoup de vis-à-vis et induisent un sentiment d’insécurité car ils se situent dans une enclave. Selon elle, les habitants ont l’impression de vivre dans une « souricière », prisonniers des moindres débordements liés à la présence de trafiquants de drogue dans le quartier. Les logements en front de rocade procureraient au contraire un sentiment de « respiration » grâce à une vue dégagée et grâce à un emplacement en lisière de la micro entité qui est perçue comme insécure.

Les habitants de Tabar semblent donc moins gênés par les nuisances environnementales physiques que par les incivilités et les débordements liés au trafic de drogue. Les éléments environnementaux pris en compte par les habitants de Tabar ne sont donc pas relatifs à des éléments physiques tels que le bruit ou la pollution de l’air. Ils sont plutôt de l’ordre de la convivialité et du bien-être général. Ce n’est

pas tant la valeur absolue des nuisances qui compte mais leur valeur relative : les habitants mettent en balance et évaluent entre elles les différentes nuisances.

Le contexte territorial de l’étude renforce d’autant plus l’acceptation des nuisances environnementales physiques liées à la rocade. Les loyers des logements de la micro entité de Tabar sont particulièrement abordables et ces logements constituent d’après la responsable de site de Tabar les « logements sociaux les moins onéreux de la région Toulousaine ». Ces logements sont donc non seulement plus abordables que ceux du parc locatif privé mais ils sont aussi les plus abordables parmi les logements sociaux de l’agglomération toulousaine. Pour un T3, il fallait compter en 2016, 417 euros par mois toutes charges comprises, ce montant correspondant au loyer d’un T1 dans le parc locatif privé dans le même quartier. Par compromis résidentiel, les habitants semblent donc d’une certaine façon accepter les nuisances environnementales liées à la rocade.

Tout comme les habitants du territoire fosséen acceptent de fortes nuisances environnementales liées aux industries par « compromis territorial » (zone industrialo-portuaire de Fos) (Berry-Chikhaoui and Lavaud-Letilleul, 2013), les habitants des logements situés en front de rocade acceptent les nuisances de la rocade par compromis résidentiel. La question du compromis résidentiel apparaît comme un facteur explicatif

essentiel de l’évaluation de la qualité environnementale urbaine : les habitants évaluent le cadre de vie de leur quartier en fonction d’un système d'opportunités et de contraintes qui dessinent un champ des possibles en matière de choix résidentiels. Le fait de devoir composer fait passer au second plan les questions d'environnement physique, au profit d’autres priorités directement liés aux rapports sociaux.

L’existence d’un tel compromis résidentiel qui incite les habitants à accepter et à s’adapter aux nuisances environnementales physiques dont la dangerosité est pourtant connue et avérée questionne quant au véritable choix qui s’offre à ces habitants. Cette situation fait écho à la notion « d’inégalité environnementale » qui est spécialement visible en milieu urbain (Emelianoff, 2006; Faburel, 2010). L’inégalité environnementale « met en jeu des différences d’exposition et de capacités de protection d’une part, et d’autre part, d’accès aux ressources et aménités environnementales, la plupart du temps par la médiation de politiques publiques (traitement de l’eau, politiques d’espaces verts ou paysagères, politiques de transports, de limitation de la circulation automobile, etc.). Dans cette acception, l’inégalité environnementale est une inégalité face aux maux et aux biens environnementaux, renvoyant à une question de justice distributive » (Emelianoff, 2006).

Ces situations criantes d’inégalité environnementale sur le terrain d’étude semblent d’autant plus préoccupantes qu’elles se cumulent à des inégalités sociales. Les inégalités environnementales semblent être moins perçues et identifiées par une population en situation d’inégalité sociale. Les habitants en situation d’inégalité sociale se

préoccuperaient davantage de leurs problématiques sociales que de la qualité environnementale de leur quartier.

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1.2. Des représentations ambivalentes : entre concept

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