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2.4.41 – Discours de Paul à Agrippa (26.1-32)

9 Ceux qui étaient avec moi ont

bien vu la lumière, mais ils n’ont pas entendu celui qui me parlait.

10 Alors j’ai dit : « Que dois-je faire, Seigneur? » Le Seigneur m’a dit : « Lève-toi, va à Damas, et là on te dira tout ce qu’il t’est ordonné de faire. »

16 Mais lève-toi, tiens-toi sur tes pieds. Voici en effet pourquoi je te suis apparu : je te destine à être serviteur et témoin de ce que tu as vu de moi et de ce pour quoi je

t’apparaîtrai encore.

8 Saul se releva de terre et, bien qu’il eût les yeux ouverts, il ne voyait rien; on le prit par la main pour le conduire à Damas. 9 Il resta trois jours sans voir, et sans rien manger ni boire.

11 Comme je ne voyais rien, à cause de l’éclat de cette lumière, ceux qui étaient avec moi m’ont conduit par la main, et je suis arrivé à Damas.

309 Pour faciliter la lecture du tableau j’omets volontairement les chevrons qui indiquent que le texte

est une citation biblique. Cette remarque s’applique à toutes les cases du tableau à l’exception de la ligne de titre.

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Ac 9.3-9 Ac 22.3-16 Ac 26.12-17

10 Or il y avait à Damas un disciple nommé Ananias. Le Seigneur lui dit, dans une vision : Ananias! Celui-ci répondit : Je suis là, Seigneur! 11 Le Seigneur lui dit : Va dans la rue appelée la Droite et cherche, dans la maison de Judas, un nommé Saul de Tarse. Car il prie 12 et il a vu en vision un nommé Ananias, qui entrait et lui imposait les mains pour qu’il retrouve la vue. 13 Ananias répondit : Seigneur, j’ai entendu dire par beaucoup de gens tout le mal que cet homme a fait à tes saints à Jérusalem; 14 ici même, il a été investi par les grands prêtres de l’autorité pour arrêter tous ceux qui invoquent ton nom. 15, Mais le Seigneur lui dit : Va, car cet homme est l’instrument que j’ai choisi pour porter mon nom devant les nations et les rois, comme devant les Israélites; 16 je lui montrerai moi-même tout ce qu’il lui faudra souffrir pour mon nom.

12 Or un certain Ananias, un homme pieux selon la loi, de qui tous les Juifs qui habitaient là rendaient un bon témoignage, 13 est venu à moi et m’a dit : « Saoul, mon frère, retrouve la vue! » À ce moment même j’ai retrouvé la vue, et je l’ai vu.

17 Ananias partit; lorsqu’il fut arrivé dans la maison, il posa les mains sur lui et dit : Saoul, mon frère, le Seigneur Jésus, qui t’est apparu sur le chemin par lequel tu venais, m’a envoyé pour que tu retrouves la vue et que tu sois rempli d’Esprit saint.

14 Il a dit : « Le Dieu de nos pères

t’a destiné à connaître sa volonté,

à voir le Juste et à entendre sa voix; 15, car tu seras pour lui témoin,

devant tous, de ce que tu as vu et

entendu. 16 Et maintenant, pourquoi tardes-tu? Lève-toi, fais-toi baptiser et laver de tes péchés en invoquant son nom. »

17 Je te délivrerai de ce peuple et des non-Juifs, vers qui, moi, je t’envoie, 18 pour leur ouvrir les yeux, afin qu’ils se tournent des ténèbres vers la lumière et de l’autorité du Satan vers Dieu, et qu’ils reçoivent le pardon des péchés et une part d’héritage parmi ceux qui ont été consacrés par la foi en moi. »

18 Au même instant, il tomba de ses yeux comme des écailles, et il retrouva la vue. Il se leva et reçut le baptême; 19 et, après avoir pris de la nourriture, il retrouva ses forces.

La première fois que Paul raconte sa rencontre avec le Vivant (Ac 22.3-16), son récit suit la trame narrative d’Actes 9. Cependant quelques détails sont rajoutés concernant la caractérisation de Jésus. Premièrement, au verset 8, Jésus se qualifie de Nazoréen (ἐγώ εἰµι Ἰησοῦς ὁ Ναζωραῖος), titre employé une seule fois dans l’évangile et six fois dans les

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Actes (Lc 18.37; Ac 3.6; 4.10; 6.14; 22.8; 25.5; 26.9). Cette caractérisation a pour effet de confirmer l’identification du Jésus Vivant des Actes au Jésus de l’évangile, le Christ terrestre de Nazareth. Elle est ici classifiée comme christologie projetée et non christologie détournée, car le fait que le narrateur ait omis lui-même ce détail en Ac 9.5 donne l’avantage au discours de Paul. Deuxièmement, le lecteur notera une différence d’exposé en fonction du raconteur, Paul ou le narrateur. En effet, Luc avait précisé que ceux qui accompagnaient Saul entendaient bien la voix, mais ne voyaient personne (ἀκούοντες µὲν τῆς φωνῆς µηδένα δὲ θεωροῦντες, Ac 9.7), alors que Paul dit qu’ils avaient bien vu la lumière, mais n’entendirent pas la voix de celui qui parlait (τὴν δὲ φωνὴν οὐκ ἤκουσαν τοῦ λαλοῦντός, Ac 22.9)310. Le même verbe ἀκούω – entendre – est employé ainsi que le même mot φωνή – voix – pour cependant rapporter deux propos contradictoires. Notons aussi le contraste : ils n’ont vu (θεωρέω) personne en 9.7, alors qu’ils voient (θεάοµαι) la lumière en 22.9311. Le lecteur doit lui-même résoudre cette énigme d’incohérence comme nous le développerons dans le prochain chapitre (cf. 3.2 – La recherche de cohérence, page 260). Troisièmement, dans la narration d’Actes 9, Jésus est non seulement un personnage présent sur scène, mais aussi instigateur des événements : il parle à Saul, mais aussi à Ananias pour transmettre un plan de mission. Cependant, en Ac 22.14, ce n’est plus Jésus qui est l’instigateur, mais le Dieu de nos

310 Michel Gourgues, L’Évangile aux païens (Actes des apôtres 13-28) (Cahiers Évangile 114), Paris,

Éditions du Cerf, 1989, p. 21 relève bien la différence sans toutefois l’expliquer.

311 Bruce, The Book of the Acts, p. 185 règle ainsi la difficulté : « […] Chrysostom’s explanation that

the voice heard by the fellow-travelers was Saul’s voice talking to the risen Lord runs up against the difficulty that “the voice” in verse 7 is most naturally taken as referring back to the “voice” of verse 4. The more usual explanation is that, while the others heard a sound (like the crowd in John 12.29 which “said that it had thundered” when Jesus’ prayer was answered by a heavenly voice), they did not distinguish an articulate voice. »

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Pères312. Parce que le lieu du discours d’Actes 22 est Jérusalem, il était important de relier ces événements au Dieu des patriarches. Le lecteur doit alors décider si cette adaptation paulienne est acceptable ou erronée. Cet effet permet ainsi de caractériser le personnage Jésus comme équivalent au Dieu de nos Pères.

Dans sa deuxième répétition du récit, Paul prend plus de liberté dans sa narration (Ac 26.12- 17). Il dramatise l’effet de la grande lumière « plus resplendissante que le soleil (26.13) » et surprend une fois de plus le lecteur en ajoutant un détail jusqu’alors inconnu : « nous sommes

tous tombés à terre (26.14) ». Paul précise aussi que la voix s’exprimait en langue hébraïque.

Le fait que la voix interpelle avec le mot Σαοὺλ313 permettait déjà à un lecteur hébraïsant de comprendre que le personnage Jésus ne s’exprimait pas en grec, mais en araméen. Cette précision semble nécessaire pour le roi Agrippa, même si celui-ci connaît bien les coutumes des Juifs (26.3) – à moins que, soit Paul a forcé le trait en 26.3 pour gagner la sympathie du roi Agrippa en disant qu’il connaît particulièrement bien toutes les coutumes des Juifs, soit que Paul apporte cette précision pour le gouverneur romain Porcius Festus (24.27) qui assiste à la plaidoirie de Paul au roi Agrippa. Le lecteur est à nouveau surpris quand il entend Paul rapporter au roi une parole de Jésus jusque-là ignorée : « Il est dur pour toi de regimber contre l’aiguillon! (26.14)314 » Cet oubli prouve une fois de plus que ni le narrateur, ni Paul lors de

312 Tannehill, The Narrative Unity of Luke-Acts, p. 320.

313 Saul est appelé Σαῦλος dans les Actes (7.58; 8.1, 3; 9.1, 8, 11, 22, 24; 11.25, 30; 12.25; 13.1-2, 7,

9) sauf pour les récits du chemin de Damas où la forme hébraïque Σαούλ est employée (9.4, 17; 22.7, 13; 26.14). Cf. 13.21 pour la référence vétérotestamentaire au Saül, premier roi d’Israël.

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son premier récit, ne disent tout315. Le contexte nous conduit à conclure que cette phrase devait être entendue par le roi comme une insistance sur l’appel irrésistible reçu sur le chemin de Damas. En ce qui concerne le personnage Jésus, cette nouvelle phrase peut conduire le lecteur à se questionner en se demandant si d’autres phrases prononcées par Jésus n’auraient pas aussi été omises. Enfin, un autre détail sera particulièrement intéressant pour notre thèse, car il prédit d’autres apparitions du personnage Jésus : « je te destine à être serviteur et témoin de ce que tu as vu de moi et de ce pour quoi je t’apparaîtrai encore (26.16b) ».

En somme, cette péricope est doublement intéressante. Premièrement, si ce troisième récit avait été l’unique récit, le lecteur aurait pu comprendre que Jésus sur le chemin de Damas non seulement interpelle Saul, mais lui parle aussi de son destin. En effet, la narration d’Ac 26.12- 17 ne présente qu’un seul événement. Cependant nous savons par Ac 9 que ce n’est que trois jours plus tard, par l’intermédiaire d’Ananias, que le message a été transmis. Pour Paul – ou plutôt pour Luc –, il n’est pas nécessaire de préciser le rôle du disciple au roi. Paul a reçu le message d’Ananias comme étant paroles et actes de Jésus et se permet conséquemment de raconter au roi sa rencontre avec le Seigneur de manière à laisser entendre que Jésus lui a parlé directement. Deuxièmement, Jésus annonce (directement ou par Ananias) qu’il apparaîtra encore à Paul. En relisant à nouveau frais les Actes, le lecteur cherchera l’accomplissement de cette promesse (apparaître encore), une promesse qui arrive bien tard dans la narration, à deux chapitres de la fin de l’ouvrage.

315 La critique textuelle d’Ac 9.5 montre que la phrase « Il est dur pour toi de regimber contre

l’aiguillon » est absente dans les principaux codex et a été rajoutée dans certains manuscrits byzantins. La vulgate, le textus receptus de 1873, la Bible de Luther ou la Bible Louis Second (à l’exception de la NBS) ont pourtant suivi cet ajout qui harmonise le rapport du narrateur (Ac 9) avec celui de Paul (Ac 26).

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