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régime de postmodernité

2.2 La crise environnementale : une « erreur anthropologique » avant d’être cosmologique

2.2.2. L’éloignement de Dieu : cause originelle de la crise environnementale

Par cette nouvelle exégèse biblique et dans le cadre de celle-ci, le Magistère va établir une enquête pour déterminer les causes de ce « cri de la nature ». C’est à Jean-Paul II assurément que l’on doit ce deuxième volet de l’argumentation théologique.

La « théologie du salut » s’est appuyée sur le premier des commandements divins, celui de croître et de se démultiplier. À la lumière de la crise environnementale, l’ex-cardinal Wojtyla propose une relecture de la première des désobéissances de l’homme : en éloignant l’homme du projet divin, le péché originel rend en effet ce dernier méconnaissable, de telle sorte que la nature ne percevant plus en lui l’imago dei, n’est plus disposée à se soumettre : « Par leur péché, ils détruisirent l'harmonie existante, s'opposant délibérément au dessein du Créateur. Cela conduisit non seulement à l'aliénation de l'homme par lui-même, à la mort et au fratricide, mais aussi à une certaine révolte de la terre contre lui (cf. Gn 3, 17-19; 4, 12). Toute la création fut assujettie à la caducité et, depuis lors, elle attend mystérieusement sa libération pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu (cf. Rm 8, 20-21).399»

Pour le Magistère romain, l’originalité de sa propre réflexion sur l’écologie repose donc sur le déplacement opéré dans l’analyse des problèmes environnementaux. Alors que jusqu’ici, selon ses observations, les causes avancées pour expliquer la crise écologique se

397 François, LS, n°67, p.59-60.

398 Ibid., n°68, p.60.

circonscrivaient au secteur technique, mal maîtrisé, s’ajoute donc une cause essentielle, « l’erreur anthropologique400 », héritée du péché originel, qui dévoile la propension de l’homme à déjouer le dessein créateur et à considérer comme sienne une création sans créateur. La vision développée par la hiérarchie ecclésiastique permet donc de compenser la neutralité d’un constat écologique qui perturbe sans apporter de réponses sur les raisons de ce désastre : « Ces réflexions bibliques mettent mieux en lumière le rapport entre l'agir humain et l'intégrité de la création. […] L'expérience de cette souffrance de la terre nous est commune avec ceux qui ne partagent pas notre foi en Dieu. En effet, tous ont sous les yeux les dévastations croissantes causées dans le monde de la nature par le comportement d'hommes indifférents aux exigences secrètes, mais clairement perceptibles, de l'ordre et de l'harmonie qui le régissent. Par conséquent, on se demande avec anxiété s'il est encore possible de porter remède aux dommages provoqués. Il est évident qu'une solution adéquate ne peut se limiter à une meilleure gestion, ou à un usage moins irrationnel des ressources de la terre. Tout en reconnaissant l'utilité concrète de telles mesures, il paraît nécessaire de remonter aux sources et de considérer dans son ensemble la crise morale profonde dont la dégradation de l'environnement est un des aspects préoccupants.401 »

Cette originalité du discours papal est cependant toute relative. L’habilité de la pensée de Jean-Paul II est de prendre à son compte l’analyse sur les causes (et non plus seulement les racines) de la crise environnementale. Le pape polonais et ses successeurs répondent ainsi à l’invective d’Arne Naess, qui, dans son article programmatique de 1973, insistait sur la nécessité de construire une « écologie profonde » pour dépasser la superficialité des propositions techniciennes402. De fait, les papes reconnaissent aux pionniers de l’écologie, et notamment à Lynn White, d’avoir relié la crise environnementale aux comportements humains. Seulement au lieu d’aboutir, comme le faisait Lynn White Jr., à une dénonciation du christianisme, le pape polonais assure que c’est la désobéissance même de l’homme qui serait à l’origine de la crise environnementale. Dès lors, cette crise ne serait, dans l’esprit des évêques de Rome, qu’un symptôme d’une crise plus large qui touche la modernité dans son ensemble, et qui appelle à un redressement moral de toute la société.

400 Jean-Paul II, Lettre Encyclique Centesimus annus, Op. cit., 1991.

401 Jean-Paul II, « Message pour la journée mondiale de la Paix 1990 », Op. cit. n°6. Nous soulignons.

402 Arne Naess, « Le mouvement d'écologie superficielle et le mouvement d'écologie profonde de longue portée. Une présentation », dans Hicham-Stéphane Afeissa (dir.), Ethique de l'environnement. Nature, valeur, respect, Paris, Vrin, 2007, p.51-60. L’encyclique du pape François, qui se réfère ainsi à trois reprises au terme d’écologie superficielle (François, Op. cit., n°54, p.48 ; n°59, p.51 ; et n°197, p.155.) pour dénoncer une préoccupation qui se limiterait à la seule réduction des dommages les plus visibles, fait hommage implicitement à la pensée du célèbre philosophe norvégien.

2.2.3. L’éthique ne peut être matérialiste.

Si la crise environnementale trouve dans l’hubris de l’homme une de ces causes les plus profondes, il faut alors réfléchir sur ce qui en constitue sa matérialisation : la technique. Mais le Magistère romain s’attache à démontrer que cette éthique de la technique ne se révèle utile que lorsqu’est reconnue l’existence d’une réalité créée.

Benoît XVI s’est penché plus particulièrement sur cet aspect de l’argumentation. Il a notamment pris soin de saluer, dans un discours prononcé au Bundestag, l’intuition salutaire des écologistes politiques qui, à partir des années 1970, ont proposé des solutions pour parvenir à maîtriser l’impact de l’homme sur la nature403. Par cette concession historique, le pape reconnaît l’apport de la réflexion sur « le faire » développée par la philosophie de la technique404. À l’inverse d’une éthique environnementale, qui trouve sa racine dans le monde anglo-saxon, cette pensée a été essentiellement produite par des penseurs du continent européen marqués par l’expérience de la Seconde Guerre mondiale405. Elle s’est ainsi nourrie des conférences d’Heidegger sur la technique406, qui ont essaimé dans le courant écologiste, notamment aux travers des travaux de ses « disciples » Gunther Anders et Hans Jonas407. Par sa critique du processus de standardisation à l’œuvre dans l’ensemble des sociétés contemporaines, l’école de Francfort408 a pu également contribuer à la remise en cause de

403 Benoît XVI, « Discours devant le Bundestag », 22 septembre 2011, dans Benoît XVI, Pour une écologie de l’homme, Plan-sur-Bex, Parole et Silence, 2012, p.182 : « Je dirais que l’apparition du mouvement écologique dans la politique allemande à partir des années soixante-dix, bien que n’ayant peut-être pas ouvert tout grand les fenêtres, a toutefois été et demeure un cri qui aspire à l’air frais, un cri qui ne peut pas être ignoré ni être mis de côté, parce qu’on y entrevoit trop d’irrationalité. Des personnes jeunes s’étaient rendu compte qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans nos relations à la nature; que la matière n’est pas seulement un matériel pour notre faire, mais que la terre elle-même porte en elle sa propre dignité et que nous devons suivre ses indications. »

404 Idem : « Il est clair que je ne fais pas ici de la propagande pour un parti politique déterminé – rien ne m’est plus étranger que cela. Quand, dans notre relation avec la réalité, il y a quelque chose qui ne va pas, alors nous devons tous réfléchir sérieusement sur l’ensemble et nous sommes tous renvoyés à la question des fondements de notre culture elle-même. »

405 Catherine Larrère, « Ethiques de l’environnement », Multitudes, 2006, vol.1, n°24, p.75-84.

406 Martin Heidegger, « La question de la technique », dans Martin Heidegger, Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1958.

407 De fait, la rencontre de la philosophie heideggérienne avec le courant écologiste n’est pas fortuite, elle s’explique par la déconstruction de la métaphysique du sujet qu’opère le penseur allemand. Comme le remarque Hicham-Stéphane Afeissa, la technique est ainsi une « insurrection de l’homme contre lui-même, une atteinte portée à l’essence de l’homme. Ce qui est perdu de nos jours, et qui est l’essentiel de l’existence humaine, est l’ouverture à l’être des étants. Celle-ci ne cesse de se rétrécir pour ainsi dire, de sorte que les choses ne peuvent plus se manifester que comme objets de notre domination ». Hicham-Stéphane Afeissa, « Heidegger, Martin (1889-1976) », dans Dominique Bourg, Alain Papaux, Op. cit., p.523-525.

408 Cf. Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, La dialectique de la raison, Paris, Gallimard, 1974 ; Herbert Marcuse, L’homme unidimensionnel, Essai sur l’idéologie des sociétés avancées, Paris, Ed. de Minuit, 1968 ; Jürgen Habermas, La technique et la science comme idéologie, Paris, Gallimard, 1990.

l’idéologie du progrès. Enfin, la réflexion qui s’est développée autour de Jacques Ellul409, amendée par Bertrand de Jouvenel410, Ivan Illich411 et André Gorz412 a montré comment les irréversibilités engendrées par l’application des inventions techniques menaçaient l’autonomie individuelle. Cet impact technologique combiné à la dangerosité croissante des techniques413

a ainsi légitimé l’introduction d’une réflexivité au cœur du système techno-scientifique, comme le proposent de diverses façons Hans Jonas414, Ulrich Beck415 ou encore Bruno Latour416. D’un point de vue juridique, cette philosophie de la technique s’est concrétisée dans la constitutionnalisation d’un des principes les plus célèbres du droit environnemental européen : le principe de précaution.

Bien qu’attachés à la responsabilité de la personne humaine, les papes ont été sensibles à ce discours alarmiste dont ils retiennent le fait que la technologie n’est pas neutre et qu’elle génère une logique qui semble s’autoalimenter417. Le concept de « structure de péché » soumis par Jean-Paul II reflète cette volonté de penser le processus d’institutionnalisation d’une « culture de mort » rendu possible par des techniques qui maquillent les intentions mauvaises des hommes418. Mais ce concept se construit contre le principe d’autonomisation de la technique419. Reconnaissant au mieux une automatisation des techniques420, il rejette toute condamnation ad nominem de la technique, et ne vise à réprouver que le comportement d’hommes pécheurs, qui tendent par ce moyen à renforcer l’assise du mal dans nos sociétés.

409 Jacques Ellul, La technique ou l’enjeu du siècle, Paris, Economica, 2008 ; Jacques Ellul, Le système technicien, Paris, Cherche Midi, 2012.

410 Bertrand de Jouvenel, Arcadie, Essais sur le mieux-vivre, Paris, Gallimard, 2002.

411 Ivan Illich, La convivialité, Paris, Seuil, 1973.

412 André Gorz, Ecologie et politique, Paris, Seuil, 1978 ; André Gorz, Ecologica, Paris, Galilée, 2008.

413 Cf. Dominique Bourg, L’homme artifice, le sens de la technique, Paris, Gallimard, 1996 ; Dominique Bourg, Nature et technique. Essai sur l’idée de progrès, Paris, Hatier, 1997.

414 Hans Jonas, Le principe responsabilité, Paris, Flammarion, 1990.

415 Ulrich Beck, La société du risque, Op. cit.

416 Bruno Latour, Politiques de la nature, comment faire entrer les sciences en démocratie, Paris, La Découverte, 2004.

417 Cf. Jean-Yves Goffi, « Technique et technologie », dans Dominique Bourg, Alain Papaux (dir.), Op. cit., p.974-976.

418 Les techniques abortives illustrent, selon Jean-Paul II, ces efforts consentis par la technocratie pour minimiser l’importance de certains crimes. (Cf. Jean-PaulII, Encycl. Evangelium vitae (25 Mars 1995), Op. cit., n°13) Ce constat est généralisable, puisque le pape polonais tend à reconnaître les signes annonciateurs de cette « culture de mort » dans l’ensemble de notre société. De la sorte, il refuse de dissocier le système technicien de l’idéologie capitaliste défaillante qui l’a engendré, comme pouvait encore le faire Paul VI, en 1967 (PaulVI, Populorum progressio (26 mars 1967), Op. cit., n°26).

419 Le concept de « structure de péché » n’ôte en rien la responsabilité de la personne humaine : « Les structures de péché ont pour origine le péché personnel et, par conséquent, sont toujours reliées à des actes concrets des personnes, qui les font naître, les consolident et les rendent difficiles à abolir. Ainsi elles se renforcent, se répandent, deviennent sources d'autres péchés, et conditionnent la conduite des hommes». Jean-Paul II, Sollicitudo Rei Socialis, op. cit., n°36.

420 Comme le remarque Jacques Ellul, l’automatisation, au contraire de l’autonomisation, souligne bien l’intentionnalité du processus qui reste par ailleurs sous contrôle de l’homme. Cf. Jacques Ellul, Op. cit., p.212.

En reconnaissant l’ambivalence de la technique421, Benoît XVI ouvre la porte à une réflexion éthique sur le rôle de la technique. S’alignant sur l’enseignement de ses prédécesseurs, il définit toujours la technique comme devant être « une réalité profondément humaine » où « la technique n’est jamais purement technique422 ». Mais l'ambiguïté de la technique devient manifeste lorsqu’elle n’est plus considérée dans son rapport à l’homme. Le constat de cette ambivalence ne peut donc être que le produit d’une dénaturation ; dénaturation qui n’est observée que dans nos sociétés contemporaines.

La prééminence des solutions techniques dans notre quotidien suppose, en effet, l’entrée de l’humanité dans une ère nouvelle, où l’homme est désormais menacé par « l’absolutisme de la technique423 ». Certes, la technique n’y est pas autonome, et l’homme reste responsable de l’avènement de ce nouvel état de fait. Mais le schéma de Benoît XVI se place en aval de celui de Jean-Paul II : alors que ce dernier analysait les causes de l’avènement de cette société et condamnait des comportements déviants, le pape allemand examine les conséquences imputables à cette société technicienne et s’inquiète, à la manière des écologistes, des mécanismes d’irréversibilité. L’homme est ainsi confronté à une idéologie techniciste, qui dessine un horizon culturel englobant et « expose l’humanité au risque de se trouver enfermée dans un a priori d’où elle ne peut sortir pour rencontrer l’être et la vérité424».

L’intérêt de François porte, lui aussi, sur les conséquences de cette culture technicienne. Dans le sillon du théologien Romano Guardini425, sur lequel Jorge Bergoglio a entamé une thèse426, et du concept marcusien de « paradigme unidimensionnel427», le pape argentin décrit une idéologie homogénéisante et matérialiste qui est intimement liée à la méthodologie de l’expérience scientifique : « Une conception du sujet y est mise en relief qui, progressivement, dans le processus logique et rationnel, embrasse et ainsi possède l’objet qui se trouve à l’extérieur. Ce sujet se déploie dans l’élaboration de la méthode scientifique avec son expérimentation, qui est déjà explicitement une technique de possession, de domination et de transformation. C’est comme si le sujet se trouvait devant quelque chose d’informe, totalement disponible pour sa manipulation.428 » Cependant, pour l’ex-cardinal Bergoglio, cette idéologie ne se maintient pas de façon abstraite. Il constate en effet que les objets

421 Benoît XVI, Lett. Enc. Caritas in Veritate (29 Juin 2009), Op. cit., n°14.

422 Ibid., n°69.

423 Ibid., n°75.

424 Ibid., n°70.

425 Romano Guardini, La fin des temps modernes, Paris, Seuil, 1952.

426 Jean-Louis Schlegel, « Bergoglio et François : Quand un jésuite devient pape », Esprit, 2015, n°6, p.12-28.

427 François, LS, n°106, p.87.

produits par la technique génèrent un cadre de vie qui est pensé pour servir les intérêts d’une « petite partie de l’humanité429». Aucune neutralité n’est donc à espérer des objets techniques puisqu’ils répondent à une double logique de « domination430 » sur la nature mais aussi sur les humains431.

Cette emprise de la technologie sur nos modes de vie et sur notre manière d’appréhender la réalité incite les papes à réfléchir aux moyens pour s’en extraire. Or, il s’avère qu’une moralisation de l’usage des techniques, comme l’avançait Jean-Paul II, ne peut suffire432, aussi Benoît XVI et François préfèrent-ils valoriser le travail de la raison.

L’homme devra tenter de saisir dans chacune de ses actions le sens de celles-ci. Prenant l’exemple du savant manœuvrant à distance un satellite, Benoît XVI explique qu’il devra toujours penser son geste comme libre et responsable : « Partant de la fascination qu’exerce la technique sur l’être humain, on doit retrouver le vrai sens de la liberté, qui ne réside pas dans l’ivresse d’une autonomie totale, mais dans la réponse à l’appel de l’être, en commençant par l’être que nous sommes nous-mêmes.433 » En appelant l’homme à retrouver le sens de chacune de ses actions, le pape stimule, en réalité, la quête d’une vérité qui se situe au-delà des intérêts particuliers, dans la reconnaissance d’une nature créée qui limite notre action. La réflexion éthique conduit donc la personne humaine à constater « l’erreur anthropologique » dont nous parlait Jean-Paul II, et donc à redécouvrir l’existence d’un Dieu créateur. Pour outrepasser la crise actuelle et se protéger, l’homme voit donc s’évanouir la barrière qui séparait foi et raison : « Nous ne pouvons maîtriser les menaces générées par la modernité que si foi et raison se retrouvent d'une manière nouvelle, si nous surmontons la limitation auto-décrétée de la raison à ce qui est susceptible de falsification dans l'expérience et si nous ouvrons de nouveau à la raison tout son espace434. » Qui n’accepterait pas ce retour de la foi, consécutif au retour de la raison, ne pourra espérer aucun bénéfice des techniques. Finalement, pour le pape allemand, il existe bien deux rationalités, « celle ouverte à la

429 Ibid., n°104, p.85.

430 Ibid., n°108, p.89.

431 Ibid., n°107, p.88.

432 Lui-même constatait que l’exhortation à une moralisation de l’usage de la technique achoppe sur la question de l’intentionnalité des dommages occasionnés par celle-ci. Comme l’illustre l’exemple de la déforestation de l’Amazonie par les paysans désireux d’obtenir des terres, certaines solutions techniques qui ont pourtant été mises en place avec les meilleures intentions, peuvent se révéler contre-productives, et être à l’origine de catastrophes économiques ou écologiques. Cf. Jean-Paul II, « Message pour la journée mondiale de la Paix 1990 », Op. cit., n°11. Nous revenons sur ce point dans le chapitre 8.2.

433 Benoît XVI, Op. cit., n°70.

434 Benoît XVI, Discours à l’Université de Ratisbonne, 12 septembre 2006 ; DC 103 (2006) p. 924-929. Cf. Philippe Portier,« L’église romaine et la question de l’évolution. Langage de la vérité et art du compromis dans le catholicisme contemporain. », dans Philippe Portier, Michel Veuille, Jean-Paul Willaime(dir.),Théorie de l’Evolution et religions, Paris, Riveneuve, 2011, p.140.

transcendance et celle d’une raison close dans l’immanence technologique435 », qui s’opposent catégoriquement, la seconde étant par ailleurs « irrationnelle », puisqu’elle « comporte un refus décisif du sens et de la valeur436 ».

François, dont le raisonnement est moins philosophique, s’appuie plus concrètement sur l’éducation pour s’extraire du paradigme technocratique. Si les mesures techniques, économiques et surtout politiques sont essentielles, tout comme le sont également les actions individuelles437, l’éducation sera en effet la seule susceptible de produire une véritable conversion afin d’inciter chacun à se préoccuper pour le sort d’autrui : « L’attitude fondamentale de se transcender, en rompant avec l’isolement de la conscience et l’autoréférentialité, est la racine qui permet toute attention aux autres et à l’environnement, et qui fait naître la réaction morale de prendre en compte l’impact que chaque action et chaque décision personnelle provoquent hors de soi-même.438 » Il faudra en effet combattre le « relativisme pratique », cette « pathologie439 » engendrée par notre société consumériste où le sujet, confronté à un vide existentiel, considère qu’aucune norme ne peut freiner sa quête frénétique d’achats et de gaspillage. Or, pour François, « si c’est ce genre de sujet qui tend à prédominer dans une société, les normes seront seulement respectées dans la mesure où elles ne contredisent pas des besoins personnels.440 » Malgré l’insistance faite par François de s’adresser à l’ensemble des êtres sur Terre, il y a donc dans son encyclique, comme chez ces prédécesseurs, la conviction que l’éthique mène non seulement à la redécouverte de normes hétéronomes, mais également, à celle d’un Dieu créateur : « L’éducation environnementale a progressivement élargi le champ de ses objectifs. Si au commencement elle était très axée sur l’information scientifique ainsi que sur la sensibilisation et la prévention de risques environnementaux, à présent cette éducation tend à inclure une critique des « mythes » de la modernité (individualisme, progrès indéfini, concurrence, consumérisme, marché sans règles), fondés sur la raison instrumentale ; elle tend également à s’étendre aux différents niveaux de l’équilibre écologique : au niveau interne avec soi-même, au niveau solidaire avec les autres, au niveau naturel avec tous les êtres vivants, au niveau spirituel avec Dieu. L’éducation environnementale devrait nous disposer à faire ce saut vers le Mystère, à partir duquel une éthique écologique acquiert son sens le plus profond.441 »

435 Benoît XVI, Caritas in Veritate, op. cit., n. 74.

436 Idem. 437 François, LS, n°206, p.161 ; n°211, p.165.