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Ce n’est pas seulement la finale du troisième évangile qui laisse entendre que l’histoire racontée n’est pas terminée137, puisque le narrateur introduit explicitement son deuxième ouvrage à Théophile comme étant la suite du premier :

Actes 1.1 : Τὸν µὲν πρῶτον λόγον ἐποιησάµην περὶ πάντων, ὦ Θεόφιλε, ὧν ἤρξατο ὁ Ἰησοῦς ποιεῖν τε καὶ διδάσκειν,138 J’ai composé le premier livre, ô Théophile, au sujet de toutes les choses que Jésus commença de faire et d’enseigner (ma traduction).

Selon le choix de traduction du verbe ἄρχω139, cette phrase d’introduction s’avère simple ou paradoxale. En effet, les Bibles françaises proposent trois options pour ce verset introductif. La première, et la plus ancienne, élude tout problème en suivant la Vulgate140 qui fait du

verset une simple phrase reliant l’évangile aux Actes : « Théophile, j’ai raconté dans le

137 Voir Bersot, « ’Le vivant’ dans la finale de Luc ».

138 Nestle et al., Novum Testamentum Graece. Il n’y a pas vraiment de problèmes de critique textuelle

dans ce verset hormis quelques rares variantes mineures. cf. Bruce M. Metzger, A Textual

Commentary on the Greek New Testament, vol. Fourth Revised Edition, Stuttgart, Deutsche

Bibelgesellschaft, 2002, p. 236 et Reuben J. Swanson, The Acts of the Apostles (New Testament Greek Manuscripts : Variant Readings Arranged in Horizontal Lines Against Codex Vaticanus), Sheffield– Pasadena, Sheffield Academic Press–William Carey International University Press, 1998, p. 1.

139 Conjugué à la troisième personne du singulier de l’aoriste indicatif moyen en Actes 1.1 : ἤρξατο. 140 Jerome, John Wordsworth et Henry J. White, Novum Testamentum Domini nostri Iesu Christi

latine : secundum editionem sancti Hieronymi, Oxonii, E. Typographeo Clarendoniano, 1899 :

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premier livre tout ce que Jésus a fait et enseigné141 ». Conzelmann et Ernst Haenchen justifient cette traduction en faisant appel à un effet de style emprunté à l’araméen pour estomper le sens premier du verbe ἄρχω (commencer) en un simple verbe auxiliaire non traduit : a fait et enseigné142. Cependant, Kingsley Barrett contredit fermement cette position et les traductions modernes lui donnent raison143. C’est donc aujourd’hui la différence entre les secondes et la troisième options possibles qui pose problème, illustrées respectivement par la traduction œcuménique de la Bible (TOB) et la nouvelle Bible Segond (NBS) :

TOB : J’avais consacré mon premier livre, Théophile, à tout ce que Jésus avait fait et enseigné, depuis le commencement144.

141 Augustin Crampon, La Sainte Bible, Paris, Société de s. Jean l’Évangéliste–Desclée, 1939 comme

la plupart des anciennes versions telles Jean Frédéric Ostervald, La Sainte Bible, Paris, Dépôts de la Société biblique britannique et étrangère, 1877; David Martin, Le Nouveau Testament de notre

Seigneur Jésus-Christ, New York, Société biblique américaine, 1853; Abbaye De Maredsous, Bible pastorale, Turnhout, Brepols, 1997; Isaac-Louis Le Maistre De Sacy, Le Nouveau Testament de notre Seigneur Jesus-Christ en français, sur la Vulgate, Boston, J.T. Buckingham, 1810. P. Wargnies,

« Théophile ouvre l’évangile (Luc 1-4) », Nouvelle Revue Théologique 125 (2003), 77-88, p. 81 s’interroge toutefois sur le sens du TOUT de cette phrase.

142 Conzelmann, Epp et Matthews, Acts of the Apostles, p. 3 et Ernst Haenchen, The Acts of the

Apostles : a Commentary, Oxford, Basil Blackwell, 1971, p. 137 note 134. Aussi confirmé par le

dictionnaire Walter Bauer, William F. Arndt et F. Wilbur Gingrich, éds., A Greek-English Lexicon of

the New Testament and Other Early Christian Literature, 3ème édition, Chicago, University of

Chicago Press, 2000, p. § ἄρχω.

143 Charles K. Barrett, A Critical and Exegetical Commentary on The Acts of the Apostles

(International Critical Commentary on the Holy Scriptures of the Old and New Testaments), Edinburgh, T&T Clark, 1994, p. 66-67.

144 Société Biblique Française, Nouveau Testament : traduction œcuménique de la Bible, Paris,

Éditions du Cerf, 1988 et aussi dans la version révisée Société Biblique Française, Traduction

œcuménique de la Bible, Nouvelle éd. mise à jour, Paris, Cerf, 2004, p. 2637 en précisant en note b :

« C’est-à-dire depuis le commencement du ministère de Jésus, et plus précisément depuis son baptême (cf. 10,37 ; Luc 3,23) ». Les Bibles suivantes ont elles aussi traduit de la même manière : United Bible Societies, La Bible en français courant, Alliance biblique universelle, 1997; Aelf, La

Bible de la liturgie, Turnhout, Brepols, 1993; Alliance Biblique Universelle, La Bible : Ancien et Nouveau Testament : Parole de vie, Villiers-le-Bel, Société Biblique Française, 2005; , La Bible de Jérusalem : la Sainte Bible; Louis-Claude Fillion, La Sainte Bible : texte latin et traduction française;

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NBS : Cher Théophile, j’ai parlé, dans mon premier livre, de tout ce que Jésus a commencé de faire et d’enseigner145.

D’un point de vue narratif et théologique, le choix de traduction fait toute une différence. En effet, si Jésus a commencé à faire et à enseigner dans le premier livre à Théophile, on s’attend avec raison à lire la suite de ce que Jésus va faire et enseigner dans le second ouvrage, qui pourrait alors s’appeler : « les actes et les enseignements de Jésus, prise deux »146. Est-ce ici

un simple choix du traducteur – crux interpretatum – ou peut-on raisonnablement plaider en faveur d’une traduction au détriment de l’autre? Parmi les commentaires bibliques consultés, rares sont ceux qui suivent uniquement le choix de la TOB147, préférant plutôt celui de la NBS148, comme Dunn :

commentée d’après la Vulgate et les textes originaux; à l’usage des séminaires et du clergé, Paris,

Letouzey, 1889.

145 Segond et Alliance Biblique Universelle, NBS en indiquant toutefois en note de bas de page : « 1.1

Cf. Lc 1.1-4. – ce que Jésus a commencé…: autre traduction : ce que Jésus a fait et enseigné depuis le commencement; cf. v. 22; 10.37; Lc 3.23+; 23.5; 24.19, 47 ». Les Bibles suivantes ont elles aussi traduit de la même manière : International Bible Society, La Bible du Semeur, Colorado Springs– Méry-sur-Oise, Société biblique internationale–Éditions Sator, 1992; John N. Darby, La Sainte Bible, Valence, Bible et Publications Chrétiennes, 1885; André Chouraqui, La Bible, Paris, Desclée De Brouwer, 1974.

146 Gerhard Krodel, Acts (Augsburg Commentary on the New Testament), Minneapolis, Augsburg

Pub. House, 1986, p. 51 : « [...] in the Third Gospel our author dealt with all that Jesus began to do and teach, implying that in his second volume he will deal with the continuation of Jesus “word and work” ». Voir aussi Beverly Roberts Gaventa, The Acts of the Apostles, Nashville, Abingdon Press, 2003, Marguerat, Les Actes des Apôtres (1–12), p. 18,35.

147 Par exemple Gerd Lüdemann, The Acts of the Apostles : What Really Happened in the Earliest

Days of the Church, Amherst, Prometheus Books, 2005, p. 31-32 .

148 Par exemple Jaroslav Pelikan, Acts, Grand Rapids, Brazos Press, 2005; Mikeal Carl Parsons, Acts,

Grand Rapids, Baker Academic, 2008; Johannes Munck, The Acts of the Apostles (The Anchor Bible 31), Garden City, Doubleday, 1967.

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[...] the account is ‘of all that Jesus did and taught from the beginning’, or, better, ‘all that Jesus began to do and teach’ (translations and commentators are divided on the proper translation)149.

Mais pourquoi Luc utiliserait-il ici ἄρχω comme verbe auxiliaire suivi de l’infinitif pour signifier avec la TOB depuis le commencement, alors qu’en deux autres endroits au moins il sait utiliser une syntaxe plus simple pour dire la même chose150? De plus, le verbe ἄρχω en Luc-Actes représente toujours le commencement d’une action151 et est généralement utilisé comme verbe conjugué, suivi d’un verbe d’action à l’infinitif pour indiquer l’objet du commencement152. Alors pourquoi ἄρχω en Actes 1.1 devrait-il faire figure d’exception? Pourquoi ce verbe suivi de deux infinitifs signifierait-il pour la TOB depuis le commencement et non commencer à faire et à enseigner? Conzelmann s’était refusé de traduire ἤρξατο par

commencer, parce que cela ne faisait aucun sens pour lui153. Est-ce donc pour la même raison (ou pour garder le sens de la tradition latine) que plusieurs traductions ont opté pour

depuis le commencement plutôt que commencer? Il y aurait ici une aporie de traduction : faut-

149 James D. G. Dunn, The Acts of the Apostles (Epworth commentaries), Peterborough, Epworth,

1996, p. 5 (je souligne).

150 En Lc 1.2 et Ac 26.4 le narrateur utilise ἀπ᾽ ἀρχῆς pour signifier depuis le commencement, ou ἐν

ἀρχῇ en Ac 11.15 pour au commencement.

151 Les participes présents ἀρχόµενος ou aoriste pluriel ἀρξάµενοι ont été traduits pas la NBS et la

TOB comme un commencement. Cf. Lc 3.23; 23.5; 24.27, 47; Ac 1.22; 8.35; 10.37; 11.4. L’infinitif aoriste moyen ἄρξασθαί est traduit avec l’idée d’un commencement en Ac 11.15 et le futur indicatif moyen en Lc 14.9 indique le commencement de la honte.

152 Ἄρχω suivi d’un infinitif signifie toujours le début d’une action en Luc-Actes : Lc 3.8; 4.21; 5.21;

7.15, 24, 38, 49; 9.12; 11.29; 11.53; 12.1, 45; 13.25, 26; 14.18, 29, 30; 15.14, 24; 19.37, 45; 20.9; 21.28; 22.23; 23.2, 30; Ac 2.4; 18.26; 24.2; 27.35. La TOB traduit généralement par se mettre à, mais aussi par commencer à en Lc 12.1; 13.25; 14.30; 15.14; 21.28; Ac 24.2.

153 Conzelmann, Epp et Matthews, Acts of the Apostles, p. 3 : « Nevertheless, it should be noted that

Luke likes to refer to the “beginning” of Jesus’ ministry (Luke 3:23; 23:5; Acts 1:22; 10:37), and that ἤρξατο (has a counterpart in the proem of Luke’s Gospel (ἄνωθεν, “from the beginning”). Of course the meaning is not that the first book tells the beginning of his ministry and the second its continuation (after the exaltation), but that his ministry is narrated from the very beginning. »

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il respecter la grammaire au détriment du sens, ou faut-il suggérer une signification apparemment plus satisfaisante au détriment de la grammaire?

En lisant Ac 1.1 avec la TOB, comme une analepse visant rétroactivement le commencement, le début, voire « l’origine », la portée théologique change, car le ministère et l’enseignement de Jésus deviennent le commencement du christianisme ou de l’Église154. Or, Parsons avait bien identifié en Actes 1.1 une attente chez le lecteur qui compte maintenant lire la suite des actes et des enseignements de Jésus. Malheureusement, Parsons résout rapidement cette attente avec les témoins du verset 8 (« et vous serez mes témoins ») comme acteurs pour ces actes et ces paroles attendus, au détriment du verset 1. Ainsi, il substitue Jésus par les apôtres à qui revient la charge de répondre à l’attente155.

Il y a aussi ceux qui suivent la NBS sans toutefois se soucier de son implication. Les Actes se présentent donc comme la suite de ce que Jésus a commencé, mais le problème est éludé en délaissant le personnage Jésus au profit de l’Esprit et des disciples. Ainsi Peterson : « The opening verses of Acts suggest that Luke is about to narrate what Jesus continued to do and to

154 Ian Howard Marshall, The Acts of the Apostles : an Introduction and Commentary (Tyndale New

Testament Commentaries), Leicester, Inter-Varsity Press, 1980, p. 56 : « […] it seems more probable that is deliberate used here, so that Luke is associating what Jesus began to do during his ministry with (implicitly) what he continued to do after his ascension; the ministry of Jesus was the beginning of Christianity. » et William Neil, The Acts of the Apostles (New Century Bible), London, Oliphants, 1973, p. 63 : « […] this implies that works and words of Jesus, recounted in the Gospel, were the real beginning of the story of the Church, and that Jesus is still acting through his Spirit in the missionary campaigns of the Apostles ».

155 Parsons, Acts, p. 26 : « By crediting Jesus with the outline and by shaping it into the form of a

promise, the narrator creates audience expectations that the witness to the gospel will be fulfilled “to the end of the earth.” Are these expectations fulfilled? »

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teach after his ascension, through his Spirit and the ministry of his followers156 »; ou encore Bruce : « As the Gospel records what Jesus began to do and teach (cf. Lk. 3.23, ἀρχόµενος), so Acts records what he continued to do and teach, by his Spirit in the apostles, after he was “taken up”157 ».

Donc, si la plupart des commentaires ont choisi de traduire ἤρξατο par « a commencé », aucun ne relève le problème de la publicité mensongère introduite par ce verbe. En effet, en disant à Théophile que l’évangile n’était qu’un début de ce que Jésus avait fait et enseigné, on est en droit de s’attendre à voir dans les Actes le même personnage principal poursuivre ce qu’il enseignait et faisait. Mais sera-ce le cas? Paradoxalement, le personnage principal de l’évangile, ressuscité et bien « Vivant158 », reste discret dans la suite du récit. Si une expectative, qui se mutera en paradoxe, est belle et bien narrativement provoquée, voilà qu’au moment où je commençais mes recherches doctorales, personne n’avait relevé le paradoxe de cette attente décevante. Cependant, en mai 2014, Jason Ripley tente une première réponse avec un article dont le titre pourrait être ainsi traduit : « ”Ces choses que Jésus a commencé à

156 David Peterson, The Acts of the Apostles (The Pillar New Testament Commentary), Grand Rapids,

William B. Eerdmans Pub. Co., 2009, p. 102 (je souligne) ou encore, avec la même thèse, French L. Arrington, The Acts of the Apostles : an Introduction and Commentary, Peabody, Hendrickson, 1988, p. 4; David John Williams, Acts (New International Biblical Commentary 5), Peabody, Hendrickson Publishers, 1990, p. 19; Frederick F. Bruce, The Book of the Acts (The New International Commentary on the New Testament), Grand Rapids, Eerdmans, 1988, p. 30.

157 Frederick F. Bruce, The Acts of the Apostles : the Greek Text with Introduction and Commentary,

3rd rev. and enl., Grand Rapids, W.B. Eerdmans, 1990, p. 98 (je souligne) ou encore Bruce, The Book

of the Acts, p. 30 : « The implication of Luke’s words is that his second volume will be an account of

what Jesus continued to do and teach after his ascension — no longer in visible presence on earth but by his Spirit in his followers. »

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faire et à enseigner” : christologie narrative et ecclésiologie incarnée en Actes159 ». Ripley propose de combler ce vide de la christologie narrative des Actes par l’Église, qui prend ainsi la place vacante. Pour lui, la présence narrative de Jésus se résume à une ecclésiologie incarnée160. Ripley considère que cette « incarnation » est confirmée à chaque fois que les enseignements et les actes des apôtres imitent ceux de Jésus161. Il peut alors proposer que : (1) l’ecclésiologie soit christologie (selon sa vision de la construction de l’identité sociale de l’Église) et que, (2) s’il y a effectivement une christologie de l’absence chez Luc, elle n’a probablement pas été reconnue par les premiers lecteurs162. Ripley conclut que c’est par la

puissance de l’Esprit que les enseignements et les actes des apôtres (en tant qu’individus) et de la communauté (comme corps de Christ dans les Actes) rendent Jésus présent dans une diversité de lieux et pour une diversité de personnes163. Or, si Ripley voit bien le problème de l’annonce trompeuse, il résout à mon avis trop rapidement l’énigme sans explorer les conséquences du paradoxe, même si l’importance des parallèles narratifs (procédé de

synkrisis) pour la christologie de l’absence a été vue par lui : « the narrative imitation of Jesus

by the apostles and the community – and the ontological implications of this replication –

159 Jason J. Ripley, « ”Those Things That Jesus Had Begun to Do and Teach” : Narrative Christology

and Incarnational Ecclesiology in Acts », Biblical Theology Bulletin : Journal of Bible and Culture 44 (2014), 87-99, p. 87 : « The book of Acts opens with the reminder that the earlier Gospel was just the beginning of Jesus’ story, implying that what follows will be the continuation of “those things that Jesus had begun (erxato) both to do and to teach” (Acts 1:1). Jesus’ subsequent assumption into heaven just eight verses later complicates this notion, to say the least. »

160 Ibid., p. 88 161 Ibid., p. 90-95.

162 Ibid., p. 95 : « If indeed there is an “absentee Christology” in Luke, it likely would not have been

recognized by his first audience. »

163 Ibid., p. 97 : « Empowered by the Spirit, the “teaching” and “doings” of individual apostles and the

community as a whole embody Christ in Acts, rendering him present in a diversity of persons and places. »

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remain underexplored164 ». Si la perspective d’une ecclésiologie incarnée est intéressante et peut faire partie de la solution, il ne faudrait toutefois pas omettre de traiter le paradoxe qui a été introduit par la stratégie narrative lucanienne, ni court-circuiter l’exigeant cheminement du lecteur que cette stratégie induit, ni réduire l’absence/présence du Ressuscité à la seule dimension ecclésiologique. Alors qu’il cite souvent Beverly Gaventa, Ripley ne doit pas oublier les avertissements que celle-ci profère devant une narration complexe et riche :

The result of such an inquiry would not easily lend itself to the conventional headings of “doctrine of God”, “theology of the Spirit”, “eschatology”, or “ecclesiology”. The narrative of Acts is not to be reduced to propositional statements or systematic affirmations. As the previous discussion of “triumphalism” indicates, one of the characteristics of Acts is its narrative complexity165.

Il sera donc nécessaire de tenir compte de cette complexité narrative pour aller peut-être plus loin que la position de Ripley, et c’est ce que cette recherche se propose de faire, en partant du prologue des Actes. La question se pose alors pour savoir si justement le narrateur avait volontairement mis en place une stratégie narrative déroutante, annonçant et amorçant un programme qui irrémédiablement décevra. Je fais l’hypothèse qu’après avoir été « trompé » par le prologue, le lecteur pourrait percevoir une autre vérité. La finale de l’évangile avait déjà préparé ce procédé lors du récit au tombeau quand la question des messagers avait aussi bien interpelé les femmes que le lecteur :

164 Ibid., p. 88.

165 Gaventa, « Toward a Theology of Acts : Reading and Rereading », p. 157. Le triomphalisme dont

Gaventa fait mention dans la citation est celui de Dieu en Actes, ou plus précisément celui de la parole de Dieu, et celui de l’Église qui triomphe de ses ennemis.

1 – Introduction. 1.2 – Là où je vais

5b Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts? 6 Il n’est pas ici, il s’est

réveillé. Souvenez-vous de quelle manière il vous a parlé, lorsqu’il était encore en Galilée (Lc 24.5b-6)166.

Les messagers confirment que le Ressuscité n’est pas là où l’on s’y attendrait. Le lecteur peut comprendre que la résurrection a changé les paramètres de caractérisation (le personnage Jésus passe de mort à Vivant). Son nouveau statut implique qu’il se trouve maintenant en un autre lieu, mais où? La question reste peu de temps sans réponse, car quelques lignes plus loin, Luc montre à son lecteur Jésus Vivant alors que les protagonistes ne le reconnaissent pas. Ainsi, l’aventure des disciples sur le chemin d’Emmaüs, qui voyagent un temps avec Jésus sans toutefois l’identifier, invite le lecteur à demeurer vigilant pour ne pas être lui aussi en présence du Vivant sans le savoir (Lc 24.13-32). Je pose donc l’hypothèse corollaire que Lc 24 peut servir de clé d’interprétation au livre des Actes, avec le jeu de cache-cache que cela implique. Au fil de la narration des Actes, il ne faudra pas chercher à voir Jésus là où il ne se trouve pas et il faudra être perspicace pour le reconnaître là où il se trouve.

C’est justement en traduisant que Jésus a commencé d’enseigner et d’agir dans le premier ouvrage que l’effet d’anticipation peut jouer son rôle au sein de la stratégie narrative. J’opte donc pour une traduction du verbe ἤρξατο avec son sens premier, laissant ainsi le texte construire une attente qui se transformera rapidement en énigme narrative à résoudre167. En étudiant la caractérisation du personnage Jésus dans les Actes, ma quête sera donc celle du sens d’une

166 J’utiliserai la traduction de la nouvelle Bible Segond (NBS) pour les citations bibliques, sauf

indication contraire (je souligne par une mise en gras).

167 Avec Luke Timothy Johnson et Daniel J. Harrington, The Acts of the Apostles (Sacra pagina series

5), Collegeville, Liturgical Press, 1992 : « Luke sometimes uses the verb archō (“begin”) as a sort of helping verb (e.g., Luke 3:8; 4:21), but can also use it more deliberately to demarcate the start of Jesus’ active ministry, as in Luke 3:23, Acts 1:22, and here [Acts 1:1]. »

1 – Introduction. 1.2 – Là où je vais

telle annonce : il y a bien une histoire à finir. Comment le personnage Jésus, ressuscité et Vivant, va-t-il terminer ce qu’il a commencé?