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2.4.20 – Discours de Pierre chez Corneille (10.34-43)

34 Alors Pierre prit la parole : En vérité, dit-il, je comprends que Dieu n’est pas partial, 35 mais qu’en toute nation celui qui le craint et pratique la justice est agréé de lui. 36 Il

a envoyé la Parole aux Israélites, en leur annonçant la bonne nouvelle de la paix par Jésus-Christ : c’est lui qui est le Seigneur de tous. 37 Vous, vous savez ce qui est arrivé

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dans toute la Judée, après avoir commencé en Galilée, à la suite du baptême que Jean a proclamé : 38 comment Dieu a conféré une onction d’Esprit saint et de puissance à

Jésus de Nazareth qui, là où il passait, faisait du bien et guérissait tous ceux qui étaient opprimés par le diable; car Dieu était avec lui. 39 Nous sommes témoins de tout ce

qu’il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem. Celui qu’ils ont supprimé en le pendant au bois, 40 Dieu l’a réveillé le troisième jour; il lui a donné de se manifester, 41 non à tout le peuple, mais aux témoins désignés d’avance par Dieu, à nous qui

avons mangé et bu avec lui après qu’il s’est relevé d’entre les morts. 42 Et il nous a

enjoint de proclamer au peuple et d’attester que c’est lui que Dieu a institué juge des vivants et des morts. 43 Tous les prophètes lui rendent ce témoignage : quiconque met

sa foi en lui reçoit par son nom le pardon des péchés (10.34-43).

Dans son discours chez Corneille, Pierre ne confirme pas seulement plusieurs éléments de la caractérisation de Jésus comme la résurrection (10.40) ou l’accomplissement des prophéties (10.41, 43), mais ajoute aussi de nouveaux détails. Ainsi, il mentionne pour la première fois l’annonce de la bonne nouvelle de la paix par Jésus-Christ. Le verbe εὐαγγελίζω (annoncer une bonne nouvelle) est employé avec différents compléments dans les Actes comme le montre le tableau de la page suivante :

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Tableau VII. Les différents compléments du verbe εὐαγγελίζω dans les Actes 5.42 εὐαγγελίζω + Χριστός Ἰησοῦς Annoncer la bonne nouvelle du Christ Jésus 8.4 εὐαγγελίζω + ὁ λόγος Annoncer la bonne nouvelle de la parole 8.12 εὐαγγελίζω + περὶ τῆς βασιλείας τοῦ θεοῦ καὶ

τοῦ ὀνόµατος Ἰησοῦ Χριστοῦ

Annoncer la bonne nouvelle du règne de Dieu et du nom de Jésus-Christ,

8.25 εὐαγγελίζω sans complément Annoncer la bonne nouvelle

8.35 εὐαγγελίζω + Ἰησοῦς Annoncer la bonne nouvelle de Jésus 8.40 εὐαγγελίζω sans complément Annoncer la bonne nouvelle

10.36 εὐαγγελίζω + εἰρήνη διὰ Ἰησοῦ Χριστου Annoncer la bonne nouvelle de la paix par Jésus- Christ

11.20 εὐαγγελίζω + ὁ κύριος Ἰησοῦς Annoncer la bonne nouvelle du Seigneur Jésus 13.32 εὐαγγελίζω sans complément Annoncer la bonne nouvelle

14.7 εὐαγγελίζω sans complément Annoncer la bonne nouvelle 14.15 εὐαγγελίζω sans complément Annoncer la bonne nouvelle 14.21 εὐαγγελίζω sans complément Annoncer la bonne nouvelle

15.35 εὐαγγελίζω + ὁ λόγος τοῦ κυρίου Annoncer la bonne nouvelle de la parole du Seigneur 16.10 εὐαγγελίζω sans complément Annoncer la bonne nouvelle

17.18 εὐαγγελίζω + ὁ Ἰησοῦς καί ὁ ἀνάστασις Annoncer la bonne nouvelle de Jésus et de la résurrection.

La première mention du verbe εὐαγγελίζω montre sans ambiguïté que la bonne nouvelle concerne Jésus. Les différents emplois du verbe peuvent ensuite se regrouper en trois catégories : (1) la bonne nouvelle de Jésus, du Christ-Jésus, du Seigneur Jésus, du nom de Jésus-Christ associé au règne de Dieu, à la paix ou encore à la résurrection; (2) la bonne nouvelle de la parole ou de la parole du Seigneur et (3) la bonne nouvelle tout simplement. Quand aucun complément n’est associé au verbe εὐαγγελίζω, l’ensemble des précédents compléments y sont implicitement circonscrits. C’est d’ailleurs pour cela qu’il y a une progression dans l’usage du verbe, avec d’abord une définition par ajouts de traits puis un emploi simple contenant le tout. Deux rappels successifs en fin d’ouvrage confirment les deux premières catégories (15.35 et 17.18).

Dans son discours, Pierre ajoute aussi un aspect universel à la Seigneurie de Jésus : « c’est lui qui est le Seigneur de tous (10.16) ». Jésus est caractérisé comme n’étant pas seulement le

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Seigneur des Juifs (3.13), mais aussi celui des non-Juifs à qui la µετάνοια qui mène à la vie est aussi destinée (11.18)290.

Enfin, le résumé que fait Pierre du ministère de Jésus peut être considéré comme une mise en abîme qui se réfère non seulement au Jésus de l’Évangile (christologie projetée), mais aussi à l’action des apôtres dans les Actes (christologie reflétée)291 :

37 Vous, vous savez ce qui est arrivé dans toute la Judée, après avoir commencé en

Galilée, à la suite du baptême que Jean a proclamé : 38 comment Dieu a conféré une

onction d’Esprit saint et de puissance à Jésus de Nazareth qui, là où il passait, faisait du bien et guérissait tous ceux qui étaient opprimés par le diable; car Dieu était avec lui (10.37-38).

Le ministère des apôtres ressemble ainsi à celui de Jésus, car eux aussi ont reçu une onction d’Esprit saint à la Pentecôte et ont manifesté des actes miraculeux de guérison, comme celui du boiteux à la porte du Temple. La mention de la présence de Dieu au côté de Jésus doit inévitablement conduire le lecteur à se demander si, de la même manière, ce ne serait pas parce que Jésus est avec ses apôtres qu’ils ont reçu de lui l’Esprit saint et accompli les différents miracles en son nom. La question de la présence invisible de Jésus est donc là encore sous-entendue.

290 Notons aussi avec Tannehill, The Narrative Unity of Luke-Acts, p. 141 que Jésus est caractérisé

comme juge des vivants et des morts (10.42) : « Jesus as judge of the living and the dead is universal judge, judge of all people whatever their status. »

291 Rappelons que la christologie projetée concerne ce que les personnages disent de Jésus (le discours

de Pierre dans ce cas-ci). La christologie reflétée concerne ce que les personnages font en reflétant ce que Jésus a fait (alors que la christologie réfléchie reflète ce que Jésus a dit, avec un reflet plus net que celui de la christologie reflétée).

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2.4.21 – « Chrétiens » (11.26)

Après l’avoir trouvé, il le conduisit à Antioche. Pendant une année entière, ils participèrent aux rassemblements de l’Église et instruisirent une foule importante. Ce fut à Antioche que, pour la première fois, les disciples furent appelés chrétiens (11.26).

À l’intérieur d’un épisode avec Barnabé et Saul, le narrateur ouvre une parenthèse lors de la mention de la ville d’Antioche et signale la première fois où les disciples furent appelés chrétiens (11.26b). Cette digression peut sembler anecdotique au regard d’une intrigue centrée sur le changement radical d’un persécuteur des disciples de Jésus. Cependant, en ce qui concerne la caractérisation du personnage Jésus, elle est loin d’être insignifiante. En effet, quand Jésus s’était présenté à Saul sur le chemin de Damas, il s’était associé aux disciples, comme si ceux-ci étaient son corps persécuté (« pourquoi me persécutes-tu? », 9.4). En Actes 11.26, le narrateur présente cette fois-ci la réciprocité du lien étroit qui existe entre les disciples et le Christ. Le fait d’être appelé Χριστιανός associe le disciple non seulement au

nom, mais aussi à la personne du Christ. Cependant, le narrateur ne donne pas de raison

explicite sur l’usage du nom chrétien. C’est au lecteur qu’il revient de combler ce vide du texte. L’argument implicite en faveur d’une telle qualification se trouve dans la ressemblance des disciples avec le Christ. Cette déclaration du narrateur (christologie projetée) sera confirmée par la christologie réfléchie (cf. page 186) qui montre le parallèle et la similitude de vie entre Jésus et ses disciples.