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Il faut remarquer que le croisement qui s’opère entre les thématiques environnementales et les religions a intéressé un grand nombre de chercheurs, tout particulièrement dans le monde anglo-saxon. Dans le prolongement de l’article de Lynn White Jr.77 sur « les racines historiques de notre crise écologique » publié en 1967 qui établit un lien entre les comportements environnementaux et nos cosmologies et accuse le christianisme occidental d’être pour partie à l’origine de la crise environnementale, un vaste champ d’étude s’est constitué pour évaluer la portée de cette intuition. Ces recherches, que Evan Berry rapproche de l’écothéologie78, entendent tout autant explorer les relations à la nature des principales cosmologies religieuses que mettre au jour des contenus religieux susceptibles de répondre à la crise environnementale. De fait, l’hypothèse de Lynn White Jr. est très rapidement discutée, critiquée et complétée par des théologiens et des historiens79. On peut citer notamment la série Religions of the world and Ecology, dirigée par Mary Evelyn Tucker et John Grim qui étudie le rapport à la nature des grandes religions du monde contemporain en onze tomes80.

Depuis les années 2000, à ce premier questionnement qui portait sur l’impact des religions sur le rapport à la nature des civilisations, s’est ajoutée une seconde problématique Danièle Hervieu-Léger, Le pèlerin et le converti, Op. cit. ; Yves Lambert, « Religion, modernité, ultramodernité : une analyse en terme de « tournant axial » », Archives de sciences sociales des religions, 2000, Vol. 109, n°3, p.87-116.

76 Cf. notamment Brigitte Feuillet-Léger, Philippe Portier (dir.), Droit, éthique et religion : de l’âge théologique à l’âge bioéthique, Paris, Bruylant, 2012.

77 Lynn White, Jr., "The historical roots of our ecological crisis", Science, 1967, vol. 155, n°3767, p. 1203. Pour une traduction française, Lynn White, Jr., « Les racines historiques de notre crise écologique », dans Dominique Bourg Philippe Roch (dir.), Crise écologique, crise des valeurs ? Défis pour l’anthropologie et la spiritualité, Genève, Labor et Fides, 2010, p.13-24.

78 Evan Berry, « Religious Environmentalism and Environmental Religion in America », Religion Compass, 2013, Vol.7, n°10, p.454-466.

79 John Baird Calicott, Ethique de la terre, Paris, Wildproject, 2010 ; René Dubos, Les Dieux de l’écologie, Paris, Fayard, 1973 ; Carolyn Merchant, The Death of Nature, Women, Ecology and the Scientific Revolution, New York, Harper and Row, 1983 ; Arne Naess, Ecologie, communauté et style de vie, Op. cit. ; John Passmore, Man’s responsibility for nature, Ecological problems and western traditions, New York, Charles Scribner’s Sons, 1974.

80 Cette initiative se poursuit sous la forme d’un Forum qui se tient à l’Université Yale, cf. http://fore.yale.edu

qui entend davantage étudier l’impact de l'environnement sur la transformation du religieux. Si la crise environnementale, par son caractère global, est avant tout une crise morale dans le sens d'une crise de nos façons de penser la totalité dans une situation où cette pensée est pourtant nécessaire, alors il faut repenser la place du religieux comme nous y invite Roger S. Gottlieb81. Cette approche est également celle suivie par Dominique Bourg et Philippe Roch. Dans un livre collectif, ils s’inquiètent de l’incapacité des sociétés contemporaines à considérer le lien entre crise spirituelle et crise environnementale82.

Evan Berry isole enfin une troisième tendance, fonctionnaliste cette fois, qui travaille à établir les affinités entre l’écologie et la religion, en s’intéressant notamment à l’écologie spirituelle et à ses relations avec les mouvements New Age, comme a pu le faire André Micoud83, Enzo Pace84 ou encore Anahita Grisoni85.

Il faudrait certainement ajouter une quatrième approche plus réflexive. Dans le milieu anglo-saxon, elle a suscité un certain nombre d’enquêtes quantitatives pour évaluer l’influence des religions et de leur engagement dans la prise de conscience écologiste86. En France, elle s’est structurée dans les années 1990 autour de Danièle Hervieu-Léger et James Beckford et entendait examiner l’usage critique qui était fait du rapprochement entre écologie et religion87. Des numéros de Social Compass88 et des travaux récents de jeunes chercheurs

prolongent aujourd’hui ces analyses89.

81 Roger S. Gottlieb (ed.), The Oxford Handbook of Religion and Ecology, Oxford, Oxford University Press, 2006 ; Roger S. Gottlieb, Religious Environmentalism and Our Planet’s Future, Oxford, Oxford University Press, 2006.

82 Dominique Bourg, Philippe Roch (dir.), Crise écologique, crise des valeurs ? Défis pour l’anthropologie et la spiritualité, Genève, Labor et Fides, 2010.

83 André Micoud, « La mouvance écologique », dans Jacques Ion, et al. (dir.), Le Militantisme en questions. Enquêtes sur l’évolution des formes de groupement intervenant dans l’espace public, Saint-Etienne, Centre de recherche et d’études sociologiques appliquées de la Loire (CRESAL), 1992 ; André Micoud, « Les référents « religieux » des « écologistes » », dans Pierre Bréchon, Bruno Duriez, Jacques Ion (dir.), Religion et action dans l’espace public, Paris, L’Harmattan, 2000, p.255-270.

84 Cf. notamment Enzo Pace, « L’ésotérisme comme entreprise sociale éco-compatible », Archives de sciences sociales des religions, Numéro à paraître.

85 Anahita Grisoni, Sous les pavés, la terre : culte du bien-être et nouveaux métiers, Thèse de doctorat dirigée par Nilüfer Göle soutenue à l’EHESS, le 31 Janvier 2011.

86 Cf. notamment J. Arvan Wardekker, Arthur C. Petersen, Jeroen van der Sluijs, « Ethics and public perception of climate change: Exploring the Christian voices in the US public debate », Global Environmental Change, 2009, Vol. 19, n°4, p.512–521 ; Darren E. Sherkat, Christopher G. Ellison, « Structuring the religion– environment connection: Identifying religious influences on environmental concern and activism », Journal for the Scientific Study of Religion, 2007, Vol. 46, n°1, p.71–85 ; Paul Dekker, Peter Ester, Masja Nas, « Religion, culture and environmental concern: An empirical cross-national analysis », Social Compass, Vol.44, n°3, 1997, p.443–458 ; David C. Barker, David H. Bearce, « End-times theology, the shadow of the future, and public resistance to addressing global climate change », Political Research Quarterly, 2013, Vol. 66, n°2, p.267–279.

87 Danièle Hervieu, Bertrand Hervieu, Des communautés pour des temps difficiles, Paris, Centurion, 1983 ; Danièle Hervieu-Léger, James Beckford (dir.), Religion et écologie, Paris, Cerf, 1993.

88 Deux numéros de Social Compass adoptent ce point de vue : Social Compass, 1997, Vol. 44, n°3, Social Compass, 2015, Vol.62, n°3. Cf. notamment Jens Koehrsen, « Does religion promote environmental sustainability? Exploring the role of religion in local energy transitions », Social Compass, 2015, Vol.62, n°3,

Finalement, malgré ce corpus conséquent de travaux, le croisement de l’écologie et du catholicisme est resté un sujet très peu étudié. Dans le monde anglo-saxon, les articles portent majoritairement sur les différentes Églises protestantes90. Dans le monde francophone, un ouvrage conséquent, mais non exhaustif, a été consacré au « catholicisme vert » par l’historien Olivier Landron91, de même qu’une thèse rédigée par Luis Martinez Andrade traite de la théologie de la libération92. Enfin, on dénombre quelques articles publiés dans les années 1990 par Denis Pelletier93 et Jean-Guy Vaillancourt94. Plus récemment Isacco Turina95, Dominique Bourg et Philippe Roch ont alimenté la réflexion. Si la publication de l’encyclique du pape François a certes multiplié considérablement le nombre de commentaires96, la plupart de ces travaux se limitent toutefois à une analyse des textes papaux, l’article d’Etienne Grésillon et Bertrand Sajaloli faisant d’exception97. Bien sûr, le corpus augmenterait sensiblement si l’on y incluait les anthologies des discours pontificaux98, le champ de la théologie de la création99 ou encore les ouvrages produits par des acteurs engagés dans la p.296-310 ; Rosemary J. Leonard, Miriam D. Pepper, « Les attitudes face au changement climatique et les actions pour la décroissance énergétique des chrétiens pratiquants : les effets de la persuasions religieuses et du capital social », Social Compass, 2015, Vol. 63, n°3, p.326-343.

89 Anahita Grisoni, Sous les pavés, la terre : culte du bien-être et nouveaux métiers, Op. cit. ; Mathieu Gervais, « Nous on se sauve nous-mêmes… » Sécularisation et identité paysanne en France De 1940 à nos jours : Le cas de l’agriculture paysanne », Thèse de doctorat sous la direction de Philippe Portier soutenue à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, 2015 ; Luis Martinez Andrade, Critique de la modernité et écologie dans la théologie de la libération, la pensée de Leonardo Boff, Thèse de doctorat effectuée sous la direction de Michaël Löwy soutenue en 2014 à l’EHESS.

90 Quelques articles traitent de l’Église catholique aux USA : cf. notamment Michael Agliardo, « The U.S. Catholic response to climate change », in Robin Globus Veldman, Adrew Szasz, Randolph Haluza-DeLay, How the World’s Religions Are Responding to Climate Change, New York, 2014, p.174-192.

91 Olivier Landron, Le catholicisme vert : histoire des relations entre l’Église et la nature au XXème siècle, Paris, Cerf, 2008.

92 Luis Martinez Andrade, Critique de la modernité et écologie dans la théologie de la libération, la pensée de Leonardo Boff, Op. cit.

93 Denis Pelletier, « Le "réenchantement" du monde : les chrétiens et l'écologie », Ecologie politique, Vol. 1, n°3-4, 1992, p. 61-78.

94 Jean-Guy Vaillancourt, « Les prises de position du Vatican sur les questions d’environnement », Social Compass, septembre 1997, vol. 44, n°3, p.321-331.

95 Isacco Turina, « L'Église catholique et la cause de l'environnement », Terrain, n°60, p.20-35 ; Isacco Turina, « Laudato si’ : continuité et changement dans le magistère catholique sur l’écologie, l’économie et la vie humaine. », Archives de Sciences sociales des religions, 2017, à paraître.

96 Dans les éditions commentées de l’encyclique du pape François, de nombreux commentaires de personnalités du monde académique (Dominique Bourg, Alain, Grandjean, Jean Jouzel, Bruno Latour) et du monde politique (Cécile Duflot, Nicolas Hulot, Corinne Lepage, Michel Rocard) ont été réunies. Cf. notamment Pape François, Encyclique Laudato si’, édition commentée, Les Plans sur Bex, Parole et Silence – Collège des Bernardins, 2015 ; cf. également Projet, 2015, Vol. 347, n°8, « Les spiritualités au secours de la planète ».

97Étienne Grésillon e Bertrand Sajaloli, « L’Église verte ? La construction d’une écologie catholique : étapes et tensions », VertigO, 2015, Vol.15, n°1, p.1-24.

98 Jean-Paul II, Jean Bastaire, Les gémissements de la création, Les Plans sur Bex, Parole et Silence, 2006 ; Benoit XVI, Pour une écologie de l’homme, Les Plans sur Bex, Parole et Silence, 2012 ; Marybeth Lorbiecki, Dans les pas de Saint François d’Assise, l’appel de Jean-Paul II en faveur de l’écologie, Paris, Dervy, 2014 ; Thomas Michelet, Les papes et l’écologie, Paris, Artège, 2016.

99 Parmi les théologiens catholiques ayant publié sur cette problématique, on peut retenir : Jacques Arnould,

promotion de ce rapprochement entre écologie et catholicisme, mais il faut les considérer comme des productions situées, sociologiquement parlant, dont il convient d’analyser le contenu.

Ce relatif désintérêt n’est cependant pas à mettre au seul crédit du milieu académique français, qui s’est certes pendant un temps détourné des études sur le catholicisme100 et qui a d’autre part eu du mal à s’emparer des problématiques environnementales à partir des outils de la sociologie101. Il s’explique également par un retard du catholicisme français dans l’appropriation collective de la thématique écologiste qui s’explique moins par le manque d’intérêt des catholiques et de la hiérarchie pour la question environnementale que par la combinaison de deux facteurs, à savoir l’héritage des penseurs chrétiens de la philosophie de la technique et l’ignorance du débat anglo-saxon autour de l’article de Lynn White Jr.

VI- Le « retard » des catholiques français sur l’écologie : l’effet d’optique

d’une mobilisation effectuée sous le signe de la sécularisation.

Appréhender l’histoire des rapports entre catholicisme et question environnementale implique de ne pas réduire l’Église à sa seule dimension institutionnelle. Mais à l’inverse, il ne faut pas non plus s’en désintéresser. Alors qu’en Allemagne, l’ensemble des évêques publie, dès 1985, Etre responsable vis-à-vis de la création102, et qu’aux États-Unis, Renewing

the Earth est publié par la conférence épiscopale en 1991103, il faut attendre l’an 2000 pour que plusieurs évêques français soutiennent conjointement une juste appréhension de la lutte écologiste. Pourtant cela ne doit pas être révélateur d’une méfiance naturelle des catholiques vis-à-vis de la cause environnementale104. Parmi les raisons avancées régulièrement par le

n° 190, p.227-254 ; René Coste, Dieu et l’écologie : Environnement, théologie, spiritualité, Paris, Ed. de l’Atelier, 1994 ; Hélène et Jean Bastaire, Le salut de la création, essai d’écologie chrétienne, Paris, Desclée de Brouwer, 1996 ; Eric Charmetant, François Euvé (dir.) « Ecologie et christianisme : les chantiers de l’avenir », Médiasèvres, n°168, 2012 ; François Euvé, La création comme jeu, Paris, Cerf, 2000 ; et Fabien Revol, Le temps de la création, Paris, Cerf, 2015.

100 Céline Béraud, « Pourquoi devenir sociologue du catholicisme à la fin du XXe siècle ? » dans Catherine Paradeise, Dominique Lorrain et Didier Demazière (dir.), Les sociologies françaises. Héritages et perspectives

(1960-2010), Rennes, PUR, 2015, p. 221-231.

101 Catton William et Riley Dunlap, « Environmental Sociology », Annual Review of Sociology, 1979, n°5, p.243-273 ; Michelle Dobrée, « Introduction générale », dans Rémi Barbier et al., Manuel de sociologie de l’environnement, Laval, Presses Universitaires de Laval, 2012, p. 2-16.

102 Olivier Landron, Le catholicisme vert, Op. cit., p.389.

103 Michael Agliardo, « The U.S. Catholic response to climate change », Op. cit., p.174-192 ;

104 Ce sentiment n’est pas infondé, il s’observe dans les enquêtes d’opinion effectuées sur les sensibilités politiques des français. Les catholiques sont alors moins sensibles que le reste de la population française ; cette

milieu catholique, figure en première ligne l’idée que le positionnement libertaire de l’écologie politique française a été un frein à l’investissement des catholiques. Plus que son anti-cléricalisme qui concerne d’autres partis en France, ce serait l’aspect libertaire de l’écologie, notamment sur les questions familiales, qui aurait fait fuir les catholiques. Pourtant, l’écologie politique qui s’est institutionnalisée dans d’autres pays, notamment en Allemagne, sur un programme qui n’est pas sans similitudes aux programmes des Verts français n’a pas empêché les évêques de se prononcer publiquement sur la question. De même, l’écologie politique française est traversée par de nombreux courants qui s’imposent au grè des stratégies suivies par les Verts. Ainsi « l’époque waetchterienne », dont le slogan « ni de gauche ni de droite » réaffirmait la primauté de la lutte environnementale sur les autres préoccupations de l’écologie politique, aurait pu séduire les catholiques, au début des années 1990, et ouvrir des espaces à une intervention de la hiérarchie105. Cela n’a toutefois pas été le cas.

Les catholiques et même les évêques français n’ont pourtant pas attendu les années 2000 pour se mobiliser. Que ce soit lors des affaires « Lip » ou au « Larzac »106, en marge du mouvement antinucléaire107, en réaction aux marées noires des années 1970108, ou, plus largement encore, en solidarité avec le mouvement pacifiste qui exprimait alors son différence s’accentue si l’on s’intéresse au seul groupe des catholiques pratiquants. Cf. Sondage Ifop 2010, Le catholicisme en France en 2010.

105 Cf. Guillaume de Sainteny, Les Verts, Paris, Puf, 1991 ; Guillaume de Sainteny, L’introuvable écologisme français ? Paris, Puf, 2000, p.462-463 ; Florence Augagneur, « L’écologie politique (idées) », dans Dominique Bourg, Alain Papaux (dir.), Dictionnaire de la pensée écologique, Paris, Puf, 2015, p. 332-335 ; Daniel Boy, « Ecologie politique (Partis « verts ») », dans Dominique Bourg, Alain Papaux (dir.), Dictionnaire de la pensée écologique, Paris, Puf, 2015, p.328-330. ; Erwan Lecoeur, Des écologistes en politique, Paris, Lignes de Repères, 2011.

106 Sans que cette liste soit exhaustive, on peut mentionner les soutiens reçus aux Larzac et à Lip : Mgr Lallier, évêque de Besançon, participe aux manifestations en faveur des ouvriers de Lip ; Mgr Ménard, évêque de Rodez, fait lire un texte dans les Églises de son diocèse et participe avec Mgr Tourel, évêque de Montpellier, au jeûne organisé par Lanza del Vasto sur le plateau pour protester contre l’extension du camp militaire. (cf. Denis Pelletier, La crise catholique, Paris, Payot et Rivages, 2005, p.242-250 ; Frank Georgi, « L’autogestion, une utopie chrétienne », dans Denis Pelletier, Jean-Louis Schlegel (dir.), A la gauche du christ, Paris, Seuil, 2012, p.373-395 ; Olivier Landron, op.cit., p.319-330 ; Pierre-Marie Terral, Larzac, de la lutte paysanne à l'altermondialisme, Toulouse, Privat, 2011). Ces initiatives épiscopales ne sont pas si exceptionnelles. De manière générale, les évêques sont sensibles dans les années 1970 aux actions pacifistes. L’évêque de rodez n’a ainsi pas de mal à recevoir le soutien de l’ensemble des évêques du midi en mai 1972. Mgr Ménager rédige une note sur le Larzac pour la commission française « Justice et Paix » (Mgr Ménager, Le Larzac, 1974, DC, 166°, p.797-798).

107 Ainsi, voit-on l’évêque de Grenoble, Mgr Matagrin soutenir les manifestants contre le projet Superphénix à Creys-Malville en 1977, même s’il ne condamne pas en soi le nucléaire civil. De même Mgr Elchinger, évêque de Strasbourg pour soutenir le geste de militant ayant entamé le jeûne pour la paix, mais invite à stopper cette grêve de la faim. Cf. Mgr Matagrin, L’enjeu du nucléaire : l’avenir de notre société, Op. cit. ; Mgr Elchinger, Lettre à propos de la centrale de Fessenheim, 1977, DC, 1726, p.779. Dominique Lang, L’Église et la question écologique, Paris, Arsis, 2008, p.49-62 ; Dominique Lang, "Les Églises chrétiennes au défi de la crise écologique contemporaine", Les cahiers de l'Atelier, n°544, 2015, p. 70-74.

opposition aux essais nucléaires109, certains évêques n’ont pas hésité à se mobiliser au nom de la paix, de la dignité des travailleurs, mais aussi « d’une société fondée sur le qualitatif et non le quantitatif110 ». Cette opposition culminera à l’été 1973 avec l’absence remarquée et définitive de l’archevêque de Paris lors du défilé du 14 juillet111.

Si l’histoire du militantisme écologiste dans le catholicisme en France reste à faire, il nous semble ainsi que celui-ci s’inscrit dans le prolongement du mouvement écologiste français. Ce dernier s’est en effet construit sur une dénonciation des programmes menés par la technocratie. De fait, les multiples mobilisations locales au Larzac ou autour des centrales nucléaires revêtent un caractère national par leur discours en faveur d’une démocratisation dans la politique des grands travaux. Les « Amis de la Terre » qui est, dans les années 1970, le premier réseau écologiste français, appelle ainsi à une implication forte des citoyens au sein de la société civile112. L’autogestion expérimentée à Besançon par les ouvriers de Lip ou la création de comités de quartier soulèvent de nouveaux espoirs parmi les militants d’une « deuxième gauche » qui magnétisent toutes les oppositions en vue de la conquête du pouvoir. Dans un tel contexte, ce qui domine au sein des « nouveaux mouvements sociaux » français est le registre de la « revendication/politisation »113.

Or ces caractéristiques se retrouvent dans les premières mobilisations des catholiques. Un premier indice nous est soufflé par Denis Pelletier qui notait que l’influence catholique sur les affaires Lip et Larzac avait pour particularité de se faire sous le mode de la sécularisation114, ce qui était inédit pour l’époque. Les figures médiatiques de ces deux mouvements ne revendiquent ainsi pas leur appartenance, parfois évidente, au catholicisme, et les évêques interviennent au côté d’autres autorités – maires, syndicalistes, leaders charismatiques – dans un contexte pluraliste, même si elles gardent, dans ces « terres chrétiennes », une fonction légitimante.

Un second indice résiderait dans la nature de l’interpellation de la hiérarchie catholique qui se place en tant qu’autorité religieuse comme altérité du pouvoir politique. La

109 En 1973, est publié une « Note de réflexion sur le commerce des armes » conjointe au Conseil permanent de l’épiscopat et du Conseil de la Fédération des protestants de France. La commission Justice et Paix en fait de même dans une note, tout en mesure certes, mais qui, combinée à l’intervention publique de Mgr Riobé, évêque d’Orléans, contre les armes atomiques lancera une véritable polémique en France. Cf. Marcel Albert, L’Église catholique en France sous la IVème république et la Vème république, Paris, Cerf, 2004, p.182. Cette opposition s’étendra à mesure que la lutte en faveur de la paix se prolongera dans le mouvement anti-nucléaire dans les années 1970.

110 Cf. Mgr Matagrin, L’enjeu du nucléaire : l’avenir de notre société, 1977, DC, 1726, p.776-778.

111 Marcel Albert, L’Église catholique en France sous la IVème république et la Vème république, Op. cit.

112 Alexis Vrignon, "Ecologie et politique dans les années 1970 : les Amis de la Terre en France", Vingtième siècle, n°113, Janvier-Mars 2012, p.179-190.

113 Alain Tourraine, La prophétie antinucléaire, Paris, Flammarion, 1980.

dimension de témoignage s’estompe alors face à l’évocation d’une alternative. Le texte lu dans toutes les églises du sud du diocèse de Rodez au lendemain de la première manifestation à Millau porte notamment ce caractère politique : « Alors qu’on avait promis une concertation