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2.4.4 – Discours de Pierre au Temple (3.12-26)

12 Quand il vit cela, Pierre dit au peuple : Hommes d’Israël, pourquoi vous étonnez-

vous de cela? Pourquoi nous fixez-vous, comme si c’était nous qui avions fait marcher cet homme par notre propre puissance ou par notre piété? 13 Le Dieu d’Abraham, le

2 – Comment? 2.4 – Christologie projetée

Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob – le Dieu de nos pères – a glorifié son serviteur Jésus,

que vous, vous avez livré et renié devant Pilate, alors que celui-ci avait jugé bon de le relâcher. 14 Vous, vous avez renié le Saint, le Juste, et vous avez demandé qu’on vous

accorde la grâce d’un meurtrier. 15 Vous avez tué le pionnier de la vie : Dieu l’a

réveillé d’entre les morts; nous, nous en sommes témoins. 16 C’est par la foi de son

nom que son nom même a rendu fort cet homme que vous voyez et connaissez; c’est la foi, la foi par Jésus, qui lui a donné ce complet rétablissement devant vous tous.

17 Maintenant, mes frères, je sais que vous avez agi par ignorance, tout comme vos

chefs. 18 Dieu a accompli de cette façon ce qu’il avait annoncé d’avance par la bouche

de tous les prophètes : que son Christ souffrirait. 19 Changez donc radicalement, faites

demi-tour, pour que vos péchés soient effacés; 20 qu’ainsi des temps de réconfort

viennent du Seigneur, et qu’il envoie le Christ qui vous a été destiné, Jésus. 21 C’est lui

que le ciel devait accueillir jusqu’au temps du rétablissement de tout ce dont Dieu a parlé par la bouche de ses saints prophètes d’autrefois. 22 Moïse a dit : Le Seigneur,

votre Dieu, suscitera pour vous, d’entre vos frères, un prophète comme moi; vous l’écouterez en tout ce qu’il vous dira. 23, Mais quiconque n’écoutera pas ce prophète

sera détruit, il disparaîtra du peuple. 24 Tous les prophètes, depuis Samuel et ses

successeurs, ont aussi parlé de ces jours-là et les ont annoncés. 25 Vous, vous êtes les

fils des prophètes et de l’alliance que Dieu a établie avec vos pères en disant à Abraham : Toutes les familles de la terre seront bénies en ta descendance. 26 C’est à

vous d’abord que Dieu, après avoir suscité son serviteur, l’a envoyé pour vous bénir, en détournant chacun de vous de sa méchanceté (3.12-26).

Le deuxième discours de Pierre va plus loin que le premier en ce qu’il ne limite pas la caractérisation de Jésus à sa seigneurie ou à sa messianité, mais présente plusieurs traits dont celui de la figure du serviteur souffrant d’Ésaïe 52.13277 : « [… Dieu] a glorifié son serviteur Jésus […] (Ac 3.13) ». C’est la première fois en Luc-Actes que παῖς (serviteur) est attribué à Jésus – en Lc 2.43, παῖς signifie enfant comme en Lc 8.51, 54 ou 9.42278. Jusque-là, seulement Israël et David avaient été qualifiés de serviteurs de Dieu (Lc 1.54, 69). Dans cette mise en discours, le narrateur rend une fois de plus explicite ce qui avait été implicite (Lc 9.22; 17.25; 22.15) en proclamant cette fois-ci Jésus comme serviteur souffrant :

277 Pervo et Attridge, Acts, p. 105.

278 M. L. Soards, « The Speeches in Acts in Relation to Other Pertinent Ancient Literature »,

Ephemerides Theologicae Lovanienses 70 (1994), 65-90, p. 40 considère aussi que παῖς pourrait

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« ce qu’il avait annoncé d’avance par la bouche de tous les prophètes : que son Christ souffrirait (3.18) ». Pierre identifie aussi Jésus comme étant le prophète annoncé par Moïse. Le lecteur n’avait peut-être pas saisi la référence à Dt 18.15 dans l’évangile, mais une chose est sûre, c’est qu’après avoir lu Ac 3.22 (« Moïse a dit : Le Seigneur, votre Dieu, suscitera pour vous, d’entre vos frères, un prophète comme moi; vous l’écouterez en tout ce qu’il vous dira »), le lecteur, dans sa relecture de l’évangile, interprétera maintenant la figure de Jésus prophète à la lumière de cette prédiction de Moïse comme nous le développerons au chapitre trois (cf. page 241)279.

Les nombreux traits de caractérisation de ce discours sont brefs et principalement circonscrits à des titres christologiques comme I. Howard Marshall l’observe : Jésus est le Saint (ὁ ἅγιος), le Juste (ὁ δίκαιος) et l’auteur de la vie (ὁ ἀρχηγός τῆς ζωῆς, ou le pionnier de la vie pour la NBS)280. Chaque titre christologique contribue ainsi à approfondir la figure du Jésus Vivant,

et mérite l’attention du lecteur. Tuckett invite aussi à prendre en compte l’influence des premières communautés chrétiennes sur l’emploi de ces titres christologiques et confirme leur importance dans la construction de la figure du Vivant :

The fact remains that certain key « titles » or terms were used by early Christians to refer to Jesus in a potentially significant way means that these terms do provide an important part of the evidence for seeking to uncover Christological ideas of early Christians. Thus whilst mindful of other evidence which must be given its full weight, we cannot ignore the evidence provided by the use of titles themselves. Indeed in the case of Luke-Acts, this is even more necessary, given the way in which at times titles

279 Marguerat, Les Actes des Apôtres (1–12), p. 135 : « L’attente eschatologique du prophète comme

Moïse est attestée à Qumrân (4Q175 5-8) et en milieu samaritain; les chrétiens ont réquisitionné la prédiction en faveur de l’événement christique ».

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are quite deliberately and explicitly predicated of Jesus with attempts made to justify their usage in this context281.

Si l’analyse des titres est à l’évidence incontournable, la caractérisation du personnage Jésus ne se fait pas – comme nous l’avons déjà souligné – uniquement par une accumulation de titres christologiques. La rhétorique narrative utilise un titre à un moment précis du récit pour produire un effet de caractérisation. Il y a ainsi une logique narrative dans la succession des deux discours pétriniens. Le premier (2.14-40) insiste sur la résurrection et la messianité alors que le second (3.12-26) insiste sur la figure du serviteur souffrant. Il était en effet primordial de faire accepter la résurrection et la messianité du personnage Jésus avant d’associer la substance du serviteur souffrant à celle du messie. Les autres titres exploités dans ce discours ont pour fonction de confirmer la messianité de Jésus qui a pu être questionnée devant la souffrance du héros (le Saint, le Juste, l’auteur de la vie).

En résumé, dans ce discours pétrinien, la caractérisation s’effectue par des références intertextuelles (Ésaïe, Moïse), ainsi que par une subtile articulation de titres christologiques.