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2.4.3 – Discours de Pierre à la Pentecôte (2.14-40)

14 Alors Pierre, debout avec les Onze, éleva la voix et énonça ce qui suit à leur

adresse : Hommes de Judée et vous tous qui habitez Jérusalem, prêtez l’oreille à mes paroles! Sachez-le : 15 ces gens ne sont pas ivres comme vous le supposez, car ce n’est

que la troisième heure du jour. 16 Mais c’est ce qui a été dit par l’entremise du

prophète Joël :

17 Dans les derniers jours, dit Dieu,

je répandrai de mon Esprit sur tous; vos fils et vos filles parleront en prophètes, vos jeunes gens auront des visions

et vos vieillards auront des rêves.

18 Oui, sur mes esclaves, hommes et femmes, en ces jours-là,

je répandrai de mon Esprit, et ils parleront en prophètes.

19 Je donnerai des prodiges en haut dans le ciel

et des signes en bas sur la terre,

du sang, du feu et une vapeur de fumée;

20 le soleil se changera en ténèbres

et la lune en sang,

avant que vienne le jour du Seigneur, ce jour grand et magnifique.

21 Alors quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé.

22 Hommes d’Israël, écoutez ces paroles! Jésus le Nazoréen, cet homme que Dieu a

accrédité auprès de vous par les miracles, les prodiges et les signes qu’il a produits par son entremise au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes, 23 cet homme,

livré selon les décisions arrêtées dans la prescience de Dieu, vous l’avez supprimé en le faisant crucifier par des sans-loi. 24 Dieu l’a relevé en le délivrant des douleurs de la

mort, parce qu’il n’était pas possible qu’il soit retenu par elle. 25, Car David a dit de

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Je voyais constamment le Seigneur devant moi,

parce qu’il est à ma droite afin que je ne sois pas ébranlé.

26 Voilà pourquoi mon cœur est en fête

et ma langue est transportée d’allégresse; ma chair même reposera dans l’espérance;

27 car tu ne m’abandonneras pas au séjour des morts,

tu ne laisseras pas ton Saint voir la décomposition.

28 Tu m’as fait connaître les chemins de la vie,

tu me rempliras de bonheur par ta présence.

29 Mes frères, qu’il me soit permis de vous dire ceci avec assurance, au sujet du

patriarche David : il est mort, il a été enseveli et son tombeau est encore aujourd’hui parmi nous. 30 Comme il était prophète et qu’il savait que Dieu lui avait juré par

serment de faire asseoir un de ses descendants sur son trône, 31 il a vu d’avance la

résurrection du Christ et il en a parlé, en disant qu’il n’a pas été abandonné au séjour des morts et que sa chair n’a pas vu la décomposition. 32 Ce Jésus, Dieu l’a relevé;

nous en sommes tous témoins. 33 Élevé par la droite de Dieu, il a reçu du Père l’Esprit

saint qui avait été promis et il a répandu ce que vous voyez et entendez. 34 Ce n’est pas

David, en effet, qui est monté aux cieux, mais il dit lui-même :

Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite,

35 jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied.

36 Que toute la maison d’Israël le sache donc bien : Dieu l’a fait Seigneur et Christ, ce

Jésus que vous avez crucifié!

37 Après avoir entendu cela, ils eurent le cœur transpercé, et ils dirent à Pierre et aux

autres apôtres : Frères, que devons-nous faire?

38 Pierre leur dit : Changez radicalement; que chacun de vous reçoive le baptême au

nom de Jésus-Christ pour le pardon de ses péchés, et vous recevrez le don de l’Esprit saint. 39 Car la promesse est pour vous, pour vos enfants et pour tous ceux qui sont au

loin, en aussi grand nombre que le Seigneur, notre Dieu, les appellera. 40 Et, par

beaucoup d’autres paroles, il rendait témoignage et les encourageait, en disant : Sauvez-vous de cette génération perverse (2.14-40).

Le long discours à la Pentecôte constitue le premier exposé christologique avec un discoureur, Pierre, qui ne se contente pas d’être témoin de la résurrection, mais l’interprète pour lui donner sens271. Une frustration avait en effet été créée par le narrateur qui, dans les premières lignes des Actes, indiquait au lecteur que Jésus enseignait et expliquait sa résurrection aux

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apôtres sans rien révéler du contenu de ces échanges. Ce même procédé avait été observé sur le chemin d’Emmaüs où Jésus avait interprété (διερµηνεύω) dans toutes les Écritures les choses qui le concernaient : « Et, commençant par Moïse et par tous les Prophètes, il leur fit l’interprétation de ce qui, dans toutes les Écritures, le concernait (Lc 24.27) ». On peut ainsi présumer que le mystérieux enseignement de quarante jours (1.3) est lui aussi constitué d’une interprétation des Écritures (ταῖς γραφαῖς) selon Lc 24.45. L’usage des Écritures comme clé d’interprétation est confirmé à plusieurs reprises en Lc-Ac (Lc 24.27, 32, 45; Ac 17.2, 11; 18.24, 28). Le narrateur a donc volontairement laissé un vide dans le texte pour que ce soit les protagonistes du récit, témoins privilégiés de la résurrection, qui projettent eux-mêmes la christologie du Vivant. Le fait que Pierre utilise les Écritures comme base de son discours invite le lecteur à remplir le trou du récit en déduisant que l’enseignement de Pierre à la Pentecôte trouve principalement ses sources dans l’enseignement postpascal de Jésus. C’est la première fois que le lecteur peut entrevoir ce qui avait été enseigné durant quarante jours par Jésus lui-même (cf. Ac 1.3)272. Le recours à l’intertextualité a aussi une autre fonction. Gail R. O’Day innove quand elle propose de rapprocher l’étude de l’intertextualité de celle de la construction des personnages en proposant « la citation des Écritures comme clé de caractérisation dans les Actes273 ». Mais O’Day limite l’effet de cette caractérisation aux personnages qui citent l’intertexte : « Luke does interpret Scripture through his characters, but

272 Ibid., p. 13 : « The forty-day period of resurrection appearances is a time of intense instruction in

“the things concerning the reign of God” (1.3). Since this phrase is not explained in 1.3, we are left to interpret it in light of two sorts of clues : (1) what we are told of the risen Jesus’ instruction of his followers in Luke 24 and Acts 1, and (2) what Jesus’ witnesses understand and proclaim in the Acts speeches that they did not understand prior their encounter with the risen Jesus. »

273 Gail R. O’day, « The Citation of Scripture as a Key to Characterization in Acts » dans Patrick Gray

et Gail R. O’day, éds., Scripture and Traditions : Essays on Early Judaism and Christianity in Honor

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it is also important to investigate whether Luke also interprets his characters through his use of Scripture274 ». Cependant, les observations de O’Day invitent aussi à considérer les Écritures comme étant une clé de caractérisation du personnage Jésus Vivant. La voie avait en effet été ouverte quand Jésus s’était caractérisé lui-même en faisant référence au Tanakh en Lc 24.27 avec Moïse (la Torah), les prophètes (Nevi’im) et les Écritures (Ketouvim). Le discours de Pierre, de la même manière, présente la figure de Jésus autour du thème intertextuel de la promesse et de l’accomplissement :

The theological ground of the speech is the theme of promise and fulfillment. The remarkable events are to be understood as the specific fulfillment of a general promise : the future outpouring of the Spirit (vv. 16-21). On that basis, Peter argues that the experiences of Jesus are specific fulfillments of « messianic prophecies » taken from the Psalm (vv. 22-35), concluding the claim that Jesus is the Messiah (v. 36)275.

Le discours à la Pentecôte est donc la première caractérisation explicite : Jésus est Seigneur et messie (Christ). Le secret messianique de l’évangile (Lc 4.35, 41; 9.21; 22.67)276 devient

maintenant le kérygme des apôtres (2.36, 38; 3.6, 18, 20; 4.20, 26; 5.42; 8.5, 12; 9.22, 34; 10.36; 11.17; 15.26; 17.3; 18.5, 28; 20.21; 24.24; 26.23; 28.31), sans nuances, comme si Pierre passait d’une étape à l’autre sans mentionner quelques paliers intermédiaires, pour aller droit au but. En effet, Pierre ne reprend pas les acquis de la caractérisation de l’évangile où Jésus était aussi prophète (Lc 4.24, 7.16, 39; 13.33; 24.19; Ac 3.22-23; 7.37) et Fils de l’homme, Fils de David ou Fils de Dieu (Lc 1.32, 35; 3.22; 4.3, 9, 41; 5.24; 6.5, 22; 7.34;

274 Ibid., p. 209 et 221.

275 Pervo et Attridge, Acts, p. 74.

276George Eldon Ladd, A Theology of the New Testament, Rev., Grand Rapids, Eerdmans, 1993, p.

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8.28; 9.22, 26, 35, 44, 58; 10.22; 11.30; 12.8, 10, 40; 17.22, 24, 26, 30; 18.8, 31, 38-39; 19.10; 20.41, 44; 21.27, 36; 22.22, 48, 69, 70; 24.7; Ac 7.58; 9.20; 13.33; 20.28). Pierre se limite ainsi à présenter Jésus l’homme (celui de l’évangile) et Jésus le Seigneur (messie ressuscité) :

1. Jésus est le Nazoréen (2.22)

2. Un homme que Dieu a accrédité par les prodiges et les miracles des signes (2.22) 3. Un homme livré selon les décisions arrêtées dans la prescience de Dieu (2.23) 4. Crucifié et ressuscité (2.23-24, 31-33)

5. Seigneur (2.34)

6. Seigneur et Christ (2.36)

Or, il n’y a rien de nouveau dans ce premier discours, juste une mise en lumière de ce qui avait été implicite jusqu’ici, voire secret.

Enfin, il faut souligner le problème d’identification du κύριος : « Alors quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé (2.21) ». Premièrement, il est question de Dieu, conformément à la référence intertextuelle de Joël 2.32. Deuxièmement, il est question de Jésus pour le lecteur qui relit les Actes et qui connaît déjà l’importance du nom de Jésus dans le reste du récit. L’identification du Seigneur de 2.21 à Jésus est donc naturelle dans un mode de relecture alors qu’elle est forcée lors de la première lecture.