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2.2.10 – Le Seigneur survient devant Paul et lui parle (23.11)

La nuit suivante, le Seigneur survint devant lui et dit : Courage! De même que tu m’as rendu témoignage à Jérusalem, de même il faut que tu portes ce témoignage à Rome (23.11).

Comme à la péricope précédente (18.9-16), le Seigneur qui survient est plus que probablement Jésus qui annonce à Paul qu’il doit rendre témoignage de lui à Rome, comme il l’avait fait à Jérusalem. Ce message est donné la veille d’un complot (23.12-22) et de deux années d’emprisonnement (24.27). Il a donc pour but d’encourager à persévérer malgré l’adversité. Ce que le lecteur apprend concernant Jésus, c’est que le Seigneur est attentif au déroulement des événements et y prend part quand cela est nécessaire afin d’encourager le protagoniste à aller au bout de sa mission – Jésus n’est donc pas si absent que cela. D’autre part, si en 18.9 c’était en vision que le Seigneur avait parlé, en 23.11 le narrateur dit simplement que le « […] Seigneur survint devant lui et dit […] (23.11a) », comme si, tout naturellement, le personnage avait repris sa place sur scène. Le lecteur sait que le personnage Jésus est officiellement au ciel depuis son ascension – d’ailleurs, il avait bien parlé à Paul depuis le ciel lors de leur première rencontre –, mais il est invité à se laisser tromper par la stratégie narrative qui présente l’intervention du Seigneur de telle manière qu’il semble vraiment présent devant Paul – ce qui confirme qu’il est bien avec lui comme il l’avait mentionné en 18.10.

Bref, en 23.11 comme en 18.10, du fait que le personnage parle de vive voix, il se caractérise comme actif et participant à part entière du récit. En outre, cette mise en scène fait écho à

2 – Comment? 2.2 – Christologie représentée

l’introduction des Actes qui avait bien annoncé que le personnage Jésus continuerait d’enseigner et d’agir.

2.2.11 – Conclusion

La stratégie narrative des Actes produit un effet de « fondu au noir » concernant la christologie représentée256. Ainsi, avec tous les projecteurs éclairés, les Actes s’ouvrent avec

la présence physique de Jésus sur scène (1.1-5), rappelant le mode visuel de l’évangile où le personnage était principalement caractérisé par ses paroles et ses actions, ainsi que Malbon avait pu l’observer en ce qui concerne l’évangile selon Marc : « One important way of characterizing Jesus is by what he does; this aspect of characterization of the Markan Jesus is what I mean by enacted Christology257 ». C’est la scène de l’ascension du personnage

principal (1.9-11) qui enclenche le fondu progressif vers le noir, confirmé par une difficulté à identifier le Seigneur qui sauve et qui ajoute des croyants à la communauté (2.47). Mais avant qu’il ne fasse trop sombre, le récit de la rencontre entre Jésus et Saul (9.1-8) confirme que le personnage Jésus est maintenant au ciel, conformément à ce qui avait été représenté jusqu’ici. Puis plus rien n’est clair. Le lecteur est contraint à faire un effort pour identifier le Seigneur qui interpelle Pierre (10.9-16) ou celui qui intervient par sa main dans l’œuvre missionnaire (11.21). Quelques indices narratifs aident graduellement le lecteur à prendre conscience de la présence de Jésus sur scène, même si le personnage reste dans l’ombre. On apprend aussi que

256 Selon le Groupe de recherche en arts médiatiques UQAM, Dictionnaire des arts médiatiques (1996

[consulté en 2012]); disponible sur http://132.208.74.10/~dictionnaire, un fondu est une « transition entre deux images filmées ou enregistrées, par un obscurcissement ou un éclaircissement graduel de l’image. Cette transition peut être réalisée au tournage ou au montage. Le terme fondu est apparu au cinéma en 1908, pour désigner l’ouverture ou la fermeture manuelle de l’iris de la caméra entraînant l’apparition ou la disparition d’une image. »

2 – Comment? 2.2 – Christologie représentée

c’est l’Esprit de Jésus qui dirige l’équipe missionnaire (16.6-10) et que c’est le Seigneur (Jésus) qui ouvre le cœur d’une marchande de pourpre (16.14). Enfin, le Seigneur (Jésus) parle à Paul à deux reprises pour l’assurer de sa présence (18.9-10; 23.11).

L’ambiguïté du titre Seigneur alimente tout au long du récit une intrigue de révélation qui trouve progressivement son aboutissement dans la construction de la figure d’un Jésus Seigneur aux traits divins, qui agit par ailleurs dans l’ombre et, discrètement, manifeste sa présence auprès de ses disciples. À cette double caractérisation (quasi-divination implicite et

présence discrète, mais efficace au cœur de l’absence) correspond une double stratégie

narrative oblique. D’une part, en entretenant un flou artistique, la narration conduit le lecteur à s’interroger et à finalement télescoper les deux Seigneuries de Dieu et de Jésus. D’autre part, la narration réussit à dire subtilement le nouveau type de présence de Jésus, ne serait-ce que par le caractère imprévisible et inattendu des scènes rapportées.

Par ailleurs, il est à noter que pour caractériser Jésus, le narrateur le fait disparaître du

showing du niveau zéro de la narration pour le placer dans un autre niveau discursif en mode telling (Jesus est Seigneur, etc.) ou showing (le Seigneur m’est apparu, etc.). Marguerat avait

déjà observé cette préférence du narrateur en ce qui concerne la figure de Dieu dans les Actes. En effet, le narrateur ne montre jamais directement à son lecteur Dieu à l’œuvre, mais préfère parler de l’action divine par l’entremise du témoignage des autres personnages. Il en va de même en ce qui concerne la caractérisation de Jésus qui se fait progressivement absent du discours direct du narrateur pour être de plus en plus présent dans les discours des personnages. Cette observation est aussi validée par la table des matières de ce chapitre qui

2 – Comment? 2.2 – Christologie représentée

montre l’abondance des épisodes propres à la christologie projetée qui sera étudiée dans une prochaine section (page 108). Mais avant d’examiner comment le personnage Jésus est caractérisé dans les discours des Actes, un regard vers la christologie détournée confirme par la rareté des paroles de Jésus en réponse à un personnage du récit, ce qui vient d’être souligné.

2 – Comment?