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L’utilisation du flou de la commande politique pour faire des propositions environnementales

PROFESSIONNELLE RESTREINTE CHEZ LES PROFESSIONNELS DU PROJET URBAIN

Etape 5 : Systématiser le changement des pratiques professionnelles

3.2. Les stratégies de légitimation des chefs de projet urbain

3.2.2. L’utilisation du flou de la commande politique pour faire des propositions environnementales

La plupart des chefs de projet urbain prennent soin de ne pas mettre en avant leurs intentions en terme d’environnement. Un chef de projet urbain explique bien qu’ « il y a de grandes orientations qui ne sont pas nécessairement étiquetées comme étant environnementales »232. Face à la demande politique, leurs ambitions environnementales se font souvent discrètes. Les chefs de projet expliquent adapter la demande politique à leurs propres convictions. Comme le dit un chef de projet urbain, « pour les chefs de projet, il y a cette contradiction à gérer entre la réalité du discours politique et ce qui relève de ses propres convictions »233.

230 Un chef de projet urbain à Toulouse Métropole (3) 231 Un chef de projet urbain à Toulouse Métropole (1) 232 Un chef de projet urbain à Toulouse Métropole (1) 233 Un chef de projet urbain à Toulouse Métropole (2)

C’est le cas notamment dans le cas de la demande politique sur la « densité modérée ». Ce concept qui consiste à limiter la densification urbaine pour préserver le patrimoine Toulousain va à l’encontre des convictions des chefs de projet urbain. Les chefs de projet urbain ont manifesté leur opposition à ce concept :

« Quand le maire, il dit que la densité modérée c'est de ne pas monter haut y compris à côté des stations de métro, ça craint. Je les mets où les habitants ? » Un chef de projet urbain à Toulouse Métropole (2) « On est dans une ville compacte qui est la 4eme ville de France, qui attire beaucoup, qui est la ville la plus dynamique de France en termes d’accueil de la population. Elle va continuer à accueillir. On ne peut pas dire, c'est terminé on n’accueille plus à Toulouse car sinon on va faire de l’étalement urbain. Alors qu’on est déjà l’agglomération championne de l’étalement urbain. En plus notre autorité en terme de transport n’a plus les sous pour aller chercher les populations loin. Et donc ça multiplie les déplacements en voiture domicile travail. Donc il faut qu’on arrive à faire de la cohérence urbanisme transport et donc c'est là où il y a le métro. Et donc c'est dans la ville compacte » Un chef de projet urbain à Toulouse Métropole (4)

La « densité modérée » va non seulement à l’encontre des enjeux d’urbanisme classiques qui consistent à assurer le bon fonctionnement de la ville, mais aussi des enjeux environnementaux. La densification urbaine permet en effet de limiter l’étalement urbain, lequel est responsable de l’intensification de l’îlot de chaleur urbain et d’une augmentation des émissions de gaz à effet de serre.

Les chefs de projet se saisissent du flou de la demande politique pour mieux prendre en considération les enjeux environnementaux. Un chef de projet urbain explique ainsi que « la densité modérée, ça veut tout et rien dire »234. Les chefs de projet urbain ont donc

la possibilité de contourner la demande politique en proposant leur propre interprétation des concepts imposés par le politique. Ce chef de projet urbain a donc

proposé une solution intermédiaire qui permet à la fois de respecter la demande politique tout en densifiant la ville. Sa solution consiste à définir des zones précises et peu nombreuses où la densification est limitée. Partout ailleurs, la densification est préservée :

234 Un chef de projet urbain à Toulouse Métropole (4)

182 Delphine Chouillou – La qualité environnementale urbaine

« Densité modérée ça peut vouloir dire que lorsqu’on a du tissu identitaire. Ça, ça fait Toulouse, c'est des toulousaines, des secteurs qu’il faut garder dans leur jus car il représente l’identité toulousaine. Ceux-là on les indique. […] Il y a Saint Cyprien, le bord de Garonne, quelques faubourgs. On dit ceux-là, ils ne se densifient pas. Partout ailleurs, là où il n’y a pas de qualité urbaine, on peut densifier plus » Un chef de projet urbain à Toulouse Métropole (4)

Les chefs de projet urbain adaptent non seulement la demande politique à leurs propres convictions, mais ils adaptent aussi leurs propositions environnementales à la demande politique. Quand il s’agit d’environnement, les chefs de projet urbain argumentent souvent leur choix en faisant référence à la valeur patrimoniale que cela engendrerait. L’environnement est alors abordé comme un élément de patrimoine, ce qui est davantage valorisant pour le politique.

Un chef de projet urbain argumente ainsi sa proposition de créer un réseau de chaleur urbain au nom du patrimoine toulousain. Il explique que « c'est un fait historique : au 19ème siècle on a installé un réseau de chaleur sur la rive gauche, et au 20ème siècle on l’étend sur la rive droite sur 30 km »235. Cet argument peut sembler surprenant dans la mesure où le réseau de chaleur constitue déjà un avantage non seulement écologique mais aussi économique. Le réseau de chaleur permet en l’occurrence de faire des économies de chauffage substantiels ce qui est un véritable atout pour un quartier. Dans ce cas, le chef de projet a préféré mettre en avant l’aspect patrimonial de son choix. Ceci témoigne de la nécessité pour les chefs de projet urbain de faire référence à la valeur patrimoniale de leurs propositions pour espérer être pris en considération.

Un autre chef de projet urbain utilise également l’argument du patrimoine et de l’identité pour défendre sa proposition de développer les espaces verts. Il explique à ce propos :

« La règle du Plan d’Exposition contre le Bruit c'est qu’on ne peut pas construire plus de logements qu’il y en a aujourd’hui dans ce quartier. Cela peut être l’identité de ce secteur-là demain. On connait la « ville rose » : c'est le centre-ville sur la rive droite. La rive gauche c'est la « rive verte ». Il faut apporter du végétal, de la respiration en ville. L’identité de ce secteur qui aujourd’hui n’en a pas, ça peut être ça. […] Proposition faite aux élus, qu’ils ont acceptée » Un chef de projet urbain à Toulouse Métropole (4)

235 Un chef de projet urbain à Toulouse Métropole (1)

Comme dans le cas précédant, le chef de projet urbain met en avant l’argument de la valeur patrimoniale alors que sa proposition peut être défendue par un argument déjà solide. La contrainte réglementaire avec l’existence d’un plan d’exposition au bruit (PEB) sur le secteur rend en effet impossible la densification du quartier, ce qui impose naturellement le développement des espaces verts. L’argument de la valeur patrimoniale semble cependant indispensable pour défendre les propositions environnementales.

Guillaume Faburel explique que la fabrique de la ville est en train de se modifier : nous assisterions à une perte de légitimité des politiques et à une monté en puissance des techniciens (Faburel, 2014). Ce faisant, les chefs de projet urbain tenteraient donc d’utiliser le pouvoir d’influence dont ils disposent pour mieux prendre en compte les enjeux environnementaux dans la fabrique urbaine.

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