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La sensibilité de l’Église à l’imaginaire des grandes découvertes des sciences naturelles

régime de postmodernité

Chapitre 1. Se réconcilier avec la science. La force du constat scientifique pour liquider le positivisme des

1.1. La sensibilité de l’Église à l’imaginaire des grandes découvertes des sciences naturelles

L’écologie scientifique est en quelque sorte une aubaine pour l’Église catholique qui a intégré dans son discours nombre de ses découvertes. Mais pour comprendre la spécificité du rapport à l’écologie scientifique de l’Église, un détour par l’histoire s’impose pour rappeler que les sciences de la vie et de la Terre ont servi de scène principale au récit de la rupture entre science et foi qui a émaillé les rapports de l’Église à la modernité tout au long du XXème

siècle. Il n’y a pas si longtemps encore, le dialogue était fragile et nombre des encouragements faits par la Curie romaine aux recherches scientifiques étaient accompagnés de mises en garde sévères. Les théories transformistes et plus particulièrement la publication de L’Origine des Espèces par Charles Darwin en 1859 formalisent ainsi un différend qui

s’étalera sur plus d’un siècle.

1.1.1. Le différend historique de l’Église avec la théorie darwinienne.

La théorie de Darwin qui repose sur le concept de sélection naturelle affirme que dans la lutte pour l’existence qui anime toutes les espèces, certaines variétés héréditaires sont favorisées du fait de leur adaptation aux conditions du milieu dans lesquels l’espèce vit. Malgré « l’éclipse de la sélection naturelle181 » jusqu’aux années 1930, Darwin révolutionne la biologie par sa démonstration de l’évolution de la vie. La thèse du transformisme s’impose donc et ouvre la voie au développement de nouvelles sciences : la paléontologie, l’anatomie comparée, l’embryologie comparée.

1.1.1.1. Darwin où le « triomphe de l’histoire » par les sciences naturelles.

Le succès du darwinisme est paradoxal, car c’est précisément le nœud de la théorie darwinienne, la sélection naturelle, pourtant délaissée pendant un siècle par le milieu scientifique qui marque la société de son époque, du fait de la résonance que ses thèses acquièrent au contact des aspirations de la classe bourgeoise engagée dans la révolution industrielle. Le transformisme en général, mais également la sélection naturelle, séduisent au point que s’opère rapidement une synthèse entre cette quête de légitimation et la théorie scientifique ; en témoigne notamment la première traduction française faite par Clémence Royer qui s’attache, lors d’une longue préface, à opposer la religion du progrès à l’obscurantisme clérical, et s’applique à étendre les conséquences des thèses darwiniennes aux sociétés humaines182. De son vivant même, l’héritage social du botaniste anglais fait l’objet de multiples tractations. La publication de La Filiation de l’homme en 1871, ouvrage écrit par Darwin pour clarifier sa position évoque ainsi l’« effet réversif (de l’évolution) qui oblige à concevoir le renversement même de l’opération sélective comme base et condition évolutive

181 L’impossibilité pour Darwin de se référer à la génétique pour démontrer que les variations avantageuses n’étaient pas « diluées » par le mécanisme de reproduction est la cause de l’« éclipse de la sélection naturelle » qui poussa Darwin à se rapprocher des théories de Lamarck en se référant à l’hérédité des caractères acquis qui ne rendait plus nécessaire le processus de sélection naturelle. Cf. Michel Veuille, « Cent cinquante ans d'idées reçues sur Darwin et la théorie de l'évolution », dans Philippe Portier, Michel Veuille, Jean-Paul Willaime (dir.), Théorie de l'évolution et religions, Paris, Riveneuve, 2011, p.21-41.

182 Valentine Zuber, « Sciences et conviction au XIXème siècle. Clémence Royer et la traduction reniée de l'Origine des espèces », dans Philippe Portier, Michel Veuille, Jean-Paul Willaime (dir.), Théorie de l'évolution et religions, Paris, Riveneuve, 2011, p.63-77.

de l’accession à la « civilisation ».183 » Darwin se distingue alors du « darwinisme social » de Herbert Spencer qui situe dans un continuum l’évolution biologique et la libre-concurrence mise en place dans les sociétés libérales. Mais là où la séparation entre nature et culture pourrait conduire aux thèses eugénistes de Francis Galton notamment, qui préconisent des mesures correctrices pour compenser les effets néfastes de la civilisation sur le processus de sélection naturelle, Darwin prône un interventionnisme équilibrateur « pour maintenir ouverte la voie de la civilisation, qui impose de produire « un grand nombre d’hommes bien doués », c’est-à-dire disant le plus grand cas de l’altruisme et de la solidarité.184 »

Ces débats autour de l’application de la théorie de la sélection naturelle au milieu social traduisent la reconfiguration d’un paysage scientifique où, à l’orée du XXème siècle, le matérialisme est de rigueur. Darwin, bien sûr, n’est pas le seul responsable. Les travaux sur la dynamique des populations proposés par Malthus ou la découverte des lois de la thermodynamique ont notamment participé à la reconfiguration cosmologique opérée par les sciences dans les sociétés occidentales. « Avant la Révolution, note Jean-Paul Deléage, la valeur d’un homme dépendait de son appartenance à un « ordre », de la place qui lui avait été quasi héréditairement assignée dans la société par une volonté divine. En Europe, à partir du XIXème siècle, tout accomplissement social devient pour chacun virtuellement possible. Les représentations mécaniques ou circulaires de la nature, répétitives, statiques, des siècles précédents tendent à laisser la place aux représentations biologiques, organiques, évolutives, où le temps acquiert une qualité d’irréversibilité, en particulier avec le second principe de la thermodynamique. La différence entre ces visions sépare Darwin de Linné.185 » Éric Hobsbawm ajoute encore que la théorie de l’évolution, en sortant du seul cadre des sciences naturelles pour toucher aux sciences humaines et sociales – comme en témoigne l’ouvrage de Darwin, La filiation de l’homme –, « ratifiait le triomphe de l’histoire sur les autres sciences.186 » Dans le prolongement de l’impact de la Critique de la raison pure de Kant sur la philosophie occidentale, l’horizon d’une morale immanente s’ouvrait donc aux esprits les plus scientistes187.

183 Patrick Tort, Darwin et le darwinisme, Paris, PUF, Que sais-je ?, 2010, p.73.

184 Ibid., p.78.

185 Jean-Paul Deléage, Une histoire de l'écologie, Paris, La Découverte, 1991, p.6.

186 Eric Hobsbawm, L’ère du capital, Paris, Fayard, 1978, p.350-351, cité par Jean-Paul Deléage, Op. cit., p.7.

187 Aujourd’hui encore, certains scientifiques défendent un tel positionnement. Cf. notamment Richard Dawkins, Pour en finir avec Dieu, Paris, Robert Lafont, 2008 ; ou dans le contexte français, cf. Patrick Tort qui constate que la pensée de Darwin « ouvre la voie d’une compréhension scientifique des conditions de possibilité d’une éthique débarrassée de tout présupposé religieux ». Patrick Tort, Op. cit., p.83.

1.1.1.2. Une opposition de principe de l’Église qui s’accompagne d’un refus des conséquences morales du darwinisme.

Face à ce bouleversement cosmologique, l’Église se montre tout d’abord hostile. La théorie de l’évolution est la cible principale de ses attaques pour les contradictions évidentes qui apparaissent entre le noyau dur de la théorie et les affirmations des Écritures. Trois antagonismes188 justifient ce rejet par l’Église : le schéma darwinien interdit tout d’abord toute conciliation avec le récit de la Création, qui avait pour particularité de dissocier l’homme du règne animal ; « image de Dieu », l’homme était, en effet, institué maître mais aussi gardien du cosmos nouvellement créé189, or cette responsabilité ne peut apparaître clairement si notre espèce n’émerge qu’au terme d’une longue histoire biologique. La pensée du botaniste britannique s’oppose ensuite à l’idée de finalité chère au thomisme. L’évolution n’est, dans l’imagerie proprement darwinienne, guidée par aucune force téléologique ; elle répond davantage au hasard de variations et à la contingence de la sélection naturelle. Enfin l’existence de la Chute et donc du péché originel est mise en doute lorsque l’on inscrit l’évolution de l’homme et de la nature dans un temps long. Comment certifier alors la filiation de toute l’humanité à un seul couple fondateur et donc l’hérédité du péché originel et la corruption de la nature consécutive à ce pêché ? Comme le conclut Philippe Portier : « La doctrine (de l’Église) s’attache donc à maintenir le principe d’immutabilité de l’univers : elle tient, contre les thèses transformistes, que le partage actuel des ordres et des espèces était déjà là au début des temps, 4000 ans avant J.-C. Surtout, elle s’emploie à confirmer le principe d’exceptionnalité de l’humain. L’homme n’est nullement le produit aléatoire d’une succession historique de mutations animales : en son âme évidemment, mais en son corps également, il a, depuis le premier matin, toujours été semblable à lui-même.190 » Cette réception des hypothèses darwiniennes par l’Église catholique s’explique par des arguments théologiques, mais c’est tout autant les conséquences morales de cette théorie qui sont combattues. Si l’ouvrage ne reçoit aucune condamnation officielle à sa sortie de la part de l’autorité romaine – notamment parce que Darwin est protestant –, il n’est pas anodin de constater que le

188 Nous ne retenons que trois points d’achoppement par simplification, mais John Haught isole six questions soulevées par la théorie de Darwin à l’égard des religions monothéistes : chronologie biblique ; rôle de Dieu ; place du hasard ; situation de l’humanité ; histoire humaine ; absence de finalité. Cf. John Haught, Responses to 101 questions on God and évolutions, New York, Paulist Press, 2001. Et François Euvé qui en fait le résumé : Darwin et le christianisme, Paris, Buchet-Chastel, 2010, p.42-50.

189 Gen. 1,28.

190 Philippe Portier, « L'église romaine et la question de l'évolution. Langage de la vérité et art du compromis dans le catholicisme contemporain », dans Philippe Portier, Michel Veuille, Jean-Paul Willaime (dir.), Théorie de l'évolution et religions, Paris, Riveneuve, 2011 p.128.

premier document produit par la commission biblique pontificale sur le sujet est publié en 1909 en pleine « crise moderniste ». La théologie est alors mobilisée parce que la théorie de l’évolution est considérée avec le kantisme comme étant à la source des maux de l’époque191. De façon parallèle, le créationnisme américain du début du XXème siècle s’explique moins pour des raisons théologiques que pour les conséquences morales que certains tiraient du darwinisme192. Le désaccord repose ainsi tout autant sur les valeurs véhiculées que sur un problème de concordance avec le récit biblique.

1.1.2. Un nouveau paradigme en phase avec les aspirations de l’Église.

Ce rappel historique était nécessaire pour comprendre la pacification des rapports entre les sciences de la vie et de la Terre et la religion catholique provoquée par l’émergence du « paradigme écologiste ».

1.1.2.1. L’invocation de l’imaginaire de la coopération par les découvertes de l’écologie scientifique.

Si l’écologie est une science qui émerge au XIXème siècle193, elle ne formalise ses principaux concepts que dans la première moitié du XXème siècle. La théorie de l’évolution, qui s’inspire pourtant de ces analyses, ne procure en retour à ces études, portant sur des milieux localisés, qu’une simple affirmation de « l’unité du monde vivant fondée sur une origine et une histoire commune » comme l’avance Jean-Marc Drouin194. Le développement de l’écologie se fait donc en parallèle aux théories transformistes du fait de son approche particulière : « La théorie darwinienne de l’évolution est focalisée sur les liens qui existent entre les désadaptations des organismes à leur environnement et les réajustements adaptatifs de ces organismes par la médiation de la sélection naturelle, tandis que la problématique

191 Concernant le texte en question : Commission biblique pontificale, « Sur le caractère historique des premiers chapitres de la Genèse », 30 juin 1909, Denzinger, 2123. Pour plus d’informations : Cf. Philippe Portier, Op. cit., 2011, p.128 ; et François Euvé, Op. cit., 2010, p.60.

192 Cf. François Euvé, Darwin et le christianisme, Paris, Buchet Chastel, 2010, p.88-92.

193 Nous nous appuyons sur un certain nombre d’ouvrages d’histoire des sciences qui s’appuient notamment sur la rupture épistémologique ouverte par Charles Darwin pour justifier l’émergence d’une science des milieux. Cf. notamment Pierre Acot, Histoire de l’écologie, Paris, PUF, 1994 ; Jean-Paul Deléage, Une histoire de l'écologie, Paris, La Découverte, 1991 ; Jean-Marc Drouin, L’écologie et son histoire : Réinventer la Nature, Paris, Flammarion, 1993 ; Catherine Larrère, Raphaël Larrère, Du bon usage de la nature, Paris, Flammarion, 1997, p.130-154.

écologique, simplement focalisée sur les faits d’adaptation, néglige les mécanismes qui les engendrent.195 » À l’écologie des populations, le soin d’étudier la concurrence entre les espèces au sein d’un même milieu, à l’écologie des associations, la tâche de s’interroger sur les mécanismes de stabilisation de ces milieux. La question étant alors de savoir si l’on doit attribuer au système étudié des propriétés émergentes et si l’évolution des milieux s’inscrit dans une histoire prédéterminée où le climax devient le point d’aboutissement196 ou si, à l’inverse, la stabilisation au sein d’un écosystème n’est que le fruit de relations complémentaires entre espèces197.

Un article de Lindeman publié en 1942198 puis les travaux des frères Odum199 à partir de 1953 entameront la grande synthèse de ces deux écologies et marquent l’entrée dans ce que Donald Worster nomme « l’âge de l’écologie »200. En s’inspirant des thèses de la thermodynamique, Lindemann puis Odum s’intéressent à la chaîne trophique existant dans un écosystème qui permet la circulation de l’énergie. Ces chercheurs s’emploient à évaluer comment le biotope (les matériaux minéraux et les conditions climatiques et géographiques) est mis à profit par la biocénose (l’ensemble des êtres vivants). Ces transferts d’énergie au sein des écosystèmes nous sont bien connus désormais201, ils n’ont pourtant été découverts que dans la deuxième moitié du XXème siècle. À cette approche instantanée, qui aboutit à la stabilité, succéderont des travaux sur la dynamique des écosystèmes, qui insisteront sur les échanges entre milieux au sein d’un « paysage » hétérogène et se focaliseront sur les perturbations engendrées par de simples variations. L’écologie retrouve ainsi les mécanismes de l’évolution mis à jour par le néo-darwinisme. La notion récente de biodiversité qui touche aux niveaux génétique, interspéciste et écosystémique vise finalement à témoigner de cette nouvelle synthèse.

En marge de ces travaux portant sur des écosystèmes locaux, il faut encore s’arrêter sur la macroécologie née des observations de Vernadsky qui, à partir des années 1920,

195 Pascal Acot, « Darwin et l’écologie », Revue d’histoire des sciences, 1983, vol. 36, n°1, p33-48 ; Pierre Acot, Histoire de l’écologie, Paris, PUF, 1994, p.42.

196 Cf. Frédéric Clements, Plant succession, Washington D.C., Carnegie Inst. Washington Pub., 1916.

197 Arthur Tansley, « The Use and Abuse of Vegetational Concepts and Terms », Ecology, Vol. 16, n°3, July 1935, p. 284-307.

198 Raymond Lindeman, « The trophic-dynamic aspect of ecology », Ecology, vol.23, 1942.

199 E.P. Odum, Fundamentals of Ecology, Phyladelphia, W. B. Saunders Company, 1953.

200 Worster Donald, Nature’s Economy, Cambridge, Cambridge University Press, 1977 ; cité dans Jean-Paul Deléage, Op. cit., p.9.

201 Le schéma de la chaine trophique est ainsi résumé par Jean-Marc Drouin : « L’énergie reçue du soleil, captée par la photosynthèse, est transférée des plantes aux herbivores et de ceux-ci aux carnivores, de sorte qu’il est possible de calculer, pour chaque niveau, un taux de rendement énergétique. » Jean-Marc Drouin, Op. cit., p.104.

théorise le concept de biosphère202. Cette thèse détermine le rôle des organismes vivants dans la perpétuation des conditions géochimiques nécessaires à la vie sur Terre, ce qui fait dire à Vernadsky : « Le fait principal, c’est l’existence de la biosphère durant tous les temps géologiques. Cette biosphère a toujours été constituée de la même manière dans ses traits essentiels. Ainsi, un seul et même appareil chimique a sans cesse fonctionné dans la biosphère à travers tous les temps géologiques, mû par le courant ininterrompu de la même énergie solaire rayonnante, appareil créé et maintenu en activité par la matière vivante.203 » Cette intuition ouvre finalement la voie à l’écologie globale qui, dans la filiation du modèle mathématique définit par Lotka, étudie les grands cycles de l’énergie au niveau planétaire. La fameuse « hypothèse Gaïa » formulée par Lovelock204 et Lynn Margulis s’inscrit dans cette filiation, elle a pour principal intérêt scientifique de réconcilier, à travers « la parabole des pâquerettes », le mécanisme de sélection naturelle avec ce maintien des conditions favorables à la vie sur Terre générée par la biosphère205.

Finalement, trois problématiques ressurgissent périodiquement au cours de l’histoire de l’écologie scientifique. La première porte sur la capacité à modéliser en laboratoire des phénomènes complexes. Si le recours au réductionnisme a produit des concepts clefs, tels que la notion de « niche écologique », et reste aujourd’hui encore fort employé, il peut aussi devenir, comme le regrette Catherine Larrère, une « forme de méconnaissance lorsqu’il prend tout ce qui a été mis à l’écart du système étudié pour du « bruit » : l’application du modèle à la réalité se révèle alors décevante. C’est aussi, et surtout, lorsque l’on raisonne « dans le cadre d’un monde homogène dans l’espace et constant dans le temps », démarche impropre à rendre compte d’une réalité qui n’est pas plus stable qu’elle n’est homogène.206 » Inversement – et c’est le second point d’achoppement –, l’approche holistique a pu générer une conceptualisation abstraite des écosystèmes, sans égard pour l’histoire des perturbations propre à chacun de ceux-ci et l’analyse des relations qu’ils pouvaient entretenir les uns par rapport aux autres. Finalement, malgré les nombreuses injonctions des écologues à considérer l’action humaine dans les écosystèmes étudiés, il a toujours été difficile d’appréhender celle-ci du fait de la rationalité de l’homme qui est sans rapport avec les causalités observées dans les mécanismes de régulation au sein des espèces. L’analyse des écosystèmes a ainsi pu exclure l’homme en considérant celui-ci comme un perturbateur dans la trajectoire prise par

202 La biosphère sont ouvrage majeur paraît en 1926. Vladimir Vernadsky, La biosphère, Diderot, 1997.

203 Citée par Jean-Paul Deléage, Op. cit., p.205.

204 James Lovelock, La terre est un être vivant : l’hypothèse Gaïa, Paris, Flammarion, 1990.

205 Cf. Jean-Paul Deléage, Op. cit., p.130-135.

ces milieux vers le climax. L’approche dynamique réinscrit cependant l’homme dans la nature allant parfois jusqu’à légitimer une certaine maîtrise de la planète. Ainsi Vernadsky, qui voyait l’émergence de l’humanité comme un élément décisif de l’histoire de la biosphère, appelait à un sursaut scientifique pour exploiter au mieux notre Terre afin de satisfaire aux besoins de l’humanité.

L’écologie scientifique, dont nous venons de dresser un grossier portrait, appréhende donc la nature à partir d’une optique macroscopique207 qui amende la cosmologie darwinienne sans toutefois la renverser. L’imaginaire darwinien avait pu nourrir une tradition politique qui, depuis Hobbes, décrit une nature embourbée dans une guerre éternelle pour la survie. Les questionnements écologistes – la pérennité de la concurrence entre populations, les associations entre espèces, la place particulière de l’homme, l’incidence des perturbations, les propriétés émergentes d’un écosystème et les moyens que celui-ci emploie pour se stabiliser – traduisent à nouveaux frais un récit politique de la coopération harmonieuse entre les espèces. Cette « révolution scientifique208 » se répercute, par l’émergence de l’écologie politique à partir de la fin des années 1950, sur la perception du monde naturel par nos sociétés occidentales. Les notions d’écosystème et de communauté biotique, chères à Aldo Léopold209, se popularisent et légitiment, sur un modèle moins préservationniste210 qu’aux États-Unis, la création de réserves naturelles puis de parcs nationaux en Europe211. Le livre de Rachel Carson, Printemps silencieux212, sorti en 1962, dénonce les dangers de l’accumulation

de produits chimiques – notamment le DDT – dans la chaîne trophique, et aura de grandes répercussions dans l’opinion publique américaine. Ces brèves allusions ne suffisent certes pas à démontrer une transformation de l’imaginaire occidental, elles témoignent néanmoins d’une inclinaison de celui-ci.

207 Jean-Paul Deléage dit ainsi de l’écologue qu’il est « l’astronome des sciences de la vie. » Jean-Paul Deléage, Op. cit., p.1.

208 Au sens de Thomas Kuhn. Cf. La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 2008.

209 Aldo Léopold, Almanach d'un comté des sables, Paris, Aubier, 1995.

210 Le préservationnisme, par opposition au conservationnisme porté par Gifford Pinchot, refuse toute vision utilitariste de la nature et défend une approche romantique de la nature. John Muir (1838-1914) qui est le